Chapitre V

Les jours avaient passé, les semaines aussi. Le printemps avait laissé place à l’été et il faisait de plus en plus chaud.

Pourtant Anaïs n’était pas heureuse. Elle avait repris l’école et sa routine monotone dans le collège de la ville voisine. Elle voyait Lucia tous les jours, son amie allant dans le même établissement, voyageait avec sa famille le weekend, en bref, avait tout pour être comblée.

Seulement, elle avait entraperçu des horizons fabuleux et cela l’attirait plus qu’elle ne le pensait. Pas une nuit ne passait sans qu’elle rêve de forêts multicolores ou de prairies infinies. Sa sœur ne lui avait pas reparlé de sa différence mais elle agissait maintenant comme si elle risquait de se volatiliser à tout instant. Anaïs s’ennuyait plus qu’elle ne croyait possible de s'ennuyer.

Jusqu’au jour où elle reçut la lettre.

C’était un samedi matin, elle s’était réveillée avant toute la famille et, ne trouvant rien à faire, elle était allée chercher le courrier.

C’est là qu’elle l’avait vue, entre une facture et une lettre de la grande-tante espagnole, l’enveloppe avait retenu son attention.

C’était un papier ancien, tirant plutôt sur le parchemin que sur le papier moderne. Sa couleur beige foncée était parfaitement assortie au nom et à l’adresse d’Anaïs, écrit d’une élégante écriture scripte à l’encre violette.

La jeune fille déposa les autres lettres sur le buffet du salon sans quitter du regard celle qui lui était adressée et s’assit dans l’escalier pour la lire. Elle fit sauter le cachet de cire qui la maintenait fermée et sortit une feuille de la même matière et couverte de la même écriture.

Le message n’était pas très long, mais il la laissa perplexe.

« Chère Anaïs,
Si tu tiens cette lettre entre tes mains, cela signifie que tu as effectué le passage des Mondes. Ta sœur l’a effectué aussi, mais tu ne l’as pas rencontrée.
Tu as en ta possession la première Clé de Feu. Ne la perd surtout pas, elle a un rôle essentiel à jouer dans l’histoire. Je ne peux t’en dire plus, au cas où quelqu’un d’autre lirai ce message.
Des réponses à tes questions t’attendent le samedi 15 juin, à 23h, dans la forêt de Bartville. Suis le chemin de l’eau, il te mènera à destination.
À partir d’aujourd'hui, ne fais plus confiance qu'aux éléments. Tu es en danger, sache-le. Tes ennemis peuvent se dissimuler n’importe où, ils peuvent prendre n’importe quel visage.
Ne manque pas le rendez-vous et viens seule.
Bonne chance. »

La jeune fille relut la lettre une deuxième fois, cherchant à comprendre ce qu’elle signifiait. N’y parvenant pas, elle remonta dans sa chambre et se saisit de son téléphone puis écrivit un rapide message à Lucia :

Lucia, j’ai besoin de ton aide. J’ai reçu une lettre étrange qui parle de… tu sais… quand on s’est… “téléportées”

La réponse de son amie lui parvint dans la seconde.

Viens.

Il n’y avait pas trente-six solutions. Anaïs enfila des vêtements, mit son téléphone dans une poche, la lettre dans l’autre, écrivit une note qu’elle laissa sur la table du salon “Je suis chez Lucia” et sortit dans la rue.

Le soleil était déjà levé mais la jeune fille ne vit personne. Cinq minutes plus tard, elle arriva devant la maison de sa meilleure amie. Celle-ci l’attendait sur le pas de porte, un sac à dos pendant à son épaule, et lui fit signe de la suivre. Les deux adolescentes marchèrent côte à côte sans un mot jusqu’à sortir du village. Elles quittèrent la route et pénétrèrent dans un petit bois où elles avaient construit une cabane qui leur servait de quartier principal depuis leur plus tendre enfance.

Une fois installées sur les vieux coussins éventrés qui couvraient le sol, Lucia exigea de voir la lettre. Elle était férue de romans et de films policiers, et elle avait ainsi acquis des connaissances qui leur étaient parfois utiles pour élucider des mystères de ce genre. Elle avait enseigné des ficelles du métier à son amie mais celle-ci n’était pas encore assez expérimentée pour quelque chose d’aussi précis.

La rouquine commença par sortir la lettre de l’enveloppe. Elle posa la feuille de parchemin sur le sol et observa son emballage avec attention.

– Du parchemin plutôt ancien… Un certain prix, je pense… Un grain assez épais… De l’encre violette… Chère aussi… Une écriture très élégante, plutôt ancienne… Une odeur de… miel et de lavande ? Ça par exemple, c’est étrange.

Elle s’empara ensuite de la lettre, la lut attentivement, l’examina sous toutes ses coutures puis, les sourcils froncés, fit part de ses conclusions à la brune, qui avait patiemment attendu qu’elle termine son examination en tressant une mèche de ses cheveux.

– Je pense que… Ce papier ne vient pas d'ici, peut-être même qu'il ne vient pas de la Terre.

– Pardon ? sursauta Anaïs qui pensait avoir mal entendu.

– Je n’ai jamais vu quelque chose de pareil, expliqua Lucia. Ça ne peut pas être fait à partir de végétaux, sinon le tressage serait visible, mais ce n’est surement pas de la peau d’animal, sinon ce serait plus épais. Je pense aussi que ce papier est trop ancien pour avoir été imprimé ou fabriqué avec des techniques modernes. Mais en même temps, si ce n’est rien de cela, je ne vois vraiment pas ce que ça peut être. Je crois pouvoir affirmer qu'aucune région du monde ne fabrique ce genre de choses.

La jeune fille ne répondit pas. Elle était plongée dans ses pensées, son cerveau tournant à toute vitesse.

– Tu te souviens quand je t’ai dit que nous n’étions peut-être pas sur Terre ? finit-elle par dire. Je pense que j’avais raison. D’ailleurs, il suffit de voir le contenu de ces lignes. “Tu as effectué le passage des Mondes”, cela n’a pas cinquante mille significations possibles.

– Ce n’est pas faux, souffla Lucia en hochant la tête.

Un silence pesant s’installa dans la cabane. La rouquine finit par le briser :

– Bon alors, la question est maintenant : vas-tu à ce rendez-vous, ou non ?

– Je… Je ne sais pas, bredouilla Anaïs.

– Il faut peser le pour et le contre, l’aida son amie.

– Pour, commença donc la jeune fille, je vais obtenir des réponses à mes questions, je vais peut-être revoir ce monde parallèle où on est allées et… C’est tout, je crois.

Après s’être creusé la tête, Lucia acquiesça.

– Et contre, continua Anaïs, je ne sais pas ce qui m'attend, c’est un rendez-vous donné par un inconnu dans une forêt au milieu de la nuit, mes parents ne sont pas au courant et on me demande d’y aller seule. Le choix est vite fait.

– En effet, soupira la rouquine. Mais est-ce que tu veux y aller ? Ce serait quand même dommage de rater une occasion pareille…

– Mais rien ne me dit que ce n’est pas une tentative de kidnapping, la coupa la brune.

– Si, la lettre, rétorqua-t-elle sans se laisser démonter.

Vaincue, Anaïs se laissa tomber sur les coussins.

– Très bien, alors j’y vais…

– Super ! s'exclama Lucia. Mais maintenant, il faut prévoir le matériel.

– Le matériel ? Quel matériel ?

– Déjà, sais-tu où se trouve cette forêt de Bartville ? interrogea-t-elle.

– Euh… non, avoua la jeune fille.

La rousse sortit de son sac une carte de la région et un stylo. Elle déplia la carte sur le sol et se pencha dessus avec son amie.

– Nous sommes ici, dit-elle en désignant un point sur la carte. Et la fameuse forêt est…

– Ici ! s’écria Anaïs après un moment passé à chercher.

– C’est pas tout près, remarqua la rousse. À vue d’œil, il te faudra environ… disons trois heures à pied.

La brune s’empara de son portable et déclara après quelques secondes :

– Trois heures et vingt minutes à pied, mais seulement cinquante minutes en vélo.

– Parfait, tu iras donc en vélo. Maintenant traçons l’itinéraire.

Chose dite chose faite, les deux amies repassèrent au stylo sur la carte la route que prendrait Anaïs.

Puis Lucia sortit de son sac différents objets qu’Anaïs identifia avec effarement comme étant une lampe, des vêtements sombres, une gourde, des gants et même un petit couteau.

– Je ne vais pas te demander comment tu as pu prévoir tout cela, dit prudemment la jeune fille, mais par contre j’aimerais savoir si tu te rends compte que le rendez-vous est fixé au quinze juin, c'est-à-dire dans une semaine ?

– Oui oui, je sais. Mais il faut toujours prévoir un coup d’avance, rétorqua la rouquine.

Anaïs se contenta de lever les yeux au ciel, son amie était parfois obstinée mais le temps lui donnait souvent raison.

– Essaye-ça, intima cette dernière en lui tendant les vêtements.

La brune s’exécuta, bien qu’à contrecœur. Les vêtements, même si un peu grands, lui allaient et Lucia assura que c’était parfait.

Quand elle fut sûre qu’Anaïs était fin prête pour son expédition, la jeune fille remballa remit toutes ses affaires dans son sac qu’elle dissimula ensuite sous les coussins.

– Rendez-vous samedi prochain à vingt-et-une heure trente, déclara-t-elle solennellement. Et surtout, pas un mot à qui que ce soit d’ici là !

– Je ne suis pas bête, non plus, soupira Anaïs en descendant de la cabane à la suite de son amie.

– Oh ça, tu sais… se moqua gentiment la rouquine.

– Hé ! s’écria Anaïs en touchant le sol. Tu vas voir qui est bête ici !

Elle se précipita sur son amie et la fit tomber au sol.

– Haha ! triompha-t-elle.

Lucia se débattit mais la brune ne se laissa pas faire et elle finit par abandonner.

– Ok, tu as gagné, maugré-t-elle. Mais juste cette fois !

– C’est ce qu'on verra ! fit Anaïs en relâchant son amie.

Cette dernière sauta sur ses pieds et s’enfuit en riant. Mais la brune était plus rapide et elle la rattrapa en quelques secondes. Les deux adolescentes coururent dans la forêt jusqu'à ce qu'elles n’aient plus de souffle puis elles se laissèrent tomber au pied d'un arbre.

– Pfff ! souffla Lucia.

– Quelle… éloquence ! haleta Anaïs, narquoise.

Son amie lui tira la langue.

Quand elles eurent repris leur souffle, la brune se releva et épousseta ses vêtements.

– Bon c’est pas tout, mais moi, on m’attend ! s’exclama-t-elle.

– Moi aussi, soupira Lucia en se relevant difficilement. Et je ne comprends pas comment tu fais pour être à peine fatiguée !

– L’endurance, ma chère ! Celle que tu n’as pas !

– Mais… ! protesta la rouquine.

– À lundi Lucia ! la coupa Anaïs en lui envoyant un baiser du bout des doigts.

La jeune fille secoua la tête en souriant puis elle emboîta le pas à son amie et elles rentrèrent chez elles, joyeuses en apparence mais anxieuses au fond d’elles-mêmes.

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