Chapitre III

L'air sifflait dans les oreilles d'Anaïs, l'assourdissait tandis que son cœur battait la chamade, résonnait dans tout son corps, et que ses poumons recherchaient désespérément de l'air. Une peur sans nom paralysait son corps et son esprit alors qu'elle tombait, tombait toujours plus bas, plus vite.

Elle allait mourir, c'était sûr, elle ne pouvait résister à une telle tension, une telle terreur. Et puis, elle pouvait s'écraser au fond du puits d'un instant à l'autre. Elle imaginait déjà son corps disloqué, ses membres tordus et sa peau déchirée.

Ne pouvant plus tenir, elle sombra dans l'inconscience.

Ou du moins c'est ce qu'elle crût.

Car même si elle ne sentait plus le froid ni l'air contre sa peau, même si toutes ses sensations physiques s'étaient évaporées, sa gorge était toujours aussi serrée et son cœur n'arrêtait pas de faire des montagnes russes dans sa poitrine.

Alors que la tension devenait insoutenable et que la pression sur ses tempes menaçait de l'écraser, la jeune fille fut soudain projetée dans un espace doux et cotonneux. Toutes ses sensations, ainsi que ses pensées, l'avaient quittée. Elle n'était plus qu'une coquille vide qui flottait dans le néant, sans notion de l'espace où du temps.

Une douce chaleur naquit alors à l'emplacement de son cœur. D'abord à peine perceptible, elle s'amplifia jusqu'à envelopper son corps entier dans un cocon bienfaiteur qui la maintenait en une seule et même unité.

Au grand regret d'Anaïs, la chaleur s'estompa peu à peu jusqu'à disparaître complètement. À sa place, un fumet lui piqua les narines et une forte odeur de brûlé envahit son palais. Elle avait oublié à quel point l'asphalte chauffé par le soleil pouvait sentir mauvais. Elle en vint rapidement à regretter la prairie verdoyante où elle se trouvait quelques minutes auparavant.

Elle ouvrit difficilement les yeux, éblouie par le reflet du ciel gris et pourtant lumineux sur le bitume. Au fur et à mesure que sa vision s'accommodait à la lumière, les détails de son entourage lui apparurent plus clairement.

Du béton couvert de traces de brûlé. Des murs noirs et effondrés. Et surtout, une odeur de mort oppressante. Une odeur fade et lourde, une odeur qui vous prenait à la gorge, vous asséchait les poumons, une odeur horrible, et c'était un faible mot.

La jeune fille se releva difficilement et tourna lentement sur elle-même. Partout, le même paysage de désolation et de mort. Mais les ruines des murs lui étaient affreusement familiers. Anaïs ne put retenir sa peur et sa détresse plus longtemps.

Elle cria, s'effondra, en larmes, sur ce qui était autrefois son collège et qui se résumait maintenant à un champ de ruines carbonisées. Des souvenirs défilèrent sous ses paupières, certains heureux, d'autres non, mais tous lui rappelant que ce lieu qui lui était si familier n'était plus. Les larmes roulaient sur ses joues, larmes qui s'étaient faites de plus en plus nombreuses ses dernières heures. Pourquoi tout cela était-il arrivé ? La journée avait pourtant commencé normalement – si ce n'était ce rêve étrange – et puis, d'un coup, tout avait basculé. D'une seconde à l'autre, la vie de la jeune fille s'était transformée en cauchemar.

À l'endroit de son cœur, une faible chaleur s'alluma timidement. Semblable à celle qui l'avait envahie quelques minutes auparavant, elle se propagea doucement dans son corps et l'apaisa.

Étonnée, Anaïs se redressa et ouvrit des yeux ronds. La petite clé en or qu'elle avait glissée dans sa poche rayonnait de mille feux à travers le mouchoir dans lequel elle était emballée. La jeune fille la saisit précautionneusement entre ses doigts et l'admira à nouveau. L'objet semblait doué d'une vie propre et illuminait les alentours d'une vive lumière dorée.

Mais dès que la tristesse de la jeune fille eut laissé place à de l'incrédulité, la clé s'éteignit et redevint inerte. Toujours ébahie, Anaïs la rangea dans sa poche et se mit debout. Elle devait chercher Lucia, avec un peu de chance son amie n'avait pas atterri trop loin.

En effet, après quelques minutes à farfouiller sous les débris, son inquiétude grandissant, elle la retrouva un peu plus loin, allongée face contre terre, l'éclat roux de ses cheveux atténué par l'épaisse fumée qui s'y était collée.

– Lucia... Lucia... l'appela-t-elle.

La jeune fille ne remua pas d'un cheveu. Échouant à la ranimer, Anaïs la hissa – non sans peine – sur son dos et, titubant sous son poids, se mit en quête de la sortie.

Même en ruine, l'endroit restait son collège et elle trouva rapidement une porte donnant sur la rue. Portant toujours Lucia, elle prit la direction de sa maison à travers le quartier désert.

Lorsqu'elle arriva enfin devant la petite maison qu'elle habitait, elle sentit que quelque chose clochait. Certes, elle avait l'impression d'être partie depuis des lustres, mais il y avait autre chose, une sensation confuse qui la laissait perplexe.

Elle déposa son amie sur le sol et poussa la porte d'entrée. Aucun bruit ne lui parvint.

– Ohé, appela-t-elle, hésitante. Il y a quelqu'un ?

La maison resta aussi silencieuse qu'une tombe.

La jeune fille s'avança prudemment dans l'entrée, les yeux et les oreilles grands ouverts. Un coup d'œil dans le salon, puis dans la cuisine, lui apprirent qu'ils étaient déserts.

Inquiète, Anaïs monta à l'étage. Ses pas résonnaient avec fracas dans le silence de mort qui planait sur la maison.

Après avoir regardé dans les pièces de l'étage, la jeune fille arriva devant sa chambre. Elle ouvrit la porte et laissa échapper un cri de surprise. Elle n'était pas préparée à ce qui l'attendait.

On aurait pu croire qu'un ouragan était passé dans la pièce tant le désordre qui régnait était catastrophique. Meubles vidés de leur contenu et renversés ; matelas et coussin éventrés ; tapis retournés ; objets brisés répandus sur le sol... Même le papier peint recouvrant les murs avait été arraché avec sauvagerie. Anaïs ne reconnaissait plus la chambre qu'elle occupait depuis toujours.

Elle entra doucement dans la pièce, prenant garde à ne marcher sur rien. Sans vraiment réfléchir, elle entreprit de ranger. Ses pensées divaguaient tandis qu'elle s'appliquait à ordonner les objets qui jonchaient le sol, dans un état second.

Une respiration sifflante et des pas dans le couloir la sortirent de sa torpeur. Elle se releva brusquement, prête à s'enfuir, et même sauter par la fenêtre, si les choses tournaient mal. Mais ce qui se profila dans l'entrebâillement de la porte n'était ni monstre assoiffé de sang, ni tueur en série.

– Lucia !

– Anaïs !

Les deux amies se jetèrent dans les bras l'une de l'autre.

– Tu m'as fait une de ces peurs ! raconta Lucia. Je me suis réveillée toute seule, devant ta maison et personne, personne alentour ! J'ai cru que tu m'avais abandonnée !

– Et moi donc, pourquoi ne te réveillais-tu pas quand je te secouais !

Les jeunes filles se sourirent. Puis le regard de Lucia tomba sur le désordre qui persistait dans la chambre, malgré le passage de sa propriétaire, et leurs sourires disparurent.

– Et ben, siffla-t-elle, interloquée. Qui est venu mettre un tel bazar ?

– Si je le savais... soupira Anaïs. Je pense en tout cas qu'ils cherchaient quelque chose. Mais quoi, je l'ignore.

– J'ai peut-être une idée, murmura son amie après un temps de réflexion.

– Ah bon ? s'étonna la brune, en haussant un sourcil.

La rouquine se mordit la lèvre et chuchota, si bas qu'Anaïs dut se pencher pour l'entendre.

– Peut-être que c'est toi qu'ils cherchaient, Anaïs.

– Moi ? Mais... mais pourquoi ?

– Parce que tu n'es pas comme les autres continua la rouquine. Je l'ai toujours su, il y a quelque chose chez toi que le reste des êtres humains n'a pas, qui fait de toi quelqu'un de... de différent. Et c'est pourquoi je pense que la ou les personnes qui sont venues ici te cherchaient. Mais ce n'est qu'une supposition.

Anaïs se laissa tomber au sol et laissa tomber sa tête sur ses genoux. Trop de pensées assaillaient son esprit à la fois. Certes, elle savait pertinemment qu'elle était différente, elle l'avait toujours ressenti au fond d'elle-même, elle n'était pas en parfaite harmonie avec le monde. Mais de là à ce qu'on veuille l'enlever ? C'était un peu poussé, comme raisonnement.

– Et les autres ? s'entendit-elle murmurer. Où sont-ils tous ? Mes parents, ma sœur, les voisins...

– Je l'ignore, lui répondit Lucia sur le même ton en s'asseyant à ses côtés. Je l'ignore.

Anaïs sentit la tristesse la submerger. Disparus, lui soufflait sans relâche son esprit perfide. Disparus, disparus, disparus. Elle voulut pleurer, elle n'avait plus de larmes.

– Papa... Maman... sanglota-t-elle. Où êtes-vous... ?

– Viens, ordonna Lucia en la prenant par le bras, doucement mais fermement. Cet endroit ne te fais pas de bien, allons plutôt voir s'il n'y a pas des gens plus loin.

Les jeunes filles sortirent de la maison et marchèrent dans les rues désertes de la ville. Elles avaient beau marcher, marcher et s'éloigner de plus en plus du lieu de l'explosion, il n'y avait toujours personne.

– Je ne comprends pas ! finit par s'écrier Anaïs, qui se sentait mieux depuis qu'elle avait quitté sa chambre. On ne peut pas déserter une ville de la sorte !

Son amie acquiesça sans un mot. Elle réfléchissait.

– Peut-être... commença-t-elle, mais elle ne finit pas sa phrase.

– Peut-être ? la relança la brune.

– Peut-être sont-ils rassemblés quelque part...

– Oui, mais où ? s'impatienta Anaïs en secouant la tête.

Puis la lumière se fit dans son esprit et elle pâlit. Le regard vide de Lucia lui apprit qu'elles étaient parvenues à la même conclusion.

Le collège a explosé. À moins qu'elles ne se soient toutes téléportées on-ne-sait-où, les personnes présentes au moment du drame ne sont plus en vie...

Sans se concerter, les deux amies s'élancèrent vers l'arrière de la ville. Lorsqu'elles arrivèrent au cimetière municipal, leurs craintes furent confirmées.

On aurait dit que la ville entière s'était massée entre les tombes tant l'endroit était noir de monde. Et silencieux.

Une longue banderole avait été étendue entre deux arbres, les noms de ceux perdus dans l'explosion écrits dessus.

Ceux d'Anaïs Lafini et de Lucia Lynn en faisaient partie.

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Merci d'avoir lu, n'hésitez pas à voter !

(quoi ? ça se voit que je ne sais pas quoi dire ?)

⚜️ Lise ⚜️

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