Chapitre II

Une profonde entaille barrait le flanc gauche de Lucia, laissant s'échapper un flot de sang rouge, de plus en plus faible.

– LUCIAAA !!! hurla Anaïs en voyant son amie à demie éventrée.

La rouquine ne répondit pas. Elle était pâle et inerte, ses yeux révulsés fixant sans la voir la voûte de feuillage au-dessus de leurs têtes à travers le verre brisé de ses lunettes. Ses cheveux formaient une auréole rouge autour de sa tête, de la même couleur que le sang qui imbibait à présent le sol recouvert d'humus.

– Lucia... gémit Anaïs en se laissant tomber à genoux près de son amie. Lucia...

La jeune fille enfouit son visage dans le cou de sa meilleure amie, sanglotant de plus belle. Ce n'était pas juste, la rouquine n'avait rien demandé ! Pourquoi avait-elle été blessée ? Anaïs se demanda un instant ce qui avait pu lui causer une telle blessure mais son chagrin l'envahit de nouveau et elle ne put rien faire de plus que de pleurer à chaudes larmes sur le corps inanimé de son amie de toujours.

Épuisée par les derniers événements, qui s'étaient enchaînés beaucoup trop rapidement, et par le choc causé par la perte de sa meilleure amie, la jeune collégienne sombra dans l'inconscience.

✰✰✰

Anaïs déambulait dans une bibliothèque immense. Bien que, par certains côtés, elle lui rappelait celle de son rêve, elle était assez différente.

Les murs et le plafond étaient couverts de chaux et peints de couleurs pâles. Chaque section était rigoureusement carrée, les lignes des rayonnages s'alignant sur celles des pièces. De larges baies vitrées laissaient voir la mer au dehors.

Cela dit, une différence notable existait avec la bibliothèque du précédent rêve de la jeune fille : celle-ci tombait en ruines. Les livres partaient en poussière sur les étagères, une couche de papier froissé recouvrait le sol, des tâches d'humidité apparaissaient sur les murs et la mer grise s'agitait furieusement tandis qu'un orage grondait au-dehors.

Le rêve vira au cauchemar quand des pans entiers de murs s'écroulèrent, que la mer, de grise, devint rouge et qu'une tempête phénoménale dévastait l'endroit, emportant tout sur son passage.

Anaïs ouvrit la bouche pour crier, mais aucun son n'en sortit. Elle voulut courir, s'enfuir, n'importe où mais loin d'ici, ses jambes refusèrent d'avancer, ses pieds restèrent cloués au sol. Elle se déchirait la gorge dans un hurlement muet, luttait contre des forces qui l'écartelaient de l'intérieur.

Ne pouvant plus tenir, elle ferma les yeux et accepta son sort. Aussitôt, la tempête cessa et la jeune fille retrouva le contrôle de son corps. Elle s'effondra au sol, au milieu du capharnaüm indescriptible qui emplissait tout l'espace.

Une brise légère, venue de la mer, emporta dans un tourbillon de papier les vestiges de la bibliothèque. Anaïs sentit alors qu'elle ne devait pas laisser tous ces papiers s'envoler, qu'ils ne devaient pas ce perdre dans l'océans comme de vulgaires petits bateaux. Sauf qu'elle ne pouvait pas les en empêcher.

– À l'aide ! appela-t-elle d'une voix désespérée.

Comme répondant à son appel, une chaude et vive lumière enveloppa les ruines de la bibliothèque dans un cocon soyeux. Les livres se réparèrent progressivement puis se rangèrent d'eux-mêmes dans les étagères. Anaïs, rassurée, se laissa emporter sans résister par la chaleur et la bibliothèque disparut de sa conscience. Elle avait fait ce qu'elle devait faire.

✰✰✰

Anaïs émergea de l'inconscience dans une inexplicable odeur de miel et de lavande. Elle mit du temps à se souvenir où elle se trouvait et pourquoi elle y était. Quand elle parvint enfin à ordonner deux pensées, une violente crise de panique la saisit et elle dut déployer des efforts inhumains pour se contrôler.

Quand elle eut repris ses esprits, elle constata la disparition de Lucia. Elle serra les dents pour s'empêcher de crier et inspira profondément. Selon toute logique, son amie ne pouvait pas s'être volatilisée comme cela.

Sauf que, selon toute logique, il était totalement impossible qu'elle se trouva dans une forêt telle que celle où elle se tenait actuellement alors qu'elle était dans la cour de son collège quelques minutes – ou était-ce des heures ? – plus tôt. Un espoir la traversa quand elle imagina que ceci n'était qu'un rêve, depuis le début. Mais, après s'être plusieurs fois pincée sans pitié, elle dut se rendre à l'évidence : tout ce qu'elle venait de vivre était bien réel.

La jeune fille décida d'analyser un peu sa situation avant de se lancer dans quoi que ce soit qui la mènerait sûrement à faire quelque chose d'insensé. Elle promena son regard sur les environs, examinant soigneusement chaque détail de son entourage.

Déjà, elle se trouvait dans une forêt. Bien. Ensuite, cette forêt était constituée d'une quantité d'arbres étonnants aux feuillages multicolores et à l'écorce légèrement lumineuse. Bien. Non ! Pas bien, pas bien du tout même. Une forêt telle que celle-ci n'existait pas et ne pouvait pas exister, c'était aussi simple que cela.

Sauf qu'elle existait bel et bien.

Anaïs se prit la tête entre les mains et poussa un grognement peu civilisé. Mais de toute façon, personne ne pouvait l'entendre.

Elle était donc seule, perdue dans une forêt inexistante et pourtant existante, sans un quelconque repère. D'ailleurs, elle n'avait pas non plus d'eau ou de nourriture. Voilà qui n'est pas commode, songea-t-elle.

Contre toute logique, elle décida de chercher Lucia. Elle avança dans la forêt, gênée par les buissons roses, bleus, oranges et violets qui se dressaient en travers de son chemin. Elle marchait au hasard, n'ayant pas la moindre idée de la direction à prendre pour trouver son amie.

La jeune fille sentait confusément que la forêt avait une mauvaise influence sur elle, à moins que ce ne soit le choc des derniers évènements. Elle errait dans sa prison végétale, trébuchant sur les racines et les cailloux. Elle ne se rendit compte qu'elle tournait en rond qu'après être passé une dizaines de fois devant le même arbre.

Une fois ce constat fait, elle décida d'y monter pour voir un peu l'étendue de cette forêt gigantesque où elle se perdait. L'escalade fut plutôt facile pour la jeune fille mais une fois en haut, elle fut prise d'un vertige violent et dû se cramponner au tronc de toutes ses forces pour ne pas tomber. Quand elle fut sûre que le monde ne risquait pas de s'effondrer, elle osa jeter un coup d'œil et hoqueta de surprise : la forêt gigantesque qu'elle arpentait depuis si longtemps était... ridiculement minuscule.

Anaïs descendit de l'arbre, complètement abasourdie. Comment était-ce possible qu'elle n'aie pas encore trouvé la sortie de cette forêt alors qu'elle y marchait depuis plusieurs heures et qu'elle était si petite ?

La jeune fille retourna à l'endroit où elle était arrivée et quelle ne fut pas sa surprise quand elle aperçut Lucia, étendue sur le sol mais en parfait état !

– Lucia ! cria-t-elle en se précipitant vers son amie.

La rouquine était allongée sur le dos, les yeux clos et les poings fermés, elle semblait endormie. Sa blessure avait disparu, sans laisser la moindre trace. Anaïs resta perplexe : qui avait bien pu soigner son amie ? La forêt était pourtant déserte.

La jeune fille se leva et parcourut les environs du regard. Décidément, il n'y avait pas trace de vie dans cette forêt. Pas même un chant d'oiseau ou un bruit d'insectes. Elle retourna auprès de Lucia et la secoua doucement par l'épaule. Celle-ci remua légèrement puis ouvrit les yeux.

– Anaïs ? fit-elle en apercevant son amie.

– Je suis là, lui répondit-elle, les larmes aux yeux.

La rouquine éclata soudainement en sanglots, de longs sanglots douloureux qui serrèrent le cœur à Anaïs. Elle s'assit sur le sol de la forêt, prit la jeune fille dans ses bras et la berça doucement.

– Je veux... Je veux... Je veux... rentrer, hoqueta Lucia et agrippant de toutes ses forces le T-shirt de sa meilleure amie. Je veux revoir... ma maison... et... et mes... parents.

Anaïs, empathique, sentit des larmes couler sur ses propres joues. Que n'aurait-elle pas donné, elle aussi, pour retourner chez elle !

À peine eut-elle formulé cette pensée qu'elle sentit le sol s'effondrer sous ses pieds et le monde tourbillonner devant ses yeux. Les ongles de Lucia lui rentraient dans la peau tandis que son cri lui vrillait les tympans.

Puis, aussi vite qu'il était apparu, le tourbillon s'évapora.

Anaïs ouvrit les yeux – qu'elle avait fermés durant sa chute – et scruta le paysage autour d'elle.

La première chose qui lui vint à l'esprit fut qu'elle était tombée dans un pot de peinture. Tout autour d'elle, il y avait du vert. Puis, à mesure qu'elle reprenait ses esprits, elle distingua des contours et des nuances dans tout ce vert. Des arbres, des champs, des buissons, un ciel bleu pâle...

Elle se trouvait en plein milieu d'une campagne verdoyante et... déserte.

– Y a quelqu'un ? cria la jeune fille en se redressant.

Seul l'écho de ses paroles lui répondit.

Lucia se leva à son tour, chancela un peu et mit ses mains en porte-voix :

– OHÉÉÉÉÉÉ ! hurla-t-elle.

Pour toute réponse, un rapace s'envola d'un arbre voisin en croassant.

Les jeunes filles se regardèrent, décontenancées. Soudain, Anaïs poussa un cri de joie et sortit son téléphone portable d'une poche de son pantalon. Elle l'avait complètement oublié !

Les deux amies se penchèrent sur le petit écran, priant pour qu'il ait survécu à leur étrange voyage – qui était plutôt une téléportation.

Au bout d'une attente interminable, l'appareil vibra.

Anaïs alluma sa 4G et attendit fébrilement qu'un réseau daigne se manifester. Il n'y en eut pas. Les barres de connexion restaient désespérément vides.

– Ça alors, souffla Lucia. Tellement paumées qu'on a même pas de 4G. Un peu plus et je croirais qu'on n'est plus sur Terre !

– Peut-être est-ce le cas... murmura Anaïs.

– Tu plaisantes, n'est-ce pas ? s'inquiéta son amie.

La jeune fille haussa les épaules, elle ne faisait que des hypothèses.

Les deux amies se laissèrent tomber dans l'herbe tendre, pile à l'endroit où elles étaient apparues. Anaïs poussa un petit cri de douleur en sentant une pierre s'enfoncer dans sa chair. Elle roula sur le côté et quelle ne fut pas sa surprise quand elle se rendit compte que ce qu'elle avait pris pour une pierre n'était autre qu'une petite clé dorée.

Elle la saisit entre deux doigts et la brandit à la lumière du soleil. Lucia s'approcha et elles l'examinèrent sous toutes ses coutures.

L'objet était magnifique. Il était tout en or, un or pur et resplendissant, gravé de motifs complexes qui faisaient penser à des flammes, un rubis d'un rouge incandescent taillé, lui aussi, en forme de flamme, était incrusté dans la poignée et renvoyait des éclats couleur sang sur le sol. Le soleil le faisait luire et un halo doré semblait l'entourer, lui procurant un aspect irréel.

– Eh ben... laissa échapper Lucia.

– Je ne te le fais pas dire, répondit Anaïs sur le même ton, en faisant tourner la clé entre ses doigts.

Les jeunes filles continuèrent d'admirer le petit objet sous toutes ses coutures, puis Anaïs l'emballa précautionneusement dans un mouchoir avant de le glisser dans sa poche de poitrine.

– Que faisons-nous maintenant ? interrogea Lucia en promenant son regard sur les environs.

– Nous pouvons essayer de trouver un village, répondit Anaïs, peu convaincue par ses propos.

Elles se mirent donc en route, marchant au hasard entre les arbres ondulant dans la brise. Au bout de ce qui leur sembla durer une éternité, elles sortirent de la campagne sauvage et se retrouvèrent dans des champs cultivés.

– Ça ne devrait pas être trop dur de trouver un village ! s'exclama Lucia. S'il y a des cultures, il y a des hommes.

Sur cette remarque très philosophique, elles avancèrent dans les champs. L'herbe leur arrivait aux genoux et elles devaient se soutenir l'une l'autre pour ne pas tomber, le sol étant ponctué de trous et de bosses invisibles.

Le soleil, face à elles, leur brûlait les yeux, aussi ne remarquèrent-elles pas tout de suite qu'en face d'elles se trouvait...

– Un puits ! s'écria Anaïs, ravie et assoiffée.

– Youpiii ! renchérit son amie en courant vers l'édifice.

Édifice étant un bien grand mot : le puits se résumait à un cercle de pierre, d'une hauteur d'environ un mètre et d'un diamètre disproportionné par rapport à elle. Un seau se balançait mollement au bout d'une corde noircie par le temps.

Les jeunes filles s'approchèrent et jetèrent un œil par-dessus la margelle. Elles eurent beau plisser les yeux, elles ne parvinrent pas à voir le fond du puits.

Lucia s'empara d'un petit caillou qu'elle laissa tomber dans le trou. Aucun bruit ne leur parvint.

– Brrr, frissonna Anaïs, je n'aimerais pas tomber là-dedans !

– C'est sûr, acquiesça son amie en faisant un pas en arrière.

Là dessus, elle attrapa la manivelle et fit descendre le seau. Quand il n'y eut plus de corde, les deux amies se penchèrent par-dessus le rebord mais le seau était invisible.

Anaïs voulut se redresser mais elle eut juste le temps de sentir une main sur son dos qu'elle bascula et tomba la tête la première dans le puits obscure.

···✷☬۝☬✷···

Coucou ! :)

Désolée pour ce léger retard, je n'ai pas pu publier le chapitre hier.

À la semaine prochaine !

⚜️ Lise ⚜️

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