Chapitre I
Anaïs déambulait entre les interminables rayons d'une bibliothèque immense. Le parquet craquait sous ses pieds nus tandis qu'elle caressait du bout des doigts les reliures anciennes des livres qui se serraient sur les rayonnages.
La jeune fille savait qu'elle rêvait, aucune bibliothèque de cette taille ne pouvait se dissimuler dans la petite ville où elle habitait. De plus, les arcades aériennes de bois sculpté et les vitraux transparents qui laissaient passer une lumière vert tendre et cristalline n'avaient pas leur place dans une ville moderne.
L'adolescente laissa courir ses doigts sur le papier vieilli, s'imbibant de l'odeur de parchemin, de cuir et de bois que dégageait l'endroit. Comme elle aurait voulu ouvrir un de ces livres, passer ses mains sur leurs pages jaunies et découvrir les secrets qu'ils renfermaient ! Ce n'était pas faute d'avoir essayé, non, mais les livres ne pouvaient tout simplement pas quitter leur place. Quand elle tentait de se saisir d'un des ouvrages, la jeune fille se heurtait à une barrière invisible.
Anaïs se retrouva soudain, sans transition visible, dans une partie de la bibliothèque qui lui sembla plus récente : les livres paraissaient neufs et les étagères moins poussiéreuses. Au détour d'un rayonnage, elle aperçut une petite table ronde, en bois sombre. Une femme y était assise et lisait paisiblement, ses cheveux dorés retombant sur ses épaules nues dans une cascade de boucles soyeuses.
Quand elle se rendit compte de la présence de la jeune fille, un sourire étira ses lèvres rouges et ses yeux d'un turquoise limpide étincelèrent. Une sensation de déjà-vu s'insinua dans l'esprit d'Anaïs, faisant naître une douce chaleur dans son corps.
– Qui êtes-vous ? demanda l'adolescente, dans un souffle.
À peine eut-elle prononcé ces mots que le visage de la femme se brouilla, son corps et ses traits se tordirent puis se reconstituèrent sous le regard étonné d'Anaïs, qui se trouvait désormais face à une reproduction exacte d'elle-même : une peau chocolat, un visage fin, des cheveux bruns sombres aux reflets mouvants, un nez droit, des lèvres minces et des yeux d'un violet intense.
La copie d'Anaïs lui sourit une dernière fois puis disparut, dans un léger bruit de feuilles secouées par la brise.
Le livre était resté ouvert sur la table et la jeune fille s'en approcha lentement, penchant la tête pour déchiffrer le texte qui y était inscrit. Sauf qu'il n'y avait aucun texte, juste une page blanche. L'adolescente tourna les pages, de plus en plus étonnée en comprenant que le livre entier était vierge.
– Qui es-tu ? interrogea à nouveau la jeune fille dans un murmure à peine audible, et qui se répercuta pourtant dans les hauteurs invisibles de la voûte.
Comme s'il l'avait entendu, le livre frissonna, et quelques mots, tracés d'une plume élégante à l'encre violette, apparurent sur le papier.
Je suis ton reflet.
– Mon reflet ? répéta Anaïs, abasourdie.
Les mots s'effacèrent, remplacés par d'autres.
Regarde.
La page frissonna de nouveau, et un miroir apparut à sa surface. Anaïs s'y détailla mais ne vit rien d'autre qu'elle-même.
Alors qu'elle se reculait, un détail retint son attention. C'était elle, sans tout à fait être elle. Quelque chose dans sa manière d'être, dans son regard, était différent.
Elle voulut se pencher pour regarder de plus près mais le miroir l'aspira et elle sombra dans la noirceur infinie de l'inconscience.
Infinie ?
Non, pas tout à fait. Là bas, au loin, une lueur attira l'œil de la jeune fille. Elle courut à tâtons dans l'obscurité sans relief et sans forme, jusqu'à ce qu'elle parvienne à la source de la lumière.
C'était une fenêtre carrée, sans mécanisme d'ouverture apparent. Étrangement, la fenêtre n'avait pas de vitres et Anaïs put passer la tête entre les croisillons. La vue qui s'offrit à elle la laissa perplexe : une pièce s'ouvrait sous ses yeux, et cette pièce n'était autre que sa chambre. En se penchant un peu, la jeune fille vit son lit, et dans celui-ci, son corps endormi.
Par réflexe, elle se recula quand la porte de la pièce s'ouvrit, laissant passer sa mère. Cette dernière s'approcha doucement du lit de sa fille et lui caressa les cheveux.
– Anaïs, ma chérie. C'est l'heure.
Anaïs ouvrit les yeux. Le souvenir de son rêve était là, si présent et si clair qu'elle ne put s'empêcher de lever les yeux vers là où elle se tenait une seconde auparavant. Évidemment, il n'y avait rien, pas trace de la moindre fenêtre, juste un mur de couleur ciel un peu délavé.
La jeune fille se leva et s'habilla. En se regardant dans la glace, elle ne put s'empêcher de repenser au miroir de son rêve. Une impression fugace, celle que ce songe n'était pas dépourvu d'importance, s'imposait à elle.
Après avoir avalé un petit déjeuner en compagnie de ses parents et de sa petite sœur, l'adolescente attrapa son cartable et sortit dans la rue. On était à peine en avril, mais le temps était bon et l'air sentait le printemps.
En arrivant à son collège, qui se trouvait à quelques dix minutes de marche, la jeune collégienne retrouva son amie, Lucia, facilement reconnaissable à ses cheveux roux vif et à ses yeux noisette pétillants derrière des lunettes à monture ronde.
– Eh, Anaïs ! l'apostropha cette dernière.
– Salut Lucia, lui répondit-elle chaleureusement en lui donnant une accolade.
Les deux amies se dirigèrent vers leurs casiers pour récupérer quelques manuels avant d'aller en cours. Mais malheureusement, les choses ne furent pas si faciles.
Un groupe de jeunes, d'un an ou deux de plus qu'elles, étaient adossés aux casiers des jeunes filles.
– Oh non... soupira Lucia.
– Tiens tiens, mais qui voilà ? ricana l'un des garçons. C'est la petite nègre et son toutou-hibou !
Les autres ricanèrent bêtement pour approuver leur condisciple. Anaïs serra les poings tandis que son amie étouffait un grognement à son côté.
– Viens Lucia, souffla-t-elle, allons-nous en.
Elle crut que son amie n'allait pas l'écouter mais elle finit par se détourner et les deux jeunes filles s'en allèrent sous les sifflets moqueurs des adolescents.
– Je les hais, siffla Lucia une fois dans la cour. Je les hais, je les hais, je les hais !
– Moi aussi, acquiesça tristement Anaïs en laissant tomber son cartable sur le sol, mais on n'y peut rien.
Son amie donna un coup de pied rageur dans un caillou en proférant une bordée de jurons. Elle fut interrompue par la sonnerie qui retentit, leur imposant de se rendre en cours.
Lucia se dirigea vers le bâtiment, toujours furieuse, mais son amie la retint par la manche.
– Lucia, attends !
– Quoi ? lui demanda son amie. Tu veux sécher ? ajouta-t-elle avec une pointe d'espièglerie.
Anaïs ne lui répondit pas, ne sourit même pas. Elle écoutait intensément. Malgré le hurlement strident de la sonnerie, elle avait entendu un bruit. Un bruit qui ne lui induisait pas confiance, pas du tout.
– Cours ! hurla-t-elle à son amie hébétée tandis qu'une formidable explosion retentissait derrière elles, emportant sur son passage arbres, bancs et morceaux de plâtre.
Les jeunes filles furent projetées au sol par l'onde de choc et une fumée épaisse s'abattit sur elles, les faisant tousser et leur brûlant les yeux.
À demi aveuglée, Anaïs attrapa la main de sa meilleure amie et ferma les yeux de toutes ses forces.
Elle était au bord de l'évanouissement quand l'air autour d'elle changea, se faisant plus léger, et qu'une brise fraîche lui caressa le visage. Incrédule, elle ouvrit les yeux et ne put s'empêcher de pousser une exclamation de surprise quand elle se rendit compte qu'elle se trouvait sur le sol d'une forêt digne d'un conte de fées, loin de tout ce qui pouvait se rapporter à la ville.
Et une autre, de panique, quand elle aperçut Lucia, à quelques pas de là, livide, qui se vidait de son sang.
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⚜️ Lise ⚜️
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