💧Au plus profond de son âme💧


Hina.

Ce nom lui jaillissait à l'oreille tel une promesse.

Longtemps elle avait cru qu'elle pouvait s'y raccrocher, que c'était un signe du destin, que la brise allait bien emporter tout tourment.

Tout cela... était-ce faux ?

De quels espoirs étaient-ils question ?

Le doute, les incertitudes et le désespoir la manipulaient depuis bien trop longtemps à son goût. Pourtant, elle ne trouvait pas la force de lutter. Comme si se laisser transporter par ces vagues de mélancolie pouvait la soulager de ce poids énorme, de ce fardeau qui lui pesait chaque jour plus sur les épaules.

Seule, voilà ce qu'elle était. Une infime particule dans l'espace, une poussière sur Terre. L'existence n'était qu'un vague domaine, trop floue pour qu'on y voit à travers. Le temps lui, continuait sa spirale infernale, semblant pourtant figé pour l'atome qu'était Hina.

Une tâche noirâtre sur un drap blanc immaculé. Comme un moucheron qu'on écrase par inadvertance sur la table de la cuisine. Un papillon de nuit égaré en plein jour.

La dépression avait déjà failli avoir raison d'elle. Des pensées sombres, sans phare dans la nuit pour la guider, la tempête qui rugit. Pas de boussole ni de carte. Juste l'instinct de survie qui s'atténue peu à peu. Ce n'était qu'une question de temps avant que tout ne soit que néant.

Ses sens étaient perturbés. Le nord était au sud, l'ouest à l'est. Le haut était le bas et la droite était la gauche. Son esprit n'était que brisures de verre, qu'un simple objet cassé mais dont tous les bouts auraient été éparpillés aux quatre coins de l'univers. Elle était perdue, destinée à errer jusqu'à la fin de l'existence, si courte soit-elle.

Quel dommage, se disait-elle. Si je n'avais pas quitté la vie plus tôt, j'aurais pu connaître des tas de choses.

Qu'est-ce la vie sans la volonté qui va avec ? Pourquoi tant d'acharnement sur une si pauvre âme ? Durant son enfance, Hani avait été une enfant simple et modèle. Pourtant, elle n'avait jamais suscité une grande attention. Le minimum qui lui était accordé était lié à ses résultats scolaires. Un tel acte pourrait être considéré comme un assassinat, puisque qu'elle ne vivait plus vraiment. Elle n'avait donc pas développé de personnalité, s'étant concentrée sur un but, un objectif qui n'était pas le sien : l'école. Sa naïveté de l'époque avait insufflé son poison dans tout son avenir, et Hani s'en voulait d'avoir été aussi bornée.

Mais les regrets sont les regrets. On ne peut pas les enlever. Ils restent comme des spectres autour de vous et deviennent de plus en plus nombreux jusqu'à ce que mort s'ensuive. Aucune solution, vous dis-je. Puisqu'il est bien impossible de modifier notre existence passée. Des gens vous diront qu'il faut toujours rester tourné vers l'avenir, qu'il ne faut jamais quitter son rêve du regard. Mais les aveugles, ceux à qui les regrets ont ôté la vue, n'ont pas cette opportunité là. La passion même leur a été enlevée.

- Hani ? s'éleva une voix depuis le fond de l'appartement.

L'intéressée leva la tête, ses yeux presque vitreux. Ses cheveux noirs ondulés étaient emmêlés et en bataille, son pyjama de travers et des cernes bleues lui tombaient presque sur la moitié du visage. Elle leva mollement une main avant d'attraper une photographie sur son bureau et fixa son regard sur la femme qui la tenait par l'épaule.

- Toujours sur cette vieille photo, hein ? Tu ne peux pas la lâcher de temps en temps ?

Hani s'abstint de toute remarque, plongée dans la contemplation de ces quatre personnes aux sourires si éblouissants. Elle caressa le visage de la personne qu'elle fut autrefois, étonnée d'avoir tant changé en si peu de temps.

La personne à côté d'elle, autant sur le cliché que dans la réalité, soupira et porta une main dans ses cheveux.

- Hani... Il est temps de dormir. Tu auras tout le temps de t'en occuper demain.

Voyant que sa fille ne bougeait pas, la femme coula un regard vers la fenêtre, désespérée. Dehors, il pleuvait. La brume semblait s'être emparée des plus hauts bâtiments de la ville et la pluie ressemblait aux pleurs d'une mère qui hurlait son chagrin. Hani tourna elle aussi la tête vers l'extérieur et fronça les sourcils.

- Tu vois que tu peux te décrocher de ce stupide bout de papier ! Allez viens te coucher, insista la plus âgée.
- Ce bout de papier n'est pas stupide. Et c'est encore moins un "simple bout de papier", rétorqua vivement la jeune femme.

Ne sachant pas comment interpréter ses paroles et ses émotions, sa mère, Maeva, leva les bras en signe d'abandon.

- Très bien. Mais viens donc au lit, je te raconterai une histoire, lui souffla-t-elle.
- Je ne veux pas me coucher, cria presque Hani.

À présent, elle tremblait. Ses yeux devenaient rouges et humides, sa bouche formait une grimace de peur. Elle agrippait la photographie dans son poing comme si elle était son ultime salut.

- Mais pourquoi ? s'énerva Maeva. Tu sais aussi bien que moi que...
- Et toi, tu sais aussi bien que moi qu'il y a des voix dans mon sommeil qui me parlent, que les ombres deviennent des monstres, que je cauchemarde sans arrêt ! Pendant la nuit, mes pires craintes se réalisent, avoua-t-elle à présent en larmes.
- Oui, Hani. Mais tu ne vas pas rester éveillée des jours entiers ! Tu as besoin de repos ! contra sa mère.
- Tu veux me forcer à me jeter dans la gueule du loup ? Me forcer à recommencer ? sanglota la jeune femme. C'est ça que tu veux ?

À la mention du mot "recommencer", Maeva avait tressailli. Elle avait tenté d'oublier l'instant où sa fille avait essayé de se donner la mort. Les multiples cicatrices sur son poignet en étaient la preuve.

- Hani, je t'en prie, arrête ça, la supplia-t-elle. Je ne te prends pas pour une folle, je te le promets. Arrête ces histoires, tu ne vois pas que tu rends tout le monde malheureux avec ces salades ?
- Mais...

Pour Hani, c'était un mensonge. Si elle avait vraiment compté pour quelqu'un, elle ne serait pas dans cet état-là. Elle n'aurait pas à risquer sa santé mentale à chaque fois qu'elle voudrait dormir et qu'elle devrait abandonner le front contre ses pensées. Alors, elle ne leur laisserait pas le libre accès à son esprit, les autorisant presque à la détruire.

- C'est faux, lâcha-t-elle en regardant le sol.
- Hani, ma fille, tu as vingt ans, gémit Maeva. Vingt ans ! C'est l'âge où tu es censée prendre la vie par la main ! Certains sont déjà parents ! À l'évidence, tu n'as pas cette maturité-là. Mais écoute-moi bien...

Elle lui prit la tête dans les mains. Aussitôt, Hani se jeta en arrière et tomba sur son bureau avant de pousser un cri de douleur. Maeva, paniquée, se précipita vers elle.

- Ne t'approche pas ! hurla sa fille. Ne me touche pas !

Consciente d'avoir réagi violemment, mais persuadée de la nécessité d'éviter tout contact, Hani se recroquevilla contre le mur, ses larmes introduisant un goût salé entre ses lèvres.

- Hani, au pire, fais ce que tu veux, tenta de l'apaiser Maeva, dépassée par les états d'âme de sa fille.
- Mais je ne peux pas, c'est bien ça le problème ! se renferma la plus jeune.
- Hani, assieds-toi. Que tu sois dans ton lit ou pas, je vais te raconter une histoire.
- C'est toujours la même, maman.

L'intéressée fit semblant de ne pas entendre la remarque.

- Cela fait si longtemps que je n'ai pas conté quoique ce soit... Pourtant, je me plains toujours que le temps passe vite...

Elle s'accroupit près de sa fille et leva les yeux au plafond avant de commencer son récit.

- Avec ton père, nous...
- Ne me parle pas de lui ! la coupa sèchement Hani.
- Mais ma puce, il ne t'a pas abandonné. Il est juste dépassé par la situation, expliqua Maeva.
- Ça revient au même.

La mère souffla avant de se replonger dans son histoire.

- Nous t'avons appelée Hina car ce prénom signifie...
- Le jaillissement de la joie, oui, je sais, soupira la jeune femme.
- Exactement. Bon, même si ce n'est pas la réalité, c'est notre principal espoir.

Elle marqua une pause qui sembla être une éternité pour Hani. Elle ne souhaitait qu'une chose, que sa mère occupe ses pensées. Elle ne voulait pas avoir encore à subir les assauts incessants des voix qui la poussaient à la dépression, voire pire.

- Tu sais aussi que je suis née à Tahiti, donc je vais aujourd'hui t'honorer de ce précieux héritage.

Elle fixa sa fille du regard, mais cette dernière détourna les yeux.

- Chez moi, commença-t-elle nostalgiquement, il y a une légende. Ce n'est qu'un conte pour enfants, mais je le trouve si beau que je me plais à te le raconter. On dit que les perles portent des pouvoirs surnaturels et qu'elles peuvent permettre de s'approprier les caractéristiques des dieux vénérés. Ce sont des gouttes d'eau qui traversent le temps, paraît-il.

Maeva coula un regard sur la fenêtre avant de reprendre son récit.

- Les perles blanches sont des larmes de femmes, et les noires sont celles des hommes. Ces dernières, selon la légende, semblent être les plus puissantes. Je n'en suis pas certaine, puisque je ne connais pas tous les détails, mais on raconte qu'elles arrêtent le temps, préservent l'harmonie de l'esprit et du corps, et bien d'autres choses... Elles rechargent leurs pouvoirs grâce à l'énergie lunaire. Si tu possèdes ces perles, alors tout est possible pour toi. Tu peux exaucer ton vœu le plus cher. Ou bien alors tu peux préserver ton corps et tes sens pour l'éternité. En tous cas, si cette histoire était réalité, j'aimerais que tu t'en serves. Tu pourrais te lier à Rearea, la déesse de la joie, ou bien à Ai-tupai, la déesse de la guérison. Tiens, sais-tu que Hina était une déesse aussi ? Bien que son nom signifie la joie de vivre, elle était la déesse de la lune et du monde marin. Elle a vécu dans la mythologie un nombre incroyable d'aventures.

Voyant que Hani ne bougeait pas, elle se pencha vers elle et écarta une des mèches de cheveux de sa fille. Elle fut attendrie par ses yeux sereinement clos et ainsi se félicita d'avoir su apaiser l'esprit tourmenté de sa progéniture.

- Mais attention Hani, n'abuse pas du pouvoir des perles, la prévint-elle. Je suis certaine que comme toutes les légendes, il y a une part de mensonge. Fait bien attention à toi.

Maeva se leva lentement et se dirigea sans bruit vers la porte de l'appartement. En sortant, elle glissa un œil inquiet vers sa fille. Elle remarqua que ses bras n'étaient plus dans la même position qu'avant. Elle haussa les épaules en tentant d'y être indifférente et s'éclipsa.

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