Retour à l'île de Murias


La pluie battait le visage fermé de l'ancien dieu druide. Tanguant sur les flots, le navire menaçait à chaque instant de chavirer sans pour autant réduire sa volonté sans faille. A mesure que les rochers, les arbres, les tumulus apparaissaient, se détachant de l'horizon, surplombant les flots colériques, le fey avait l'impression de sentir son vieux corps usé reprendre vie. C'était étrange, cette sensation de revenir à la maison, quelque chose comme ce qu'à ressenti ce pauvre Ulysse parvenant enfin chez lui après la bataille. Observant l'île au lointain, il était convaincu qu'une fois sur place, il pourrait renouer avec le passé glorieux, retrouver ses pouvoirs d'antan, sa majesté. Peu importe, si cela ressemblait de loin à un énième exil, aller se fourrer dans cette île pour s'y cacher n'avait au fond rien de glorieux, il avait le sentiment que le destin y avait vu une nécessité, que les Dieux s'ils existent, Mère Nature, Père Soleil, Fille Lune, tous avaient décidé de leur accorder le pardon pour leurs erreurs, une seconde chance. C'était ce qu'était ce petit bout de terre battu par les flots. Mais peut-être que c'était aussi leur île d'Elbe.

Nimue se glissa auprès de lui. La druidesse qui le servait depuis des siècles avait le visage pâle, les cheveux noirs filandreux tombant autour de son visage émacié, de grands yeux sombres qui vous semblait vous jeter des malédictions, et sa maigre carcasse semblait si fine, si maigre, pourtant, c'était une farouche sauvageonne capable de tordre le cou à un homme vigoureux ou de lui arracher les yeux dans un geste de rage. Quand il l'avait recueilli après qu'elle eut été attaquée et violée, il lui manquait un oeil, et les séquelles de son attaque sont encore présentes. Pourtant, en passer par cette épreuve, et les autres, lui ont permit de grandir sa magie et de la rendre plus redoutable. Ses malédictions sont craintes, et ses pouvoirs dit-on immense. Dagda a sans doute suffisamment oeuvré pour que la rumeur se répande le plus largement et rapidement possible. La sorcière car tel était sa fonction, se dressa face aux flots à ses côtés. Son visage était battu par la pluie comme par les eaux furieuses mais semblait tout autant déterminée que Dagda.

— Mon seigneur, votre peuple se retrouve seul, sans chef, glissa Nimue.

Un pâle sourire caressa le visage du sidhe qui continuait d'observer l'île songeant au passé glorieux, mais aussi aux tragédies qui avaient ternis du règne de son frère et celui du début du Haut Roi Lugh. Pendant le massacre des druides, ils avaient perdus Cathbad, sans nul doute le plus grand druide que le peuple fey n'ai jamais connu. Nimue entretenait avec lui une relation intime et complexe. Elle s'en était sortie tout juste en vie. Dagda l'avait alors recueilli. Il espérait qu'elle lui dirait comment Cathbad avait fini. La mort de ce druide qui l'avait servi pendant des siècles l'attristait d'autant plus qu'il avait été le symbole du combat contre les romains. Beaucoup avaient refusé de croire Nimue, et préféraient penser que Cathbad avait survécu et s'était caché.

— Nous avons besoin d'un Haut Roi, ajouta-t-elle.

Gardant le silence, Dagda ne répondit guère à cette évidence. La disparition de Lugh perdurait depuis trop longtemps. Beaucoup se demandaient s'il n'avait tout simplement pas renoncé. Partir en Amérique ça avait été son grand projet. Il pensait que là bas, les fey pourraient vivre heureux. Ce plan avait échoué dans les grandes largeurs. Ils avaient fini par perdre leur capacité à engendrer après leur magie. Même Dagda aveuglé par la douleur, la folie et la colère pouvait le voir. Les fey s'étiolaient. Et Lugh ne pouvait rien faire contre cela, certainement pas en Amérique. Même si Dagda n'avait guère participer à la dernière guerre, il estimait qu'au fond c'était une bonne chose. Cela prouvait qu'il leur restait encore un peu de force en eux.

— Vous ne le voyez pas encore, Seigneur, mais vous seriez un Haut Roi idéal. Vous êtes passé par l'épreuve mentale, aussi bien que physique, d'avoir été ainsi marqué vous rend plus fort. Et nous avons besoin d'un roi fort.

Dagda rit doucement. Marqué par les épreuves mentales, ce n'était rien de le dire. Il n'avait guère besoin d'être clairvoyant pour savoir dans quel état pitoyable il se trouvait. Qui donc aurait envie d'un roi comme lui? Il vivait en ermite repoussant depuis quelques années. Après l'échec de sa tentative de renversement de Lugh, il s'était retiré. En vérité, il s'était senti vidé de ses forces, de son énergie, de l'envie de vivre. Et il n'y avait aucun doute, la guerre contre les humains y était clairement pour quelque chose. Plus encore que ses blessures, que ce qu'il avait vu sur le champ de bataille, et l'immense tristesse de perdre autant de monde dans une guerre vaine et injuste, ça avait été la vision de Morrigan se battant qui l'avait paralysé, le vidant de toute force, énergie, volonté. Il s'était senti vide, creux, rempli de colère et de noirceur.

— Les nippes des fantômes de votre passé vous couvre encore, et voilent votre vue, mon seigneur, vous avez été touché, blessé profondément, mais vous n'êtes pas mort. Vous vous relèverez, comme je l'ai fait.

– Nimue, tu oublies que je suis un druide, avant tout autre chose. Je n'ai pas l'étoffe d'un roi.

Son frère en revanche... il pensait à nouveau à Nuada, et une ombre passa devant son visage. Il ne pourrait oublier le crime qu'il avait commis ni comment les choses avaient finies pour eux tous, ni ce long exil, ni ce qu'ils avaient perdus, ni l'immensité de leur éternel chagrin. De dieux ils étaient devenus des ombres du passé.

Cette très chère Nimue tentait par tous les diables de le ramener à la vie, de le réanimer, sans grand succès jusqu'à présent. Peut-être que c'était elle qui avait permit cet exil sur cette île... non l'idée est ridicule. Orel était assez fou et prétentieux pour mener seul les deux cours à la ruine et le peuple avec eux. Jamais il n'aurait dû lui permettre de rester en place après la guerre. Mais qu'importe, le mal était fait.

— Mon seigneur, je crois savoir ce qui vous rendrait votre vitalité, et ferait de vous le Haut Roi dont nous avons besoin.

Doucement, il se tourna vers la magicienne.

— Qu'est-ce donc Nimue?

— Le chaudron mon seigneur, celui que Lugh a utilisé pour subtiliser notre magie.

— Il est perdu à tout jamais.

— Je ne le crois pas, mon seigneur. C'est un objet magique, et s'il avait été détruit, cette magie se serait répandue, elle n'aurait trouvé de repos jusqu'à nous retrouver, croyez moi, cela aurait produit une catastrophe plus immense que celle de l'Iowa. Non, le chaudron existe toujours, quelque part, et il se trouve en Irlande.

Les paroles de Nimue semblaient de la pure affabulation. Un doux rêve. Une quête impossible qu'on donne aux fous pour les occuper. Etait-il donc un Don Quichote à qui il fallait trouver des moulins pour l'empêcher de s'auto-détruire par sa propre folie ? Dagda scruta le visage de son amie, sa servante et quelques nuits son amante, il lisait dans ses yeux une farouche détermination. Elle semblait croire à ce qu'elle disait. Merlin lui avait enseigné tout ce qu'il savait, tout le savoir des druides, et Nimue se souvenait de tout. Sa magie était forte et puissante parce qu'elle avait la rage au ventre et le goût de survivre. S'étant considéré comme le réceptacle du savoir de Merlin, elle l'avait précieusement gardé. Heureusement, elle avait aussi prit un peu de sa sagesse et de son intelligence tactique. Si elle pensait que le chaudron pouvait les sauver, alors il devait lui faire confiance.

Quand il posa le pied à terre, les paroles de Nimue semblaient glisser dans le bruissement des feuilles agitées par le vent, par le roulement des vagues avant qu'elles ne frappent la roche, tout dans l'air, l'eau, la terre lui répétait encore et encore qu'il devait partir à la recherche du Chaudron. Cela ressemblait à un rêve de vieux fou. Le Chaudron, l'un des quatre artéfacts, le chaudron de l'immortalité capable de ressusciter n'importe quel cadavre plongé dedans avait été le symbole de la prospérité des feys aussi longtemps qu'ils l'eurent en leur possession. Mais il avait disparu. L'ancien Roi suprême, Lugh, y avait enfermé la magie des feys et l'avait caché quelque part. La légende disait qu'il était sur l'une des quatre îles, surveillé par un druide. Des rumeurs affirmaient le contraire. En réalité il était porté disparu depuis belle lurette. Ce Chaudron lui avait appartenu, il y a très longtemps de cela. Il le sentirait peut-être... Mais cette quête impossible semblait illusoire. Comme l'idée qu'ils puissent reconstruire ici quelque chose de leur splendeur disparue.

Pourtant, il ne s'était jamais encore senti autant en vie depuis un sacré paquet de temps. Nimue avait distillé en lui un maigre espoir, une folle idée. Elle le maintenait en vie depuis des siècles maintenant. Elle ne comptait pas abandonné de sitôt. Ses visions affirmaient que le Chaudron était ici. Il avait toujours eu un doute quand à la véracité des visions. Ce genre de prophétie tendait à déclencher des catastrophes mais au point où ils en étaient... Ils étaient des exilés, des ombres invisibles, des rebuts, leur immortalité faisait d'eux des créatures impossibles, et le monde moderne, le fer, le béton, ça les détruisait à petit feu. Ils s'étiolaient. Et depuis quelques siècles, ils n'arrivaient même plus à procréer. Nimue avait raison, le Chaudron était leur dernier espoir.

Considérant les feys qui arrivaient sur l'île en même temps que lui, l'agitation des humains les accueillant avec trop de respect pour qu'ils n'aient pas été manipulé à l'aide de glamour et réduit à l'état de serviteur dociles, il détacha ses yeux de ce débarquement qui lui paraissait indigne de son peuple. Ils se cachaient là comme ils l'avaient fait en Amérique, ils fuyaient une nouvelle fois. Et sans Haut Roi, sans de roi pour les deux cours, ils courraient à leur perte. Il leur fallait un chef, un dirigeant, quelqu'un qu'on peut suivre, un guide dans la nuit obscure et épaisse qui n'en finissait pas. Nimue avait raison, ils avaient besoin d'un Haut Roi. Mais ce n'était pas à lui-même qu'il pensait. Il pensait à son frère, à son roi, à Nuada.

Il avait grandement nuit à celui-ci. Par son acte, par sa folie, par sa jalousie et cette sombre colère qui avait submerger son cœur. L'être de lumière qu'il était s'était transformé en une boule de haine, en un clignement d'œil, et cette boule avait déversée sa bile détruisant tout sur son passage. Si les regrets le remplissait désormais, cela n'enlevait en rien la peine pas plus que la douleur, cela n'enlevait surtout pas les traces de son acte, pire encore, cela ne réduisait aucunement les souffrances qu'il avait infligé. Souvent, l'envie de mourir l'avait saisi. Sans Nimue à ses côtés il se serait laissé couler dans cette souffrance indomptable, il s'y serait noyé.

A présent il était ici, sur cette île, et il devait survivre. Mieux que cela, il devait offrir un second souffle à son espèce. Comptait-il y parvenir en restant les mains dans les poches, l'humeur sombre, ressassant le passé ou allait-il enfin regarder devant lui et songer à l'avenir ? Il avait peut-être une chance de sauver son espèce, ses enfants, si les visions de Nimue était juste. Il ne pouvait pas se permettre de la laisser passer !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top