II
Garant ma voiture, je pestai bruyamment contre les pigeons qui l'avaient bien salie. On aurait dit qu'ils avaient fait un concours : venez, les gars, celui qui chie le plus de fois sur la voiture moche en bas a gagné !
Ceci allant de pair avec cela, une voiture salie m'en rappela une autre, quelques années auparavant... une trempée par la pluie et la boue, en Bretagne...
Secouant la tête vivement, je me sortit ces pensées de la tête. Ressasser le passé ne servait à rien et me faisait du mal.
Je rangeais mes mèches bleues derrière mon oreille, ramassais le courrier et entrai dans mon appartement.
Jetant les lettres sur la table - de toute façon, qui écrivait des lettres maintenant ? C'était sûrement les impôts - je me servis une tisane. Autant allier l'utile à l'agréable.
J'avais raison, les deux premières lettres étaient bien celles de celles qui me réclamaient encore et toujours de l'argent. Comme si on était tous des riches bourrés de fric.
Mais la dernière... en voyant le cachet de la poste, je manquais de m'étouffer.
Comblessac.
Que me voulais ce village maudit ?
Je replongeais, bien malgré moi, trois ans en arrière, le jour où j'avais... ou nous avions commencé notre travail à la ferme baleinière.
Pour moi, ce fut le vrai jour de notre rencontre. Sous la pluie, je n'avais pu distinguer que sa silhouette : et dans la voiture, j'étais plutôt concentrée sur le fait de ne pas mourir au volant.
Mais ce jour là, en pleine lumière, j'avais pu voir à quel point il était peu commun. Son nez cabossé faisait de l'ombre à celui de Cyrano, ses yeux étaient vairons, ses cheveux, bruns, légèrement bouclés.
Les souvenirs reviennent en rafale. Des fragments d'images... une tempête...
Je me concentre sur les souvenirs heureux.
Il était si charmeur... son sourire moqueur... ses blagues nulles...
Des vagues si hautes qu'elle auraient pu toucher la lune si celle-ci le voulait bien...
Non, ne plus y penser...
Notre premier baiser... la veille de... de sa disparition...
Les larmes coulent à présent. La lumière du jour me berce tandis que des sanglots secouent mon corps.
Hector...
C'est si cruel...
Ouvrir la lettre...
Je tremble. Une feuille, deux photos s'en échappent. Je les saisis doucement.
La première est en réalité un dessin. Une baleine, deux amoureux qui se tiennent par la main. Je porte ma main à ma bouche, la mords. Les larmes coulent, me brûlent les joues.
J'attrape l'autre, la laisse aussitôt tomber. C'est une photo de nous deux. Une photo qui n'a jamais existé qu'en un seul exemplaire. Le jour où nous nous sommes mis ensemble, il a acheté un appareil photo jetable. Nous a pris en photo. L'a gardé, jusqu'au jour de sa mort.
Je le sais, il l'avait toujours sur lui.
La lettre. Que va-t-elle m'annoncer ?
Chère Antigone,
Je suis Lo, la gardienne des baleines. Je suis sûre que tu te souviens de moi. Je t'ai aidée à chercher Hector, même quand la police avait abandonné.
J'ai toutes les raisons de croire aujourd'hui que nous avons fais fausse route, il y a trois ans.
J'ai reçu un message étrange, qui t'étais destiné auparavant, mais ce n'étais pas la bonne adresse. Je ne te l'envoie pas, je préférerais que nous en parlions de vive voix.
Il y avait aussi ces deux documents, la photo et le dessin. Je suppose que si la lettre ne te fait pas réagir, ceux-ci te convaincront de venir me voir.
À très bientôt,
Lo.
Dans le noir de la nuit, je roule. Mes phares trouent l'obscurité.
Si je ne m'endors pas, je devrais arriver demain vers sept heures du matin.
Quelque fois, une larme solitaire, glacée, rappel de ce que j'ai perdu, roule sur ma joue.
Je l'essuie, me concentre.
Je ne dois pas dormir.
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