CHAPITRE 4













Inkipide: créature parasitaire qui se présente sous la forme miniature et humanoïde de petites fées maléfiques. Leur peau est très rugueuse, désagréable au toucher. Elles n'ont pas d'ailes, se déplacent généralement par groupe. Elles mordent. Leur morsure n'est pas mortelle, mais elles provoquent des migraines et des nausées, particulièrement chez les espèces fragiles.
Niveau de danger 3

J'avais enfin réussi à dormir un peu.
Au matin d'un sommeil perturbé par la cacophonie des autres esclaves, une ribambelle de gardes accrochèrent nos cellules ensemble avec des imposantes chaînes. Ils nous traînèrent à un autre endroit que j'espérais moins sinistre.
Sans m'en rendre compte, nous étions déjà arrivés dans un espace spacieux, des ordonnées. Ils sentaient le nouveau.

Les rideaux étaient tirés de sorte que de l'extérieur, on ne voit plus le décor. Le tissu rouge qui nous cachait du reste du monde était soyeux. Je tendais la main pour essayer de le toucher, mais un gobelin qui passait par là m'en empêchait avant que le tissu ne rentre en contact avec mes doigts. J'amenais cette main contre ma poitrine. Ce contact réveillait plus d'inquiétude que de soulagement. Pourtant, j'en avais besoin plus que quiconque. L'attente me semblait interminable. Elle m'accablait de remords, sans que je sache pourquoi.

Soudain, une dizaine de gardes, toutes créatures confondues, s'emparaient d'une caisse plus petite que la nôtre. Je baissais la tête, désespéré, je m'obligeais à fermer les yeux. J'espérais me dédouaner de la souffrance que subirait cette esclave. C'était le jour de la vente aux enchères. Tous les esclaves qui seraient présentés à la vente avaient été réunis derrière des rideaux grandioses qui séparaient cet endroit du public. J'entendais l'arrivée silencieuse et discrète. Mon audition me faisait toujours défaut, mais je parvenais à écouter leur pas léger. Quelques ventes avaient déjà commencé.  Les gardes parlaient de se débarrasser de produits inutiles dont personne ne voudrait s'acquérir.

Certaines créatures revenaient, pour les autres, leur destin n'était plus dur au sort d'aucun d'entre nous. Je savais que si l'occasion se présentait, je détournerais l'attention des gardes pour m'enfuir de cet endroit.
Je gloussais et regardais autour de moi, paniquer. Toutes les lumières venaient d'être éteintes. Je refusais de croire que l'évènement s'apprêtait à commencer. Une fois forte et enjouée, embellit l'espace.



« Mesdames et Messieurs, petites et grandes créatures. Bienvenue à la vente aux enchères D'Emris. »

Une vague d'applaudissements accompagnait ses mots. Je tendais l'oreille.

« Aujourd'hui est un grand jour pour notre magnifique continent. Vous le savez sûrement. Aux yeux de notre cher empereur, nous sommes des criminels. Oui, des criminels. »

Ces paroles provoquaient un soulèvement d'indignation. Le public montrait siffla en signe de mécontentement.

« Alors que nous ne faisons que rétablir l'ordre naturel. Nous ne faisons qu'assouvir nos désirs les plus sincères. Vous méritez de vivre une expérience et une tranquillité unique avec nos esclaves. C'est ce que vous êtes venus chercher. C'est ce que nous vous promettons. »

Le monde s'engouffrait dans le silence. Je n'entendais que la sonnerie qui indiquait les tours. Les chiffres augmentaient à mesure que les lots se succédaient. Ils devenaient de plus en plus rare. Une manta aux cheveux blancs passait à côté de moi, embarquée de force par des goules aux regards fermés. Leur corps squelettique tanguait d'une marche hasardeuse. Elle ne bougeait plus du tout. Ses jambes trainaient sur le sol. Lorsqu'ils ouvraient les rideaux, j'apercevais la magnifique scène qu'ils avaient enjolivée de cristaux et de moulures luxueuses.

Le présentateur, une très grande et imposante créature, caché sous une cape blanche, tendit son bras ganté vers la nouvelle arrivée. C'était Lord Orpheus. Esmee le connaissait puisqu'elle était l'une des plus anciennes parmi nous. Elle affirmait que cet homme cruel avait créé cet endroit, des cendres d'une ancienne école détruite il y a plusieurs centaines d'années.
Il se montrait rarement, préférait l'ombre à la lumière.

« Voici un nouveau lot, une jeune manta. Inoffensives, elles sauront s'affairer aux tâches les plus complexes sans poser de questions.
Nous commençons les enchères à cinq pièces de bronze. »

J'écoutais avec horreur les prix flamber pour la malheureuse. Pendant près de cinq minutes, ils s'échangeaient des propositions, l'une plus ambitieuse que l'autre.

« Deux cents pièces de bronze, une fois, deux fois... » Il s'interrompait, sa voix prise d'un nouvel éclat d'enthousiasme.

« Trois cent par ici. » « Une fois, deux fois, trois fois adjugé, vendu ! »

Chacun des esclaves trouvait un acheteur. Aucune espèce, même considérée comme vagabonde, ne finissait invendue. Je désespérais au milieu de ces quatre murs. Le sort de ces esclaves m'importait peu. Désormais, j'avais peur pour ma propre vie. J'avais peur d'être vendu comme un vulgaire objet, même si, au fond, je savais que ce jour viendrait inexorablement. La salle se vidait de toute caisse, il ne me restait plus rien à espérer.

« Et enfin pour le grand final, l'apothéose de cette enchère. Une demie-humaine. »



J'eus un mouvement de recul, il parlait de moi, j'étais la seule humaine du marché. Je criais intérieurement à ses déclarations.

« Cette humaine est l'une des dernières de son espèce. C'est une espèce rare qui, dans son cas, a quelque chose que les autres humains n'ont pas. »

Une présence inconfortable me fit me retourner. Les énormes formes de deux colosses bousculèrent ma cellule et la brisèrent en morceaux. Ils poussèrent ma plate-forme vers la scène qui s'illumina sur mon passage. J'étais incapable de réagir. Mon corps me démangeait, mais je ne parvenais pas à le faire bouger. Les rideaux cédèrent à une force inconnue qui me révélait au monde. Je ne cessais pas de trembler comme si l'endroit avait gelé. L'homme devant moi ne portait rien d'autre qu'une cape neuve arborée de signes dorés. Ses très longues manches donnaient à sa carrure une harmonie équilibrée et étrange. Je ne reconnaissais pas l'odeur qui se dégageait de lui. Étrangement, elle m'était familière.

« Voici la bête, une jeune femelle reproductible qui saura ravir vos soirées animées. »

J'étais incapable d'émettre une protestation. Du coin de l'œil, les gradins s'étendaient sur plusieurs centaines de mètres. Un petit cercle fermé que les quelques acheteurs discrets et fortunés considéraient comme un terrain de jeux. Ils se cachaient derrière un tissu de soie, portant la marque de l'organisation secrète.
Une petite tige de lycoris. Le présentateur prit un ton séducteur, qui l'avait permis de vendre les esclaves précédents.

« Voyez ses cheveux, ils sont d'un rouge sang. Parfait, envoûtant...»

Il tendait un bras vers moi. Il me touchait presque. Son geste soudain me réveilla d'un long silence. Je déviais ma tête de sorte qu'il ne puisse pas m'atteindre.

« ...Si rebelle. » Il ajouta avec une douceur qui s'opposait à son ton bucolique.

Il recula comme pour observer une œuvre d'art d'un œil critique. Un sinistre sourire redorait son visage. Il releva un bras et donna signe à quelque chose ou à quelqu'un de se rapprocher.
Il convergea ses bras vers l'hémicycle, comme devenu l'entité à respecter.

« Je vous avais promis du spectacle. »

Deux rayons colorés envenimèrent la salle d'une danse rythmée et spectaculaire. Les couleurs s'alliaient au tapis d'une subtile nuance azurée. Une musique festive s'était déclenchée pendant que les lumières parasites s'éteignaient en même temps. J'entendais une voix qui raisonnait plusieurs fois dans ma tête. C'était Esmee. Était-elle encore là à m'appeler pour que je la rejoigne ? Je le savais déjà, ce n'était qu'une illusion. Elle n'était pas vraiment avec moi. Mon esprit jouait avec mes souvenirs jusqu'à me faire espérer l'impossible. Sa voix continuait de trotter dans ma tête encore, et encore, jusqu'à ce que je me demande si ce n'est pas réel.

« Eleanor! »

Des sons familiers entouraient ces appels. L'espace d'un instant, j'hésitai à regarder vers cette voix qui devenait de plus en plus forte. Finalement, l'espoir de revoir mon amie me poussait à voir les pas se rapprocher.  Je restais béa dans un état pitoyable. Elle était là, aussi belle que dans mes souvenirs, en larmes, les membres ensevelies par le poids de ses chaînes.  Je craquai et hurlais son nom.

« — Esmee ! Hurlais-je.

Que lui était-elle arrivée ?
Elle me détailla d'un œil apeuré.

— Eleanor, tu vas bien. Elle souriait comme si un poids énorme quittait ses épaules.

Le présentateur ricanait un bon moment. Il s'empara de la cane que lui donnait un gobelin. Il s'amusait à faire tournoyer le bâton autour d'Esmee. Il tapota le bout doré sur l'épaule de mon amie. Il ne quittait pas le public des yeux.

« Nous vous avons préparé un petit spectacle. »

Ses mots étaient accentués de petites tapes sur l'épaule qui faisaient sursauter Esmee. L'horreur de la situation me rendait impuissante. Je ne pouvais que la regarder se faire malmener.

« Nous avons appelé ce final : Les larmes d'Eleanor

Rien ne me faisait plus réagir à part le sort d'Esmee. Je me voyais déjà utiliser mes larmes pour les tuer et nous enfuir toutes les deux. Les chances de réussite étaient faibles. Je glissais mon genou quand Esmee plongea son regard dans le mien. Elle secouait la tête. Pour la première fois, j'admirais son visage en entier. Ses pupilles émeraude me dévisageaient avec une constante sévérité. J'y lisais son inquiétude, son soulagement, l'éclair d'une vie bien remplie.

« Cette jeune manta a fait une très vilaine chose. »

Elle ne demandait rien d'autre que de me regarder un peu plus longtemps. Un nœud d'angoisse tordait mon estomac. Mes lèvres sanglotaient autant que ses yeux, devenus humides.
Ils l'avaient fait pleurer.

« Elle s'est enfuie de sa cage et a libéré d'autres esclaves avec elle. »

Une pluie d'objets en tout genre s'abattait sur nous. Un couteau tranchant me frôlait, mais je cillais à peine. L'atmosphère devint plus lourde, écrasante. J'avais du mal à respirer. Les projectiles cessèrent à la seule main levée qu'il fit au public.

« Il y a une chose que je déteste par-dessus tout...»

Il laissa tomber sa cane qui roulait un long moment. Muré dans un mutisme oppressant, il se rapprocha derrière Esmee. Ses bottines blanches constituaient le seul lien entre la réalité et notre échange silencieux. Sa cape, d'un démesuré obscur, la recouvrit de toute sa taille. Il agrippa le haut de sa cape pour dévoiler son apparence.

«...Ce sont les esclaves qui se croient supérieurs à leur maître. »

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