CHAPITRE 3

























Je n'eus pas le temps de m'apitoyer sur mon sort quand le compartiment dans lequel je me trouvais commençait à bouger. Je me retrouvais de part et d'autre du grillage. Ça ne pouvait être que des roues. Ils me déplaçaient vers un endroit que je ne parvenais pas à reconnaître. J'essayais de passer une main à travers les barreaux. Un tissu caressa ma peau. Je la prenais entre le métal pour réussir à la retirer. Mon entêtement ne servait à rien. Il restait bloqué à la caisse. Je n'avais plus qu'à attendre la destination finale. L'appréhension se confondait avec les battements de mon cœur qui résonnaient au fond de ma tête.

Enfin, je ne percevais plus les vibrations qui perduraient jusqu'ici. J'osais regarder autour de moi, la bâche avait été levée. La lumière entrait entre les barreaux, elles aveuglaient ma vue. Je poussais un soupir de soulagement, les deux gobelins qui me faisaient face ne me prêtaient plus aucune attention. Ils quittèrent la pièce. Je m'habituais encore à la lumière artificielle qui obstruait ma vision. Je reprenais doucement mes esprits. La pièce était élégante, les formes harmonieuses dans chaque coin donnaient à l'âme de la salle une tournure majestueuse. Le lustre central était le témoin d'une époque affinité. Je pouvais rester des heures à admirer la finesse des lieux, mais j'avais plus important à faire. Ma vision s'assombrit dès lors que mes yeux se posaient un peu plus bas. Posés et étant rangés dans des caisses noires et mystérieuses qui longeaient l'allée.

Des bruits parasites se logeaient quelque part autour de mes oreilles. Les couinements devenaient plus fréquents, plus réguliers. Je regardais d'où provenaient ces gémissements. Je descellais, du coin de l'œil, les contours d'un monstre à plusieurs bras. Je me retournais, surprise de sa présence soudaine, la vision me dégoûtait. Mes yeux tombaient sur une espèce de monstre visqueux, sans jambes. Il était imposant. Néanmoins, sa carrure n'avait rien d'effrayant. Son corps trainait sur le sol confiné de sa cage. Ses mains amaigries et hâlées cherchaient une issue, se glissant entre les barreaux oxydés. Son cou bougeait en continu. Je n'avais jamais rien vu d'aussi hideux. Regarder ses bras s'agiter trop longtemps me rendait nerveuse. J'avais déjà été confronté à des créatures dont l'apparence était repoussante, celle-ci avait quelque chose de plus odieux.

J'évitai de croiser son regard. Je l'entendais grommeler des plaintes qui m'étaient étrangères. La paume de ma main m'arrachait une grimace de douleur. Je ne voulais pas pleurer, par-dessus tout, je refusais de me sentir vulnérable.  Je touche les barreaux. Je vérifiais le métal utilisé pour restreindre mes déplacements.  Je pourrais les fondre avec mon don. Je me rapprochais, tentait de secouer les barreaux immobiles. Je laissais tomber quelques larmes, le long de mes joues pour les attraper avec mes doigts. La substance aussi rouge que du sang tachait même la peau sous mes ongles. Je passais mon index sur la surface sombre qui me tenait captive.  La sensation me procurait du dégoût. Cela n'avait pas d'importance, quitter cet endroit était une priorité. La créature observait, dans l'ombre, mes étranges manipulations.

Soudain, la bête cria si fort que j'avais cette impression que mes tempos se brisaient jusqu'au fond de mes orbites. J'avais eu ce réflexe de reculer contre les barres dures et froides. Mes mains tremblaient quand elles durent obstruer l'entrée de mes oreilles. Désespérément, je tentais d'empêcher les cris de m'enlever l'audition. Alerté par l'agitation, un gobelin fit irruption dans la salle. À sa main gauche, une bougie illuminait le plafond orné de moulures. Il se gratta grossièrement l'œil et se rapprocha d'un air désapprobateur. Je réussissais désormais mieux à distinguer l'allée de caisse.

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Le gobelin pestiféra dans sa langue natale avant de réduire la distance entre lui et la bête qui se larmoyait encore.

Les deux créatures se dévisageaient, l'une plus menaçante que l'autre. Le gobelin de deux fois plus petit que ma taille sonda le malheureux du regard. Il se donnait un air dominant, la tête haute, le torse bombé.

— Eh, ferme-la. Avertit-il une première fois.

Le sans nom ne répondit pas à cette provocation gratuite et continuait de pleurer. Il tombait dans un cycle de tristesse qui irritait ma poitrine. Je me sentais mal pour lui, pour autant, je tentais de me concentrer sur mon évasion. Je profitais d'un moment d'inattention pour ramper à quatre pattes vers les barres. J'enroulais mes mains autour du métal fondu. Je me mordais fort la langue pour ne pas crier. Mon don ne me portait jamais préjudice. Sauf si je touchais l'objet que j'avais auparavant nécrosé. Le fer chaud brûla mes mains. Je m'obligeais à rester figé dans une posture de bon esclave avec un visage vide et tombant sur le parquet. Je devais m'assurer qu'il ne voyait pas que j'essayais de leur échapper.
Finalement, je ne leur prêtais plus aucune attention. Je devenais incapable de penser correctement. S'il découvrait que j'avais utilisé mon don pour tenter de fuir, me tuerait -il ?

Le risque à prendre était trop grand. J'avais beaucoup trop à perdre. Je tenais à peine. Mes paumes gonflaient, mes yeux devenaient humides. Le manque de réaction de la créature faisait bouillir le gobelin. Il céda sans hésiter à sa colère.

— Tu veux la jouer comme ça ? Déclara-t-il. D'une main dans la poche, je remarquai que son pouce déclenchait un petit mécanisme.

Je descellais l'ombre d'un voyant rouge sous sa minuscule tunique usée qui lui servait de bas. La créature hurla d'un cri si perçant que je restais dans un coin, le visage enfouit entre mes mains. En bruit de fond recouvert par les cris, et désormais agitation des autres esclaves enfermés comme moi, la terre tremblait. J'hésitai avant que la curiosité ne me fasse ouvrir les yeux. Les autres cages ordonnées en lignée commençaient à s'agiter, à convulser comme un corps en ébullition. Des bruits animaux raisonnaient entre les cris, les gloussements et les rires de différentes créatures. Ils se réveillaient tous, comme si ce monstre avait lancé un signal permettant au zoo de se rebeller. La scène qui se déroulait devant moi était tout aussi effrayante que lugubre.

Je voulais que tout s'arrête, par-dessus tout.

Mes ongles s'ancraient dans mon cuir chevelu. Le bruit devenait insupportable. Je savais que si ça continuait, le bruit me rendrait sourde. Le gobelin, dont les actes n'étaient déjà pas sensés, se bouchait les oreilles et se précipitait vers la sortie avant de claquer la porte derrière lui. Je tentais de regarder autour, le vacarme aurait pu me briser jusqu'au fond de mes os. Je tournais la tête, la créature à l'origine du désastre n'avait pas changé de position. Une lueur brillait à l'intérieur d'elle. L'objet clignotait sans s'arrêter. Plus l'intensité grandissait, plus la créature criait à pleins poumons. J'établissais rapidement un lien entre sa souffrance et l'objet qui sévissait à l'intérieur de son corps. Je ne pouvais rien faire, pas dans la vulnérable situation dans laquelle je me trouvais maintenant. Mes oreilles devaient cesser de brûler.

Le supplice que je pensais sans fin s'amenuisait jusqu'à disparaître complètement. Je redressais ma tête, le gobelin était de retour, accompagné par deux de ses coéquipiers. Il tenait entre leurs mains, plusieurs boîtiers. Ils scannaient la pièce d'un œil minutieux. Au moindre doute, l'un d'entre eux appuyait sur un mécanisme, qui faisait taire sans délai un bruit de fond.

— Tout est réglé de ce côté. Lança l'un des gobelins.

— Rien non plus par ici. Vous entendez quelque chose ? Une voix interrompait plus lointaine et grave.



Ils se rapprochaient de ma ligne. Je me dépêchais de baisser la bâche pour passer inaperçu et cacher le liquide noir qui témoignait de ma tentative d'évasion.
C'était plus lourd que ce que je prévoyais initialement. Je réussis finalement à la faire tomber, plongeant l'espace dans le noir.

— J'ai entendu quelque chose par ici ! S'exclama une voix.

Mince... Je m'étais fait repérer par une erreur stupide. Je me couchais et fermais les yeux. Mes membres convulsaient sous le poids de l'anxiété. Je faisais le vide dans mon esprit, mais rien ne marchait, je voulais m'enfuir loin avant qu'on me surprenne. Leur mouvement m'indiquait qu'ils n'étaient plus très loin de mon emplacement. Je me crispais, les poings fermés.

— C'était par ici. Affirma le gobelin.

Je n'osais plus bouger. Ils s'arrêtaient en face de moi. Le temps restait en suspens. Je n'entendais que les battements fugaces de mon cœur dans mon crâne. Le sans commença à pleurer à nouveau, détournant leur attention.

— C'est ce gros balourd qui a créé tout ce merdier ?

— C'est lui. Assura le gobelin. Je lui ai envoyé une décharge électrique pour le faire taire. Ça n'a fait que l'exciter encore plus.

— On n'a qu'à le tuer. Il n'est pas si important pour la vente...

Son intervention fut rapidement entrecoupée par une voix féminine. C'était la même que celle qui m'avait drogué.

— Nous devons préserver la marchandise, qu'elle soit de bonne ou de mauvaise qualité.

Elle précisa d'une voix mielleuse et féminine. Pour une raison que j'ignorais, sa présence dégageait quelque chose de dominant.

— Ne tuez personne. Contentez-vous de les endormir s'ils se rebellent.

« Bien Madame » Chantonnaient les gobelins d'une manière solennelle.

— Tout doit se passer comme prévu, je ne tolérerai pas de scandales. »

Ses paroles remontaient en moi un frisson. Ses pas s'éloignaient, accompagné de plus petits pas qui indiquaient probablement que les gobelins la suivait de près.

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