CHAPITRE 1
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Manta: créature aux longs cheveux noirs, épais qui recouvrent l'entièreté du visage. Ces créatures sont offensives avec un niveau de danger inférieur à 2.
Elles sont pratiquement toutes de sexe féminin. Elles restent solidaires et vivent dans les profondeurs des forêts de l'Est.
J'étais spécial, c'était en tout cas ce que les vendeurs répétaient en se rapprochant de ma cellule. Ils espéraient se rassurer. Mes larmes étaient déjà assez effrayantes pour repousser les potentiels acheteurs.
Ils leur mentaient pour tenter l'impossible : me vendre. Rien ne marchait. Leurs combines ne convainquaient personne, eux les premiers. Alors, ils avaient abandonné l'idée. Les voir s'émousser devant mes cheveux rouges était suffisant pour retourner le peu de repas dans mon ventre.
Aujourd'hui, c'était le reste d'une pâte liquide et grisâtre. Un maigre repas qui m'avait laissé une goût désagréable dans la bouche.
En tant qu'esclave, je me contentais de survivre avec les quelques jeunes qui rodaient dans le coin. La plupart restaient de jeunes filles, mais nos bourreaux jetaient quelques fois des garçons, très souvent jeunes, contre les murs les quatre murs d'une cellule trop petite pour trente. Ils y demeuraient ici apeurés ou trop brisés pour émettre le moindre mot. Les hommes partaient vite. Ils constituaient une main-d'œuvre facile et pas chère. Une femme ici n'était utile aux acheteurs que si son physique attirait suffisamment l'attention.
Contrairement aux autres, une autre raison empêchait mon départ. Mes attributs atypiques charmaient les premiers clients, dès l'ouverture. Ils appréciaient la vue de mes cheveux ondulés et pourpres comme un champ de lycoris fraîches. Mes pupilles noires étaient longtemps l'objet de beaucoup de fantasmes morbides et lugubres. J'entendais un jour un vieillard, un espèce de gobelin au regard sinistre, me dévisager avant de murmurer des bribes de mots. « Pour ma collection... yeux parfaits » Il me faisait froid dans le dos. Un acheteur s'était rapidement rapproché de lui pour le prévenir de ma particularité. J'avais alors préparé mes larmes comme une menace claire.
Une liqueur rougeâtre et opaque avait coulé contre mes joues. Il ne comprenait pas. Son air perplexe me comblait de satisfaction. L'acheteur lui avait demandé de reculer d'un pas, mais au lieu de ça, il se rapprochait de moi. Sa fascination rendit mes larmes plus abondantes. Dès que la première goutte toucha le sol, le béton se nécrosa, comme manger de l'intérieur. L'odeur de brûlé envahissait la pièce et il recula enfin. Ses grosses narines devaient brûler. Ce spectacle avait servi pour les autres. Aucun ne se rapprochait de ma cellule. La rumeur les faisait fuir. Mes larmes me protégeaient, comme elles l'avaient fait depuis enfant.
Esmee, une amie que je m'étais faite à mon arrivée il y a cinq ans, remarquait ma petite mine. Elle enroula ses bras porcelaines autour de moi et colla sa joue contre la mienne. Je ne l'avais pas repoussée. Notre lien fusionnel était tout ce qu'il me restait de ma liberté. Je l'aimais comme la plus précieuse des petites sœurs. Sa voix, qui ressemblait à celle d'une conteuse pour livre d'enfant, harpa mon attention :
— Je pars bientôt. M'informa-t-elle.
Mes yeux devinrent rondes par sa déclaration.
Je voulais voir son expression, mais elle me retenait en balançant mon corps, presque comme une mère qui bercerait son enfant. Je posais une main sur son bras, pour sentir la chaleur de ceux-ci. Elle serra moins forte son emprise, puisqu'elle comprenait que je ne résistais pas. Je prenais du temps à digérer l'information jusqu'à ce que ma voix décide de l'interroger.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Elle demeura silencieuse en laissant ma question en suspens. Je craignais une confirmation de sa part. J'étais plus anxieuse par son comportement que par l'annonce elle-même. Je refusais qu'elle parte loin de moi, qu'elle me laisse avec les autres. Notre trio avait déjà bien été fracturé avec le départ d'une de nos amies, esclave elle aussi. Sa beauté lui avait rapidement fait défaut. Ils se précipitaient pour l'acheter et pourtant un mystérieux collectionneur s'était emparé d'elle avec un sac rempli de pièces d'or.
Mon amie n'avait pas dit un mot. Le sort des esclaves de collectionneurs était le plus effrayant. On racontait qu'aucune ne restait vivante plus d'une journée. Le traitement inhumain qu'elle subissait était pire que la mort elle-même. Esmee prend une grande inspiration.
— C'est un commerçant. Il avait l'air gentil quand je lui ai parlé. Spécula-t-elle d'une voix posée.
J'espérais que ses mots étaient sincères, même si je savais qu'elle mentait au fond. Aucun acheteur n'était tendre avec ses esclaves. Je la sentais trembler. Même la plus petite de ses souffrances me faisait du mal, mais je n'avais pas le droit de pleurer sinon je risquais de la blesser involontairement. Je prends sa main dans la mienne.
— Je ne veux pas que tu partes. Articula-je en entrelaçant nos doigts.
— Je ne veux pas partir. Murmura-t-elle au dessus de mon oreille.
Je retenais le plus possible mes larmes. Je ne savais même plus comment je parvenais à ne pas fondre devant elle. Mes larmes ne devaient plus servir à blesser ceux que j'aimais le plus. Esmee était une manta. Une créature à la peau pâle et recouverte de veines noires. Ses longs cheveux de jais trainaient par terre et cachaient son visage. Elle sentait une fragrance subtile entre le musc et le renfermé. La sentir près de moi me donnait l'espoir d'un meilleur futur.
Esmee était la plus enjouée d'entre nous, elle jouissait d'une réputation de petit soleil ici, parmi les esclaves. Son cœur pur contrait sa première impression. Tout le monde l'appréciait, elle soutenait les autres avec une bonté et un optimisme m'étonnait encore. C'était peut-être pour ça que depuis qu'elle avait annoncé son départ, les regards des autres s'étaient éternisés sur nous. J'avais peur, peut-être plus que lors de mon arrivée ici.
— Esmee, ne m'abandonne pas. Je t'en supplie.
Mes supplications étaient inutiles. Si un acheteur l'avait repéré, il m'était impossible de la retenir, même avec la plus grande des volontées.
— Je viendrais te voir. Elle regardait autour d'elle. Je viendrais toutes vous voir. Elle promettait, aux bords des larmes.
Sa promesse n'était qu'un moyen de nous rassurer. Un mensonge non dissimulée qu'elle souhaitait nous faire avaler.
Elle préservait notre bonheur avant la sienne. Elle ne savait pas à quel point elle comptait pour moi. »
À la nuit tombée, toutes les esclaves de notre petite cellule encombrée dormaient à même le sol. Les odeurs de selles et d'urine étaient une habitude. Je balayais la salle des yeux quand la figure d'une petite nouvelle venue ce matin attira mon attention. Elle courbait son dos vers l'avant. Elle dégurgitait son plat de porridge distribué un peu plus tôt dans la journée. Les sensations ruinaient ses souvenirs de jeunesse, ceux qui restaient agréables dans un petit village tranquille, reculé de la civilisation. Elle regrettait sûrement sa liberté, comme nous toutes ici.
J'étais la seule réveillée. Il ne restait pas beaucoup de temps à Esmee. On allait toutes y passer. Le son lointain de pas se rapprocher envoyait un frisson dans tout mon corps. Je fermais les yeux en espérant ne pas être démasqué de mon prétendu sommeil. Le bruit se rapprocha et je décidais de détendre mes traits crispés par l'angoisse.
Le bruit s'arrêta brusquement devant les barreaux.
Les voix qui s'élevèrent m'étaient inconnues :
— C'est elle, l'humaine à la peau foncée. Commença quelqu'un, d'un ton très masculin.
— Elle est parfaite pour le maître, hideuse et étrange, comme il les aime. Annonça une autre voix pour répondre à la première.
— Il suffira qu'il gagne la vente aux enchères de demain pour l'obtenir.
Ma respiration s'accélérait légèrement. Aucune vente n'était prévue pour demain. Personne n'en avait parlé avant aujourd'hui.
Le mal au fond de ma poitrine ne cessait de me rendre fébrile.
— Elle doit quand même coûter une sacrée blinde. Repris le premier.
— Tu m'étonnes, on voit rarement des humains avec des cheveux pareilles.
— Elle intéressera les collectionneurs. Il commenta avec dédain.
L'autre ricanait.
— Vaudrait pas pour nous, on perdrait notre boulot déjà sous-payé. Spécula-t-il avant que toute once d'humour ne disparaisse.
On devrait y aller avant que quelqu'un ne nous voie.
Celui qui l'accompagnait obtempéra puisque je les entendis rapidement s'éloigner plus loin. »
J'attendais de ne desceller aucun bruit de fond avant d'ouvrir les yeux. Je resserrais une emprise sur ma poitrine. J'en étais certaine. Aucun vendeur n'avait évoqué une vente aux enchères. Dans le cas contraire, j'aurais été l'une des premières esclaves averties. Ce genre d'événement était coûteux et très risqué. Les prix pouvaient chuter face à une marchandise qu'ils pensaient précieuse. Ils limitaient ce genre de soirée pour éviter les déficits. Mon cœur battait fort dans ma poitrine. Je détestais ces sensations parce qu'elles étaient un avertissement à ma condition. Que je tremble ou que la sueur fasse de ma peau un terrain propice à l'humidité, je ne devais pas pleurer. Sous aucun prétexte, je n'avais le droit de laisser mes larmes couler.
La nuit remuait mes angoisses à propos de ces intrus dont le visage m'était inconnu. J'étais resté immobile, assis contre le mur dont les couleurs précédaient une époque déjà révolue.
J'observais les autres, puisque d'ici, les étoiles ne nous étaient pas visibles.
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