Chapitre 7 : Vers le continent !
— ... Raiyo !
Genkaï et Fubuki sursautèrent en entendant le jeune homme proclamer son prénom. Le colosse, plus prompt à réagir que sa nouvelle camarade, plaça l'une de ses paumes au contact du front de l'adolescent de la foudre afin de vérifier que sa fièvre n'était pas revenue.
— Il ne me semble point que vous soyez encore souffrant, sieur Raiyo, souffla-t-il.
— Mais pourquoi tu beugles ton prénom comme ça ? s'écria Fubuki en ignorant le concept de douceur.
Désemparé, l'interpellé sourit timidement, se rendant compte de ce qu'il venait de faire. Il balbutia quelques excuses puis expliqua à ses amis ce qu'il venait de vivre. Si Genkaï paraissait surpris par ses révélations, son amie d'enfance parut plutôt analyser ce qu'il disait. Une fois qu'il eut fini, le garçon aux cheveux blancs se tourna vers elle, attendant son retour réflexif.
— Ne me regarde pas comme ça, je n'ai rien à ajouter, lui répondit-elle en haussant les épaules. Camolauss t'a littéralement dit que c'était le travail des Saints de nous aider. Donc, ce sont Rubia et Saphira qui t'apporteront les réponses que tu attends de moi. Par contre, c'est plutôt pratique de pouvoir communiquer avec ton arme sans que le temps ne s'écoule dans le monde réel.
En effet, le garçon avait découvert que son échange avec l'esprit tutélaire de son arme avait duré tout juste une seconde pour ses camarades.
— En revanche, il serait intéressant de savoir comment reconnaître les Saints. Ainsi, tout en voyageant, on pourrait les chercher.
— Votre... Ton analyse était d'une justesse peu croyable, comme à v... tes habitudes, la complimenta Genkaï en essayant de se reprendre à chaque fois qu'il croisait le regard farceur de Raiyo. Désormais, notre objectif est de quérir un navire pour convoier jusqu'au continent. Mais, si je puis me permettre, comment allons-nous faire pour échapper à ce lopin de terre ?
— Nous demanderons aux filles, lui répondit non sans sourire Raiyo. Elles ont peut-être une idée. Pour l'instant, on ferait mieux de se reposer un peu.
Les trois enfants divins se saluèrent et regagnèrent les chambres qui leur avaient été désignées par les villageoises qui s'occupaient d'eux durant leur convalescence. En effet, en plus d'avoir mis à leur disposition une maison, trois femmes avaient été choisies pour s'occuper de leurs nouveaux héros.
Comme quoi, les gens oublient vite les choses quand ça les arrange, avait pensé Fubuki en se souvenant de l'accueil des villageois.
Les adolescents profitèrent de la journée suivante pour panser leurs blessures qui se refermaient à une célérité surnaturelle pour de simples êtres humains. Heureusement pour eux, les villageois pensaient que c'était un cadeau du maître du temple, pour les remercier de l'avoir délivré de sa malédiction. Raiyo, dont les soins étaient les plus rapides, profita de ce moment de quiétude pour s'entraîner au maniement de l'arme divine. Il fut notamment surpris par le poids du sabre qui semblait s'adapter à lui. De temps en temps, l'adolescent eut même l'impression que ses coups étaient corrigés en pleine action. Mais il ne s'en étonna pas spécialement. Il savait que, au fond de son esprit, Camolauss veillait désormais sur lui. De leurs côtés, ses amis se remettaient tranquillement, Fubuki en lisant des livres, Genkaï en discutant avec Rubia et Saphira qui s'étaient réveillées dans le courant de l'après-midi.
Il apprit ainsi que la silhouette qu'ils avaient aperçu durant la vision qu'elles avaient partagé était celle du Saint du temple se trouvant sur l'île au volcan. Après quelques recherches, l'enfant divin de la glace finit par trouver le nom de cette île.
— Le temple se trouve sur l'île d'Ambryn, expliqua-t-elle durant leur réunion du soir, en désignant un atlas. Pour nous y rendre, il faudrait que l'on se rende au port de Zereort, dans le royaume de Mashiba. Je crois avoir compris que le bateau qui approvisionnerait cette île passerait demain. Nous demanderons si nous pourrons le prendre pour nous rendre à Foresto, le pays limitrophe au royaume de Mashiba. De là, on voyagera à pied, en faisant attention de ne jamais révéler nos pouvoirs. Des questions ?
— Oui, j'en ai une, répondit instantanément Raiyo en levant la main. Moi j'ai une arme donc ce n'est pas problématique pour moi de me battre. Mais vous autres, vous allez faire comment ? demanda-t-il en observant le reste du groupe.
— Pour notre part, déclarèrent en chœur les petites filles, nous possédons un couteau cérémonial chacune, qui a été forgé pour les Saints de la foudre. Alors ne vous en faîtes pas pour notre sécurité, nous saurons nous défendre.
Cela surprenait souvent les plus grands de voir que les jumelles semblaient capables de parler en même temps sans jamais dire un mot différent. Raiyo avait fini par s'y habituer mais il se demandait souvent comment elles faisaient. Pensif, il se balança sur sa chaise, heurtant doucement le meuble derrière lui. Le son généré le ramena à la réalité.
— Quant à moi, sieur Raiyo, lors de notre première rencontre, j'avais entreposé mon arme dans les quartiers que j'occupais jadis. Nos vénérables hôtes me l'ont désormais rendu.
— Donc, je suis la seule démunie, grommela Fubuki en recoiffant ses mèches blanches.
— Nous allons demander au forgeron s'il possède une arme dont il pourrait se délaisser, la rassurèrent Rubia et Saphira. Laquelle vous ferait plaisir ?
— Une lance, si possible. Bien, ajouta-t-elle après que les jumelles furent sorties, je pense qu'il faut aussi que l'on convienne d'une solution à un problème ou plutôt d'une réponse à une question.
— C'est-à-dire ? la questionna son ami d'enfance.
— Comment se fait-il que les filles aient des pouvoirs ?
Surpris par une telle question, Raiyo allait ouvrir la bouche lorsque la réponse apparut tout bonnement dans son esprit. Naturellement, il répondit, en chœur avec Genkaï.
— Les Saints sont choisis par les dieux, qui leur accordent des pouvoirs pour nous aider.
Prise au dépourvu, Fubuki haussa un sourcil tout en dévisageant les deux garçons qui en faisaient de même.
— Avant que vous ne vous posiez des questions interminables, les coupa l'adolescente en les voyant prendre une inspiration, je vais prendre la main de cette conversation, si vous me permettez.
Les voyant tous les deux acquiescer, elle sourit.
— Bien, Raiyo, pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant si tu étais au courant pour les Saints ? Et surtout, où est-ce que tu as appris ça ?
— En fait, j'ai l'impression que j'ai toujours su ça. Ça m'est venu comme ça, à l'instant, répondit-il en haussant les épaules.
— Navré de vous offenser, dame Fubuki, mais puis-je me permettre une supposition ? se hasarda Genkaï en levant une main timide.
— Oui oui, tu peux, grommela l'adolescente, curieuse.
— Se pourrait-il que cette information provienne de l'ouvrage divin que possède désormais sieur Raiyo ?
Ses deux camarades analysèrent sa proposition en fixant la table qui les séparait.
— Ton idée se tient, répondit le principal concerné. Je dois avoir accès aux connaissances de Camolauss. Mais, dans ce cas, comment expliquer que je n'en sache pas plus sur mes pouvoirs ?
— Je pense simplement que tu as accès aux informations les plus simples, proposa son amie d'enfance. Ton arme ne doit simplement pas se souvenir de tous les anciens enfants divins.
— C'est possible. Et toi, Genkaï, comment ça se fait que tu étais au courant de cette histoire ?
Sentant l'attention revenir sur lui, le colosse se massa l'arrière de la tête.
— Il m'est fort aisé de vous répondre, sieur, en vous indiquant que j'eusse simplement demandé à dame Saphira et dame Rubia.
— Donc, on est sûrs de cette information, conclut Fubuki en apposant ses mains sur la table. Très bien, on peut donc en finir avec cette réunion.
Ils firent bien car quelques secondes plus tard, les petites ouvraient la porte de la demeure où ils séjournaient. Elles expliquèrent à l'adolescente que, aux aurores, elle devrait se rendre à l'armurerie pour que le forgeron lui montre les lances qu'il avait en stock.
Ils allèrent tous se coucher et, lorsque le soleil amorça une nouvelle fois sa course dans la voûte céleste, ils étaient fins prêts. Les jumelles complimentèrent Fubuki pour le choix de son arme. Cette dernière avait décidé de prendre celle qui alliait à la fois légèreté et solidité, lui permettant de la manipuler correctement sans risquer de la voir se briser au moindre choc. Heureusement, ravi d'avoir pu remercier l'une des héroïnes de l'île, le commerçant ne lui demanda aucune pièce.
Quand l'astre diurne fut à son zénith, le petit groupe put apercevoir le navire marchand à l'horizon. Lorsqu'il jeta l'ancre, l'équipage expliqua qu'une tempête les avait retardés et qu'ils repartiraient le lendemain matin. Cela fit grimacer Fubuki qui détestait voir son programme ruiné à cause des imprévus. Cependant, elle ne fit aucune remarque déplacée car les matelots avaient accepté, non sans mal, de les amener au milieu de la côte de Foresto. Sans l'intervention des résidents de l'île, l'équipage les aurait déposés bien plus au sud, leur faisant perdre au moins une semaine de voyage.
Ils embarquèrent comme convenu et, deux jours plus tard, au lever du soleil, ils arrivèrent à la première étape de leur nouveau périple. La traversée avait été plus ou moins tranquille. Le calme de la mer avait été seulement rompu par les échanges martiaux entre les garçons et les marins. En effet, ces derniers, remarquant les armes de leurs passagers, avaient proposé des combats amicaux le premier après-midi. Raiyo et Genkaï avaient accepté volontiers, même si le colosse fut rapidement disqualifié à cause de sa force et de son arme. Il avait dû s'excuser pendant plusieurs heures auprès du capitaine après qu'il eut fendu le pont en voulant faire tourner sa hache durant un enchaînement de coups. Mis à part ce léger incident, le voyage s'était bien déroulé.
Ils venaient de jeter l'ancre dans le port de Sastria, une des villes les plus importantes du pays et, par conséquent, une des plus fortifiées. En effet, si, sur l'archipel du Léodaro, la plupart des créatures étaient inoffensives, sur le continent, ce n'était pas la même histoire. En effet, les monstres d'Amadeus avaient bien failli exterminer la race humaine. Heureusement, l'Humanité avait fini par créer des zones sans danger dont la ville de Sastria.
— D'après le livre que j'ai lu durant le voyage, avait commenté Fubuki qui continuait à instruire ses camarades, cela va faire deux cents ans que la ville n'a pas connu d'attaques, que ce soit par la mer ou par la forêt avoisinante.
Fascinés, les jumelles et Raiyo admiraient le décor qui s'offrait à eux.
Le port fourmillait d'activités. Aux alentours, des marins faisaient des aller-retours entre les embarcadères en bois et les cales des navires. À peine avaient-ils le temps de déposer une caisse que d'autres hommes soulevaient les marchandises pour les acheminer jusqu'aux attelages qui, une fois remplis à ras bord, partaient vers leurs destinations. Non loin, des marchandes vendaient à la volée des poissons en tout genre, emplissant le lieu d'un brouhaha qui donna le tournis aux touristes.
Voyant un matelot manquer de percuter les petites, Genkaï les souleva du sol et les fit asseoir sur ses épaules massives. De leur perchoir, elles purent alors mieux contempler la ville. Bâtie dans une falaise qui avait été creusée pour former une pente, Sastria s'élevait au-dessus des nouveaux venus comme un arbre géant rocheux. Tout en haut, Rubia et Saphira purent discerner des remparts épais, faits d'une pierre si blanche que les murailles semblaient former un halo de lumière.
Aveuglées, les filles détournèrent le regard et s'émerveillèrent devant le phare à leur gauche. À l'inverse du reste de la ville, l'édifice avait été construit à partir d'une étrange pierre noire. Le passage du temps était si marqué que les jumelles s'étonnèrent de le voir encore debout malgré toutes ses craquelures. Elles firent part de leurs remarques au reste du groupe, amusant grandement Genkaï.
— Vous faîtes erreurs, mesdemoiselles Rubia et Saphira. La pierre qui compose cette splendide œuvre ne s'est point morcelée avec le temps, elle est veinée. On lui donna comme patronyme la Luciole rocheuse car, lorsque l'astre diurne finit sa course effrénée à l'horizon et que se lève sa sœur, le matériau produit une étrange lueur qui émane de ses fissures.
Les petites soupirèrent un peu. Elles avaient essayé d'apprendre le langage courant au colosse mais ce dernier paraissait hermétique à leurs leçons. Pourtant, il semblait donner tout ce qu'il avait durant ces moments d'échange mais rien à faire. Sa manière de parler si particulière revenait au galop.
Tandis qu'ils se frayaient un chemin dans la foule, Raiyo eut la désagréable impression de se sentir observé. Perturbé, il chercha l'origine de la sensation mais, ne pouvant réellement détailler les environs, il ne découvrit pas l'origine de son malaise.
— Si je puis me permettre, Raiyo, fais plutôt attention à ce qu'il se passe bien proche de toi, lui souffla une voix résonnant dans son esprit.
Surpris, il se tendit en ressentant quelque chose remuer dans sa poche. Vif, sa main se referma sur le poignet d'un petit garçon. Ce dernier, pris au dépourvu, voulut s'échapper mais la poigne de son opposant était trop ferme. Essayant le tout pour le tout, il tenta d'asséner un coup de poing avec son bras valide.
C'est alors que l'adolescent de la foudre eut l'impression que le monde autour de lui ralentissait. Il distingua le mouvement de son adversaire avancer vers lui si lentement qu'il put l'éviter sans aucun problème. Son regard se porta sur le gamin et il vit que ce dernier prenait doucement une expression horrifiée. Cela ne dura pas longtemps car, aussitôt, la foule reprit sa vitesse normale, faisant sursauter Raiyo. Le jeune garçon en profitant pour détaler, en pleurs.
Abasourdi par ce qui venait de se passer, l'adolescent ne vit pas qu'un matelot, aveuglé par sa charge, allait le percuter de plein fouet. Heureusement pour lui, une main le saisit par le poignet et l'écarta à temps du passage du marin. Revenant à lui, le rescapé tourna la tête vers son sauveur pour le remercier mais ce dernier ajusta sa capuche, dissimulant complètement ses traits. Il allait ouvrir la bouche pour le remercier lorsque l'étranger le prit de court.
— Tu me déçois.
Et sur ces mots, il se laissa happer par la marée humaine, disparaissant aux yeux de Raiyo. Ce dernier essaya bien de le retrouver mais, de nouveau, il sentit une main se poser sur son épaule cette fois.
— Viens, tu risques de te perdre ! cria Fubuki pour essayer de se faire entendre dans la cacophonie ambiante.
Beaucoup trop perturbé par ce qu'il venait de se passer, l'adolescent obéit. Ils finirent par atteindre les murailles, échappant finalement à la foule. Un peu essoufflés, ils s'accordèrent un petit moment de répit. De son côté, le garçon de la foudre décida de taire l'incident. Il aurait voulu raconter son problème mais Fubuki paraissait en colère, visiblement parce que certains passants lui avaient marché sur les pieds. Pour l'avoir suffisamment côtoyé, il savait très bien qu'elle s'agacerait bien plus s'il ouvrait sa bouche.
— Vous pouvez toujours m'en parler, reprit la voix qui l'avait averti de la présence du pickpocket.
— Que penses-tu de ce qu'il s'est passé, Camolauss ? pensa l'adolescent tout en suivant distraitement l'échange entre les jumelles et Genkaï.
— Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de voir quoique ce soit. Cependant, il y a fort à parier que nous reverrons cette personne encapuchonnée. Ces paroles laissaient croire qu'il vous connaissait.
Voyant que l'esprit de son arme n'avait plus rien à lui dire, Raiyo reporta son attention vers la conversation. Il fit bien car le colosse lui demandait s'il était prêt à reprendre la marche.
— Oui, évidemment, répliqua-t-il en souriant, effaçant les marques trahissant l'inquiétude de son visage.
La petite troupe prit la direction de la porte nord, celle qui donnait sur leur destination. Tandis qu'ils approchaient de l'édifice, Fubuki détailla les soldats qui le gardaient. Portant une armure étincelante, les miliciens les regardaient passer, leurs casques se tournant lentement en leur direction pendant qu'ils avançaient. L'un d'entre eux, vêtu d'une cape rouge qui contrastait avec le velours noir de ses camarades, s'approcha d'elle.
— Hé, mademoiselle, puis-je vous proposer de vous escorter jusqu'à votre destination ? Il me semble qu'une bonne escorte ne soit pas de refus, par les temps qui courent.
— Je vous remercie de la proposition mais j'en ai déjà une, répondit-elle d'un ton ennuyé.
— Ces enfants ? rétorqua-t-il, moqueur. Ils ne portent des armes que pour paraître important mais ce ne sont que de petites gens. Ils n'ont aucune chance de vous sauver d'une quelconque manière. Allez, laissez-moi m'occuper de vous.
Et, sur ces mots, il se saisit du poignet de l'adolescente. Cette dernière, n'ayant jamais été confrontée à ce genre d'incident, fut si surprise qu'elle se figea. Raiyo, voyant son amie d'enfance en danger, voulut réagir mais deux gardes se placèrent en travers de son chemin, lui barrant la route. Il lança un regard vers Genkaï mais ce dernier subissait le même traitement. Même si, dans son cas, les soldats n'avaient pas été fous et s'y étaient mis à quatre. Cependant, personne ne vint gêner les jumelles qui se placèrent derrière celui qui empoignait Fubuki.
Se tenant la main, elles effleurèrent de leurs doigts libres l'armure de l'homme, si discrètement que ce dernier ne se rendit compte de rien. Aussitôt, Rubia et Saphira encadrèrent l'adolescente de la glace et lancèrent un regard inquiet au garde.
— C'est vrai, monsieur ? Vous allez nous aider ? demanda la première d'une voix suppliante.
— Bien sûr, mes jeunes dames. Je ne peux vous laisser braver les dangers de l'extérieur sans la compagnie de vrais gardes, répondit l'interpellé en relâchant sa prise sur sa victime.
— Mais votre armure, elle n'a pas l'air solide, s'inquiéta le deuxième enfant en portant sa main à sa bouche.
— Ne vous en faîtes pas, damoiselles. Cette armure est aussi résistante que ma détermination, clama-t-il en se frappant le poitrail du poing fermé.
Aussitôt, son armure s'ouvrit au niveau des sangles, laissant tomber les différentes parties métalliques de part et d'autre de l'homme abasourdi. Le bruit sourd de l'acier sur les pavés sortit Fubuki de sa torpeur. Amusée, elle prit les mains des jumelles et tourna le dos au malheureux.
— Si vous me permettez, monsieur, si votre détermination est aussi fragile que vous venez de nous le montrer, je préfère encore m'entourer de mes amis qui, eux, ne se pavanent pas comme vous le faîtes si bien, lança-t-elle non sans rire.
Elle fut rapidement suivie par les deux adolescents qui étaient soulagés de ne pas avoir à se battre. Ils purent ainsi sortir de la ville, laissant les gardes stupéfaits de voir leur capitaine aussi vulnérable.
Une fois qu'ils furent suffisamment éloignés de Sastria, Raiyo se permit de rompre l'allégresse de son amie d'enfance.
— Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?
— Et bien, si je ne m'abuse, sieur Raiyo, il me semble que Dame Fubuki fut victime de ce sergent qui s'est montré sous le jour d'un véritable manant, dénué de toute manière et de toute éthique, s'indigna Genkaï en lançant un regard haineux derrière lui.
— Certes, grommela l'adolescent aux cheveux blancs en se disant qu'ils allaient vraiment devoir instruire leur ami. Je parlais plutôt de ce qui est arrivé à l'armure dudit sergent.
— C'est nous ! s'exclamèrent les jumelles en pouffant.
— Nous ne pouvions pas laisser Fubuki se faire ainsi harceler, commença Saphira.
— Alors on a décidé de le punir à notre manière, enchérit sa sœur.
— Comment ? s'étrangla Raiyo.
— Nos pouvoirs nous permettent de voir l'avenir mais aussi de faire remonter le temps à un objet ou de l'envoyer dans son futur. Ici, on a simplement projeté les lanières de son armure dans l'avenir, jusqu'à ce qu'elles cèdent d'usure. En revanche, on ne peut pas le faire tout le temps, reprit Rubia en voyant le regard intéressé de Fubuki.
— En effet. Cela nous demande beaucoup de pouvoir d'envoyer quelque chose aussi loin dans le temps. Mais si c'est sur une courte échelle, on peut le faire à répétition, finit sa jumelle.
Surpris, Raiyo n'ajouta rien. Il se contenta de se dire qu'il avait drôlement de la chance d'avoir comme Saintes deux filles possédant de tels pouvoirs. Son imagination déborda et il essaya de s'imaginer à quoi pourrait ressembler celui dont ils avaient aperçu la silhouette durant la vision que leur avaient partagée les petites. Tout à ses pensées, il ne fit pas attention au fait que la troupe venait d'arriver à l'orée de la forêt.
Le voyant distrait, Fubuki lui envoya un coup de coude dans les côtes avant de reporter ses sens vers le bois. D'un ton sombre, l'écorce des arbres donnait l'impression qu'une brume de ténèbres tapissait le lieu. Elle se mordit les lèvres en se rendant compte qu'elle ne se souvenait pas d'avoir lu dans un livre le type de végétaux qui poussait ici. Elle se fit la remarque qu'elle devrait vraiment faire attention à ce genre de détails, notamment après que Genkaï faillit perdre une jambe en marchant sur une plante carnivore.
Sur l'archipel du Léodaro, la flore n'est pas aussi dangereuse. Mais on oublie souvent que le pouvoir d'Amadeus a déteint sur les autres formes de vie de la déesse Asalia.
Ils progressèrent doucement, prenant garde à leur environnement. Cependant, la forêt était dense et semée d'embûches, les obligeant parfois à faire des détours. Lorsque la lumière commença à décliner, Fubuki indiqua aux autres qu'ils feraient mieux de s'arrêter. Épuisés à force de crapahuter entre les racines, le reste du groupe accepta volontiers sa proposition. Tous s'assirent et reprirent leurs souffles.
Alors qu'il se levait pour aller chercher du bois mort, Genkaï sursauta. Un hurlement bestial venait de retentir, suivi par deux autres cris qui, eux, semblaient bien plus humains.
N'écoutant que son courage, le colosse bondit en direction de la source sonore, se dirigeant dans l'obscurité naissante en suivant les échos de lutte qui lui parvenaient. Il finit par débarquer dans une sorte de clairière irrégulière, où quelques souches garnissaient encore le sol moussu. Au centre, un jeune adolescent armé d'une rapière essayait de repousser les assauts d'un lion de deux mètres de haut. Un instant surpris, l'attention de l'enfant divin de la terre s'attarda sur la crinière majestueuse du monstre mais la vision des crocs saillants lui rappela son devoir de guerrier. Dégainant sa hache, il bondit sur la bête.
De son côté, Raiyo arriva quelques secondes après son ami, n'ayant pas tout de suite compris pourquoi ce dernier avait si subitement abandonné leur campement de fortune. Ce fut l'écho du métal qui lui fouetta le sang. Aussi, lorsqu'il arriva à son tour dans la clairière, il eut tout juste le temps de matérialiser son arme qu'un autre monstre lui bondissait dessus. Il roula pour échapper à son adversaire et grommela intérieurement en se relevant.
Évidemment, si je suis en renfort, ça m'aurait étonné que la bestiole soit seule.
Il ne laissa pas le temps à son adversaire de se tourner qu'il porta un coup au niveau des épaules noueuses de la bête. Cette dernière rugit mais ne put rien faire de plus. Une nouvelle frappe lui sectionna le cou, si nettement qu'il fallut un peu de temps au cerveau pour comprendre pourquoi le reste de son corps ne répondait plus.
Raiyo essayait simplement d'appliquer ce que Camolauss lui indiquait depuis l'intérieur de son esprit. Lorsque l'arme lui disait de trancher, il s'exécutait. Cependant, voyant que les monstres commençaient à se faire nombreux, il finit par se précipiter et, bientôt, les deux garçons avaient dû utiliser leurs pouvoirs. Genkaï, protégeant de son mieux celui qu'il était venu sauver, maniait sa hache dans un ballet destructeur, gênant à l'aide de murs de roches les lions qui semblaient se multiplier. De son côté, Raiyo essayait de paralyser les créatures pour éviter d'avoir à se fatiguer à les combattre mais, à peine avait-il le temps d'en blesser un, que deux autres l'obligeaient à reculer. L'adolescent dénombra une dizaine d'ennemis et se rendit alors compte qu'ils étaient en position de faiblesse. L'autre garçon commençait sérieusement à faiblir sous les assauts de deux monstres, les coups de Genkaï devenaient de plus en plus imprécis et son corps se couvrait peu à peu de griffures. Quant à lui, il sentait son pouvoir diminuer à vue d'œil.
Il s'apprêtait à donner tout ce qu'il avait lorsqu'il aperçut une étrange lueur, loin dans les bois. Elle attira son attention suffisamment de temps pour qu'un des lions en profite pour lui bondir dessus. Heureusement, son compagnon de fortune le vit et lui crocheta la jambe, l'obligeant à s'écrouler. Son geste fut vite suivi d'un coup d'estoc, en faisant fleurir, sur le pelage de la bête, des pétales de sang. Mais il n'eut pas plus de temps pour réagir que Genkaï le jetait lui aussi au sol en hurlant.
— Par ma voix, je t'implore, mère protectrice, Avana toute puissante, érige une défense impénétrable pour garantir la survie de tes pupilles. Dôme de roche !
La terre se souleva autour des trois garçons et se ferma au-dessus d'eux. Mais Raiyo n'eut pas le temps de poser la moindre question qu'une vague d'énergie fit voler en éclats la protection. Un débris de roche percuta le crâne de l'adolescent et, alors qu'il sentait la température s'envolait vers des sommets normalement inatteignables, il sombra dans l'inconscience.
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