Chapitre 6Malédiction
Raiyo eut l'impression que l'être qui se tenait devant lui et ses amis les transperçait de sa tristesse lorsqu'il posa son regard sur lui. On aurait dit que les yeux dorés du loup contenaient toute la peine du monde. Famélique, le monstre avait dû être magnifique avant que son pelage grisonnant aux reflets bleutés ne s'étiole pour ne montrer qu'une peau meurtrie ravagée par le manque de soin. Son museau, aussi long que celui d'un gavial, était noyé des larmes que pleuraient continuellement la bête.
Lorsqu'il les vit, l'être diminué se dressa sur ses pattes maigres. Fubuki ne put s'empêcher de porter la main à sa bouche pour étouffer un cri. Elle venait d'apercevoir qu'il lui manquait un membre. Même Genkaï, qui paraissait posséder un mental solide, semblait horrifié en voyant l'état du loup.
Tandis que ses amis s'apprêtaient à baisser leurs gardes, Raiyo eut une étrange sensation. Aussitôt, une image se superposa avec celle du monstre et il entendit distinctement :
— Délivrez-moi de cette malédiction. Moi, Camolauss, vous supplie, Larmes d'Asalia, de me libérer de la malédiction mélancolique.
À nouveau, la vision de l'être vacilla et l'enfant divin put distinguer un loup en bonne santé, aux pattes puissantes. Il semblait posséder deux queues qui battaient l'air vaillamment. Voyant la bête inspirer profondément, Raiyo eut le réflexe de se jeter à terre et de faucher les jambes de ses amis. Ces derniers tombèrent en arrière, esquivant la sphère électrique projetée par leur ennemi. Se remettant rapidement sur ses pieds, l'adolescent fut surpris de remarquer que ses camarades, eux, restaient à terre. Il leur lança un regard inquiet et déglutit. Leurs yeux semblaient vides tandis que des larmes coulaient le long de leurs joues.
Raiyo prit une profonde inspiration afin de chasser la peur qui s'insinuait en lui. Il se mit en garde après avoir dégainé son épée. Il commença à tourner autour de la bête famélique. Cette dernière le suivait simplement du regard, attendant qu'elle vienne à lui. Une bouffée d'énergie saisit le jeune homme aux tripes. Il bondit en direction du flanc droit du loup, celui qui n'était pas estropié, afin de l'obliger à bondir de l'autre côté.
S'il fait ça, il lui sera impossible pour lui de m'échapper car il ne pourra pas équilibrer son poids lors de l'atterrissage et j'en profiterai pour le terrasser rapidement.
Il leva donc son arme comme il avait vu les matelots le faire. Comme il l'avait prédit, Camolauss bondit hors de sa portée. Cependant, non seulement, il se reçut sans problème mais il matérialisa en plus une patte puissante pour remplacer celle qu'il avait perdu. Surpris, l'enfant divin n'eut pas le temps de reculer à son tour. Il fut percuté de plein fouet par la frappe de la bête.
La violence de l'attaque l'envoya s'écraser contre l'un des murs du temple, lui coupant la respiration. Heureusement pour lui, ses os ne se brisèrent pas. Son corps retomba sur le marbre blanc. Il fallut quelques secondes à l'adolescent pour se relever, ses membres seulement engourdis.
Mais le loup n'avait pas l'air de vouloir lui laisser le temps de se reposer. Il projeta une nouvelle sphère électrique, obligeant le garçon à rouler. Essoufflé, l'adolescent vit son adversaire tourner ses crocs vers les corps inconscients de Genkaï et Fubuki.
Je ne te laisserai pas les blesser !
Il bondit entre ses amis et son ennemi. Il eut tout juste le temps d'abattre son épée sur la projection élémentaire que venait de lancer Camolauss.
Dès l'instant où le métal entra en contact avec la foudre, Raiyo sentit l'électricité se répandre dans son corps. Il poussa un hurlement de douleur en sentant ses organes brûlaient mais il essaya de tenir le coup. L'odeur de sa peau calcinée lui parvint, accentuant ses vertiges. Luttant de toutes ses forces pour ne pas reculer, il opposa toute son énergie à celle de la créature. Ce fut alors qu'un bruit de fissure retentit.
Aussitôt, le temps sembla ralentir. Le garçon vit la lame de son arme voler devant ses yeux tandis que la sphère avançait droit sur lui. La dilatation temporelle cessa et il fut frappé de plein fouet par la foudre. Son cri retentit avec écho dans le temple. Lorsque, enfin, l'électricité quitta son corps fumant, il commença doucement à chuter. Camolauss ne put s'empêcher de se lécher les babines. Sa proie lui avait donné un peu de fil à retordre mais rien de bien méchant.
Cependant, un grondement lui échappa. Dans un ultime effort, son adversaire se tenait debout. Agacé, le loup ouvrit sa gueule et projeta une énième boule. Celle-ci, alimentée par la colère de son créateur, était si grande qu'elle raclait à la fois le toit de l'édifice et son sol, les annihilant tout bonnement sur son passage.
À demi-conscient, Raiyo ne voyait même pas l'attaque lui foncer dessus. Alors qu'il s'abîmait dans les ténèbres de l'inconscience, des souvenirs lui revinrent en tête.
« J'ai compris qu'en touchant la terre, je pouvais restaurer mon corps des stigmates qu'il portait. »
« Du moment que nous sommes en contact avec notre élément, nous sommes dans la capacité de nous régénérer aussi. »
Les paroles de Genkaï et de Fubuki résonnèrent un instant dans son esprit avant de devenir une source de puissance. L'énergie coula de son cœur et se répandit dans chacun de ses muscles, dans chacune de ses cellules.
Je... ne peux pas... abandonner !
Cette pensée réveilla Raiyo juste avant que la sphère ne le touche. Il réussit à lever sa main gauche et se concentra de toutes ses forces. Aussitôt, l'électricité parut être absorbée par son corps. Elle circula dans chaque parcelle de son être mais, au lieu de le brûler, elle le soulagea de la douleur. Mais l'adolescent savait que, s'il perdait ne serait-ce qu'une seconde sa concentration, l'élément le détruirait de l'intérieur. Alors, au lieu de garder tout ce pouvoir en lui, il la dirigea dans le manche de son épée brisée. Dans un dernier espoir, il tendit le bras droit et hurla, ne cherchant même pas à psalmodier.
— Estoc foudroyant !
Toute l'énergie qu'il avait accumulée se libéra d'un coup. Elle forma un rayon qui transperça Camolauss. Ce dernier hurla en chœur avec une seconde voix. Une aura rouge se manifesta alors autour de la bête. Cette dernière réussit à résister à l'attaque du garçon. À bout de forces, Raiyo s'écrasa au sol, inconscient.
De son côté, le monstre s'approcha de son adversaire. Il sentait bien qu'une part de lui luttait pour se libérer de sa malédiction mais il l'ignora. Dominant le corps de sa proie, il ouvrit doucement la gueule. Sa salive commença à couler sur l'humain lorsqu'une nouvelle aura se manifesta. Surpris, le loup releva la tête et gronda dès lors qu'il aperçut la silhouette d'un homme encapuchonné. Ce dernier tenait dans ses bras un garçon, probablement du même âge que les adolescents. Il avait été emmailloté dans un tissu à la va-vite. Le nouveau venu déposa son fardeau au sol avant de tendre une main sur le monstre qui lui bondissait dessus.
— Chreglotrahocha trahafla bolhapreharashocha !
Un éclair noir jaillit de ses doigts. Il vaporisa tout simplement la bête. Seul resta un étrange pendentif représentant une tête de loup hurlant à la mort. L'individu encapuchonné essaya de se saisir de l'objet d'un air décidé. Néanmoins, ce dernier voleta hors de sa portée avant de se poser sur le torse de Raiyo. L'étranger s'approcha de l'adolescent. Alors qu'il se baissait, la silhouette d'un loup gigantesque apparut au-dessus du garçon. Cette manifestation surnaturelle obligea l'inconnu à bondir en arrière.
— Je t'ai déjà donné ma réponse, Kobura ! gronda l'image faite de foudre en dévoilant ses crocs.
— En effet, Camolauss, répondit d'une voix rauque l'individu, pas apeuré pour le moins du monde. Cependant, je ne suis pas venu seul.
Il indiqua d'un geste de la main le corps inconscient qu'il portait lors de son arrivée dans le temple.
— Vois-tu ce garçon que j'ai déposé sur le sol avant de te libérer de la malédiction d'Astrid ? Il est mon compagnon. Or, il me semble que tu m'as dit que tu prêterais ta force à ceux qui privilégient leurs camarades.
La créature élémentaire gronda et des étincelles s'échappèrent de son corps, ajoutant du volume à son pelage.
— Ne te moque pas de moi ! Tu viens tout juste de récupérer cet enfant dans le coffre de Pandore ! Tu ne l'as absolument pas sauvé ! C'est mon maître qui l'a secouru en souhaitant protéger son ami !
Camolauss paraissait sur le point de se jeter au cou de l'étranger qui se contenta de ricaner.
— Très bien, Camolauss, très bien. J'accepte le fait que tu ne me choisisses pas comme maître. Mais saches que le garçon que j'ai récupéré s'opposera un jour à celui que tu as choisi. Si jamais il le vainc, je te forcerai à m'obéir, est-ce clair ?
Et sur ces mots, il fit volte-face, battant l'air de sa cape. Il récupéra l'adolescent qu'il avait déposé et sortit du champ de vision du loup. Ce dernier resta quelques instants sur ces gardes mais, voyant que personne ne venait, il s'estompa.
Raiyo ouvrit subitement les yeux. L'image de la bête lui sautant dessus était encore vive dans son esprit. Il eut le réflexe de se défendre. Aussitôt, un sabre apparut dans sa main, le faisant sursauter. L'adolescent mit quelques secondes à revenir de sa surprise et ne put s'empêcher de détailler l'arme qu'il tenait.
L'objet était si finement travaillé que le garçon pouvait discerner de minuscules lignes dessinant des loups galopant sur la plaine que formait la lame aux reflets bleutés. Pendant un instant, l'enfant divin crût même voir l'un des animaux lui adresser un mouvement de museau respectueux.
Non... Non, je dois juste être déboussolé...
Grommelant contre la fatigue, il s'enfonça un peu plus dans les oreilles qui lui calaient le dos. Plongée dans ses pensées, il continua machinalement sa contemplation de l'objet. Le pommeau du sabre avait été sculpté pour représenter des éclairs. de plus, il avait été enchâssé d'une pierre précieuse que le garçon n'avait jamais vu. Tout à sa découverte du joyau, il ne fit pas attention à l'arrivée de deux petites filles.
— Bonjour, enfant divin de la foudre. Nous sommes ravies de voir que vous vous portez mieux, commença la première en replaçant l'étrange mèche de cheveux rouge qui barrait sa chevelure blonde.
— Je vois que vous savez déjà manifester votre arme. Nous sommes heureuses de voir que vous êtes aussi doué, finit sa jumelle en se recoiffant elle aussi le trait bleuté qui contrastait avec la cascade dorée que formait sa coupe.
Pris au dépourvu, Raiyo sursauta. Son premier réflexe fut de se mettre en garde. Cependant, voyant que les nouvelles venues ne semblaient pas lui vouloir le moindre mal, il se détendit. Il lui fallut tout de même un peu de temps avant de desserrer sa prise sur la poignée de son arme. Lorsque son pouls eut reprit son rythme normal, il concentra son attention sur ses visiteuses. À l'exception de leur mèche différente, les deux enfants étaient en tout point identiques. Vêtues de robes blanches parfaitement semblables, elles rougissaient sous le regard de l'adolescent. Remarquant leur gêne, ce dernier cessa de les détailler et se passa la main dans les cheveux.
— Enchanté, mesdemoiselles. Je me nomme...
— Nous savons qui vous êtes, Raiyo Askénar. Nous sommes nées pour vous servir et attendons votre venue depuis nos trois ans. Mais nous manquons à nos principes. Nous ne nous sommes pas présentées, récitèrent en chœur les petites. Nous sommes Rubia et Saphira, les Saintes du temple de la foudre.
Un peu perdu, Raiyo profita du geste que firent les jumelles lorsqu'elles se présentèrent pour les identifier.
Donc, Rubia est celle à la mèche bleue et Saphira l'autre. C'est bon à savoir.
Satisfait, il ouvrit la bouche pour répondre lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit à nouveau. Surpris, il vit entrer Fubuki, qui se jeta dans ses bras. Elle était suivie par Genkaï qui s'inclina poliment devant les deux saintes. Ces dernières lui rendirent son salut. Si l'adolescent de la foudre n'était pas complètement déboussolé, il aurait ri en voyant les jumelles et le colosse entrer dans une ronde infernale de politesse. Il tapota machinalement dans le dos de son amie d'enfance avant de la repousser gentiment. Cette dernière, se rendant compte de ce qu'elle venait de faire, se racla la gorge afin de se reprendre.
— Je vois que tu as bien dormi, se contenta-t-elle de dire en détournant le regard vers la commode sur la droite du convalescent.
— En effet, ricana Raiyo. J'imagine que, comme toujours, tu en sais plus que moi sur la situation. Alors je te laisse m'expliquer.
— Laissez, enfant divin de la glace, nous allons nous charger de tout vous expliquer, intervinrent les jumelles.
Tandis qu'elles grimpaient sur le lit de Raiyo pour s'asseoir, Genkaï ressortit afin de prendre des chaises pour lui et Fubuki. Profitant de ce petit répit, l'enfant divin de la foudre en profita pour détailler la pièce dans laquelle il se trouvait. A l'exception de son lit, d'une commode et d'une armoire, la chambre était plutôt vétuste. Le retour du colosse sortit le garçon de sa rêverie. Une fois que tous furent installés, les petites sourirent et commencèrent leur récit.
— Nous sommes au courant de votre titre d'enfants divins élus par la déesse Asalia car nous sommes les Saintes du temple.
Les filles aperçurent l'éclat de curiosité qui apparut dans le regard de Fubuki et s'empressèrent de poursuivre leurs explications.
— Pour chaque enfant divin, il existe un temple et un Saint. À l'intérieur des temples se trouve une ancienne créature qui doit, normalement, faire passer un test à l'enfant divin. Si ce dernier le réussit haut la main, il obtient alors une arme divine, comme le sabre que vous tenez à votre main, enfant divin de la foudre. Quant à nous les saints, notre rôle est d'accompagner le porteur de l'arme une fois que ce dernier l'a obtenu. Enfin, ça, c'était avant que les créatures anciennes ne soient attaquées par la déesse renégate...
Les jumelles marquèrent un petit temps de pause, laissant aux élus de la déesse Asalia un peu de répit. Après tout, il y avait beaucoup d'informations à digérer.
— Puis-je vous poser quelques questions ? finit par demander Fubuki en s'enfonçant dans les coussins de sa chaise.
— Bien sûr, enfant divin de la glace, répondirent de concert les petites.
— Je suis fort marri de vous interrompre de la sorte, intervint Genkaï en s'inclinant en direction de l'adolescente, mais pourriez-vous, je vous prie, nous appeler par nos patronymes, gentes demoiselles ? Depuis que j'eusse échappé aux ténèbres de l'inconscience, vous n'avez cessé d'employer le terme « Enfant divin » pour nous désigner. Je ne puis accepter pareil palabre pour me définir. Je ne suis, après tout, qu'un simple roturier.
Comme Raiyo et Fubuki l'avaient été lors de leur première rencontre avec le colosse, Rubia et Saphira parurent abasourdies par la façon de parler de Genkaï. Aussi, elles se contentèrent de hocher la tête pour ne pas paraître impolies.
— Donc, vous vouliez nous poser des questions, enfa... Fubuki ? reprirent les petites en guettant la réaction du colosse du coin de l'œil.
— Oui. Je voudrais d'abord vérifier que j'ai bien tout compris. Coupez-moi si je me trompe mais le monstre que nous avons croisé dans le temple était la créature ancienne dont vous avez parlé. Et, tout comme le temple de cette île, il existe un temple qui renferme ce genre de monstre pour chaque enfant divin, en plus d'un Saint comme vous.
Voyant que les jumelles hochaient la tête en signe d'accord, la jeune femme sourit.
— Donc, puis-je savoir ce qu'était le serpent qui nous a attaqué devant le temple ?
— Vous devez faire référence à Pandore, expliqua Saphira en balançant ses jambes dans le vide. À la base, c' était simplement un petit serpent qui vivait dans le temple. Camolauss l'appréciait beaucoup.
— Cependant, lorsque la malédiction a frappé la créature ancienne, reprit Rubia en imitant sa sœur, que cette dernière s'est mutilée pour se libérer du sort de la déesse renégate, Pandore est devenu fou. Il a dévoré la patte de Camolauss et est devenu l'être que vous avez affronté.
— Quand est-ce que la malédiction a commencé à sévir ? enchaîna Fubuki, avide de connaissances.
— Je crois que c'était il y a une centaine d'années, indiqua la jumelle à la mèche bleue en se frottant le menton. C'était juste avant que les enfants divins de l'ancienne génération ne tentent d'aller au temple.
— L'ancienne génération ? s'étrangla Raiyo.
La surprise l'avait fait se redresser brutalement et une légère sensation douloureuse lui arracha une grimace fugace.
— Je puis éclairer vos lanternes, seigneur Raiyo, répondit Genkaï en levant poliment la main. Si je ne m'abuse, nous sommes la vingtième génération d'enfants divins.
— Comment tu sais ça ? le questionna l'adolescent.
— Dans l'ouvrage que j'ai consulté avant que je ne vienne sur cette parcelle de terre isolée par la mer, il était dessiné vingt groupes d'enfants divins différents.
— Excellente déduction, Genkaï, le complimentèrent les jumelles en applaudissant. Vous êtes en effet les vingtièmes enfants divins.
— Et, si je comprends bien, nous devrions nous rendre dans les temples de la terre et de la glace pour que Genkaï et moi-même récupérions nos armes, continua Fubuki.
Elle avait sorti un carnet et prenait note de leurs conversations.
— Cependant, je n'ai aucune idée d'où se situent les autres temples... grommela-t-elle à voix basse.
— C'est pour cela que nous sommes là, répondirent les jumelles en sautant du lit. Nous sommes les guides de Raiyo et allons mettre nos pouvoirs à contribution pour vous aider à trouver le prochain temple ainsi que le Saint qui y est lié.
— Vos pouvoirs ? s'exclamèrent les trois enfants divins.
— Oui. Mais comme une démonstration est plus parlante que des explications, on va immédiatement vous indiquer notre prochaine destination, conclurent-elles en s'amusant de la surprise qu'elles venaient de créer.
Elles joignirent leurs mains et se placèrent l'une face à l'autre, front contre front. Aussitôt, leurs corps s'enveloppèrent d'une aura étrange tandis qu'une horloge apparaissait sous leurs pieds. Prise au dépourvue, Fubuki voulut toucher l'objet. Elle sursauta lorsqu'elle se rendit compte que ses doigts passaient au travers de l'image.
Un cliquetis retentit, comme si des rouages s'activaient. Les aiguilles se mirent à tourner à toute vitesse. Au-dessus des jumelles, quelque chose sembla se dessiner, se précisant doucement. Au bout de quelques secondes, les enfants divins purent discerner une île volcanique dont la montagne menaçante laissait échapper un nuage noir. À peine avaient-ils eu le temps de graver cette image dans leur mémoire qu'une silhouette encapuchonnée apparut à son tour. Les adolescents n'eurent cependant pas le temps de la détailler plus longtemps.
Le bruit s'estompa rapidement et la chambre retrouva bientôt son apparence initiale. Rubia et Saphira oscillèrent. Soudain, elles tombèrent dans les bras de Genkaï, qui avait réagi à temps. Épuisées, elles balbutièrent un vague remerciement avant de s'endormir profondément. Raiyo se leva de son lit. Le colosse coucha les petites sur le matelas avant de les border. Les trois adolescents sortirent de la chambre.
— Mais on est où, au fait ? demanda Raiyo tandis qu'ils traversaient une salle à manger.
— Les villageois nous ont offert l'hospitalité. D'après eux, nous avons libéré leur divinité, Camolauss, lui répondit Fubuki en ouvrant brutalement la porte les menant à l'extérieur.
Un instant aveuglé par la lumière du soleil, Raiyo voulut se protéger les yeux avec son bras lorsqu'il se souvint qu'il n'avait pas encore lâché le sabre qui était apparu lors de son réveil. Il voulut le ranger dans son fourreau. Cependant, il n'en avait pas vu dans la chambre.
— Comment je vais faire pour le transporter facilement ? se demanda-t-il à haute voix.
Comme pour lui répondre, l'arme disparut. Abasourdis, les trois adolescents se regardèrent.
— Mais qu'est-ce que... commença Raiyo en ouvrant et fermant machinalement la main.
— Mais qu'est-ce que tu as foutu de l'arme divine, sombre crétin ? vociféra Fubuki en se ruant sur lui.
— Je n'y suis pour rien... Je me suis juste demandé comment le transporter facilement et il a disparu.
— Si vous me permettez, sieur Raiyo, il me semble me souvenir que vous ne portiez pas ce pendentif tout à l'heure, indiqua Genkaï en pointant son torse.
L'enfant divin de la foudre baissa les yeux et les écarquilla. Reposant contre son torse se trouvait un collier représentant un loup hurlant à la lune. Pris au dépourvu, il allait s'interroger lorsqu'une voix rauque retentit dans sa tête.
— Maître, veuillez me pardonner de vous importuner mais j'aimerais m'entretenir avec vous.
Aussitôt, le monde autour de lui disparut et il lui sembla chuter. Le garçon voulut se rattraper à quelque chose mais ses mains ne purent rien saisir. À peine eut-il le temps de paniquer que Raiyo se retrouvait dans une vaste plaine. Cette dernière était parsemée de buissons de fleurs violettes. Un doux vent venait balayer l'herbe légèrement haute et portait les fragrances sucrées des végétaux. Au loin grondait un orage.
Pendant quelques instants, le garçon fut surpris de se sentir soulagé, comme s'il avait toujours connu cet endroit. Il voulut faire un tour sur lui-même pour mieux appréhender les environs. Cependant, il se heurta à une surface douce qui se trouvait dans son dos. Désemparé et déséquilibré, l'adolescent chuta mais atterrit de nouveau sur la même texture. Il leva les yeux et son teint devint livide.
Couché autour de lui, utilisant l'une de ses deux queues touffues comme coussin pour l'humain tandis que l'autre battait l'air paisiblement, un immense loup à la fourrure presque immaculée le surplombait. Même dans cette position, Raiyo semblait ne faire que la moitié de sa taille. L'encolure de la bête, dont le haut était coloré comme un ciel d'orage, semblait si large que même Genkaï n'aurait pu l'entourer de ses bras puissants. Tandis que son regard détaillait les poils soyeux parcourus parfois par des étincelles bleutées, l'adolescent croisa les yeux de l'animal. Subitement, il fut frappé par l'émotion qui lui perça le cœur. Le garçon eut même l'impression d'arriver à lire toute la gratitude du monde dans les pupilles dorées de l'être.
Ce fut alors qu'un souvenir apparut dans l'esprit du jeune homme. Lors de son combat contre le loup du temple, il avait vu à plusieurs reprises l'image de cet animal se superposer à celle du monstre.
Notant qu'il avait fait le lien, Camolauss dévoila ses crocs en un sourire étrange et approcha son museau du torse du petit humain. Maladroit, ce dernier passa ses doigts dans la fourrure lisse et fut surpris, à la fois par la sensation agréable que lui procurèrent les étincelles qui crépitèrent sous sa peau mais aussi par la voix qui résonna dans sa tête.
— Maître, je suis heureux de voir que vous allez bien. Je m'en serais voulu si j'avais été la source de blessures graves.
Encore un peu groggy par toutes les informations qu'il venait d'avoir, Raiyo resta muet, se demandant s'il ne rêvait pas.
— Je suis désolé de vous offusquer, Maître, mais vous ne rêvez pas. Je vais essayer de vous expliquer où nous sommes.
Devant le jeune homme, la bête se mit à haleter, laissant pendre sa langue hors de sa gueule.
— Je pense que j'ai compris, Camolauss. Nous sommes à l'intérieur du médaillon qui, si je ne m'abuse, est aussi le sabre que je tenais tout à l'heure. Je me trompe ?
— Vous n'en étiez pas loin. Pour le lien entre mon médaillon et mon sabre, vous aviez raison. En revanche, nous sommes dans votre esprit.
Peu étonné, l'adolescent se leva et vint s'installer entre les pattes du loup géant. Une fois assis, il observa la plaine qui s'étendait devant lui et il ne put s'empêcher de se sentir apaisé. L'atmosphère pré-tempête était réconfortante pour le jeune homme. La brise venait agiter le pelage de l'animal et les cheveux de l'humain, les rafraîchissant délicatement. Cette fois-ci, Raiyo réussit à sentir les nuances subtiles du parfum des fleurs de la plaine. Ce n'était pas une odeur seulement sucrée. Elle lui rappelait plutôt les fragrances des tartes de sa mère. Un larme vint couler doucement sur la joue de Raiyo.
J'espère que Maman va bien...
Ils restèrent ainsi durant quelques minutes, la bête veillant sur l'homme. Mais Camolauss, non sans être peiné à l'idée de rompre la quiétude de ce moment, reprit la parole.
— Maître...
— Oui, je sais. On n'est pas là pour ça, grommela le garçon en se redressant. D'ailleurs, pourquoi m'appelles-tu Maître ?
— Même si vous n'êtes pas celui qui a brisé ma malédiction, vous avez été celui qui a démontré les qualités que je cherche chez mon maître.
— Qui t'as libéré ? s'étonna Raiyo en apprenant qu'il n'était pas l'auteur de cet exploit.
— Un être corrompu par une autre malédiction de la Renégate, grogna Camolauss. Il cherche à tout prix à la détruire. Malheureusement, il a maintenant sous son aile l'enfant divin du feu. Je n'ai pas pu observer ses traits donc je ne pourrais pas vous aider tant qu'il ne révélera pas ses pouvoirs.
— Nous aider ?
— C'est vrai que vous ne savez encore rien de vos pouvoirs. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, en tant qu'arme divine, je suis désormais un réceptacle pour votre pouvoir. Cela vous permettra de vous développer à un bien meilleur niveau. Mais vos Saintes vous expliqueront cela plus en détails durant votre voyage. Ce sont elles qui détiennent la clé de vos évolutions prochaines. Désormais, il est temps que vous rejoigniez vos camarades.
Sur ces mots, le corps de Raiyo commença à se mettre à briller. Lentement, il sentit qu'il se réveillait. Pris au dépourvu, il commença à voir la plaine disparaître en un phénomène qui rappellerait de l'encre violette tombant dans un récipient d'eau. Camolauss lui sourit de nouveau tandis que son corps se dissolvait dans le décor ambiant. L'adolescent eut juste le temps de crier :
— Merci beaucoup, Camolauss. Je promets de ne pas te décevoir. Et cesse de m'appeler Maître. Je m'appelle...
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