Chapitre 15 : Plongée spirituelle
La première journée de la traversée, les adolescents passèrent leur matinée à explorer le navire, sous la commande des marins qui veillaient à ce qu'ils n'abîment rien. Ces derniers en profitèrent même pour leur demander de l'aide, notamment pour des petites courses d'un bout à l'autre du pont du "Céleste".
Cependant, au moment du repas, Zoldia les interpella.
— Kobura, je suppose que tu as entraîné Hono et Asura toi-même.
— C'est en effet le cas. Pourquoi donc cette question ?
— J'ai fait le serment de m'occuper de l'entraînement de mon groupe. Accepterais-tu que, s'ils sont eux-mêmes intéressés, je les entraîne aussi ?
— Il n'y a pas de raison pour que je refuse. Après tout, je ne suis qu'un guide pour eux. Et vous ? demanda l'adulte en s'adressant aux principaux intéressés.
— Je n'y vois pas d'inconvénient, indiqua Hono.
Asura se contenta d'un grognement satisfait comme seule réponse. Zoldia sourit légèrement et, une heure après avoir avalé leur repas, elle donna rendez-vous à tous les adolescents sur le pont, au niveau de la proue. Tous étaient là, y compris Fubuki et les jumelles. Même Len était venu, même s'il semblait plus là pour observer qu'autre chose.
— Bien, maintenant que vous êtes tous là, je vais vous répartir en plusieurs groupes et je vais vous donner une consigne à chacun d'entre vous, indiqua la maître d'arme en déposant un immense fardeau qu'elle portait sur son épaule.
Les adolescents écarquillèrent les yeux en voyant le drap enveloppant des dizaines d'armes de bois en tout genre s'écarter. Quelques mannequins roulèrent en dehors du tissu, tous abîmés par le temps mais encore suffisamment robustes pour tenir le coup quelques années de plus.
— Premier groupe : Rubia, Saphira et Len, approchez !
Surpris, le petit garçon s'exécuta, en même temps que les Saintes de la foudre. Kyoseï voulut parler mais Zoldia s'y était préparée.
— Je vais simplement leur apprendre à se défendre au cas où ils n'aient aucun autre recours. Ne t'inquiètes pas, je ne compte pas faire de ton petit frère un tueur sans pitié, juste un garçon capable pouvant se sortir de certaines situations. Bien, les enfants, prenez un poignard en bois et venez vous installer ici. Je m'occuperai personnellement de vous. Attendez-moi, le temps que je donne les consignes aux autres. Groupe suivant : Genkaï et Fubuki. Vous deux allez poursuivre votre entraînement.
Les deux enfants divins attrapèrent une hache et une lance avant d'aller se placer un peu plus loin, proche du mât. Dès que la guerrière leur tourna le dos, ils commencèrent à échanger des coups, Genkaï essayant de limiter sa force pour ne rien casser.
— Bien, troisième groupe : Asura et Kyoseï. J'aimerais que vous échangiez des coups avec ce bâton et cette bande de tissu autour de tes poings Asura.
Les deux adolescents se saisirent de ce qu'elle leur tendait et furent surpris de voir qu'ils étaient recouverts d'une étrange poudre noire.
— Après trois coups reçus, rompez l'échange et observez les marques que vous avez reçues. Ne vous en faîtes pas, elles disparaîtront avec de l'eau. Je passerai dans une dizaine de minutes voir où vous en êtes. Allez-y ! Enfin, Hono et Raiyo, vous allez affronter Kobura lui-même.
Les deux garçons sursautèrent en entendant ce qu'elle venait de dire mais ne remirent pas en doute ses paroles. L'homme les attendait, adossé à la rambarde du pont. Il ne put s'empêcher de sourire en les voyant approcher avec un sabre en bois pour l'adolescent aux cheveux blancs, amusé de leur surprise.
— Vous ne vous attendiez pas à ce que je mette la main à la pâte, n'est-ce pas ?
— J'avoue, répondit Hono en croisant ses bras derrière sa tête.
Il n'avait pas fini sa déclaration qu'un choc sourd résonnait devant son torse. Abasourdi, il baissa les yeux et les écarquilla en découvrant le poing de l'adulte à quelques centimètres de son torse, bloqué par la lame de Raiyo. Ce dernier, dans un réflexe impossible, avait paré le coup mais il devait reconnaître que son pouvoir s'était activé automatiquement, lui accordant ainsi la célérité nécessaire pour placer le sabre au bon endroit.
— Tss-tss ! Ce n'est pas bien de tricher, Raiyo. Vous n'avez pas le droit d'utiliser vos pouvoirs sur le bateau, chuchota Kobura en rompant le contact. Bien, maintenant que j'ai ouvert le bal, allez-y ! Montrez-moi ce que vous valez !
L'entraînement dura plus d'une heure durant laquelle les deux enfants divins enchaînèrent les assauts sur l'homme maudit. Malheureusement pour eux, ce dernier semblait totalement invincible, déviant chacun de leurs coups avec aisance, ne prenant même pas la peine de faire semblant de tomber dans leurs différents pièges. Ils finirent donc trempés de sueur, haletant, écoutant les conseils de Zoldia qui avait observé une partie de leur combat.
— Vous êtes vraiment opposés en tout, disait la guerrière. Hono, tu es vif et parfois un peu trop téméraire, mais tu manques surtout de connaissances pratiques. Tes coups sont désordonnés et tu fais trop de mouvements superflus. Nous réglerons cela ensemble mais il va falloir que tu sois rigoureux.
Le jeune homme voulut lui lancer une raillerie, comme il avait l'habitude de faire depuis que Raiyo le côtoyait, mais un regard de la part de la sabreuse le fit taire. L'adolescent de la foudre avait remarqué que son nouvel ami était un casse-cou chevronné, qui n'hésitait pas à faire de l'humour pour détendre l'atmosphère. Cependant, il arrivait que son humour dépasse la tolérance des autres et le rouquin avait déjà dû détaler après que l'une de ses blagues ait fait passé par dessus bord Sonia. Crachotante et ruisselante, la marchande avait essayé de se jeter sur lui lorsqu'elle était remontée à bord du navire alors qu'il se roulait par terre tant la vision de la femme trempée l'amusait. Perdu dans ses pensées, Raiyo entendit le raclement de gorge de Zoldia, le ramenant à la réalité.
— Quant à toi, Raiyo, c'est l'inverse. Tu es beaucoup trop mécanique dans tes coups. Ton style est prévisible et Hono, qui n'est pas spécialement un expert, arrive à s'habituer à tes attaques en moins de deux minutes pour s'accorder avec toi. C'est bon signe pour votre esprit d'équipe mais cela m'inquiète lorsque tu auras à faire à des adversaires suffisamment intelligents et endurants pour faire durer le combat et apprendre de toi. Nous verrons cela demain mais, pour le moment, reposez-vous, vous l'avez bien mérité.
Et sur ces mots, elle retourna voir un autre groupe. Kobura s'assit entre les deux adolescents et les laissa souffler quelques minutes. Cependant, au bout de ce temps, il prit la parole.
— Bien, et maintenant, nous allons entraîner vos pouvoirs.
Sa phrase ne sembla pas surprendre Hono qui se redressa immédiatement pour s'asseoir en tailleur. Curieux, Raiyo allait l'imiter mais l'homme l'arrêta d'un geste de la main.
— Hono sait ce qu'il doit faire mais ce n'est pas ton cas. D'abord, j'aimerais que nous ayons une petite discussion mais pour cela, j'ai besoin que tu me fasses totalement confiance.
— Pour le moment, je ne peux pas encore te faire confiance car j'ai beaucoup trop de questions à ton sujet, Kobura.
La réponse directe de l'adolescente avait pu énerver l'homme mais, si cela avait été le cas, il ne laissa rien paraître.
— Aucun souci, cela se comprend. Alors discutons simplement pour apprendre à nous connaître. Je te laisse me poser une question et, ensuite, je t'en poserai une. Nous le ferons jusqu'à ce que l'un d'entre nous ne veuille plus répondre. Qu'en dis tu ? Je te laisse en plus la main et je m'engage à répondre à ta première question, en gage de ma bonne foi.
— Ça me va, indiqua Raiyo. Alors, dans ce cas là, je voudrais savoir comment es-tu au courant des armes divines et de nos pouvoirs ?
— Moi qui m'attendait à une question complexe, je suis presque déçu, s'amusa Kobura. La réponse est simple.
Et sur ces mots, il fit apparaître de l'électricité entre ses mains. Surpris, l'adolescent releva la tête mais un crépitement lui fit à nouveau baisser les yeux. Entre les éclairs, une flamme venait de s'allumer, rapidement entourée par un mince filet d'eau et des pierres qui vinrent former une ceinture rocheuse autour des éléments déjà présents.
— Tu... Tois aussi tu as des pouvoirs ? Mais comment est-ce possible ? murmura Raiyo, complètement subjugué par ce qu'il voyait.
— Normalement, je devais te poser une question avant mais ce n'est pas grave. Quant à répondre, je n'en ai pas besoin, tu dois le savoir au fond de toi.
Les deux hommes croisèrent leur regard et le plus jeune des deux eut un pincement au cœur, comme s'il reconnaissait un vieil ami.
— Tu es un enfant divin, laissa-t-il échapper.
— Ce n'est pas complètement vrai mais oui. J'ai été un enfant divin, il y a de cela un temps si long que je ne m'en souviens presque plus. Bien, désormais, c'est à mon tour de poser une question. Pourquoi as-tu entrepris un tel voyage ?
— C'est évident ! Parce que si je ne le faisais pas...
Et ce fut alors que Raiyo réalisa la bêtise dans laquelle il s'était enfoncé depuis son départ de son île. Fubuki l'avait entraîné à travers toute cette aventure et il ne s'était jamais vraiment demandé pourquoi il faisait cela. Il savait qu'il devait affronter Astrid à la fin de son périple mais quelle en était la raison ? Lisant en lui comme dans un livre ouvert, Kobura sourit.
— Tu ne le sais pas, n'est-ce pas ? Cela ne m'étonne pas. Lorsque tu as appris que tu étais l'élu d'une prophétie, je suis prêt à parier que, dans l'euphorie de la situation, tu t'es empressé de quitter ton village natal et t'es jeté à corps perdu dans cette quête sans même prendre le temps de te poser les bonnes questions. Pourquoi donc les enfants divins doivent-ils affronter Astrid ? Pourquoi ont-ils obtenu des pouvoirs élémentaires ? Pourquoi existent-ils des armes divines ainsi que des Saints affiliés à chacun d'entre eux ? Ne t'en fais pas, nous avons tous fait la même erreur à un moment. Nous avons suivi la volonté des dieux sans chercher à la remettre en question. Ce soir, nous en discuterons un peu plus, si tu le veux bien, avec les autres. Je vais te laisser réfléchir un petit peu à notre discussion, pour le moment.
Et sur ces mots, il se leva et s'éloigna, laissant Raiyo seul avec ses pensées. Ce dernier voulut se retourner vers Hono pour lui faire part de ses interrogations mais l'adolescent aux cheveux roux était en pleine méditation, complètement hermétique à ce qu'il se passait autour de lui. Ennuyé, l'enfant divin de la foudre voulut fermer les yeux pour mieux réfléchir mais des bruits de pas lui indiquèrent que quelqu'un s'approchait. Il ouvrit les paupières et fut surpris de voir Rubia, Saphira, Zoldia et Asura devant lui.
— Je peux faire quelque chose pour vous ? leur demanda-t-il, étonné de les voir tous présents.
— Nous ne sommes pas venus pour quérir ton aide, mais, au contraire, t'apporter notre aide, répondit Asura en poussant doucement les jumelles vers lui.
— Que veux-tu dire ?
— D'après Zoldia et Asura, nous sommes capables de te transmettre une connaissance que tu ignores, expliqua la petite fille à la mèche rouge.
— Nous ne savons pas encore comment faire mais selon eux, nous le ferons inconsciemment. En revanche, nous voulons te demander la permission avant de tenter quoique ce soit, poursuivit sa sœur.
— Qu'est-ce que c'est ? les questionna-t-il.
— Malheureusement, même moi qui l'ai déjà réalisé avec Hono, je ne pourrais te le dire. Cela est propre à chaque combinaison de Saint et d'enfant divin, d'après Kobura, précisa le Saint du feu. Mais je peux t'assurer que cela ne peut être que bénéfique.
— Vous êtes les Saintes de la foudre, celles désignées pour me montrer le chemin à entreprendre. Je ne peux que vous faire confiance, répondit calmement l'adolescent en se tournant vers Rubia et Saphira. Allez-y ! Je m'en remets à vous.
Les deux filles déglutirent et relevèrent la tête en direction des deux autres Saints.
— Comme je te l'ai dit, je l'ai déjà fait avec Hono et il ne s'est rien passé de plus que ce qui était prévu, leur indiqua Asura.
— De mon côté, je n'ai pas encore eu l'occasion de l'exécuter avec Fubuki car elle ne me fait pas confiance. Mais je suis certaine que personne ne risque rien, enchérit Zoldia d'un ton calme se voulant rassurant.
Prenant leur courage à deux mains, les jumelles s'assirent de part et d'autre de Raiyo et prirent chacune une de ses mains. Elles fermèrent les yeux et le garçon les imita, se détendant afin de ne pas compliquer ce que voulait faire les enfants.
Sous eux, la guerrière et le colosse observèrent une pendule apparaître sous leurs compagnons. L'aiguille se mit alors à tourner dans le sens horaire à toute vitesse et les deux filles ouvrirent les paupières. Seulement, à la place de leurs pupilles, des horloges ornaient désormais leurs globes oculaires. Elles se mirent toutes les deux à psalmodier, murmurant pour ne pas attirer l'attention des marins se trouvant plus loin. Heureusement pour elles, Asura et Zoldia occultaient leur vue, permettant aux jumelles de ne pas trahir leurs pouvoirs.
Ô dame Vinvelim Neram, déesse du temps et de l'espace nous ayant accordée une fraction de tes pouvoirs, permet nous d'aider l'enfant divin sous notre juridiction. Prête nous la puissance d'altérer le cours du temps et accorde-lui le temps dont il a besoin pour s'éveiller. Dérèglement temporel !
L'aiguille sous eux se figea et le cadran se mit à rétrécir avant de se soulever du sol pour venir orner le torse de Raiyo.
Ce dernier, ignorant ce qu'il se passait à l'extérieur, venait de gagner son monde intérieur. Cependant, alors que d'ordinaire Camolauss l'attendait toujours à l'endroit où il apparaissait, il était pour la première fois seul. De plus, ce n'était pas la seule chose qui avait changé dans la prairie. En effet, les fleurs avaient tant poussé qu'elles atteignaient ses hanches. Leurs pétales fermées, elles semblaient frémir, comme si elles se retenaient d'expulser ce qu'elle contenait.
Curieux, le jeune homme en effleurant une et sursauta lorsqu'une silhouette se forma devant lui et abattit son sabre sur lui. Par réflexe, le garçon voulut se protéger mais la lame le traversa sans lui infliger le moindre mal. Un peu désemparé, Raiyo releva la tête et aperçut que l'apparition représentait un homme qu'il ne connaissait pas. Cependant, un détail attira l'attention de l'adolescent. Entre ses mains, il tenait le sabre de la foudre.
— Se pourrait-il qu'il soit l'un de mes prédécesseurs ? se questionna le jeune homme à voix basse.
Tout à ses pensées, il ne fit pas attention que sa main se refermait elle-même sur la garde de son arme. Il lui fallut quelques secondes avant de se rendre compte de la présence de la lame entre ses doigts. Réagissant plus que agissant de son propre chef, l'enfant divin reproduisit le geste de la silhouette fantomatique. La pointe aiguisée du sabre vint toucher une autre fleur, libérant son contenu. De nouveau, une apparition surgit des entrailles du végétal et réalisa un nouveau mouvement. Surpris, le jeune homme l'imita et, une fois de plus, son arme toucha des pétales. Chacun de ses gestes en révélait un autre, créant une sorte de chaîne que le garçon reproduisait pas à pas. Il enchaîna frappe sur frappe, passant de l'estoc à la taillade, rengainant parfois pour exécuter une attaque dégainée. Il ne fit pas attention au début mais plus il suivait les silhouettes, plus ces dernières semblaient devenir concrètes, plus détaillées qu'auparavant.
Alors qu'il effectuait un nouveau mouvement, une bête jaillit de la fleur qu'il venait de trancher et se mit à bondir autour de lui. Perturbé, Raiyo interrompit ses déplacements et, aussitôt, la plaine disparut, le ramenant à la réalité avec brutalité.
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