Chapitre 14 : Rencontre à Glar

Petit port s'étendant en ligne sur le sable fin, le village de Glar offrait son plus beau paysage aux voyageurs. Les habitants de la bourgade avaient érigé des palissades de bois avec des rangées de pieu devant afin de dissuader d'éventuels monstres de s'en prendre à leurs habitations. Ces dernières, faites d'un mélange de pierre et de bois, semblaient résister à la houle puissante qui soufflait sur la région. Depuis la butte d'où ils observaient la ville, ils pouvaient apercevoir un immense navire amarré à l'un des pontons.

— Ce doit être le navire que nous devons emprunter ! s'exclama Sonia.

— Je m'en vois navré de devoir vous le dire ainsi, mais je préfère attendre que vous ayez demandé quand ce vaisseau partira pour vous rejoindre, dit sombrement Genkaï. Je vous attendrai ici.

— Je vais rester avec toi, s'exclama Kyoseï qui avait fini par nouer une amitié solide avec le colosse à force de s'entraîner avec lui.

— Alors, moi aussi, je reste, enchérit Len.

— Dans ce cas, je vais vous imiter, conclut Zoldia. Les autres, accompagnez Sonia et revenez nous chercher si jamais il est déjà sur le départ. Sinon, nous vous attendrons ici pour dormir ce soir.

La marchande se plaignit qu'ils pouvaient tous dormir à l'auberge mais, devant le regard inquisiteur de la guerrière, elle se tut. Ce geste énerva encore plus Fubuki qui ne pouvait supporter le caractère dirigeant de sa Sainte et elle s'enferma encore un peu plus dans le mutisme qu'elle opposait désormais à l'escrimeuse.

Soupirant devant le comportement infantile de son amie d'enfance, Raiyo prit cependant les rênes de l'un des steguabres et commença à diriger la charrette vers le village de Glar. L'enfant divin de la glace l'imita et, en compagnie de Sonia et des jumelles, ils finirent par arriver à la porte où des sentinelles les fouillèrent avant de les laisser entrer. Ils traversèrent la petite bourgade sans rencontrer de problèmes, se faisant simplement observer par les villageois curieux. Ils finirent par atteindre le port et, tandis que Sonia négociait avec le capitaine pour qu'elle et son escorte puissent embarquer, les deux adolescents se retrouvèrent seuls, les petites préférant les laisser régler leurs problèmes.

Au bout d'une minute de silence, Fubuki finit par regarder son ami. Ce dernier lui lançait parfois des regards en coin, ce qui avait le don de l'agacer plus que de raison.

— Bon, qu'est-ce que tu as à me dire ?

— Rien, j'attendais plutôt que tu me parles.

— Pourquoi donc ? s'impatienta la jeune femme.

— Et bien, j'espérais que tu t'excuses pour les paroles que tu as dites il y a trois semaines, lui répondit froidement le garçon.

— Oh, ça va, ne sois pas rancunier. En plus, je te rappelle que nous étions sous le joug du pouvoir du Saint du feu, alors ce n'était pas ma faute.

— Tu sembles oublier que cela n'est qu'une théorie et que nous n'avons aucune preuve pour le moment. Et souviens-toi que, moi, je me suis excusé malgré tout. Alors je ne vois pas pourquoi tu ne le ferais pas.

— Excuse-moi, si c'est tout ce qu'il te faut. Tu réagis vraiment comme un gamin, c'est incroyable.

— Tu veux dire comme toi lorsque tu parles avec Zoldia ? ricana l'adolescent.

Aussitôt, il vit le visage de sa camarade se déformer sous l'effet de la colère et il la vit armer sa main. Cependant, au même moment, Camolauss venait de le prévenir. Une puissante énergie venait d'exploser, provenant de l'endroit où se trouvaient ses amis restés en arrière. Évitant sans difficultés la gifle de Fubuki, il se précipita en direction de la source, plantant son amie sur place, et, en moins de deux minutes, il atteignait sa destination.

Devant ses yeux, Zoldia tenait fermement son sabre, faisant barrage de son corps afin de protéger Len face à une silhouette encapuchonnée. Une deuxième forme, plus massive, semblait aux prises avec Genkaï. Ce dernier, les traits défigurés par une rage immense, essayait d'écraser son adversaire par sa force mais il semblait que son opposant était tout aussi puissant que lui. Raiyo allait chercher du regard Kyoseï lorsqu'un avertissement de son arme le fit se baisser, évitant de justesse un troisième ennemi. Le nouvel arrivant se débarrassa rapidement de son accoutrement qui semblait gêner ses mouvements et l'enfant divin sursauta.

Celui qui venait de l'attaquer n'était pas plus âgé que lui. Il possédait des cheveux roux coiffés en pointes sur le dessus, retenus par un bandeau blanc qui accentuait l'éclat orangé de ses iris. Cette image lui rappela quelque chose mais ce fut lorsqu'il se mit en position pour combattre que l'adolescent le reconnut.

— Hono, je présume ?

— Heureux que tu m'aies reconnu malgré le fait que l'on ne se soit vu que quelques minutes durant ce tournoi, ricana l'interpellé en arborant un sourire narquois. Que dirais-tu de poursuivre notre petit combat ?

— Je ne crois pas que tu aies le temps de t'occuper de lui ! rugit une voix provenant de sa gauche.

Kyoseï jaillit de derrière un arbre et asséna un coup d'estoc. Sa rapière manqua de peu l'épaule de sa cible qui venait de dévier la lame avec sa paume recouverte de cuir. Profitant que l'arme de son adversaire était désormais inutile à cause de leur proximité, Hono essaya de frapper l'orphelin avec son autre poing mais le genou de son ennemi vint frapper ses phalanges, lui arrachant une grimace de douleur. Rompant rapidement le contact, le rouquin bondit en arrière et secoua sa main endolorie.

— Je vois que tu as appris deux-trois trucs depuis la dernière fois. Mais je me moque de toi, je veux simplement affronter Raiyo. Alors va jouer ailleurs, faiblard, avant que je ne m'énerve.

Kyoseï allait répondre lorsqu'un craquement retentit. Tous se tournèrent en direction de Genkaï qui venait de s'effondrer, la mâchoire brisée après avoir reçu un uppercut de son adversaire. Raiyo voulut se jeter sur lui mais une nouvelle explosion d'énergie les cloua tous au sol, y compris Hono et l'agresseur de l'enfant divin de la terre. Seule Zoldia réussit à résister à l'aura oppressante de son ennemi. Ce dernier leva les mains pour montrer qu'il ne voulait pas lui faire du mal et il arrêta la déferlante de son pouvoir.

— Excusez-moi d'en être arrivés là mais je ne voulais pas que notre petite bagarre prenne des proportions immenses. De plus, je voudrais m'excuser de l'affront que vous a fait mon camarade en assommant le vôtre. Me permettrez-vous de soigner Genkaï pour vous prouver ma bonne foi ? demanda la silhouette encapuchonnée d'une voix masculine.

La Sainte de la glace parut hésiter mais acquiesça. Il la remercia et s'approcha de l'enfant divin de la terre. Il le toucha et aussitôt, les blessures du colosse se résorbèrent, comme si elles n'avaient jamais existé.

— Bien, maintenant que nous nous sommes tous calmés, peut-être pourrions-nous discuter ? proposa l'homme.

— Dévoilez d'abord votre visage, ordonna Zoldia, encore sur ses gardes.

— Si vous y tenez. Asura, faisons-le !

Les deux personnes encore vêtus de leurs capes de voyage retirèrent leurs capuchons et Raiyo entendit clairement un grognement provenant de son esprit.

— Maître, ne faîtes à aucun moment confiance au plus petit des deux. C'est Kobura, celui dont je vous ai parlé lorsque vous m'avez récupéré, l'avertit Camolauss.

L'adolescent regarda plus en détails ce soi-disant ennemi et frémit. Possédant des cheveux blancs courts coiffés en bataille, l'inconnu avait une peau blanche, à l'exception de la partie droite de son visage. Cette dernière semblait ravager par un étrange mal qui colorait son épiderme en noir et son œil en rouge. Seul son iris brillait d'une lueur dorée étrange qui captiva pendant quelques instants l'enfant divin. Il semblait jeune mais, dans sa pupille noire, un éclat de sagacité semblait luire, lui donnant quelques années de plus.

À ses côtés, Asura, le plus colossal des trois nouveaux arrivants, avait l'air d'être à peine plus vieux que Genkaï. Il possédait une peau cuivrée, avec une coiffure similaire à celle de Kobura. Cependant, il ne portait aucun stigmate sur sa peau. En revanche, ses yeux, entièrement blancs, firent froid dans le dos de Raiyo. Il se sentit comme happé par une violente rage lorsqu'il croisa l'étrange regard. Alerté par un sens inconnu, l'aveugle tourna sa tête vers le porteur de l'arme divine et inclina la tête. Aussitôt, l'émotion naissante disparut.

— Bien, et maintenant, nous pouvons parler ? demanda paisiblement Kobura qui semblait diriger l'étrange trio.

— Que nous voulez-vous ? répliqua Zoldia.

— A vous, rien. Nous souhaitons simplement prendre le bateau pour l'île d'Ambryn. Je vous rappelle que c'est Genkaï qui nous a attaqué le premier.

— A d'autres. Votre camarade dégage une aura qui amplifie la colère des gens, rétorqua Kyoseï. Nous savons très bien que cet Asura est le Saint du feu alors vous ne nous la ferez pas à l'envers.

— Malheureusement, je suis incapable de maîtriser complètement mon pouvoir, s'excusa l'interpellé. Seulement, il n'est pas censé rendre fou de rage les gens, seulement, comme vous l'avez dit, amplifier leur colère. Je ne comprends donc pas pourquoi votre ami m'a attaqué.

— Alors nous vous devons des excuses, répondit Raiyo. Il était énervé depuis que nous approchions de Glar. Cela a dû être la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

— Excuses acceptées, s'amusa Kobura en se passant la main dans les cheveux. Maintenant, si vous voulez bien nous excuser, nous avons un bateau à prendre.

— Qui êtes-vous exactement ?

La question venait de Len. Le petit garçon, terrorisé, se cachait derrière Zoldia. Lorsque l'attention du trio se porta sur lui, il tressaillit mais réussit à ne pas baisser le regard.

— Je ne vois pas pourquoi nous te répondrions, petit, lui répondit Hono.

— Non, vous, on sait que vous êtes l'enfant divin du feu et le monsieur à la peau cuivré, c'est le Saint du feu. Mais, vous, monsieur Kobura, nous savons juste que vous avez été maudit par Astrid.

— En quoi cela t'intéresse-t-il ? demanda l'homme, sa voix un brin menaçante.

— Je ne pense pas que Hono soit capable de raser la forêt. Donc, je pense que vous êtes celui qui nous a sauvé la vie lorsque nous avons rencontré Raiyo et ses amis. Je vous remercie donc pour votre geste mais j'aimerais en apprendre plus sur mon bienfaiteur.

Sa déclaration sembla couper l'herbe sous le pied de Kobura qui fit volte-face, un étrange sourire au visage.

— Mon histoire est un peu longue mais, si vous voulez, nous pourrions en parler en chemin vers le temple du feu. Après tout, si vous êtes ici, c'est pour vous rendre aussi sur l'île d'Ambryn. Je ne sais pas pourquoi vous voulez y aller si vous savez que l'enfant divin et le Saint du feu sont à mes côtés mais bon, comme on dit, plus on est de fous, plus on rit. Qu'en dîtes-vous ?

Raiyo s'apprêtait à accepter mais Camolauss l'en empêcha.

— Maître, je vous en prie, ne voyagez pas avec cet homme. Il est dangereux. À tout moment, il risque de vous trahir.

L'adolescent voulut lui répondre mais Zoldia fut plus rapide.

— J'accepte. Cependant, j'ai une condition. Me laisseriez-vous discuter seul à seul avec Hono et Asura d'abord ?

— Je ne vois pas bien pourquoi vous voulez faire ça mais du moment qu'ils sont d'accord, cela me va.

— Que nous veux-tu ? demanda le rouquin.

— Simplement te poser des questions. Libre à toi de me répondre ou pas.

Hono et Asura échangèrent un regard puis, un par un, ils s'écartèrent du groupe. Au bout de dix minutes, la guerrière indiqua à Kobura qu'elle était d'accord pour voyager avec eux. Ce fut alors que l'homme pivota vers Raiyo, le faisant frémir.

— Et toi, Raiyo ? Es-tu d'accord ?

— Je ne vous fais pas confiance. En revanche, je fais confiance à Zoldia.

— Je t'ai demandé ton avis à toi, pas celui de ton arme divine.

Sa phrase fit sursauter le garçon qui ne s'y attendait pas.

— Comment... commença-t-il.

— Je le sais ? le coupa Kobura. Je sais très bien que Camolauss ne me porte pas dans son cœur. Cependant, il n'a pas à t'imposer sa volonté. Si tu es d'accord, il n'a en aucun cas le droit de t'obliger à me détester. Après tout, je t'ai sauvé la vie, à toi et à tes amis, lorsqu'il était possédé par la malédiction de la mélancolie. Donc, j'aimerais que tu ne me juges pas avant d'apprendre à me connaître, s'il te plaît. Surtout que, si tu commences à laisser faire ton arme, elle finira par te contrôler.

Raiyo haussa un sourcil et réfléchit. En effet, il jugeait cet inconnu à partir des émotions de son arme divine, ce qui ne lui ressemblait pas. Depuis tout petit, il était du genre à expérimenter lui-même quelque chose plutôt que de croire aveuglément l'avis des autres. Dans son for intérieur, il sentit que cette idée ne plaisait pas à Camolauss mais ce dernier se tut, ne voulant pas donner raison à Kobura.

Après quelques secondes de réflexion, l'enfant divin soupira.

— J'accepte votre proposition afin de me faire un avis sur vous. Mais cela ne veut pas dire que je vous fais confiance.

L'homme parut satisfait de cette réponse et il lui tendit la main. Raiyo accepta son geste et ils descendirent ensuite tous ensemble vers le bateau où les attendaient leurs amies. Asura avait quitté sa cape de voyage et avait habillé Genkaï avec, dissimulant ses traits sous le capuchon. Ensuite, il avait porté le colosse sans réellement pâtir de son poids. Tandis qu'ils marchaient en direction du port, l'enfant divin de la foudre ressentit le poids d'un regard sur ses épaules et tourna la tête, rencontrant les yeux de Hono.

— Un problème ? demanda-t-il, un peu gêné.

— Après notre passage au temple où nous récupérerons mon arme, j'aimerais que nous nous affrontions tous les deux. Sans retenue.

— Pourquoi ?

— Je veux savoir si je suis plus fort que toi, c'est tout.

— Si tu y tiens tant que ça, je veux bien, du moment que nous nous mettons d'accord pour ne pas nous entre-tuer et ne pas mettre en danger les autres.

Les conditions semblèrent plaire au rouquin, qui hocha la tête. Aussitôt, il sembla se détendre et, croisant les bras derrière sa tête, il commença à engager une discussion parfaitement banale avec celui qu'il semblait voir comme un rival. Cela désarçonna un peu l'enfant divin de la foudre qui finit par apprécier cet échange.

Hono semblait du genre comique, lui demandant d'où il venait et comment il avait réagi lorsqu'il avait appris qu'il était un élu de la prophétie. Cette conversation soulagea énormément Raiyo qui ne s'était pas rendu compte qu'il n'avait jamais encore échangé avec un garçon de son âge ainsi. Il y avait bien Genkaï et Kyoseï. Cependant, le premier parlait de manière si étrange et était tant au petit soin qu'il sonnait parfois faux, comme s'il mentait pour se faire apprécier, et le deuxième ne partageait pas ce destin pesant d'élu.

Alors que l'enfant divin de la foudre voulait interroger son nouveau compagnon de voyage, ils arrivèrent au ponton où les attendaient leurs amies.

Il lança un regard en direction de Fubuki mais en voyant son air renfrogné, il comprit qu'il ferait mieux de se faire discret pendant quelque temps. Aussitôt, la colère monta en lui et il sentit une main se poser sur son épaule. L'émotion sembla disparaître aussi vite qu'elle était montée. Surpris, l'adolescent tourna la tête et reconnut la peau cuivrée d'Asura.

— Je ne sais pas si c'est de mon fait, mais, tout comme je fais monter la colère chez les gens, je peux leur retirer, lui souffla-t-il à l'oreille.

Reconnaissant, il adressa un remerciement d'un mouvement de tête, faisant sursauter son amie d'enfance. Elle ne comprenait pas pourquoi Raiyo revenait encore avec des inconnus et commença à grommeler lorsqu'elle vit Kobura demander que lui et ses compagnons les accompagnent pour la traversée. Elle voulut intervenir mais Zoldia la coupa dans son élan, répondant pour le groupe. Frustré, l'enfant divin de la glace se mura dans un silence, défiant toute personne de lui adresser la parole.

Ils embarquèrent donc sur le navire nommé « Céleste » et ils se répartirent les différents hamacs que le capitaine leur proposa. Tandis qu'ils choisissaient leurs couchettes, Fubuki, ruminant ses pensées, ne fit pas attention à ce qu'il se passait autour d'elle et perdit l'équilibre. Elle voulut se rattraper mais ses doigts ne trouvèrent rien. En revanche, des bras l'entourèrent par derrière et stoppèrent sa chute. Amusée, elle allait remercier Raiyo mais fut complètement prise au dépourvu lorsqu'elle croisa les yeux orangés de Hono.

— Tout va bien, Fubuki ? lui demanda-t-il.

L'adolescente allait répondre mais une étrange sensation parcourut son corps. Ce dernier, habituellement froid à cause de ses pouvoirs, se réchauffa délicatement, la chaleur se propageant dans tout son être. L'émotion, parfaitement inconnue pour la jeune femme, fut si déconcertante qu'elle en perdit la voix. Elle baissa les yeux et finit par murmurer un vague remerciement avant de s'enfuir, les joues en feu.

Mais qu'est-ce qui vient de m'arriver ?

Alors qu'elle marchait à toute vitesse, elle ne prêta pas attention à ce qu'il se passait autour d'elle. Elle ne vit donc pas Kobura l'observer avec intérêt, un sourire énigmatique sur le visage.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top