Chapitre 13 : Sainte, maîtresse d'arme et entraîneuse
Tous les membres de leurs groupes, à l'exception de Sonia et des orphelins, sursautèrent. Heureusement, la marchande ne sembla pas remarquer leur réaction. Ils tournèrent la tête vers Genkaï, d'où provenait l'aura déferlante. Comprenant qu'ils indisposaient les autres, le colosse ferma les yeux et se concentra. Aussitôt, sa puissance diminua jusqu'à disparaître, permettant aux jumelles de reprendre leur souffle, momentanément bloqué par l'énergie tant cette dernière était lourde.
Raiyo accéléra pour se retrouver aux côtés de son ami et lui souffla à voix basse :
— Tout va bien ?
L'enfant divin de la terre grommela un peu dans sa barbe et finit par baisser les épaules.
— Je te prie de m'excuser, je n'aurais pas dû lâcher les rênes de ma force ainsi. Pardonne-moi d'avoir déclenché un tel trouble chez nos camarades.
— Ce n'est rien, tu n'as pas à t'excuser. Mais j'aimerais bien savoir ce qu'il t'arrive. Ce matin, tu as perdu le contrôle durant ta méditation et tu viens de recommencer. Quelque chose ne va pas ?
— Auparavant, j'eus perdu mon contrôle en pensant à mon village natal et, en entendant Dame Sonia prononcer son palabre, je n'ai pas su me maîtriser.
— Tu es originaire de Glar ? C'est une bonne nouvelle alors.
— Ce n'en est point une, je te l'assure. Je fus banni de cette bourgade à cause de mes pouvoirs élémentaires. Si nous nous rendons en ces lieux, nous devons impérativement nous faire discrets, mon ami, sinon, le dirigeant fera tout son possible pour nous évincer.
Et sur ces mots, il accéléra le pas, distançant le jeune homme. Comprenant qu'il souhaitait être seul, Raiyo freina son allure pour retrouver sa place dans la formation. Il aperçut Kyoseï, de l'autre côté de la calèche, lui demander, par signe, si tout allait bien. Se sachant observé par les autres, il lui répondit par l'affirmative, ne voulant pas les inquiéter davantage. Tandis qu'ils marchaient, il écouta la conversation qu'échangeait Len avec Sonia.
— Zereort a été détruit par quoi ?
— D'après ce que j'ai entendu, des cristaux sont subitement apparus du sol et ont détruit toutes les habitations. Les villageois ont cherché refuge vers la mer mais nombres d'entre eux ont été pris au piège par le cristal.
— Comment sais-tu tout cela ? intervint Zoldia, marchant derrière Kyoseï.
— Durant les festivités, j'ai croisé un des rescapés de la catastrophe. Nous devions à la base faire affaires ensemble mais il ne pouvait rien me vendre. Il avait tout perdu durant l'attaque.
— Et bien, c'est un sacré coup de chance que nous t'ayons rencontré, commenta la guerrière en lançant un regard à Fubuki, assise avec les enfants sur la charrette.
Cette dernière ne fit aucune réflexion mais elle ruminait intérieurement. Depuis qu'ils avaient rencontré Sonia, l'escrimeuse ne cessait de lui adresser ce genre de gestes mais ne lui disait rien. Cela avait le don de l'agacer au plus haut point et, comme elle n'aimait pas spécialement la femme aux cheveux de sang, elle se décida à ignorer ses regards. Zoldia s'en rendit compte mais ne broncha pas, ajoutant à la colère de l'enfant divin. Ce manège n'échappa pas aux jumelles qui soupirèrent.
— Ne devrions-nous pas intervenir ? chuchota Rubia à sa jumelle.
— Je ne sais pas, lui répondit discrètement Saphira. Je crains que, en nous immisçant dans leur relation, nous ne fassions que l'empirer. De plus, j'aimerai en parler à Raiyo mais il a ses propres problèmes...
— Tu as raison, ne lui rajoutons pas plus de poids sur les épaules.
— De quoi vous parlez ?
Len, s'étant rendu compte des messes basses des petites filles, venait de les interrompre. Prises au dépourvu, les deux sœurs se regardèrent et inventèrent rapidement un mensonge.
— Nous nous demandions simplement à quoi ressemblait le port de Zereort avant d'être détruit.
— Tu y es déjà allée, Sonia ?
La marchande répondit par l'affirmative et, ravie de pouvoir partager son expérience, leur décrivit la ville portuaire. Ils discutèrent ainsi pendant quelques heures, progressant sur la route commerciale menant au village de Glar. Ils rencontrèrent peu de personnes durant leur voyage et, le soir, ils firent une halte sur le bord du passage, les steguabres tirant la charrette de Sonia paissant paisiblement près d'un cours d'eau. Len, qui n'avait jamais vu pareille monture, s'approcha d'eux et les détailla. Ressemblant à des stégosaures possédant des sabots à la place de doigts sur leurs pattes arrières, leur cuir blanc était entièrement zébré de rayures verdâtres, remontant même sur leur collerette rappelant une nageoire dorsale de poisson. Il avait une tête proche de celle d'un cheval, à l'exception que leurs lèvres étaient renforcées, formant comme un bec rigide et arrondi.
Le petit garçon approcha sa main et lorsqu'il la posa contre la peau de l'animal, ce dernier leva la tête à son encontre et vint lui lécher affectueusement le visage. L'enfant éclata de rire et câlina les deux créatures, rapidement aidé par Genkaï et les jumelles. Sonia s'occupa d'allumer le feu tandis que Zoldia entraîna les trois derniers membres du groupe à l'écart de leur campement.
— Qu'est-ce que tu nous veux ? demanda froidement Fubuki.
— Je vais vous donner des exercices à faire, pour votre entraînement, indiqua l'escrimeuse, consciencieuse dans son rôle d'entraîneuse. Vous les ferez à chaque fois que nous nous arrêterons.
— Je ne vois pas en quoi tu pourrais m'aider, rétorqua l'enfant divin de la glace. Je me bats avec une lance et tu n'y connais rien.
Comme simple réponse, la guerrière tendit la main, lui montrant son arme. Orgueilleuse, l'adolescente la lui donna. D'un signe de tête, Zoldia invita les deux garçons à lui faire face en même temps. Surpris, Raiyo et Kyoseï hésitèrent un peu mais ils finirent par se lancer à l'assaut de la femme.
En moins de vingt secondes, ils étaient déjà par terre, mordant la poussière. Estomaquée, Fubuki regarda la Sainte s'approcher d'elle.
— Alors, convaincue ? lui demanda-t-elle calmement en lui rendant sa lance.
Aucune raillerie ou moquerie ne se fit entendre dans sa voix. Cette absence totale d'émotion déstabilisa l'enfant divin qui se contenta de reprendre son arme.
— Bien, maintenant que ce désagrément est réglé, voici mes consignes. Raiyo, je vais te demander d'utiliser un maximum la technique que tu as employé sur moi, celle qui rend tes yeux dorés. J'ai l'impression que tu ne la maîtrise pas encore complètement et il serait bête que tu perdes le contrôle comme tu l'as fait durant notre combat.
— Très bien, répondit le jeune homme en se relevant.
— Kyoseï, toi, il me semble que tu hésites encore. Je ne sais pas pourquoi tu bloques mais, durant le tournoi, j'ai vu que tu semblais maîtriser un style. Alors développe ce style au lieu de chercher autre chose. Il est bien plus naturel que les gesticulations que tu effectues la plupart du temps.
L'orphelin ne répondit rien mais son ami aperçut dans ses yeux verts une lueur d'agacement. Cependant, il ne semblait pas la diriger envers l'escrimeuse mais plutôt envers lui-même.
— Enfin, Fubuki, tu combattras contre moi avec Genkaï. Nous ferons cela une fois les petits couchés.
Ils rejoignirent les autres et, une fois les plus jeunes endormis et après avoir expliqué à Sonia qu'ils allaient s'entraîner, lui demandant de veiller sur les enfants, ils s'éloignèrent du camp, se dissimulant derrière une pente afin que la marchande ne puisse les voir. Tandis que ceux qui avaient leurs consignes s'exécutaient, les enfants divins de la glace et de la terre firent face à Zoldia.
— Si jamais je frappe deux fois le sol de mon sabre en levant ma main gauche, annulez immédiatement vos pouvoirs, indiqua cette dernière en leur faisant une démonstration. Cela veut dire que quelqu'un nous observe.
— Êtes-vous sûre que ce n'est point risqué pour vous de nous affronter en même temps ? s'inquiéta Genkaï.
— Raiyo n'a pu me tenir tête qu'en utilisant le plein potentiel de son sabre. Alors, ne t'en fais pas pour moi et combat simplement.
Tout de même peu à l'aise à l'idée d'attaquer l'escrimeuse, le colosse attrapa maladroitement sa hache à double tranchant et frappa en se retenant. Quelle ne fut pas sa surprise en sentant son arme lui échapper subitement des mains. Il baissa les yeux mais un violent coup sous le menton le fit tomber à la renverse, manquant d'écraser Fubuki qui se tenait derrière lui. Heureusement pour elle, l'adolescente eut le réflexe de rouler et, plongeant sa main dans le ruisseau, elle éclaboussa l'air en direction de Zoldia.
Par ma voix je te convoque ! Froid mordant qui invite la neige, devient les serres de ma fureur. Aigles de glace !
Aussitôt, les gouttes d'eau gelèrent, formant de minuscules aigles de glace qui foncèrent sur la guerrière. Cette dernière, se contentant simplement de se décaler, évita sans problème l'attaque. Mais l'enfant divin n'avait pas dit son dernier mot. Puisant dans son énergie, elle intima à ses créations de s'animer à nouveau et leur fit opérer un demi-tour, fonçant dans le dos de l'escrimeuse. Cette dernière allait esquiver à nouveau lorsqu'elle sentit une force la clouer au sol.
Par ma voix je te convoque ! Terre meuble, recouvre les membres de ma cible. Étreinte de boue !
Le sol s'était soulevé et, formant des mains, il avait saisi les chevilles de Zoldia, l'immobilisant.
— Prends ça ! s'exclama Fubuki, heureuse de voir ses projectiles s'apprêter à toucher sa cible.
Cependant, cette dernière, gardant son sabre dans sa ceinture, appuya simplement sur la garde de son arme. L'objet se redressa et percuta l'un des quatre aigles qui dévia sa course pour se briser sur les trois autres, bloquant net l'attaque. Abasourdie, l'adolescente ne se rendit pas compte tout de suite que, usant de sa force, leur entraîneuse venait de se libérer de ses entraves. En un bond, elle était déjà sur elle, sa jambe prête à s'abattre sur elle. Heureusement pour l'enfant divin de la glace, son camarade intervint et bloqua le coup avec le manche de sa hache. Il voulut repousser en arrière son adversaire mais ce dernier, utilisant sa garde comme d'un appui, leva son autre pied, percutant à nouveau son menton.
Le choc de l'attaque fit reprendre conscience à Fubuki qui grogna de mécontentement. Se servant du fait que Genkaï était resté debout malgré le coup qu'il avait reçu, elle utilisa sa lance pour essayer de piquer sa cible mais cette dernière profitait autant de la carrure du colosse qu'elle. Alors que ce dernier reprenait ses esprits, Zoldia se décida à passer aux choses sérieuses. Elle crocheta la jambe du garçon et, du bout de son fourreau, elle le fit tomber sur l'adolescente qui ne s'y attendait pas.
Tandis qu'ils se relevaient, l'escrimeuse leur fit un compte rendu sur ce qu'elle avait analysé.
— Genkaï, tu es trop prévisible. Dès l'instant que tu affrontes un adversaire qui semble vulnérable, tu ne donnes pas tout. De plus, tu essaies toujours de protéger tes camarades. C'est une bonne chose mais évite d'utiliser ton corps comme bouclier. Un ennemi pourrait utiliser cela contre toi et t'infliger une blessure fatale qui t'empêcherait alors de défendre tes amis. Utilise plutôt ton pouvoir comme bouclier et réserve tes forces physiques pour l'offensive. Va voir Kyoseï et, en utilisant des branches, entraînez-vous respectivement à combattre ainsi, lui avec son style et toi avec ce que je viens de te dire.
L'adolescent acquiesça de la tête, surpris par l'analyse parfaite de la jeune femme alors qu'ils n'avaient échangé que quelques coups. Pendant qu'il rejoignait l'orphelin, la guerrière se tourna vers Fubuki.
— Bien, maintenant, à nous deux. Il semblerait que tu utilises ton pouvoir pour créer des formes complexes. Malheureusement, cela te demande beaucoup de concentration et offre donc trop d'ouvertures à tes ennemis. L'idée des projectiles étaient bonne, je ne le conteste pas, mais tu aurais dû créer de simples pics de glace. Ensuite, tu ne sais pas manier la lance.
Cette remarque fit grimacer l'adolescente qui manqua de répondre. Cependant, le regard inquisiteur de la guerrière la dissuada.
— Par-là, j'entends que tu n'as jamais vu quelqu'un utiliser une lance et tu t'es contentée d'imiter ce que tu avais compris d'un livre. Je me trompe ?
— C'est vrai... grommela l'enfant divin.
— Alors, pour commencer, donne-moi ton arme. Je vais te montrer un mouvement et tu vas le répéter jusqu'à ce qu'il dissipe tes mauvaises habitudes.
Zoldia lui montra un coup simple visant à piquer un point précis de sa cible et l'adolescente le répéta sans grande conviction. Aussitôt, elle ressentit trois douleurs fleurirent, une dans le bas de son dos, une derrière son genou et enfin une au niveau des épaules.
— Mais ça va pas ? cria-t-elle à l'encontre de la guerrière qui venait de la frapper avec une branche.
— Ce n'est absolument pas ce que je t'ai montré. Recommence et mets-y du tien.
Grommelant, Fubuki s'exécuta et reçut trois nouveaux coups aux mêmes endroits. Cela dura ainsi pendant une heure et, malgré l'envie de fuir la Sainte qui ne cessait de la hanter, l'adolescente essaya encore et encore de reproduire le geste, trop orgueilleuse pour détaler. Lorsque Zoldia lui indiqua que c'en était fini pour la soirée, elle se laissa tomber par terre, épuisée. Son corps, endolori par les coups de la guerrière, refusait de répondre.
Bravo, à cause d'elle, je suis incapable de bouger un doigt.
Aussi fut-elle complètement désemparée lorsqu'elle sentit ses blessures disparaître. Elle se redressa d'un coup, cherchant la source de sa guérison. Lorsqu'elle comprit que c'était la Sainte qui venait de la soigner, elle se remit sur ses gardes.
— Comment as-tu fait ça ?
— Les Saints sont tous capables de soigner l'enfant divin auquel nous sommes liés. Cependant, chacun à sa méthode. Pour ma part, je t'ai simplement insufflé mon énergie vitale. C'est une pratique courante dans mon village.
— Tous les membres de ton village ont des pouvoirs ? s'étonna la jeune femme.
— Non, nous sommes simplement capables de manipuler notre ki, ou énergie vitale si tu préfères. Tout le monde en est capable mais cela ne s'apprend pas facilement. Chez nous, nous pensons simplement que c'est un reste du pouvoir d'Asalia qui sommeille en chacun d'entre nous. Allez, va dormir, tu en as besoin.
S'exécutant malgré elle, Fubuki rejoignit le camp et, après avoir discrètement salué ses amis, elle s'endormit en quelques secondes, épuisée.
Le lendemain matin, après avoir pris un petit déjeuner frugal, la troupe continua sa route en direction du village de Glar. Plus ils s'approchaient de leur destination, plus Genkaï semblait sombre. Ce changement de tempérament inquiétait beaucoup Kyoseï qui se rendait bien compte que quelque chose n'allait pas, notamment durant leurs entraînements. En effet, une fois, il avait manqué se faire briser le bras après avoir demandé au colosse pourquoi il craignait de revenir à son lieu de naissance. L'enfant divin avait alors changé d'expression et le coup qu'il s'apprêtait à asséner avait fracassé le sol, propulsant l'orphelin à quelques mètres tant le choc avait été violent. Heureusement pour l'adolescent aux cheveux gris, son ami s'était instantanément calmé et s'était excusé un millier de fois.
Ce changement de comportement avait aussi interpellé Raiyo qui n'osait plus retourner en discuter avec son camarade, aux vues de la réaction qu'il avait eu la première fois. Cependant, il s'était aussi rendu compte que Genkaï n'était pas le seul à voir son attitude changée. Fubuki devenait de plus en plus irascible, frôlant parfois le ridicule tant elle se comportait comme une enfant. Une fois, notamment, elle avait refusé d'aller s'entraîner et avait fait tout une scène à Zoldia qui avait fini par se détourner d'elle, ne voulant pas la forcer si elle ne désirait pas s'améliorer. Si beaucoup n'avait rien dit et avait oublié l'incident, l'enfant divin de la foudre, lui, gardait encore en mémoire ce qu'elle lui avait dit avant qu'il n'affronte Zoldia la première fois. Il s'était excusé de son côté mais il n'avait reçu qu'un vague grommellement en retour, sans la moindre considération pour ce qu'il avait subi. Donc, en voyant son amie d'enfance se comporter ainsi, le jeune homme originaire du Léodaro avait fini par cesser de lui parler.
Depuis, l'ambiance dans le groupe était tendue, indisposant beaucoup les plus jeunes qui ne savaient pas quoi faire pour améliorer la situation. Malheureusement, rien ne semblait réellement efficace. Ce fut donc dans ce climat étouffant qu'ils voyagèrent tous pendant trois semaines. Le seul côté bénéfique de cette atmosphère avait été que tous avaient appris à faire connaissance avec Sonia, la seule n'ayant pas remarqué les disputes internes de ses protecteurs. Elle était la seule qui réussissait à leur arracher des rires durant leurs haltes, détendant les gorges nouées par les différends. Elle leur racontait de nombreuses anecdotes sur ses voyages, décrivant les différents paysages qu'elle avait vu, les faisant s'extasier sur les merveilles d'Avana. Cela permettait au moins aux plus jeunes de pouvoir s'endormir l'esprit léger.
Ce fut donc éreintés mentalement par le climat qui régnait qu'ils arrivèrent en vue du village de Glar.
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