Chapitre 1Une ombre dorée

— Attention ! Chaud devant !

Les passants s'écartèrent afin de laisser passer le garçon qui venait de hurler. Aujourd'hui, Raiyo se rendait chez Fubuki, son amie d'enfance. Tandis qu'il dévalait le chemin qui reliait sa maison au reste du village, il ne put s'empêcher de sourire.

Enfin ! Enfin, nous allons pouvoir nous rendre sur le continent !

Se glissant derrière l'étal du boulanger, il attrapa une petite brioche. Il l'avala goulûment tout en esquivant la poissonnière. Cette dernière l'invectiva de quelques jurons, déclenchant un fou rire chez le jeune homme. Pressé, il bondit au-dessus d'un muret, prenant un raccourci.

Louvoyant entre les arbres de la forêt attenante, il se jeta au sol, dérapant sous la palissade menant derrière la maison de son amie. D'un bond, il se remit sur ses pieds.

Maintenant, faisons lui payer son arrogance !

Alors qu'il reprenait son souffle, un bruit le fit sursauter. Sur ses gardes, il pivota en direction de la source sonore. Ses yeux se posèrent sur un petit garçon qui jouait dans la boue avec ses figurines pour enfant. Le reconnaissant, l'adolescent lui fit un signe discret.

— Salut Konraï, tu sais où est ta grande sœur ? chuchota-t-il à son attention.

— Juste derrière toi ! s'époumona le petit en rigolant.

Surpris, il ne comprit pas tout de suite comment il se retrouva à mordre la poussière. Une lame apparut dans son champ de vision, venant de derrière lui, et se plaça sur sa jugulaire, l'empêchant de déglutir.

— Tu n'es vraiment pas attentif, mon pauvre Raiyo, se moqua une voix féminine à son oreille.

Aussitôt, l'objet tranchant fut retiré de sous sa gorge, lui permettant de reprendre son souffle. Il se mit sur le dos et grommela en acceptant la main qu'on lui tendait. Tandis qu'il se relevait, Fubuki leva la tête pour croiser ses yeux gris. Elle y perçut un de ces étranges reflets, les mêmes qu'elle comparait à des étincelles.

Le jeune homme se secoua pour chasser la poussière qui maculait son corps. Ce geste agita sa longue chevelure blanche. Elle resta béate quelques instants, se perdant dans son regard orageux. Soudain, elle reprit ses esprits et replaça fièrement une de ses nombreuses mèches blanches derrière son oreille.

— Ça fait cent-soixante-cinq points pour moi contre cent-soixante-trois pour toi, s'exclama-t-elle, railleuse.

Rageur, l'adolescent se saisit d'une mèche de ses cheveux, la seule qui était d'un bleu électrique, et la mordilla. Il ne savait pas pourquoi, mais ce geste l'apaisait.

— C'est de la triche ! Tu t'es servie de ton frère !

— Mauvais joueur ! dit-elle en lui tirant la langue. En tout cas, joyeux anniversaire ! ajouta-t-elle.

Et sur ces mots, elle lui tendit l'arme qu'elle tenait. Raiyo s'en saisit et ses pupilles se mirent à briller devant sa beauté. Jouant avec les rayons du soleil, il admira les reflets sur le métal poli. Il s'émerveilla d'autant plus lorsqu'il vit l'inscription « Askénar » sur le pommeau. L'adolescent releva la tête, reconnaissant.

— C'est magnifique ! Merci beaucoup, Fubuki !

— Ce n'est pas grand-chose. Mon oncle a bien voulu faire la lame donc je n'ai rien eu à payer. Il m'a juste demandé d'aller lui chercher des bricoles en échange. Quant au pommeau, remercie Yoru car c'est elle qui me l'a donnée.

— Ma mère ? s'exclama le jeune homme, les yeux écarquillés par la surprise.

— Non, la reine des terres de Foresto, lui répondit-elle, moqueuse. Bien sûr, ta mère. Ce que tu peux être bête quand tu t'y mets.

— Mais pourquoi elle avait ce truc ?

Sans s'en rendre compte, il agita l'arme sous le nez de son amie. Cette dernière esquissa un pas de recul à cause de la pointe effilée de la lame.

— Visiblement, ça devait appartenir à tes ancêtres car mon oncle a dit que le métal était ancien. La technique datait mais il a reconnu que c'était une pièce d'exception. Et comme il est coutume qu'à l'âge de seize ans, les garçons de l'île puissent partir, il m'a semblé évident qu'une arme soit le meilleur cadeau pour toi.

— Je t'adore, Fubuki.

L'adolescent rengaina son arme et plaça le fourreau à sa ceinture. Puis, il la souleva par la taille, la faisant rougir. Il fit un tour sur lui-même avant de la redéposer au sol. Gênée, la fille replaça de nouveau ses mèches rebelles avant de se reprendre.

— En tout cas, tu vas pouvoir la manier rapidement. Je dois me rendre aux ruines.

— Attends, quoi ? s'exclama le jeune homme, les yeux écarquillés.

— T'écoutes rien, ma parole ! Mon oncle m'a demandé d'aller lui chercher des matériaux dans les ruines, sur l'île voisine.

— Mais les ruines sont interdites... commença le garçon.

— Uniquement pour les enfants. Or, il me semble que tu viens d'avoir seize ans.

Raiyo ouvrit la bouche avant de la refermer. Son amie avait raison.

— Ne me fais pas croire que tu n'as pas envie d'explorer ces lieux. Depuis que tu sais qu'elles existent, tu meurs d'envie de t'y rendre. Ne dis pas le contraire, je sais que j'ai raison !

Coi, le pauvre adolescent n'essaya même pas d'argumenter. Il connaissait Fubuki depuis tout petit et tout le monde savait que, dès qu'elle avait une idée en tête, il était impossible de lui faire entendre raison. D'un autre côté, elle n'avait pas tort.

J'étais venu la voir pour lui proposer d'aller explorer les alentours.

D'un hochement de tête, il se résigna et la jeune femme sourit.

— Alors c'est décidé. Allons-y ! s'exclama-t-elle en se saisissant d'une lance improvisée appuyée contre le mur de sa bâtisse.

Raiyo haussa un sourcil en la voyant s'équiper de l'arme. Il ne l'avait pas vue au début, la prenant pour une simple branche adossée à la demeure. Il se demanda intérieurement si c'était l'œuvre de l'oncle de son amie ou si elle l'avait confectionnée elle-même.

Gardant ses interrogations pour lui, il suivit la jeune femme et les deux adolescents prirent la route qui menait vers les restes de l'ancien temple d'Oraclos, le dieu des prophéties. Profitant de la distance qui les séparait de leur destination, Raiyo questionna sa camarade tandis qu'ils dépassaient les dernières maisons de leur village natal.

— Te connaissant, j'imagine que tu sais tout sur ces ruines, n'est-ce pas ?

— Pour qui tu me prends ? s'indigna l'adolescente. Évidemment que je me suis renseignée. Nos ancêtres vénéraient Oraclos là-bas. Il a été abandonné ensuite avec l'exode des communautés de l'archipel et la création de notre village.

Raiyo haussa un sourcil.

— Ah bon ?

La jeune femme leva les yeux au ciel.

— Mon pauvre Raiyo, parfois je me demande à quoi te sert ton cerveau. T'es au courant qu'il y a des monstres dehors ?

Raiyo hocha la tête. Il récita, croisant les bras dans son dos.

— Bien sûr ! Je sais même que Amadeus, le dieu des morts, est responsable de la création des monstres qui peuplent notre belle Avana. Ne me prend pas non plus pour une andouille.

Devant le regard amusé de sa camarade, il se renfrogna, préférant changer de sujet.

— On doit lui ramener quoi, à ton oncle ?

La jeune femme ferma les yeux, se remémorant les instructions de son oncle.

— Il m'a dit qu'à l'entrée, on pourrait trouver des mues de tenmado. Et, plus loin, il y a des pierres brillantes qu'il utilise pour décorer les armes.

— Pourquoi il t'a demandé d'y aller, s'il a l'habitude d'aller chercher ce dont il a besoin ? grommela le garçon.

— Mon oncle n'est plus tout jeune et je pense qu'il a compris qu'on voulait explorer les ruines. Il a simplement voulu faire d'une pierre deux coups, se contenta de répondre Fubuki en haussant les épaules.

Tandis qu'ils bavardaient gaiement, Raiyo observait le paysage. Les deux adolescents longeaient une étrange colonne de pierre naturelle. Cette formation rocheuse était courante sur l'archipel du Léodaro. Les locaux les appelaient les « Aiguilles rocheuses ». Certaines plantes rares poussaient uniquement à leurs sommets.

Des champs et des prés s'étendaient de part et d'autre de la route que les deux adolescents arpentaient. Raiyo posa les yeux sur un troupeau de zlatorogs. Les paisibles bovidés bipèdes aux bras atrophiés agitaient leur queue terminée par un boulet osseux, paissant avec nonchalance.

Une forme étrange attira l'attention de Raiyo. Ce dernier se mit sur la pointe des pieds. Il força sur sa vue et réussit à discerner une forme. Une masse s'étalait dans le pré, aplatie dans l'herbe, luisant sous le soleil.

Qu'est-ce que c'est ?

Sa curiosité prenant le pas sur la prudence, il accéléra et sauta par-dessus la clôture.

— Raiyo ? Tu vas où ? s'étonna Fubuki en le voyant changer brusquement de comportement.

Seul le son des cloches des zlatorogs lui répondit. Obnubilé, l'adolescent se dirigeait vers la silhouette inerte. La jeune femme tapa du pied par terre, puis courut pour le rattraper.

Son ami semblait regarder à un endroit particulier. Elle suivit cette direction et scruta le champ.

Là ! Une chose immobile réverbérait les rayons du soleil. A son tour dévorée par la curiosité, Fubuki força sur ses jambes pour rattraper Raiyo. Ce dernier s'arrêta bientôt, à quelques pas de la forme.

— Alors ? lui demanda son amie en arrivant à son niveau.

Mais sa voix mourut dans sa gorge. Devant eux, reposait une masse colossale d'un doré terne. Sa surface était ciselée pour former des écailles. Une sorte de tissu retombait du sommet pour draper la forme comme un linceul.

Les adolescents étaient figés, plongés dans leur fascination. Ils n'en croyaient pas leurs yeux. Le rythme de leurs cœurs formait le son d'une véritable cavalcade dans leur poitrine.

Un cri ramena Raiyo brutalement à la réalité, à ce qui l'entourait. Il se tourna vivement vers Fubuki. Le visage de la jeune fille était livide, elle avait plaqué ses mains sur sa bouche, ses yeux s'étaient agrandis d'horreur. Il suivit son regard.

Du sang... Des os. De la chaire mise à nue !

La carcasse d'un zlatorog éventré et à moitié dévoré. Aussitôt, l'odeur des viscères de la bête leur parvint. Raiyo s'approcha de son amie pour l'éloigner du spectacle morbide. Néanmoins, il n'en eut pas le temps.

Une ombre passa, les recouvrant. Le garçon leva les yeux et ses pieds refusèrent de continuer.

L'air lui manqua. Au-dessus d'eux, la silhouette du prédateur responsable du massacre se découpait dans le ciel azur. Son sang se figea d'horreur. Il s'obligea à inspirer... expirer...

Un rugissement puissant retentit. L'ombre descendit à toute vitesse vers eux et heurta le sol avec fracas. Le souffle repoussa les adolescents. Le jeune homme se ressaisit rapidement, son corps entier se tendit, prêt à se défendre. L'adrénaline chassa la peur.

Il dégaina sa nouvelle épée.

Une mâchoire garnie de crocs acérés se découpa dans la poussière en suspension. Elle se referma à quelques centimètres d'où il se trouvait dans un claquement sinistre. Raiyo frappa, déviant le museau du monstre. Ce dernier disparut dans le nuage. Une nouvelle bourrasque l'obligea à reculer.

Le jeune homme se réceptionna en un salto arrière. Il releva la tête. La bête de la taille d'un zlatorog le dominait. Ces écailles d'un jaune terne luisaient dans la lumière.

Ces écailles... Cette couleur...

Du coin de l'œil, il observa la forme inerte. C'étaient les mêmes.

Bordel ! Mais qu'est ce que cette bestiole fait là ?

Raiyo aperçut Fubuki qui se terrait comme elle le pouvait derrière la mue du reptile. Elle était terrifiée. Cette image renvoya une décharge d'adrénaline au jeune homme. Il raffermit sa prise sur son arme, se remettant en garde.

Hors de question que Fubuki soit blessée par ce foutu dragon !

Le jeune homme bondit droit sur la créature. Il était prêt à tout pour défendre celle qu'il aimait. Le monstre projeta sa tête à la manière d'un serpent. Vif, l'adolescent esquiva. Il se fendit en une estocade précise. Cette dernière toucha le poitrail de la bête. Malheureusement, les écailles flambant neuves firent rebondir la pointe. Le mouvement de sa lame exposa le garçon à un coup de patte. Mais Raiyo n'avait pas dit son dernier mot.

D'un bond, il passa au-dessus de la créature. Il atterrit sur son dos. Aussitôt, le jeune dragon s'ébroua. Afin de ne pas être désarçonné, l'adolescent planta sa lame entre les articulations des ailes. Ce geste arracha un rugissement de douleur à son adversaire qui redoubla d'efforts pour se débarrasser de son ennemi. Il finit par réussir, l'envoyant rouler à l'opposé de la jeune fille.

Dans sa chute, l'épée du jeune homme lui échappa des mains. Elle se ficha dans le sol, juste derrière le dragon. Ce dernier se mit à le charger. Désarmé, l'adolescent jura.

Il plaça ses mains devant lui. Cependant, il hésita une seconde. Son regard se porta sur Fubuki. Grimaçant en sachant que cela n'allait pas lui plaire, il se mit à psalmodier :

— Par ma voix, je te convoque. Toi qui es en moi, jaillit comme une lance fulgurante. Éclair !

Aussitôt, la foudre s'échappa de ses doigts, propulsant le jeune homme en arrière. Elle traversa le corps du dragon jaune puis vint percuter la lame plantée dans la terre. Cette dernière noircit légèrement sous le coup. Heureusement, elle endura la décharge sans se briser, dispersant l'élément dans le sol.

De son côté, le reptile ailé s'écroula, tétanisé. Des arcs électriques dansèrent un peu sur son corps avant de disparaître. Seuls ses yeux étaient encore capables de bouger. Ils semblaient s'affoler. En effet, la bête n'avait pas l'habitude de se retrouver ainsi paralysée. Profitant de son état, Raiyo se dépêcha de ramasser son arme et d'aller sortir Fubuki de sa cachette. Heureusement pour lui, l'adrénaline lui permit de ne pas ressentir la fatigue qui taraudait ses muscles mis à mal par l'affrontement. Il sentit que son amie frissonnait contre lui en voyant le dragon encore immobilisé. Néanmoins, elle ne dit rien. Les deux adolescents fuirent sans demander leurs restes. Ils poursuivirent leur route en direction de leur destination.

Après s'être assurés qu'ils avaient mis assez de distance entre eux et leur agresseur, ils cessèrent de courir et s'assirent sur un tronc d'arbre. Épuisés, ils mirent un peu de temps avant de réussir à reprendre leurs souffles. Lorsque ce fut fait, Raiyo prit un mouchoir qu'il avait dans la poche et entreprit de nettoyer sa lame, préférant éviter le regard de son amie.

— Je suis désolé, Fubuki. Je ne voulais pas trahir notre promesse mais je n'ai pas eu le choix, dit-il tout en frottant les traces de suie sur son cadeau d'anniversaire.

— Ne t'en fais pas. Je sais bien que tu as essayé de me protéger. C'est à moi de m'excuser pour avoir été inutile.

Tout en disant cela, elle réarrangea sa natte.

— Ce n'est rien. Je sais très bien que tu as peur des reptiles, dit-il en guettant sa réaction.

Il la vit grimacer. Ses yeux bleus clairs croisèrent ceux du garçon et elle sursauta.

— Attends, tu es blessé.

Surpris, Raiyo regarda son amie s'approcher de lui et appliquer ses mains froides sur son coude visiblement amoché. Aussitôt, une vague de douleur se manifesta puis se calma progressivement. De la glace se forma sur sa peau, arrachant un regard émerveillé à l'adolescent. Il admirait la peau pâle de son amie et la sienne se rejoindre, liées par l'élément. Lorsqu'elle eut fini d'apaiser sa souffrance, Fubuki fit un mouvement vif, brisant l'eau congelée.

— De toute façon, tu n'as pas brisé notre promesse.

En effet, ils s'étaient simplement promis de ne pas user de leurs étranges pouvoirs en présence d'autres humains. Soulagé, le jeune homme soupira. Son répit fut de courte durée.

— En revanche, tu aurais pu faire attention au cadeau que je t'ai offert, maugréa-t-elle.

— Désolé mais tu sais que mes éclairs peuvent être dangereux. J'avais peur de te blesser.

— C'est pas faux. En tout cas, je me demande bien pourquoi cette bestiole était si proche du village.

Devant le regard étonné de Raiyo, la jeune femme ne peut s'empêcher de soupirer, agacée. Elle ramassa leurs affaires et ils se remirent en route.

— Faut vraiment que je t'explique tout, ma parole. La bestiole que tu as foudroyé, c'était un jeune hirougon. Tu sais, celui dont nos pères ne cessent de nous mettre en garde ?

— Je sais ce qu'est, merci ! grommela-t-il en se renfrognant. Si tu m'avais laissé en placer une, j'aurai pû m'expliquer.

Amusée par sa réaction enfantine, Fubuki sourit.

— Avec toi, on est jamais trop prudent.

— Très drôle, bougonna le jeune homme en rangeant son arme enfin nettoyée. A ton avis, que faisait ce dragonneau aussi loin de son nid ?

Tandis qu'elle proposait des hypothèses, une brise leur fit parvenir une douce odeur suave. Des fleurs se détachèrent de l'Aiguille rocheuse qu'ils contournaient. Elles s'envolèrent au gré du vent, diffusant leurs fragrances délicates. L'une d'entre elles vint se perdre dans la chevelure d'ivoire de Fubuki. Son ami déglutit. Elle était encore plus belle ainsi.

— Alors ? T'en penses quoi ?

La question de l'adolescente fit sursauter le jeune homme.

— Excuse-moi, je me suis perdu dans mes pensées. Tu disais ? balbutia-t-il.

L'adolescente grommela, agacée par l'inattention de son camarade.

— Je te disais que, vu qu'on vient de croiser un hirougon, il faut désormais faire attention. Cela m'étonnerait qu'il soit le seul dans les environs. J'espère ne pas tomber sur ses parents, s'inquiéta la jeune femme.

Le garçon dégaina son arme et esquissa quelques passes contre un ennemi invisible.

— T'en fais pas. Si jamais un plus gros montre le bout de son museau, je le passe au fil de mon épée. Ou je le carbonise avec mes éclairs.

— Ne dis pas de bêtises. On sait tous les deux que tu ne peux pas les enchaîner aussi facilement. D'ailleurs, tes parents ne sont toujours au courant de rien ?

Ennuyé par le manque d'humour de sa camarade, le jeune rengaina son épée.

— T'inquiète pas. À chaque fois que mon pouvoir se manifeste dans la vie de tous les jours, ma mère soupire en disant que c'est une séquelle de mon accident.

La jeune femme porta sa main à sa poitrine.

— Tu me rassures...

— Et toi ? Tu as trouvé des informations sur nos pouvoirs ? Après tout, c'est ton père qui détient tous les livres du village.

Les épaules de Fubuki s'affaissèrent.

— Malheureusement, non. J'ai lu tous les ouvrages de notre bibliothèque mais rien. J'espère qu'on pourra trouver quelque chose sur le continent.

— Comment ça, on ? s'étonna Raiyo.

Amusée de la surprise de son ami, l'adolescente laissa échapper un petit rire.

— Tu m'as prise pour qui ? Si tu vas sur le continent, il est hors de question que je ne vienne pas. En plus, tu risques encore de faire n'importe quoi sans moi.

Elle lui tira la langue. Ce geste égaya le garçon qui essaya de lui pincer les côtes. Tout à leur chamaillerie, ils ne se rendirent pas compte qu'ils venaient de finir de contourner l'Aiguille rocheuse. Devant eux, un précipice s'ouvrait vers la mer.

Le clapotis de l'eau déchaînée en contrebas fit frissonner les adolescents. De l'autre côté, les ruines du temple d'Oraclos étaient nimbées d'une douce lumière tamisée produite par des arbustes qui poussaient le long des colonnes naturelles. Mais ce qui attira en premier le regard des adolescents, ce fut les restes du pont en bois.

Il ne restait plus que quelques planches, ballotées au gré du vent. Elles ne devaient leur salut qu'à une corde épuisée par le temps.

— Merde... Le dernier orage a fait céder le pont. On fait comment maintenant ? grommela Raiyo.

— Écarte toi, je m'en charge, s'exclama Fubuki en s'accroupissant devant le gouffre.

Elle apposa ses mains contre la pierre et prit une profonde inspiration.

— Par ma voix, je te convoque. Toi qui peux figer ce monde dans un paysage froid, je te prie de créer une passerelle. Structure de glace !

Aussitôt, l'air sembla se figer devant elle avant de geler. Une vague plus puissante que les autres frappa l'autre côté du précipice et se métamorphosa en sculpture de glace. Lorsqu'elle eut fini son œuvre, la jeune femme vacilla, le corps recopuvert de transpiration à la suite de son effort gargantuesque, mais fut rattrapée par son ami. Ce dernier ne put que sourire en voyant le travail de celle qu'il aimait.

Un superbe pont d'une blancheur immaculée reliait désormais les deux bords du précipice. Il soutint Fubuki et les deux adolescents entreprirent d'avancer prudemment sur l'édifice gelé.

Alors qu'ils allaient atteindre l'autre côté du gouffre, un rugissement puissant se fit entendre au-dessus de leurs têtes. Surpris, les deux amis levèrent les yeux. Un mauvais souvenir flottait à la limite de leurs consciences. Ils pâlirent à l'unisson.

Il était majestueux. Ses quatre ailes déployées formaient une auréole dorée autour de son corps immense.

Un hirougon...

Plus grand que celui qu'ils avaient affronté dans les champs, le dragon possédait deux immenses cornes. Ces dernières semblaient faire miroiter les rayons du soleil. Contrairement à sa version juvénile, le monstre était recouvert d'écailles dorées. Il irradiait tel une étoile. Raiyo dut détourner le regard pour ne pas se brûler la rétine tant l'éclat que la créature renvoyait était intense.

Il voulut entraîner Fubuki en dehors du pont de glace. Seulement, cette dernière, figée par la terreur, n'avança pas d'un pouce. Elle n'arrivait pas à détourner ses yeux du cauchemar vivant qui venait de baisser la tête dans leur direction. L'hirougon battit un instant des ailes. Soudain, il plongea en piqué vers eux. Cependant, au moment où il allait les percuter, un rugissement lointain retentit. Le reptile redressa sa course au-dessus des deux adolescents. Ce mouvement créa un vent si puissant que Raiyo dut se cramponner à la rambarde du pont pour qu'ils ne soient pas balayés. Malheureusement pour eux, le pont, lui, ne supporta pas la pression. Il se brisa.

En entendant le craquement, l'adolescent eut le réflexe de pousser son amie de toutes ses forces en direction de la terre ferme. Cette dernière roula. Elle atteignit in extremis la falaise. Le choc de sa chute lui fit reprendre ses esprits. Elle se précipita vers le précipice.

— Raiyo ! hurla Fubuki.

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