Chapitre trois

Plus aucun bruit. Cela faisait presque une heure et demi que le dojo dormait paisiblement, bercé par le bruissement des feuilles et les cris des animaux nocturnes. Je glissai en-dehors de mon futon et cherchai mes chaussures, puis sortis dans le couloir. Je passai devant la chambre de Camille et glissai la porte pour m'assurer qu'elle dormait, et c'était le cas. Je sortis donc à pas de loups de la maison après l'avoir bien refermé puis me chaussai pour me préparer à sortir. J'allai près du bâtiment de la cuisine pour aller chercher un bout de bois et pris un vieux bout de chiffon pour l'entourer l'extrémité. Je m'approchai du foyer et allumai ma torche. Parfait. Je pouvais y aller.

Je m'éloignai du dojo le plus rapidement possible en passant par l'arrière des écuries, afin que la lumière de ma torche improvisée ne se voit pas. Si je me fais capter, j'étais bonne à rester enfermée dans ma chambre pendant deux jours, ce qui veut dire pas d'entraînements. Et deux jours, c'est peut-être rien, mais après on morfle quand NamJun impose des exercices imposants juste après. C'est pour cela que Camille et moi, nous nécessitons un entraînement quotidien, afin de ne rien perdre de notre progression. Arrivée à l'entrée du bois, je dévoilai ma torche assez haut pour y voir mieux. C'est maintenant que j'allais m'amuser. Peut-être que je n'ai pas trouvé de balise cette après-midi, mais toujours est-il que je trouverai la témérité cette nuit. J'allai jusqu'à la clairière et fis un trou dans la terre pour enfoncer ma torche.

Je me concentrai. Les pieds cloués au sol, les mains jointes en face de mon visage, j'attendais. Le vent secouait mes cheveux, la nuit m'enveloppait de son manteau noir, j'attendais. Quoi au juste ? Je ne savais pas moi-même. Jusqu'à ce qu'un animal des ténèbres fassent son entrée. Je l'entendais grogner et s'approcher de moi, son futur repas. Mais je n'allais pas lui donner ce plaisir. Il allait être mien. Mon but n'était pas de prouver à mes maîtres que je pouvais être courageuse, non. C'était de me prouver à moi-même que j'avais une valeur. Personne ne peut nous dire quelle valeur nous possédons, c'est nous-mêmes qui devons la trouver. Au fin fond de nous-mêmes.

Ca y est, il me faisait face. Ses yeux perçaient les ténèbres de la nuit, ses canines brillaient à la lumière de ma torche. Je ne reculais pas, ce qui le surpris, alors il tourna autour de moi, aplatissant l'herbe qui commençait à se vêtir d'un manteau humide dû à la basse température de la nuit. D'un coup d'œil, j'observai la lune : nous atteignons bientôt les aurores. Je devais le tuer avant l'aube. Afin que mon exploit ne soit connu que par la nuit, qui a toujours été ma meilleure amie. Je n'aime pas la lumière, je préfère l'obscurité.

Dans un rugissement qui déchira le silence de la clairière, déclenchant une volée d'oiseaux dans les arbres, il bondit sur moi. Je l'esquivais sans peine mais sa patte, sertie de griffes, glissa sur ma cuisse et déchira mon vêtement. Je me retins de crier, je ne voulais pas lui donner cette satisfaction. Il continua à rôder autour de moi, ses pupilles brillaient de gourmandise. Etais-je si appétissante que ça ? Je ne réfléchis pas plus longtemps et sortis ma dague dans un râle de guerrier. Il bondit à nouveau, je me mis à genoux et glissai sur l'herbe en-dessous de lui. Je plantai précisément ma dague au niveau de sa poitrine, le faisant hurler de douleur. Alors qu'il se débattait, je me dépêchai de sortir d'en-dessous de cet animal féroce afin de ne pas recevoir plus de griffes. Il m'avait quand même bien endommagé, à présent.

Fou de rage, il cria plus fort que les fois précédentes et me chargea à plusieurs reprises. Je grimpai dans l'arbre mais oubliai qu'il pouvait le faire aussi alors je retombai lourdement au sol, déclenchant une douleur dans ma cheville. Nous ne sommes pas dans ces genres de livres où les guerriers n'ont aucune blessure, cela n'existe pas. Une blessure c'est une preuve que l'on s'est battu. Pour être sincère, il ne faut pas la provoquer mais se battre en retour. Se battre contre la douleur est un autre combat, même si je le faisais déjà en ce moment à cause de ma cuisse et ma cheville maintenant. Quelques coups de griffes plus tard, je m'emparai de ma torche et la plantai dans sa blessure, le faisant rugir de douleur.

Il tituba avant de s'effondrer dans l'herbe sombre et pousser le dernier cri de son existence, alors que le soleil pointait le bout de son nez à l'horizon. Satisfaite, mais à bout de souffle, je m'approchai de lui et plantai ma dague dans son cœur. J'allai le rapporter comme ça. Je dénouai la corde autour de ma taille et entourai ses pattes arrière pour pouvoir le traîner. Je repris ma torche et marchai en direction du dojo. J'étais plutôt fière de moi, même si j'avais mal partout.

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Arrivée au dojo, trois silhouettes étaient assises à la petite table sur le bois de la terrasse, surélevée de cinquante centimètres au-dessus du sol. Alors que je me détachai de l'horizon, foulant les premiers mètres de la grande cour de pierre, ils se relevèrent et m'observèrent, ahuris. Je trainai ma victoire avec mes dernières forces jusqu'à eux, et le déposai juste à leurs pieds. Ils observèrent le lynx mort un moment avant de relever leur regard vers moi. NamJun s'approcha de moi... et me gifla. SeokJin cria, Camille retint sa respiration. La tête sur le côté, mes yeux s'embuèrent de larmes. Il avait choisi la joue la plus endommagée pour me gifler.

-T'es devenue dingue ?! Tu aurais pu mourir !!

-Si j'ai ramené ce lynx c'est pour te prouver que je ne suis plus UNE GAMINE ! Et puis t'es pas mon père, t'as pas à te soucier de moi comme tel. Lâche-moi, SeokJin ! Fichez-moi la paix !

Je rentrai dans la maison en claquant la porte dans le mur. Je rejoignis ma chambre et commençai à me dévêtir assez difficilement, ils étaient enduits de mon sang et celui du lynx. J'étais blessée, si blessée que certaines plaies étaient assez profondes. J'entourai ma poitrine d'un linge propre, la seule partie qui n'était pas touchée. Après avoir mis un short, je pouvais dès à présent me soigner. Ce qui n'allait pas être de tout repos.

On toqua. J'hésitai à ouvrir mais je reconnus la petite taille de Camille alors j'allai lui ouvrir. Elle me demanda du regard si elle était autorisée à entrer, je lui adressai un petit sourire. Je m'assis à même le sol en tailleur, face au matériel de soins. Elle me prit le coton et le pot de crème de baies aux vertus médicales des mains et me soigna elle-même. Ainsi elle vit toutes les blessures que je m'étais faite.

-Tu sais, Claire, je t'admire beaucoup. Mais NamJun a raison. T'es complètement folle d'avoir fait ça.

-Nous ne sommes plus des enfants, Camille. Nous savons autant nous battre que nous défendre, dorénavant.

-Je sais. Mais tu t'es mesurée à un lynx ! S'il t'était arrivé quelque chose, personne ne l'aurait su.

-J'avais la protection des dieux.

Elle ne dit rien et continua à me soigner, m'arrachant quelques plaintes de douleur. J'étais couverte de plaies, surtout sur les bras et les jambes. Quelques griffes étaient apparentes dans mon dos mais rien de bien méchant. Quant à ma cuisse, j'allais devoir surveiller ça dans les jours à suivre afin que la blessure ne s'infecte pas. La crème de baies était en fait une mixture de plusieurs baies avec de l'eau et une épice dont seul SeokJin en avait le secret. Etalée sur une blessure, elle anesthésiait la douleur et fermai la plaie en quelques jours.

-Voilà, j'ai fini.

-Merci, t'es un amour.

-Et toi t'es folle.

-Oh, c'est bon. Si c'est pour me faire des remarques, tu peux...

On toqua à la porte. Camille voulut ouvrir mais je la retins, l'en empêchant.

-Les filles ?

Je soupirai.

-Entre, SeokJin.

Il entra et me découvrit dans le plus simple des appareils mais n'était pas du tout gêné. Combien de fois avait-il dû me demander de me mettre dans cette tenue afin de pouvoir me soigner ? Je le laissai m'approcher et m'examiner. Il sourit.

-Camille a fait ce qu'il fallait, c'est bien. Habille-toi, NamJun veut te voir.

-Je ne veux pas le...

-Dans son bureau.

Oh. Si c'était dans son bureau, c'était du sérieux. Et je n'avais pas le pouvoir de broncher. SeokJin et Camille quittèrent ma chambre en bavardant à propos du repas de ce midi. Je grommelai et m'habillai d'une tunique puis d'un pantalon en lin après que j'eus entourée mes blessures d'un linge propre pour éviter que ça tâche mes vêtements. Je sortis enfin, marchant vers le bureau de NamJun. Je toquai timidement à sa porte.

-Entre, je t'en prie.

Son ton était déjà plus doux que toute à l'heure. Il observait les hauteurs du dojo, point culminant d'une des grandes montagnes de la région. Il se tourna ensuite vers moi une fois que j'eus refermée la porte. Il se pinça les lèvres et s'approcha de moi, caressant ma joue qu'il avait précédemment giflé. Plantant son regard dans le mien, il murmura :

-Je suis désolé.

-Tu as eu peur, c'est normal.

-Toute à l'heure tu as dit que je n'étais pas ton père. Mais je souhaiterais que ce soit le cas. Je suis aussi fier qu'un père, mais je ne suis pas aussi doux, il faut le croire.

-Si, tu l'es.

-Un père ne lève pas la main sur ses enfants.

-Mais tu as agi sur le coup de la peur, je peux comprendre.

Il baissa la tête en soupirant, glissant sa main sur mon épaule. Je gémis.

-Oh, pardon. Tu es beaucoup blessée ?

-Non, ça va.

-Avec toi, tout va toujours bien.

-La douleur ne doit pas se lire sur mon visage, ni dans mes mots, si elle est déjà apparente sur mon corps.

-Je vois que tu as retenu ce que je t'ai appris.

-Bien sûr.

-Viens, je dois te montrer quelque chose.

Nous sortîmes du bâtiment de son bureau et rejoignit la cour où SeokJin examinait le lynx avec Camille. Ils cherchaient sûrement quelle était la meilleure pièce de viande. NamJun se joignit à eux et du bout de l'index, me fit signe d'approcher.

-J'ai examiné la blessure que tu lui as infligé, la manière dont tu l'as achevé et le coup fatal à la poitrine que tu lui as donné. Tu l'as tué proprement, comme je te l'ai appris. Je ne peux pas être plus fier.

Je souris, contente de moi. Peut-être cet événement allait-il lui ouvrir les yeux sur nous. Camille m'adressa un clin d'œil puis suivit SeokJin pour aller prendre des couteaux de cuisine, afin de dépiécer la bête. Quelque chose me dit qu'elle allait s'éclater.

-BANZAI !

Qu'est-ce que je disais ? SeokJin lui avait enseigné où couper, ce qu'elle faisait, mais elle coupait à une telle vitesse que nous dûmes rester en arrière pour ne pas se prendre un coup. Ou un bout de viande, entre autre. Nous rigolâmes de la tête de Camille, essoufflée et éclaboussée de sang, qui tournait les couteaux dans ses mains.

-Intéressant, murmura NamJun, échangeant un regard avec SeokJin qui souriait également.

Je levai les yeux au ciel. Décidément, il était buté sur les entraînements. Je fis demi-tour pour rejoindre la maison, décidée à me reposer puisque je n'avais pas dormi. J'avais bien le droit à quelques heures de repos tout au plus, puisque j'avais quand même ramené un festin qui allait durer un peu plus d'une semaine selon moi. Je rejoignis ma chambre et m'allongeai sur mon futon, bien décider à pioncer. Le sourire aux lèvres, je ne pensais plus à rien. Une de mes mains vint attraper mon collier et joua avec, émanant une douce nostalgie mais notamment une force intérieure qui m'avait beaucoup aidé jusque là. Comme cette nuit.

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