-Et c'est comme cela que l'on obtient l'élixir de vitamines.

-Ooooh !

Camille et moi étions comme des enfants : en admiration face au savoir de YunGi. Depuis qu'il séjournait chez nous, il ne manquait pas une occasion pour nous étonner en partageant son savoir médical. Nous avions donc appris beaucoup de propriétés de la nature ; comment fabriquer tel antidote ou crème et dans quel cas l'utiliser. NamJun et SeokJin voyait cela d'un bon œil, complétant notre formation et culture de notre milieu.

Un mois s'était écoulé, j'étais enfin rétablie de ma blessure. Tout d'abord, j'avais commencé à faire quelques allers et venues dans le dojo, puis j'étais sortie. Enfin, j'accompagnais NamJun et Camille lors de leur chasse au gibier dans la forêt, restant en retrait toutefois. Puis un beau jour, alors que je discutais avec YunGi, il me frappa la cuisse, ce qui me surprit mais encore plus quand je me rendis compte que je n'avais rien senti. J'avais alors parcouru toute la cour du dojo en sautillant de joie, constatant que j'étais enfin guérie.

Aujourd'hui était un grand jour : nous allions enfin pouvoir descendre en ville ! Nous nous étions levés de bonne heure et en attendant NamJun et SeokJin qui préparait les chevaux, YunGi faisait une petite explication médicinale.

-C'est bon, les chevaux sont prêts à partir, annonça NamJun. Vous venez ?

Nous ne nous fîmes pas prier pour l'accompagner à l'écurie. Je retrouvai mon cheval noir qui portait une tâche blanche sur le haut de sa tête tandis que Camille rejoignit son cheval de couleur caramel. Nos chevaux étaient aussi complices que nous, et quand nous étions en balade, on avait l'impression qu'ils se mesuraient l'un l'autre alors que nous engagions une course éperdue dans les plaines en bas de la montagne.

-Nous arriverons en début de soirée si tout se passe bien, calcula YunGi. Si l'une d'entre vous est fatiguée, il faut nous le faire savoir.

-D'accord ! fis-je en chœur avec Camille.

Au fur et à mesure qu'il vivait avec nous, YunGi avait attrapé les mêmes réflexes de protection et d'affection que NamJun et SeokJin envers nous. Un troisième mentor s'imposait donc à nous, tout aussi instruit que nos deux premiers. Nos discussions n'avaient jamais de fin, et Camille et moi avions soif de savoir. Nous étions même passées plusieurs fois à la pratique, fière de pouvoir manipuler des ingrédients aidant à la concoction d'un remède.

Dix heures étaient passées depuis notre départ. Sur notre chemin, nous ne rencontrâmes que des animaux en tout genre mais cela nous suffisait à nous distraire. Nous avions même joué à plusieurs jeux qui ne nécessitaient pas de halte ou quoi que ce soit, alors l'ambiance était au rendez-vous malgré la pénible route sinueuse et monotone que nous exécutions. La fatigue se faisait de plus en plus ressentir, en plus d'éprouver un mal de dos à être toujours assis à cheval. Et ce que proposa Camille ne m'enchanta guère :

-Est-ce que Claire et moi on peut faire la course ?

-Faites-le sans vos chevaux qu'on rigole.

-NamJun ! s'indigna SeokJin.

-Ca va, je rigolais.

Nous éclatâmes de rire face à l'autorité de SeokJin qui rouspétait son frère. Quant à YunGi, il semblait à l'affût de quelque chose. Je m'approchai doucement de lui et lui demandai du regard ce qu'il se passait.

-Est-ce que tu sens comme le silence règne autour de nous ?

-Oui. Et ?

-C'est anormal. Je n'aime pas ça. NamJun ! Y'a un problème, il faut s'arrêter.

-Comment ça ?

Il renouvela son explication qu'il m'avait donné. Inquiet, SeokJin s'approcha de Camille et moi et nous intima de nous taire alors que j'expliquais à mon amie ce qui se tramait.

-Là-bas je connais un talus où nous pourrons nous cacher. Allons-y !

YunGi donna un coup de talon dans le flan de son cheval et arpenta la colline en dépassant quelques arbres. Nous le suivîmes alors, décidément inquiet de ce qui se passait. Arrivés à la petite cachette de YunGi, celui-ci nous fit signe de descendre de nos chevaux et de ne pas faire de bruit. Je tournai la tête dans la direction où la sienne était tournée, me rendant compte que la ville n'était plus qu'à quelques minutes de route.

-Les oiseaux ne chantent pas, je n'entend pas les bruits de la ville. Ca sent pas bon.

NamJun se posta à plat ventre sur le talus et observa l'horizon. Il retint alors son souffle et eut un mouvement de recul, tournant sa tête vers Camille et moi, horrifié. Je fronçai les sourcils et le rejoignis. Ce que je vis me glaça le sang, Camille eut la même sensation que moi.

La ville brûlait sous nos yeux. Comme notre petit village de notre enfance.

Camille céda à une crise de panique, s'effondrant au bas du talus. SeokJin se précipita sur elle et tenta de la calmer du mieux qu'il pouvait, jetant des regards impuissants vers NamJun qui baissa la tête. Nos mentors étaient nos sauveurs et savaient exactement ce que nous avions vécu mais surtout, ce que nous avions perdus. Ne comprenant pas, YunGi échangea un regard avec son ami qui le prit à part pour lui expliquer. Je rejoignis Camille pour l'étreindre à mon tour.

-Nous avions fait une promesse. Tu te souviens ?

-Hm...

-Ne l'oublie jamais. Ils payeront.

Elle hocha doucement la tête puis se laissa bercer dans les bras réconfortants de SeokJin. J'essuyai les dernières larmes qui coulaient sur son joli visage meurtri par la panique et la tristesse, encore marquée par le passé. Je me relevai ensuite d'un bond et rejoignis mes deux autres mentors.

-On fait quoi maintenant ?

-Nous allons tous les deux descendre pour voir comment ça se passe.

-Je viens avec vous.

-Il en est hors de question !

-NamJun ! Je ne suis plus une enfant !

Quelques oiseaux s'envolèrent, apeurés par le cri que je venais d'émettre. Je serrai les poings tout en défiant NamJun du regard. Il échangea un regard avec YunGi qui se contenta de sourire de manière gêné. Il soupira alors et me fit signe de retourner aux chevaux. Il annonça à SeokJin et Camille que nous partons pour la ville, et que nous laisserons nos bagages ici comme pour l'établissement d'un camp.

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Dans ma tête, beaucoup de questions profilaient à une vitesse inouïe : qui avait fait ça ? Les coupables étaient-ils encore présents sur les lieux ? Si oui, combien étaient-ils ? Mais surtout, si la ville était réduite en cendre... comment allions-nous nous réapprovisionner dans les mois qui vont suivre ? Nous ne pouvons pas vivre uniquement de la chasse, nous avons besoin d'autres vivres ou encore acheter de nouveaux matériaux. Mais il y avait une solution : j'avais repéré un carré de terre fertile derrière l'écurie. Avec un peu de chance, nous réussirons à créer un potager. Mais il faudra faire de grosses réserves pour l'hiver.

Nous étions arrivés devant les portes de la ville, réduite en cendres. YunGi ouvrait la marche, étant un citoyen de celle-ci et qui sera donc vite reconnu s'il reste des habitants. Mais pas une personne se profila à l'horizon. Je déglutis silencieusement, le cœur battant à tout rompre. J'avais peur qu'un ennemi déboule avec tous ses amis pour nous couper la tête.

-Allons vers la plage pour voir s'ils sont bel et bien parti, proposai-je, comme je l'avais fait il y a quelques années.

NamJun et YunGi me suivirent alors, et nous constatâmes qu'il ne restait plus aucune trace des agresseurs. Je restai silencieuse face à l'étendue d'eau qui s'étendait à perte de vue, seule témoin de l'arrivée de ce peuple barbare. YunGi se retira pour aller rechercher sa maison sûrement, secondé par NamJun. Quant à moi, je voyageais dans les petites rues que je n'avais pas eu la chance de connaître l'animosité, la vie et les bruits de la ville. Quelques corps sans vie parsemaient la route, quelques filets de sang tâchaient les dalles de pierres. Le spectacle était horrible, je songeais quelques minutes à Camille qui n'aurait pas pu le supporter.

-CLAIRE !

Je fouettai le flan de mon cheval et me dirigeai vers le cri de NamJun qui m'avait appelé.

-Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

-On a besoin de toi pour transporter tout le matériel restant.

-Mais t'es pas bien de crier comme ça ? J'ai eu peur !

-Excuse-moi.

-C'est pas grave. On est tous à cran, t'façon.

Je descendis de mon cheval et entrai dans la petite maison de YunGi. Cette dernière comportait des murs peints d'un joli vert pastel où des étagères se succédaient les unes à côtés des autres. Malheureusement, tout ce qu'elles comportaient était renversé à terre, tout comme la table en ébène qui avait subi le même sort. YunGi sortit de la pièce d'à côté, qui était sûrement sa chambre.

-Tu peux venir m'aider, s'il te plaît ?

J'hochai la tête et le rejoignis. On sentait dans sa voix qu'il était affaibli par le voyage mais surtout par ce qu'il venait de se passer. Je ne pouvais que le comprendre, ayant vécu la même chose. Il me donna une pelle et ensemble, nous creusâmes en-dessous du tapis qui était sous le lit, celui-ci renversé avec furie contre le mur. Je découvris alors une cachette secrète de mon ami médecin.

-Avant de partir pour chaque expédition, je garde tout ce que j'ai de plus précieux dans ce coffre. Il s'agit de livres renfermant un grand savoir, dans plusieurs langues, ainsi que quelques ingrédients rares permettant à la fabrication de remèdes importants.

La lueur auparavant éteinte dans ses yeux se ralluma quand il ouvrit le coffre. YunGi chérissait ses trésors comme il chérissait son métier, je l'avais bien compris. Soucieuse de vouloir l'aider à mon tour comme il m'avait aidé à recouvrir la santé, je portai le coffre et nous rassemblâmes les draps de son lit pour faire un baluchon où nous enfermâmes son contenu. Je sortis pour aller l'accrocher à son cheval, m'apercevant par la même occasion que NamJun avait disparu. J'haussai les épaules : après tout, il fait ce qu'il veut et n'a de compte à rendre à personne.

Après avoir rassemblé toutes les affaires de YunGi sur nos chevaux, celui-ci soupira en s'installant sur son fidèle compagnon de voyage.

-Le point positif c'est que maintenant, je vivrais avec de bons amis. Finie la solitude !

-C'est bien ! Il faut voir le côté positif. Et je suppose que ce qui a été détruit peut être refait.

-Oui. Mais pas la ville, Claire. La ville dans laquelle j'ai vécu et connu une multitude de personnes, où j'exerçais ma qualité de docteur, où chaque endroit avait son activité approprié : la taverne, les champs, la plage. C'est fini, tout ça.

Touchée, je me rapprochai de lui et passai une main réconfortante dans son dos. Il sourit légèrement puis releva la tête.

-Bon. Ce qui est fait est fait, allons-y. Ne perdons pas plus de temps ici.

Alors que nous prenions la route pour rejoindre Camille et SeokJin, NamJun détala comme un fou derrière nous.

-Regardez tout ce que j'ai trouvé !

NamJun avait non seulement ramené tout un tas de vivres, de nouveaux outils, d'objets en tout genre... mais avait aussi trouvé un cheval en excellente santé qui portait tout cet attirail !

-En plus c'est un mâle, il pourra faire des petits si les nôtres ne peuvent en faire.

YunGi et moi échangeâmes un regard avant d'exploser de rire. NamJun était toujours pratique et ne cédait jamais à l'inutile.

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SeokJin avait établi un feu de camp avec Camille. Une fois que nous fûmes bien installés avec eux, NamJun fit l'inventaire de tout ce qu'il avait trouvé dans la ville : viande rouge, épices, sel, outils de cuisine, de jardinage, bijoux, matériaux, etc. C'était sûrement ce que les habitants avaient su cacher à la toute dernière minute avant de se faire massacrer injustement.

Quelques minutes plus tard, Camille posa sa tête sur les genoux de NamJun qui passa d'un air attendri sa main dans ses cheveux. SeokJin s'allongea quant à lui sur sa couchette, visiblement éprouvé par ce long voyage et toutes ces émotions. Quant à YunGi, il fixait la danse des flammes du foyer, un peu perdu. Je voulus tenter une conversation mais NamJun secoua la tête, me faisant comprendre que c'était inutile. Impuissante, je finis tout de même par poser ma main sur son épaule, lui adressant un sourire chaleureux, avant de m'allonger à mon tour et admirer le ciel étoilé au-dessus de nos têtes. Comptant parmi les anciennes étoiles des nouvelles provenant de la ville non loin de là.