Chapitre 8
« Chère madame Sarah Winston,
Je m'appelle Liam, et j'ai dix ans. Je ne sais pas trop encore comment je vais vous faire parvenir cette lettre, mais j'espère vraiment qu'elle parviendra entre vos mains.
Je vous admire beaucoup, vous savez. On ne parle que de vous à Asthall. Après tout, vous êtes la Jumelle, vous êtes presque une légende pour ceux qui ne vous ont pas connue avant votre départ.
Je ne sais pas pourquoi je vous écris cette lettre, ni même si vous la recevrez un jour. Je me disais juste que, puisque vous êtes partie d'Asthall, je devais pouvoir partir aussi. Je n'aime pas cet endroit. Le Doyen me fait peur. Ici, ils me prennent tous pour quelqu'un que je ne crois pas être, et je ne sais pas trop comment leur dire. J'ai pensé que vous pourriez m'aider.
Faites vite, s'il vous plaît. Je ne veux plus rester ici.
Liam Winston. »
***
D'abord, il y a eu le déni.
Pendant plus d'un mois, la lettre est restée cachée au fond d'un tiroir, sans même que je n'ouvre l'enveloppe. L'adresse d'expéditeur que j'avais lue dessus avait suffit à me faire replonger dans des souvenirs que je pensais être parvenue à dépasser. Je priais mentalement pour juste oublier son existence.
C'est Michael qui est tombé dessus par hasard, un soir, alors qu'il triait des papiers sur mon bureau. Je le revois débarquer furieux, devant moi, l'enveloppe ouverte dans la main. Non pas en colère contre moi en personne ; mais plutôt contre mon silence et mes secrets.
Sa première phrase, ou plutôt son unique, a été : « Pourquoi tu ne m'as rien dit ? ».
Bien sûr, je lui avais parlé d'Asthall. Au fil des années, je lui avais dévoilé certains aspects de la vie que je menais là-bas. Je lui avais décrit Alec. Je lui avais chuchoté les cérémonies. Je lui avait murmuré les épreuves que le Doyen nous faisais passer. Pour chacune de mes confessions, il a toujours été une oreille attentive et il a toujours eu les bons mots. J'avais - j'ai - confiance en lui.
Et pourtant, en recevant la lettre de Liam, j'ai été incapable de me confier à qui que ce soit. Le message me replongeait dans l'univers d'Asthall ; cet univers où mon seul véritable soutien était mon frère... qui désormais n'est plus là. C'était trop dur d'en parler avec quelqu'un d'autre.
Après le déni, il y a eu la peur. Et les questions. La question, surtout.
Comment a-t-il découvert mon adresse ?
Aujourd'hui encore, je n'ai pas la réponse à cette question, qui me terrifie. Si un enfant de dix ans sait où j'habite, il y a de grandes chances que le Doyen l'apprenne un jour, s'il ne le sait pas déjà. Rien que d'y songer, mon estomac se retourne. Alicia et Théo... je ne veux pas qu'ils soient plongés dans ce monde pervers, je ne veux même pas qu'ils en entendent parler.
Le Doyen et la communauté me considéraient comme la messagère du Suprême, simplement parce que j'étais différente, de par ma gémellité et mon nom de famille. Je n'ose même pas imaginer ce qu'il feront à mes deux enfants s'ils parviennent à mettre la main dessus. Des jumeaux issus des Jumeaux Winston... j'imagine Alicia et Théo recroquevillés sous une minuscule couverture, enfermés dans une chambre glaciale, mis dehors sous la neige. Et mon ventre se contracte sous la terreur et la fureur.
Déni et peur. Terreur et fureur.
Et après...
« Liam Winston »
...l'incrédulité.
« Liam Winston »
J'ai tout d'abord refusé d'y croire. Je refuse encore d'y croire. Je nie. Je ferme les yeux. Je fuis.
Mais intérieurement, j'ai compris la vérité dès l'instant où j'ai posé les yeux sur ce nom.
« Liam Winston »
La honte et les remords sont venus se mêler à la peur et la colère.
Et c'est alors que j'ai compris que je devais revenir.
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