Chapitre 6
*AVANT*
- Alec, tu prends toute la couverture.
J'entends Alec grogner quelque chose d'inintelligible dans mon dos.
- Quoi ? fais-je pour qu'il répète.
- Tais toi, je dors.
Je souffle bruyamment pour manifester mon mécontentement, mais il m'ignore royalement et s'enroule de plus belle dans la couette. Mes poils se dressent sur mes bras quand un frisson de froid parcourt tout mon corps.
Je me retourne vers lui et me mets en position assise sur le lit, fusillant du regard son corps allongé.
- Alec, t'es pas sympa !
- Dommage.
- Je vais aller le dire à Saddy !
Je l'entends ricaner.
- Tu ferais jamais ça.
Son ton confiant m'énerve au plus haut point. Et j'ai froid, j'ai extrêmement froid dans cette chambre minuscule que même nos deux corps d'enfants ne parviennent pas à réchauffer.
Furieuse, je plonge vers lui et lui arrache la couverture. Il pousse une protestation et me pousse pour la récupérer. Notre dispute se transforme bientôt en lutte acharnée qui ne manque pas d'attirer l'attention de Saddy, qui dort dans la pièce adjacente. Elle ouvre presque immédiatement la porte, et Alec et moi nous figeons sur le champ.
- Qu'est-ce qu'il se passe encore ? grogne-t-elle.
- Rien.
C'est Alec qui a parlé, d'une voix neutre et basse. Saddy lève un sourcil.
- Je n'en suis pas si sûre. Vous étiez en train de vous disputer, n'est-ce pas ?
Aucun de nous deux ne répond.
- Vous êtes les Jumeaux Winston, reprend Saddy. Aucun conflit ne doit vous diviser. Vous connaissez la règle.
- Les Jumeaux Winston doivent être unis pour servir le Suprême, récité-je en même temps qu'Alec.
Saddy acquiesce sèchement. Je serre les poings, apeurée à l'idée qu'elle parle de notre dispute au Doyen. Mais la vieille femme se contente de soupirer et de saisir la couverture.
- Je suis prête à oublier cet incident, déclare-t-elle. Mais ce soir, afin de vous rappeler que rien au monde ne mérite de vous diviser... j'emporte ceci.
Et elle tourne les talons pour retourner dans sa propre chambre, l'objet de notre discorde entre les mains, nous laissant tous les deux seuls dans la pièce glaciale.
***
Debout au milieu de ma chambre, je tiens la couverture entre mes mains. Elle est petite, encore plus que dans mes souvenirs. Comment Alec et moi tenions-nous à deux en-dessous ?
Nous n'y tenions pas, tout simplement.
Lâchant à terre cet objet du passé, je m'approche lentement du lit, un simple matelas une place posé au sol. On aurait pu croire que les « Jumeaux Winston » avaient droit à une meilleure qualité de vie que les autres membres de la communauté, mais il faut croire que notre mode de vie austère faisait partie des épreuves que le Doyen nous imposait au quotidien.
- Vous revoir dans cette chambre me rappelle de nombreux souvenirs, soupire Saddy derrière moi.
Immobile sur le seuil de la porte, elle me regarde redécouvrir la pièce dans laquelle j'ai grandi.
- Des bons ou des mauvais ?
A peine cette question posée, je retiens mon souffle. Que va-t-elle répondre ?
- Des bons, évidement. Vous et votre frère étiez des enfants difficiles, mais j'ai pris beaucoup de plaisir à vous élever. Je serais éternellement reconnaissante au Doyen de m'avoir confié l'honorable tâche de l'éducation des Jumeaux.
Raté.
Que dois-je comprendre par sa réponse ? Soit qu'elle ne se rend pas compte, soit qu'elle nie. Qu'elle nie tout ce qu'ils nous ont fait, ce qu'elle a participé à faire.
C'est sans doute ça, le pire. Le fait qu'elle n'est probablement même pas consciente du mal qu'elle a causé, qu'ils nous ont tous causé. Le fait qu'elle soit persuadée qu'elle nous a élevés de la meilleure façon possible.
Mais c'est aussi ce qui m'empêche de la haïr. Car je sais que cette femme m'aime, malgré ce qu'elle nous a fait subir. Et, qu'au vu de sa propre éducation et de son mode de vie, la façon dont elle nous a élevés Alec et moi est parfaitement logique.
- Vous êtes sûre de vouloir dormir ici, mademoiselle ? Vous pouvez prendre une des chambres d'invités, si vous le souhaitez.
Je secoue la tête.
- Ça ira. Sors, Saddy. J'aimerais... j'aimerais rester un peu seule.
La vieille femme s'exécute sans rechigner, fermant la porte derrière elle.
J'enlève mon manteau et le lâche sur le sol, avant de faire le tour de la pièce. Les murs et le sol sont en pierre froide et grise, comme la totalité de la structure du manoir. Pas un tapis, pas une fenêtre. Seulement un matelas posé à même le sol, et une étagère emplie de livres sur le Suprême, pour la plupart écrits par le Doyen lui-même.
C'est l'endroit auquel je pense quand Michael m'accuse de trop gâter nos enfants. Je l'admets volontiers, je suis sans doute une mère trop laxiste. Mais comment ne pas l'être, après avoir grandi ici ?
Je ne veux juste pas qu'ils vivent la même chose que moi.
Relevant la tête, j'aperçois le seul objet nouveau depuis mon départ : un miroir à pied. Que fait-il ici ? Il n'y a que Saddy et le Doyen qui ont encore accès à cette pièce, et je ne vois pas qui des deux aurait eu envie de refaire la décoration.
Je m'observe dans la glace quelques secondes avant de détourner les yeux.
Mon reflet me fait mal. Que ce soit par mes yeux gris ou par mes cheveux noirs, la forme de ma bouche ou celle de mon nez, je le vois. Sa présence est omniprésente en moi, son ombre suit mes pas à la trace.
Non, quand je me regarde dans un miroir, je ne vois pas Sarah.
Je ne vois que lui. Alec.
Et, dans ces yeux qui ne m'appartiennent plus, je lis la colère, la peur et le désespoir.
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