Chapitre 25

« Continue »

Saddy blêmit en entendant ce simple mot. Elle qui insistait tant à tout m'expliquer, voilà qu'elle semble soudain hésitante. Mais cette fois, je ne la laisserais pas se défiler.

- Je n'ai pas beaucoup de temps, Saddy, déclaré-je donc. Le Doyen doit déjà être en train de me chercher.

La vieille femme acquiesce. Pour la première fois depuis que je la connais, elle semble véritablement consciente de la gravité de la situation... et de la véritable nature du Doyen. Je frémis à l'idée d'enfin avoir des réponses aux questions que je n'ai jamais osé formuler, même en pensée.

Saddy prend une grande inspiration, et déclare d'une voix mesurée :

- Ta mère est morte... à peine un jour après votre naissance, à Alec et toi. Le Doyen l'a sacrifiée au Suprême lors d'une cérémonie privée, où seul lui et un prêtre étaient présents.

- Les cérémonies privées n'existent pas, objecté-je.

Saddy acquiesce.

- Ça n'était jamais arrivé avant. Le Doyen ne m'a jamais expliqué pourquoi il ne voulait pas de public, mais j'ai toujours pensé... qu'il avait peur de ce qu'elle pourrait bien dire au peuple d'Asthall avant de mourir.

- Elle savait quelque chose ?

J'ai l'impression que plus aucune once d'air ne circule dans mon corps tandis que j'attends la réponse de Saddy. Est-ce que ma mère aurait eu un secret, quelque chose que le Doyen ne voulait pas voir révélé ?

- Oui... mais elle a refusé de me le dire, prétextant que ça me mettrait en danger.

- Mais vous vous connaissiez déjà à cette époque ?

- J'ai connu ta mère quand j'avais huit ans, avoue-t-elle. C'est l'âge auquel je suis arrivée à Asthall.

Si j'avais tenu quelque chose entre les mains, il se serait écrasé au sol sur-le-champ. Je dévisage la vieille femme, qui me rend calmement mon regard.

- Tu n'es pas née à Asthall ?

Saddy secoue la tête négativement.

- J'ai fugué de chez moi quand j'avais huit ans, révèle-t-elle sans entrer dans les détails. À cette époque, le Doyen était encore Marc Winston, le père de notre Doyen actuel, et il m'a accueillie à Asthall. J'ai été élevée avec ta mère, je la considérais comme ma sœur.

Sous le choc, je fais quelques pas dans la pièce, jusqu'à m'assoir sur une chaise.

- Comment... comment elle s'appelait ?

Saddy sourit d'un air nostalgique. Ses yeux se perdent dans le vague devant elle tandis qu'elle murmure :

- Ania. Ania Winston.

« Ania Winston. »

Le nom se répercute entre les parois de mon esprit. 

« Ania Winston. »

Il réveille en moi des souvenirs enfouis au plus profond de ma mémoire.

« Ania...

... Winston. »

*AVANT*

- Et notre père, alors ?

À peine cette phrase a-t-elle franchi mes lèvres que je la regrette. Alec me jette un regard exaspéré de derrière son petit bureau, mais n'ose pas intervenir.

- Comment ça, votre père ? lâche le prêtre en face de moi.

J'inspire un grand coup. Je ne peux plus reculer, maintenant.

- On nous dit sans cesse que nous n'avons pas de mère. Mais...

- Votre père est votre créateur, coupe sèchement le prêtre en se dressant devant moi de toute sa hauteur, et votre créateur est le Suprême. Nul humain ne vous a enfantés.

Je baisse les yeux pour échapper à son regard, et fixe le bout de ma chaussure.

- Mais... dans ce cas... d'où vient notre nom de famille ?

Alec me tape légèrement sur la main pour que je me taise. Il déteste quand je pose des questions sur notre origine. Je lui renvoie un regard agacé tandis que le prêtre soupire :

- En tant que création du Suprême, le Doyen a estimé juste de vous laisser porter le nom de son illustre famille, qui a fondé Asthall voilà des décennies. Vous ne partagez aucun sang avec les Winston, et votre nom de famille est purement... honorifique. Reprenons, maintenant.

Déçue, je me contente d'acquiescer en baissant à nouveau les yeux sur le sol.

Pas de maman.

Pas de papa.

Pas de famille.

Ma vie tourne autour d'Alec et du Suprême, rien d'autre n'a sa place dans la bulle hermétique et élitiste dans laquelle on m'enferme.

***

- Ma mère était une Winston ?

Muette, Saddy se contente d'acquiescer. Ce n'est qu'après un long silence qu'elle précise : 

- C'était la sœur aînée de notre Doyen actuel.

Inspiration, expiration.

Mes ongles se plantent dans ma peau tandis que je tente de me raccrocher à la réalité. Je dois rester concentrée. Ne pas me laisser déstabiliser.

Inspiration, expiration.

- Le... le Doyen est le frère de ma mère.

C'est mon oncle.

Il l'a assassinée.

Il l'a...

... assassinée.

Inspiration, expiration.

- Juste après votre naissance, reprend soudainement Saddy, je me suis glissée dans la chambre d'Ania pour la voir, malgré les ordres de son frère qui souhaitait l'isoler. Elle... elle m'a suppliée de vous protéger.

Lentement, de façon presque irréelle, je vois une larme rouler sur la joue de la vieille femme. Je tends la main vers elle, sans vraiment savoir dans quel but. Ce qu'elle me raconte me captive, me subjugue littéralement.

- À l'époque, je lui ai promis que je le ferais, qu'elle n'avait pas à s'inquiéter. Que vous seriez en sécurité sous mon aile, pour toujours.

Saddy fait un pas vers moi, puis un autre. Ses doigts se posent sur mon épaule, d'une façon presque maternelle. Mais malgré cette étrange douceur, ses yeux luisent d'une tristesse infinie quand elle achève :

- ... aujourd'hui, vingt-huit ans plus tard, je me rends compte... que j'ai misérablement échoué.

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