Chapitre 2

* AVANT *

Il fait froid, dehors.

Alec est debout près du ruisseau, perché sur une grosse pierre recouverte de mousse. Il a beau faire comme si l'air glacé ne l'atteignait pas, je vois la chair de poule qui parsème ses bras nus et les frissons qui parcourent son corps. Son souffle se transforme en buée dès qu'il franchit ses lèvres bleutées.

- R-Reprends ton manteau, Al'.

Ma voix est faible. Alec secoue la tête sans me regarder.

- T'en as plus besoin que moi.

- N-Non...

Il ne prend même pas la peine de me répondre et lève les yeux vers le manoir derrière nous, qui nous surplombe de son ombre menaçante.

- Quand est-ce qu'ils vont nous laisser rentrer, tu penses ? demandé-je.

Je resserre les pans de sa veste en cuir, qu'il m'a mise sur les épaules de force, contre mon corps frigorifié. Mes bottines s'enfoncent dans les dix centimètres de neige.

- Je sais pas.

Sa voix est amère. Je sais ce qu'il pense : que cette épreuve est injuste, et emplie de souffrance inutile. Au fond de moi, je pense la même chose. Mais je n'ai pas le courage de l'exprimer à voix haute.

Alors je me tais.

Et j'encaisse en silence.

***

- Vous êtes arrivée, madame.

Je sursaute quand la voix amène du chauffeur me tire de mon sommeil, et de mes souvenirs.

La réalité. Je suis revenue à la réalité.

- Merci beaucoup, balbutié-je.

Je paye la course et sors du taxi avec un empressement maladroit. La voiture m'a déposée à quelques mètres à peine de l'entrée de la propriété. À peine je pose le pied dehors que l'homme repart en trombe, m'abandonnant sur le trottoir.

Je lève les yeux vers le grand portail noir de mes souvenirs. Il n'a pas changé, il est toujours aussi effrayant et imposant. Menaçant...

Je m'immobilise devant, assaillie par des sensations toutes plus puissantes les unes que les autres. Appréhension. Colère. Remords.

Terreur.

Je devrais avancer mais je n'y parviens pas. Je suis figée sur ce trottoir, la gorge soudain nouée, le souffle court. Mes mains tremblent affreusement.

Pourquoi suis-je revenue ici ?

Je ne vais pas réussir. Je ne vais pas tenir.

Je m'éloigne de quelques pas, prête à rappeler le taxi. Je dois m'en aller. Je n'ai rien à faire ici. Tant pis pour la lettre. Tant pis pour ceux que je ne pourrais pas sauver.

Je dois partir...

- Sarah ?

Je me fige. La voix a retenti derrière moi, vibrante d'incrédulité et, presque, d'émerveillement.

- Sarah Winston ?

Je ne me retourne pas. Je veux disparaître, juste disparaître. Tout, mais pas ça.

J'aurais dû me douter qu'il y aurait des guetteurs près du portail.

Quelle idiote.

- On... on pensait ne jamais te revoir.

Je pensais aussi.

Alors que la propriétaire de la voix se rapproche de moi, je ferme les yeux, comme le font les enfants quand ils ne veulent pas être vus. Je n'arrive plus à faire le moindre geste. Je ne veux pas y retourner, je ne veux pas.

La femme fait le tour de mon corps immobile et vient se poster devant moi. Je rouvre les yeux. Je reconnais presque immédiatement ses cheveux gris, ses yeux bleus et sa peau ridée. Elle n'a pas changé, malgré toutes ces années.

- Saddy.

Ma voix est lasse et résignée.

Saddy me dévisage, les yeux écarquillés. On dirait qu'elle n'ose pas parler, comme si elle se retrouvait face à une divinité. Ce que je suis sans doute, pour elle.

Lentement, d'un main tremblante, elle porte la main à son cœur. Et elle prononce ces mots, ces cinq petits mots que je hais plus que tout au monde :

- Bienvenue chez vous, Mademoiselle Sarah.

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