Chapitre 15
- SADDY !
Désespérée, je me jette une nouvelle fois contre la porte. Mon cœur bat à toute allure et ma gorge est si serrée que l'air a du mal à y passer. Je lève la main et frappe contre le mur, une fois, deux fois, trois fois, jusqu'à avoir le poing en sang.
Inutile.
Tout ce que je fais est inutile.
Depuis combien de temps suis-je là ? Depuis combien de temps m'a-t-on enfermée, me laissant hurler seule dans le noir ?
- SADDY ! Écoute-moi !
Au-delà de la colère, c'est la peur qui emplit mon corps d'une énergie incontrôlable. Mais cette fois-ci, je n'ai pas peur pour moi.
J'ai peur pour Liam.
Je vois encore son regard terrorisé, son cri, son corps se débattant, tandis que le Doyen lui empoignait le bras pour l'entraîner à sa suite.
Je vois encore Saddy me jeter un regard indéfinissable avant de fouiller frénétiquement ses poches, alors que je restais figée par l'incompréhension, la stupeur et la panique.
Et je vois encore la seringue de la vieille femme s'enfoncer dans mon bras, alors que je m'apprêtais enfin à m'élancer vers Liam, poussée par un courage que je ne pensais pas posséder.
« Vous n'auriez pas dû désobéir, monsieur Liam Winston. Le Suprême sera mécontent. »
Voilà la dernière phrase dont je me souviens. Ensuite... les ombres de l'inconscience. Les ténèbres. Le sommeil sans rêves.
- SADDY ! Je t'en supplie...
Un sanglot perce à la fin de ma phrase. Je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas qui m'y a emmenée.
Je ne sais pas ce qu'ils ont fait, ce qu'ils font peut-être encore, à Liam.
Je dois le protéger...
Je ne peux pas me permettre d'échouer.
- S'il vous plaît... il y a quelqu'un ? Saddy !
Je tambourine à nouveau contre la porte. Je ne sais même pas s'il y a quelqu'un derrière. Je ne sais même pas si Saddy est dans les parages. Et même si elle l'est... elle ne m'ouvrirait pas. Elle est trop soumise. Trop fidèle.
Rageusement, je donne un coup de pied dans la porte, avant de m'en éloigner.
La tête me tourne. Je manque d'air. Vacillante, je pose la main sur un des murs pour garder mon équilibre. Mes doigts s'attardent sur ses aspérités.
Je fronce les sourcils.
Il y a comme des gravures, des symboles inscrits dans la pierre. Des reliefs dessinant quelque chose...
... qui ne m'est pas inconnu.
Lentement, quasiment à l'aveuglette, je trace du doigt les contours de la pierre. Le mouvement évoque des souvenirs en moi, heurte mes barrières, fragilise mes protections. Mon souffle se bloque, et j'ai l'impression qu'il ne repartira plus jamais.
Je reconnais cette pièce.
Je sais où je suis.
*AVANT*
- Il y a seize ans et huit mois, le Suprême nous a fait don d'un cadeau inestimable.
Une nuée d'exclamations s'élève à la suite de cette phrase, et, pour les plus enthousiastes, quelques poings se lèvent avec force. Le Doyen s'autorise un sourire avenant et laisse le public s'extasier presque trente secondes avant de reprendre :
- Dans quatre mois, il sera temps de lui rendre la pareille !
Nouveaux vivas. Je regarde Alec, un peu inquiète. Saddy nous a réveillés en pleine nuit pour nous amener ici, sans même nous en expliquer la raison, ce qui me fait d'autant plus appréhender la suite.
Même si, pour l'instant, je suis plus fatiguée et ensommeillée qu'autre chose.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? chuchoté-je.
Alec hausse les épaules. Ses mains sont jointes dans son dos et il garde le menton haut, mais je le connais suffisamment pour savoir qu'il n'est pas à l'aise du tout.
- Ne t'inquiète pas, murmure-t-il en remarquant ma nervosité.
J'acquiesce. Il n'a dit que trois mots, mais mon corps se détend légèrement. Sa présence me rassure. Je sais que, peu importe le temps et les épreuves, il sera toujours là, près de moi, pour me protéger. La simple vue de sa silhouette, qui à présent me dépasse d'une bonne tête, calme l'angoisse qui me guette à chaque instant de la journée.
En attendant que le Doyen nous fasse signe d'avancer, je regarde autour de moi. La salle où nous sommes se situe sous la Chapelle, et n'est accessible que par des souterrains dont je ne connaissais jusqu'alors pas l'existence.
La seule source de lumière provient du grand lustre accroché au plafond. Il supporte le poids d'une douzaine de bougies qui illuminent d'une lueur dorée les murs gravés de symboles dont je ne comprends pas le sens. Des triangles. Des losanges. Des spirales.
La voix du Doyen, qui retentit à nouveau, coupe mes réflexions. Je lève les yeux vers lui.
- Mes sœurs, mes frères. Dans quatre mois, les Jumeaux atteindront l'âge de dix-sept ans. Dès lors, il sera temps pour eux de s'unir afin de rendre au Suprême ce qu'ils lui doivent !
À côté de moi, je sens Alec se redresser. J'ai un choc quand je vois son visage. Sa bouche est légèrement entrouverte, et son regard est passé de nerveux à horrifié. Je fronce les sourcils. Je ne saisis pas la raison de sa soudaine réaction. La plupart du temps, Alec reste discret sur ses ressentis. Je n'ai pas tout compris des mots du Doyen, mais j'ai soudain un mauvais pressentiment.
- Qu'est-ce qu'il y a ? interrogé-je donc.
Il ne m'entend même pas. Ses yeux sont fixés sur le dos du Doyen. Ses mains tremblent.
Et, étrangement, j'ai l'impression que, cette fois, ce n'est pas la peur qui l'habite. Pas seulement.
Il y a aussi la colère...
... et le désespoir.
***
- Alec...
Allongée sur le sol, la main posée sur l'endroit précis où il se tenait cette nuit-là, je ferme les yeux pour tenter de me soustraire au passé. Mais peine perdue.
C'est cette nuit qui a tout changé. C'est cette nuit qui a provoqué le début de sa descente vers la fin. Depuis cette annonce, il n'a plus jamais été le même. Il me fuyait. Me détestait. Me méprisait. Chacun de ses mots envers moi était brutal et méchant. Et moi, moi qui n'avais pas compris - ou pas voulu comprendre - les mots du Doyen, je ne saisissais pas la raison de ce nouveau comportement.
Plus tard, trop tard, j'ai compris. J'ai compris que sa réaction n'avait été, encore une fois, qu'une manière de me protéger, de m'épargner la réalité des choses. Malgré ce que nous avions vécu, j'étais quelqu'un d'assez naïf. Sans doute parce qu'il consacrait tout son temps à protéger ce qu'il me restait d'innocence.
Et moi... je l'ai regardé se détruire sans rien faire. Parce que je n'ai rien vu avant qu'il n'atteigne le point de non-retour.
Je suis tellement désolée, Alec. Tellement désolée...
Un sanglot s'échappe d'entre mes lèvres. Il est bien trop tard pour lui présenter mes regrets.
Alors je me contente de rester là, avachie sur la pierre froide.
Jusqu'à ce que j'entende des bruits de pas.
Et le son caractéristique d'une clé tournant dans une serrure.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top