Chapitre 10
~ Comment pouvait-elle savoir que j'allais revenir avant même que je ne le sache moi-même ? ~
On dit que la nuit porte conseil... et pourtant, quand je me réveille le lendemain matin, je n'ai toujours pas la réponse à cette question. Au contraire, les heures qui se sont écoulées n'ont fait que la rendre plus intrigante.
Plus inquiétante.
Allongée sur le matelas, je souffle doucement. Je n'ai pas la force de me lever, d'affronter l'extérieur pour une deuxième journée consécutive. D'autant plus que, si je suis parvenue tant bien que mal à éviter les habitants d'Asthall hier, je ne peux même pas y songer aujourd'hui. Tous seront aux aguets, dans l'espoir de m'apercevoir.
Je tends le bras et tâtonne jusqu'à trouver mon téléphone, que j'ai laissé par terre en me couchant hier soir. Je grimace quand je me rends compte qu'il est à peine six heures trente. J'ai pourtant l'habitude de dormir bien plus au quotidien.
Ma grimace se transforme cependant en sourire quand je vois que j'ai reçu un message de Michael hier soir, dans lequel Alicia et Théo me souhaitent de « bien m'amuser avec ma famille. » Je ne leur ai évidemment pas donné la véritable raison de mon voyage. Ils sont trop jeunes.
Trop innocents.
Je me demande si je leur raconterai un jour ce que j'ai vécu ici. S'ils voudront connaître l'enfance de leur mère, et celle de l'oncle qu'ils n'ont jamais eu.
Ou s'ils préféreront ignorer. Je ne pourrais pas leur en vouloir, je préférerais mille fois ignorer, moi aussi.
Et surtout, leur en parler, ce serait admettre qu'ils ont un lien avec ce monde-ci, ce monde de souffrance et de terreur constantes.
Je ne suis pas certaine d'être assez forte pour l'accepter.
***
Les couloirs du manoir sont vides. Rien d'étonnant à ça : à cette heure matinale, tous les habitants d'Asthall sont à la Chapelle, en train de prier le Suprême de leur accorder une belle journée productive.
J'ai personnellement toujours pensé que cette prière du matin n'était qu'une excuse pour procrastiner plus longtemps avant de commencer à travailler. Mais quoi qu'il en soit, je profite de ce court répit pour commencer ce pour quoi je suis venue.
Liam.
Je ne peux pas repousser mes recherches plus longtemps. Être de retour ici provoque en moi des souvenirs et des émotions que je préférerai enterrer pour toujours, donc autant faire vite... et repartir directement.
Et pour toujours, cette fois.
Même si je n'ai toujours aucune idée de ce que je ferais une fois que j'aurais trouvé l'enfant. Avant d'arriver, mon idée était claire : venir, prendre Liam, repartir. À présent, je me rends compte que ce sera sans doute plus compliqué que ça. Si le Doyen tient autant à lui qu'il tenait à Alec et moi... alors c'est quasiment perdu d'avance. Le contrarier, ce serait mettre en danger ma famille.
Suis-je prête à prendre ce risque pour un enfant qui n'est peut-être même pas celui que je soupçonne d'être ?
Je secoue la tête pour chasser mes pensées.
Un enfant est un enfant. Et, qu'il s'agisse ou non de cet enfant, je ne peux pas le laisser subir ce que le Doyen lui inflige.
Et j'arrive.
Dès que je saurais où aller.
Ne sachant pas vraiment où commencer mes recherches, je laisse mon instinct me guider entre les couloirs interminables qui composent le manoir. Au bout de dix minutes, mes pas me mènent jusqu'à une aile que je reconnais immédiatement... et le dégoût emplit mon corps tout entier.
Pourtant, comme dans le reste des lieux, l'architecture est magnifique : des murs aux tapisseries raffinées, des lustres plaqués or, de grands escaliers en pierre. Ce n'est pas un environnement qu'on oublie facilement. Et pour cause, à chaque nouveau pas que je fais...
... un nouveau souvenir naît dans mon esprit.
*AVANT*
- Allez, dépêchez-vous, vous allez être en retard !
Je presse le pas face à cette phrase, que j'appréhende encore plus que le lieu où je me trouve. Mais les couloirs de cette aile sont si immenses que ça en devient angoissant ; et à chacun de mes pas, j'ai la sensation d'avancer dans le corps d'une bête gigantesque, prête a m'avaler toute crue.
À côté de moi, Alec n'en mène pas large non plus. Il a même l'air encore plus paniqué, je le vois à ses mains qui s'agitent et à la façon qu'il a de regarder dans tous les sens. Cela commence par m'inquiéter, puis je me rends compte que je tiens enfin la preuve que je suis plus courageuse que lui. Réprimant mon malaise, je lui tire la langue et trottine joyeusement jusqu'à Saddy, qui s'impatiente un peu plus loin.
- Allez, Alec, fais pas ton bébé ! lui crié-je.
Il me fusille du regard en nous rejoignant, mais il ne peut retenir sa main qui s'égare nerveusement dans ses cheveux noirs.
- Allons, arrêtez ce cinéma et dépêchons-nous ! nous réprimande Saddy. Les prêtres n'aiment pas attendre.
Moi, je n'aime pas les prêtres, mais on ne me demande pas mon avis. Alors je me contente de soupirer intérieurement, et j'emboîte le pas à notre nourrice. Mon trouble et mon malaise montent, mais je tente tant bien que mal de les cacher.
J'ai dix ans.
Et à dix ans, c'est ridicule d'avoir peur d'un couloir.
***
Je suis arrivée devant la salle de classe.
C'est là que je suivais mes cours, dispensés par les prêtres du Suprême. Ici, pas de cours de mathématiques ou de langues ; seulement du spiritisme, des prières, ou encore des leçons d'histoire sur les origines d'Asthall. C'est Saddy qui m'a appris à lire, écrire et compter. Et c'est Alec qui m'a appris à me défendre.
Je regarde à nouveau la porte. Il y a une petite fenêtre dessus, à hauteur du visage.
C'est mon intuition qui me pousse à m'en approcher.
C'est mon intuition qui me pousse à regarder à l'intérieur.
Et, quand je vois la silhouette d'un petit garçon aux cheveux noirs assis sur l'unique chaise de la pièce, c'est mon intuition qui me souffle qu'il s'agit exactement de celui que je cherche.
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