7 - H + B
Jimin et son tout nouveau partenaire avaient fini par atteindre le maudit quota. Bien que visiblement choqué sur le moment, Boseom n'avait fait aucun commentaire sur la boucherie qui avait eu lieu. Il s'était contenté d'ordonner aux ouvriers de se remettre au travail.
Quant à l'homme que Jimin avait identifié comme étant l'un des dirigeants, il s'était éclipsé après leur échange de regards prolongés, laissant une étrange sensation sur la peau de Jimin.
Épuisé et souillé, Jimin rêvait de se débarrasser de l'odeur du sang et de la peur qui s'accrochait à lui. Mais le chef Boseom l'invita à passer à son bureau avant de s'en aller. Il s'y installa donc, se préparant mentalement à la réprimande qui lui paraissait inévitable.
Une phrase inattendue s'échappa alors des lèvres de son supérieur :
– Tu as fait du bon boulot.
L'étonnement peignit le visage de Jimin.
– Du... bon boulot ?
Un hochement de tête confirma.
– Les dirigeants sont très contents de ton travail, affirma le chef. Ils ne manqueront pas de te récompenser.
Jimin ignorait dans quel monde ce qu'il avait fait méritait des félicitations. Il espérait néanmoins qu'il en récoltait pour avoir protégé Tae, et non pour avoir égorgé cette vache comme un vulgaire homme des cavernes.
– Oh, eh bien... je...- Tant mieux. Merci, je suppose.
Boseom mit fin à cet entretien des plus rapides en quittant son siège. Jimin l'imita, mais avant de franchir la porte que son chef lui maintenait ouverte, il se tourna vivement vers lui.
– Quel genre de récompense ?
Cette interrogation sembla ébranler momentanément Boseom, dont les lèvres s'entrouvrirent et se refermèrent de manière désordonnée. Il paraissait désespérément chercher dans sa mémoire - ou quelque part ailleurs - ce qu'il devait répondre à cette question qui ne semblait pas avoir le droit d'exister. Il avait l'air de faire du surplace au beau milieu d'un vaste océan, sans le moindre bout de terre à l'horizon. Jimin trouva sa réaction vraiment étrange, puis inquiétante.
– Chef Boseom ? l'appela-t-il doucement, sa voix lancée comme une ancre.
Son supérieur, après avoir secouer la tête, fit naître une expression neutre sur son visage buriné.
– Les dirigeants sont très contents de ton travail, ils ne manqueront pas de te récompenser, répéta-t-il avant de regagner son siège derrière le bureau.
Jimin fronça les sourcils en réécoutant cette même phrase que Bosoem avait pourtant l'air de prononcer pour la première fois. Il trouva une nouvelle fois son attitude bizarre, mais il était tard. Ou plutôt très tôt, le matin. Sûrement que son chef était aussi fatigué que lui l'était ; les horaires qu'ils faisaient à l'abattoir lui paraissaient parfois inhumaines.
Il remercia son chef et sortit de la pièce. L'impact sourd de la porte qui se referma derrière lui le figea un instant. Boseom n'était-il pas assis derrière son bureau, loin de la porte ? Un soupir, une tête secouée pour chasser les interrogations qui s'insinuaient. La nuit avait été longue.
Il emprunta l'issue de secours qui le conduisit hors de cette boîte sans fenêtre qu'était l'entrepôt et respira l'air extérieur à pleins poumons, espérant ainsi les purifier de cette odeur qui donnait l'impression d'avoir intoxiqué chacune de leurs alvéoles. Mais elle était là. À l'intérieur, dehors. Elle était partout, même sur lui. En lui.
– Tu t'y es toujours pas habitué tout compte fait, hein ?
Jimin pivota avec surprise et sourire vers Billie. Elle était assise par terre, son dos s'appuyant contre le petit muret qui encerclait l'entrepôt.
– Faut croire que non. Qu'est-ce que tu fais là ?
Elle haussa les épaules.
– J'ai eu vent de tes exploits, répondit-elle seulement.
Le regard de Jimin s'attarda un peu sur Billie. Pas qu'il la trouvait jolie – bien qu'elle l'était, à sa façon, avec une féminité non conventionnelle – il essayait juste de déterminer si ce qu'elle venait de dire était la véritable raison de sa présence.
Il n'aimait pas agir ainsi, ni douter d'elle, mais il s'inquiétait. Plus les jours passaient, plus la joie de vivre de la jeune femme s'éteignait. Sa bonne humeur s'était envolée et, la plupart du temps, elle ne faisait même plus semblant d'aller bien.
Elle avait réussi à changer de poste pourtant, mais n'avait pas atteint celui qu'elle convoitait. Elle était dans la chambre froide maintenant, au milieu de corps de bovin suspendu. Elle était constamment enrhumée depuis. Le dortoir était rempli de ses mouchoirs que Yoongi collectait uniquement pour les mettre sur le lit de Billie ; réprimande silencieuse.
Elle avait même failli quitter la ville. Mais ce n'était pas le jour du bus, alors elle était restée. Quand elle n'était pas au dortoir ou à l'abattoir, Jimin et Yoongi savaient où la trouver : avec Donsak.
Le pauvre chef n'en pouvait plus. Il avait beau lui dire que les affectations n'étaient pas de son ressort, mais de celui des dirigeants, Billie s'en fichait. Elle insistait toujours, essayait encore. Son acharnement forçait le respect, même si Donsak n'était sûrement pas de cet avis.
– J'ai un truc sur le visage ou tu viens de tomber amoureux de moi ? plaisanta Billie.
Un rire s'échappa des lèvres de Jimin.
– T'as un truc sur le visage, définitivement.
– Ah ouais ?
– Ouais, deux grosses cernes bleus.
– Ha-ha... fit-elle mine de rire. Très drôle. T'as du sang séché dans les sourcils j'te signale.
Ils rirent un peu puis Jimin attendit que quelque chose se passe, que sa camarade qui était venue l'attendre mette fin à cette activité qui n'avait plus lieu d'être puisqu'il était là, qu'elle se lève ou bien qu'elle parle à nouveau ; mais rien. Billie fixait juste l'une des portes de l'abattoir côté ouest, à l'ombre du soleil qui ne dépassait pas encore l'horizon. Elle était bordeau et pleine de rouille.
Jimin toussota afin d'attirer son attention.
– C'est gentil de m'avoir attendu, mais... Yoongi doit être tout seul au réfectoire, du coup.
– Je l'ai prévenu.
– Oh... d'accord.
Jimin attendit encore puis prit place à cotés de Billie. Elle ne lui accorda pas un regard. L'aube indécise reflétait dans les iris bruns de la jeune femme. Ayant l'impression de voir son âme battue comme une omelette au travers, Jimin ne put se taire plus longtemps. Si elle avait évité toute conversation en tête à tête depuis celle qu'ils avaient eu sur les cauchemars, elle n'échapperait pas à celle-ci.
– Billie, je m'inquiète pour toi. Tu n'as pas l'air d'aller bien.
Un sourire triste étira les lèvres de la jeune femme.
– Tu le sens toi aussi, pas vrai ? demanda-t-elle en levant ses yeux blessés vers lui. Ça s'amoindrit.
– Qu'est-ce qui s'amoindrit, Billie ?
Elle fit un grand cercle avec ses bras afin de montrer ce qui se trouvait autour d'eux.
– Tout ça.
Elle soupira et baissa le regard sur ses chaussures. Le lacet de sa bottine gauche était défait. Elle ne fit rien. Comme si elle n'en avait pas la force, pas l'envie. Les petites choses de la vie semblaient avoir perdues intérêts à ses yeux.
– Si je suis repartie de Meonville chaque fois que j'y suis venue, c'est parce que le manque avait disparu et que j'avais cru pouvoir gérer la suite toute seule. J'ai réussi, Jimin, y a une fois où j'ai pas replongé.
Jimin la regardait attentivement, une expression compatissante sur son visage. Il écoutait, prêt à comprendre.
– Alors pourquoi tu es revenue ?
– Pour chercher quelqu'un. Mais je n'ai pas réussi à le trouver, alors je suis repartie et... j'ai replongé. Mais, là, c'est différent. Le manque est là. Il s'est à peine estompé les premiers jours et, maintenant, je le sens grandir en moi, expliqua-t-elle en serrant ses bras autour d'elle, comme une enfant. Alors je ne sais pas comment l'appeler, ni comment ça fonctionne, mais ça s'amoindrit.
Jimin non plus ne savait pas. Pourtant, il comprenait tout à fait ce que Billie voulait dire par là. Il avait parfois l'impression que cette brume qui couvrait la ville entrait en lui et colmatait ses fissures intérieures. Elle le guérissait ou, du moins, anesthésiait sa peine, s'accrochant à lui comme un petit ami jaloux le ferait. Ses souvenirs et ses douleurs étaient là, mais légèrement endormis. Plus loin qu'ils ne l'avaient jamais été. Mais les cauchemars s'accumulaient, réveillant tout.
– Je sais que toi aussi tu le ressens, Jimin, lui dit Billie en le regardant réfléchir. Tes mauvais rêves en sont la preuve.
Elle pouffa ensuite et prit un ton plus léger :
– Franchement, essayer de dormir dans le même dortoir que toi et Yoongi, c'est comme essayer de faire une sieste à l'abattoir en plein rush.
Il avait envie de sourire à la taquinerie de Billie concernant les cauchemars que lui et Yoongi faisaient, mais il n'y arrivait pas. Il n'y arrivait pas parce que Billie avait raison. Sur toute la ligne. Quelque-chose se dissipait.
Il commençait à se dire que cette ville n'avait rien d'une simple ville. Sauf que, quoiqu'elle était, Billie voulait en faire partie ; lui, voulait juste comprendre. Mais le désir de ne pas perdre son amie était pour l'heure plus fort que son intrépide curiosité.
– Billie ?
– Hm ?
Leurs yeux bruns se rencontrèrent et Jimin lui sourit. Il chercha quelque chose de rassurant à dire, mais ne sut pas quoi. Alors, à défaut de jouer les garçons réconfortants et consolateurs, il misa sur l'honnêteté.
– J'espère que tu resteras, et que tu trouveras ce que tu es venue chercher, peu importe ce que c'est.
Le sourire fade de Billie prit de l'ampleur, s'étirant plus d'un côté que de l'autre.
– C'est gentil de dire ça, murmura-t-elle avec reconnaissance.
Il attrapa sa cheville et posa sa bottine sur son genou. Il fit son lacet doucement. Parce que si elle n'en avait pas la force, il voulait l'avoir pour elle.
Une fois le nœud fait, Billie dégagea son pied en riant puis elle bouscula gentiment Jimin de l'épaule. Ils échangèrent un regard empreint d'amitié et d'autres sentiments dont Jimin ignoraient la provenance. Ils auraient pu continuer de se perdre dans cette connexion, mais un bruit interrompit leur moment : un grincement lourd.
Billie se redressa aussitôt. Jimin également.
La porte bordeau venait de s'ouvrir.
Un groupe d'ouvriers en sortit, tous en silence et semblant n'être que l'ombre d'eux-même.
– C'est qui ? demanda Jimin.
C'était la première fois qu'il voyait ces gens.
– Les travailleurs du sous-sol.
Il tourna rapidement la tête vers sa camarade.
– Le sous-sol ? Là où tu veux aller travailler ?
Billie opina sans quitter des yeux ce cortège d'hommes et de femmes.
– Mais... ils ont l'air complètement amorphes.
– Ouais...
Elle avait l'air abattue et jalouse en confirmant, ce qui ne rassura pas du tout Jimin.
– Billie, tu sais ce qu'ils font là-bas au moins ?
– Non, et je m'en fiche. Je veux y aller.
Son entêtement hypnotique agaça Jimin qui se sentit perdre patience.
– Mais... pourquoi ?!
Sa colère et son anxiété ne firent même pas ciller Billie. Il pouvait presque voir les étincelles de détermination dans ses yeux, défiant quiconque oserait remettre en question ses décisions sur lesquelles elle campait fièrement.
– Tu vois le garçon là-bas ? dit-elle. Celui qui regarde le ciel avec un air rêveur ?
Jimin acquiesça, scrutant la silhouette du jeune homme.
– C'est un héroïnomane, lui apprit-elle. Il a fait deux overdoses, l'une d'entre elle était préméditée.
– Qu'est-ce que ça veut dire ?
– Qu'il avait la vie en horreur au point de vouloir la quitter. Et regarde le maintenant, heureux d'un rien. Dans sa petite bulle.
Malgré lui, Jimin imagina la vie de ce garçon avant de brusquement dévisager sa camarade de dortoir.
– C'est de lui que tu parlais tout à l'heure ? La personne que tu es venu chercher ?
– Oui, on est arrivés ensemble la première fois.
À cette nouvelle inattendue, les traits inquiets de Jimin disparurent, laissant place à l'étonnement.
– Vous vous êtes rencontrés dans le bus, comme nous ? chercha-t-il à savoir.
– Non, on est monté dans le bus ensemble. C'est mon petit ami. Il s'appelle Hoseok.
<3
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