6 - First meat
Avertissement : Ce chapitre contient des éléments qui peuvent être perturbants pour certains lecteurs, notamment la présence de sang, de violence pouvant s'apparenter à de la barbarie et de la maltraitance animale.
Et bonne lecture bien sûr... :)
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Le brouhaha de l'abattoir enveloppait Jimin alors qu'il prenait place à son poste. Le chef Boseom ne tarda pas à surgir devant lui :
– Willy est souffrant. Tu l'remplaces.
Jimin, déconcerté, peina à trouver ses mots.
– Je... je vais être saigneur ?
Boseom approuva d'un mouvement de tête, tout en signalant à quelqu'un de s'approcher. Jimin n'eut même pas la force de se retourner pour voir de qui il s'agissait. Il allait prendre la place de Willy, devenir lui-même le bourreau égorgeur de bêtes. Il saisit instinctivement la manche de son chef avant qu'il ne disparaisse dans le chaos ambiant.
– Mais, attendez... ! Et qui va me remplacer moi ? Autant remplacer directement Willy ! tenta-t-il de négocier, dissimulant son angoisse derrière un semblant de logique.
Mais ses mots tombèrent dans le vide. Boseom lui répondit sans ménagement, désignant du regard la personne qui les avait timidement rejoints.
– On met pas les nouveaux à ce poste. Alors tu remplaces Willy et le nouveau t'remplace toi.
Jimin jeta à peine un coup d'œil au jeune homme qui semblait à peine sorti de l'adolescence, toute son attention étant sur son supérieur.
– Je ne vais pas y arriver, prévint-il, une pointe de panique perçant sa voix.
– Vaudrait mieux pour toi qu'si. Les dirigeants sont dans les parages, c'ui qui gère l'entrepôt va y venir.
Sans plus de cérémonie, le chef lui confia le couteau avant de s'en aller distribuer des consignes ailleurs.
– Merde... cracha Jimin dans un murmure.
Ce n'était pas la première fois que les dirigeants passaient à l'entrepôt mais, comme ils le faisaient la nuit, c'était la première fois qu'il allait les voir. Et il fallait que ça tombe un jour comme celui-ci, où Willy avait jugé bon de tomber malade.
Jimin n'avait entendu que des bruits de couloirs au sujet des dirigeants. On racontait qu'ils étaient trois frères, des figures respectées et intimidantes. Personne n'avait envie de les décevoir à Meonville et, d'après ce que Jimin avait entendu, ça n'était encore jamais arrivé.
Il n'avait aucune envie d'être le premier.
– Je ne me sens pas très bien...
La voix chevrotante du nouveau s'échappa, surprenant presque Jimin qui avait totalement oublié sa présence. Il inspira profondément pour reprendre le contrôle de ses émotions puis s'adressa au garçon dont les dents claquaient de stress.
– Comment tu t'appelles ?
Le regard effrayé que lui lança le nouveau le transperça. C'était une peur inattendue, une peur qu'il n'avait jamais suscitée. Était-ce à cause du couteau dans sa main ? Pourtant, le garçon ne fixait pas la lame, mais Jimin lui-même.
– Je... t'ai déjà vu... marmonna le nouveau, grelottant.
Fronçant les sourcils, Jimin l'examina sous toutes les coutures. Les oreilles légèrement décollées, un nez fin, et il n'avait aucun souvenir d'avoir croisé ces grands yeux noisette quelque part. Mais, ici, difficile de se fier à sa mémoire.
– À la télé, ajouta le nouveau.
– À la télé ? s'étonna Jimin. Comment ça à la télé ?
– Rien, désolé ! Je dois confondre ! Pardon, je suis désolé. Je...- pardon.
Le balbutiement du nouveau créa un flottement étrange. Jimin décida de mettre son attitude fébrile et sa confusion sur le compte de son premier jour à l'abattoir. Après tout, il avait lui-même traversé ce baptême du feu ; du sang. Il savait à quel point c'était déstabilisant. Même les cauchemars avaient peur de cet endroit. Jimin n'en rêvait jamais.
– Comment tu t'appelles ? redemanda-t-il au nouveau.
– Tae.
Jimin prit note de son prénom d'un mouvement de tête.
– Moi, c'est Jimin. Est-ce qu'on t'a expliqué ce que tu allais faire aujourd'hui, Tae ?
Le nouveau dut s'y reprendre à deux fois avant de réussir à parler. Jimin connaissait ça, c'était à cause de l'odeur et de la nausée qui l'accompagnait. Desserrer les dents semblait parfois impossible.
– T-t-tenir les vaches pendant...
Ce Tae semblait totalement terrifié, mais désormais par ce qui l'attendait. Jimin se demanda si, à son arrivée, il avait autant eu l'air à deux doigts de s'écrouler que lui.
– ... pendant qu'elles se font é-égorger, bégaya le nouveau, les yeux rivés sur le grand couteau.
Jimin claqua des doigts afin d'attirer son attention. Le garçon sursauta puis son regard brièvement capté s'enfuit à nouveau lorsqu'une vache se fit traîner à l'intérieur de l'entrepôt. Elle meuglait, ignorante. Deux hommes et une femme la prirent en charge afin d'aller l'assommer. Ensuite, ce sera à Jimin et Tae de jouer.
– Elle... elle a l'air si gentille.
Jimin saisit fermement le bras de son nouveau partenaire, sentant la fragilité de son âme.
– Tout ce que tu as à faire, c'est de la serrer fort dans tes bras en prenant soin de bien tendre son cou. Je me charge du reste. D'accord ?
Jimin avait employé un ton doux. Il l'avait fait afin de rassurer ce garçon, bien sûr, mais aussi pour que tout se passe au mieux. Ce travail n'était pas sans danger.
Tae acquiesça puis son regard slaloma entre cette vache encore consciente et ce couteau dont le sang avait marqué à jamais la lame. Jimin, plus petit que lui, se dressa sur la pointe des pieds pour lui bloquer la vue.
– Le moment venu, ne regarde pas, lui conseilla-t-il vivement. Tu t'habitueras, mais... au début, c'est compliqué.
Il offrit à Tae un sourire feint et empreint d'amertume qui dissimulait mal son dégoût. Il se sentait écœuré d'endoctriner un nouveau disciple à cette routine macabre. Puis il pensa aux vies sur le point de s'éteindre sous le tranchant du couteau qu'il tenait. Et tout ça pour quoi ? Pour nourrir des estomacs qui ne connaîtraient jamais la réalité de ce qui se passait ici.
Alors qu'il se mettait en place, il se questionna sur la nature humaine, se demandant si les amateurs de barbecue pourraient supporter de voir le regards terrorisés des vaches, le sang gicler de leurs veines et leur vie s'éteindre simplement pour satisfaire leur gourmandise carnivore.
Si seulement ils pouvaient voir l'horreur qui se déroulait dans cet abattoir... Mais est-ce que cela changerait vraiment quelque chose ? Peut-être que si chaque bouchée était accompagnée du cri agonisant d'une vache, ils y penseraient à deux fois avant de dévorer des hamburgers et des entrecôtes "à point, s'il vous plaît".
Depuis qu'il était à Meonville, Jimin remettait sérieusement en question ses habitudes alimentaires. Il lui arrivait encore de manger la viande servie à la cantine, mais c'était surtout par nécessité, pour maintenir ses forces. Une excuse ? Peut-être bien.
Mais la bouillie, le riz et les maigres portions de légumes ne suffisaient pas toujours. Déjà pas bien épais, il avait maigri depuis son arrivée. Et la perspective de devenir trop faible pour travailler le terrifiait. Que ferait Meonville de lui s'il ne pouvait plus contribuer à l'effort collectif ? Ça ne devait pas arriver. Même si sa mémoire vacillait, les souvenirs récurrents de son frère étaient une chaîne suffisamment solide pour le retenir ici.
Quand la vache inconsciente arriva à son poste de travail, il en était encore à espérer que Willy entre dans l'entrepôt. Mais ce ne fut pas le cas. Il dut donc faire au mieux pour gérer son angoisse ainsi que celle de ce Tae qui s'était mis à pleurer.
Jimin se sentait désolé pour lui, pour cette vache, pour tout, mais le travail à la chaîne n'attend pas. Il redonna donc rapidement les consignes à son binôme pétri de peur avant de placer le couteau contre le cou de l'animal.
– Je suis désolé, murmura-t-il.
Il fit glisser la lame d'un geste rapide. Elle s'immobilisa en bout de course. La seconde d'après, la robe de l'animal fut inondé par un flot rouge. Tae cria en lâchant l'animal alors que Jimin contemplait la cascade pourpre sans en revenir d'à quel point ça avait été horrible. Et facile.
Il venait d'ôter une vie d'un geste presque mécanique, et le liquide vital de la bête se déversait à ses pieds, traversant les grilles pour se perdre dans l'obscurité abyssale située en-dessous.
Jimin n'eut d'autre choix que de se reprendre. Il dut aussi gérer Tae en le secouant un peu. Il n'y avait pas de temps à perdre. Une seconde vache allait bientôt arriver et il allait la tuer. Il allait en tuer vingt cinq.
C'était le quota pour cette nuit.
소
Après avoir assassiné une dizaine d'animaux innocents, Jimin s'était complètement dissocié. Son esprit s'était recroquevillé dans un coin afin de rester sain tandis que son corps faisait le boulot.
Pour Tae, c'était une autre histoire. Jimin avait dû lui trouver un seau pour recueillir ses vomissements. Étonnamment, cela n'avait pas suscité la moindre réaction de la part de Boseom. Jimin aurait pourtant pensé que, contrairement à Donsak, il aurait dit quelque chose. Mais non. C'était comme si les chefs avaient été témoins de ce spectacle trop souvent, ou qu'ils ne le voyaient même pas.
– Attends... elle n'est pas complètement assommée celle-ci, observa Tae avec effroi.
La vache nouvellement arrivée gigotait légèrement, les paupières affolées. Tae contemplait de façon horrifiée les yeux de cette vache s'ouvrir et se fermer. Jimin, lui, ne lui accorda pas un regard.
– Ça arrive parfois, expliqua-t-il à Tae d'une voix éteinte. Mais il faut quand même le faire. Tiens-la bien, il ne faut pas qu'elle bouge.
Tae secoua la tête de droite à gauche alors qu'il serrait pourtant le cou de l'animal d'une demi-tonne entre ses bras.
– Oh mon dieu, je vais encore vomir... dit-il alors que Jimin s'approchait avec le couteau.
– Tae, tiens la bien ! le mit-il en garde.
– Je la tiens, je la tiens ! répondit Tae avec angoisse.
Jimin plaça le côté tranchant de la lame contre la gorge de la vache, mais dès que la peau fut transpercée, l'animal se débattit de toutes ses forces pour se libérer.
– Tiens la ! ordonna Jimin au nouveau, dans un mélange d'autorité et de supplication.
Tae grognait sous l'effort, mais la tâche devenait trop colossale pour lui. Jimin se dépêcha de faire entrer la lame du couteau plus profondément, mais quand il le fit, la vache eut un soubresaut. Elle donna un coup de tête en arrière et ce fut la boîte crânienne de Tae qui encaissa le choc.
Le garçon tomba aussitôt sur le sol, sonné.
– Tae ! hurla Jimin.
Plus personne ne tenait la bête qui, blessée à mort, s'était mise à convulser en se vidant bien trop lentement de son sang. Ses sabots menaçaient d'écraser Tae et mirent un coup sur le chariot présent sur le poste de travail. Il roula sur plusieurs mètres, mettant un désordre sans nom dans la ligne de production.
La totalité de l'entrepôt s'était de toute manière arrêtée de travailler dès que Jimin avait crié le nom de son binôme à terre, conscient mais incapable de se lever.
Craignant le pire pour le nouveau, Jimin comprit qu'il n'avait d'autres choix que de prendre quelques risques afin de mettre un terme au danger. Il devait abréger les souffrances inutiles de cette pauvre bête.
Serrant son couteau fortement entre ses doigts de peur de le lâcher, il observa le mouvement des pattes affolées, les enjamba puis se jeta sur l'animal à terre, serrant son cou entre ses cuisses. Sa main libre agrippa l'une des cornes qu'il tira vers l'arrière afin de tendre cette peau qu'il avait déjà commencé à taillader.
D'un geste sec et barbare, il acheva le travail. Le sang gicla de jugulaire tranchée, éclaboussant son visage et, dans un dernier meuglement, sa seizième victime rendit l'âme.
Pour la première fois, Jimin n'entendit que le silence dans l'entrepôt. Le calme bourdonnait dans ses oreilles alors qu'il sentait le liquide chaud perler le long de son visage, tout comme il le faisait sur la lame du couteau dans sa main. Le ploc-ploc lointain des gouttes rouges, presque imaginaire, accompagnait ses pensées.
Je n'ai pas eu le choix. Des paroles destinées à apaiser sa conscience déjà écorchée. Des paroles qu'il se rappelait avoir murmurées, autrefois.
Tae rampait sur le sol rougi afin de s'éloigner du cadavre tandis que chaque ouvrier observait le tableau macabre et sanglant que Jimin avait peint. La toile ne semblait pas susciter le même sentiment chez tous. Certains paraissaient écœurés, d'autres impressionnés.
Au milieu de tout ça, il y avait cet homme que Jimin n'avait encore jamais vu, mais dont le regard perça le sien. Il portait des habits aussi sombres que l'étaient ses yeux et, malgré les circonstances, il se tenait calmement près de Boseom, les mains derrière le dos.
Jimin en était sûr, il s'agissait de l'un des dirigeants.
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