35 - Eux
Hello ! ^^
Comme annoncé, nouveau chapitre. Et j'ai hâte de connaître vos impressions et vos ressentis :)
Merci d'être encore là.
Bonne lecture !
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La résignation est une bête sournoise. Elle s'infiltre lentement, à la manière d'une brume engloutissant un village. Elle recouvre tout de son voile gris, étouffe les cris et ternie les espoirs.
Dans le sous-sol, cette bête avait fait son nid.
Les insubordinations, les accusations acerbes... Tout cela ne ressemblait plus qu'à un mauvais rêve au petit matin. Il ne restait plus qu'une file austère et disciplinée qui s'étirait devant la porte du bureau de Jungkook. Cette porte qui, quelques heures auparavant, faisait grincer les dents des ouvriers, incarnait dorénavant une barrière sacrée qu'on ne franchissait qu'une fois son tour venu. Et ils crevaient tous de l'attendre.
Les travailleurs du sous-sol avaient beau maudire Jungkook, sa magie apaisait leur lutte quotidienne contre l'Obscurité. Mais la quiétude était éphémère, et ils le savaient tous. Alors ils reviendraient ; toujours plus affamés, toujours plus dépendants. Résignés.
Jimin observait tout cela à distance en accomplissant ses corvées, sa silhouette effacée dans la lumière terne des ampoules fatiguées. Ces femmes et ces hommes, qui entraient un à un dans le bureau, et qui en ressortaient aussi hagards que soulagés... Il n'y aura jamais de réelle rébellion, songea-t-il.
Les pouvoirs vampiriques de Jungkook s'étaient imposés comme la seule solution à leur tourment, ce qui le rendait intouchable. Il était l'ancre qui les maintenait à flot, même si cela signifiait les enchaîner.
Jimin secoua la tête afin d'y déloger le vampire et ramassa un couteau abandonné près de la cuve. Cette dernière était légèrement plus remplie qu'avant la réouverture partielle de l'abattoir, mais à peine. Les quelques vaches que Namjoon avait ramenées évoquaient une goutte d'eau comparée au rendement habituel.
Avec un soupir, Jimin s'employa à nettoyer la lame ramassée et la frotta si violemment qu'il aurait pu en user le métal. Mais le sang ne partait pas. Bien sûr qu'il ne partait pas. Il était incrusté, tout comme cette hargne sourde qui gonflait en lui sans trouver de cible.
Puis il sentit une présence. Une de celles qui vous lacère l'échine avant même que votre cerveau n'ait le temps de commander à votre corps de bouger.
Un coup d'œil autour de lui révéla que le dirigeant était venu à bout de la file et qu'il était embarqué dans un face-à-face avec lui qu'il n'avait pas vu venir. Mais ce n'était pas le Jungkook auquel il s'était habitué. Non.
Le contour des yeux noirs du vampire était sillonné de stries de la même teinte, comparable à des racines mortes rampant sous sa peau de porcelaine. Et deux canines d'ivoire pointaient au-delà de sa lèvre inférieure.
Jimin sursauta. Le couteau échappa à ses doigts et ricocha au sol dans un tintement métallique. Il n'eut le temps de rien d'autre que Jungkook fondit sur lui, la distance entre eux s'effaçant si vite qu'il remit en cause son existence.
Ses reins heurtèrent brutalement la cuve derrière lui. Le choc lui arracha un gémissement étranglé. Le bas de son corps se moulait contre la paroi tandis qu'il tâtonnait à l'aveugle pour trouver un appui sur le rebord. La texture était visqueuse, mais il s'y agrippa de toutes ses forces. Il n'avait pas le choix. Pour se tenir éloigné de ces dents aiguisées face à son visage, sa colonne vertébrale était arc-boutée en arrière, au-dessus du vide. Et la robustesse du vampire ne lui permettait pas de se redresser.
Il se sentait réduit à rien. Un roseau fragile, ployant sous la violence d'une tempête qu'il était incapable de combattre. Seulement, la mare derrière lui n'offrait aucun réconfort. Il risqua un coup d'œil en arrière, vers ce fond de liquide sombre et visqueux. Immobile. Calme. À l'opposé total du déferlement qui secouait son être.
Son coin de l'œil aperçut le couteau gisant à ses pieds. Un espoir fugace, aussitôt étouffé : il n'aurait jamais la force de l'atteindre, encore moins de l'utiliser. Mais ce n'était pas seulement l'impossibilité qui lui fit lever le regard vers Jungkook ; c'était l'idée même qu'il n'avait pas la volonté de s'en servir contre lui.
Il en était presque à attendre la morsure fatale lorsque la voix du vampire résonna, posée mais sèche.
— La brume qui couvre la ville est de la même nature que celle que je dégage lorsque j'hypnotise. Mais en plus grande quantité.
Pas d'introduction, pas de préambule. Les mots paraissaient nés de nulle part, froids et irréels. Jimin haletait, incapable de se concentrer. Ses pieds patinaient sur le sol à la recherche d'un équilibre qui continuait de lui faire défaut.
— Mais tu as dû le remarquer, poursuivit Jungkook, indifférent à son trouble, la brume s'est dissipée depuis le manque de sang que le départ de Namjoon a engendré.
L'oppression du corps du vampire contre le sien, sa proximité invasive, sa position inconfortable – tout conspirait pour empêcher Jimin de penser clairement. Sous ses doigts, le pourtour de la cuve ne cessait de glisser comme s'il voulait le livrer à la gravité et au désastre.
— Qu'est-ce qu-que vous r-racontez ? lâcha-t-il d'une voix tremblante, plus en réaction à sa propre confusion qu'au discours.
Le vampire se pencha davantage. Sa main droite s'abattit à quelques centimètres de celle de Jimin, sur le rebord de la cuve. Le bruit sec fit bondir son cœur. Maintenant, le peu d'espace qu'il lui restait avait disparu, réduit à un souffle qui, dans le cas de Jungkook, n'existait même pas.
— Je me justifie, susurra le vampire. Alors tais toi et écoute.
Jimin sentit un frisson remonter le long de sa nuque, là où ses cheveux prenaient naissance
— Je... je ne vois pas le rapport entre... la brume et les meurtr...-
— J'y viens, coupa Jungkook.
Il se redressa légèrement, mais l'impression qu'avait Jimin d'être pris au piège ne s'allégea pas. Au contraire, cette posture ne faisait que souligner l'espace ridicule dans lequel il était coincé. Il s'y sentait rapetissir.
— Ce n'est pas moi qui m'occupe de la brume, ni mes frères. Mais les Anciens.
Les paupières de Jimin papillonnèrent, son dos hurlant sous la pression alors qu'il gigotait pour tenter de se donner du leste.
— Les anciens quoi ? balbutia-t-il, désorienté.
— Nos Anciens, précisa Jungkook avec gravité.
Jimin cessa aussitôt de gesticuler. Des vampires, des vieux vampires. Cela lui arracha une série d'images mentales qu'il aurait préféré que son imagination ne conçoive jamais. Des monstres millénaires aux crocs acérés, si âgés que même l'Histoire avait oublié leurs noms, des ombres immortelles, aussi anciennes que le monde, assoiffées de quelque chose de plus effroyable encore que le sang, si tant est que cela soit possible.
Il se sentit stupide de n'avoir peur que maintenant, alors que Jungkook était juste là, si proche qu'il pouvait compter les cils qui ourlaient ses yeux noirs. Le vampire incarnait déjà tout ce qu'il aurait dû craindre, mais il ne put rien contre l'éclosion à rebours de ce sentiment, ni contre le son indistinct qui s'échappa de sa bouche entrebâillée, trahissant sa stupeur et son affolement vis-à-vis de ces Anciens.
— Ne pose pas de questions sur eux, ordonna Jungkook, son ton brusque verrouillant toute porte avant même qu'elle n'existe.
Jimin opina, trop vite, trop maladroitement. Le dirigeant, lui, tourna légèrement la tête sur le côté, son profil s'offrant comme un tableau peint avec soin. Il paraissait cherchait ses mots, ou peut-être la meilleure façon de les asséner. Une hésitation qui ne lui ressemblait pas. Puis ses yeux d'obsidienne revinrent se poser sur Jimin.
— L'hypnose, finit-il par dire. Elle affaiblit et affame.
Cette confession, bien que livrée d'un ton maîtrisé, avait la texture d'une écorchure. Jimin le sentit immédiatement.
— Et, comme tu peux le constater, ajouta le vampire, il me coûte de plus en plus de l'utiliser.
Mû par l'invitation implicite, le regard de Jimin glissa le long des stries noires qui ramifiaient le visage face au sien. Ces lignes sombres n'étaient pas immobiles : elles s'élargissaient, se propageaient, lentement, menaçant d'avaler cette beauté glaciale qui se tenait dangereusement près de lui.
— Mais ce n'est rien comparé à ce que les Anciens endurent, reprit Jungkook. Je n'ai hypnotisé qu'une poignée d'ouvriers. Eux maintiennent Meonville et ses habitants sous cloche. Ils consomment énormément de sang à cause de la brume qu'ils déploient pour accomplir ce miracle. Et plus le temps passe, plus leurs besoins augmentent.
Jimin sentit son estomac se nouer alors que, un à un, les wagons se raccrochaient. Willy lui avait un jour raconté que, des années auparavant, l'abattoir se contentait de faucher dix vies animales par semaine. Aujourd'hui, il côtoyait des quotas allant jusqu'à trente par demi-journée. Une telle frénésie ne s'expliquait pas. Jusqu'à maintenant.
— C'est pour eux que l'abattoir grossit sans cesse... réalisa-t-il tout bas.
Ses yeux allèrent chercher la gouttière, visible par dessus l'épaule de Jungkook. Cette artère de pierre qui serpentait à travers le sous-sol pour se perdre dans une impasse avait toujours été là, évidente et pourtant sans réponse, comme une énigme gravée dans les entrailles de l'abattoir. Jimin avait passé des semaines à la manipuler, à l'observer, à s'interroger à son sujet. Et là, tout s'éclairait.
— La gouttière mène à eux, souffla-t-il.
L'ampleur de la situation lui sautait au visage presque aussi brutalement que Jungkook l'avait plaqué contre la cuve. La quantité astronomique de sang récoltée, bien trop importante pour seulement trois vampires, s'expliquait enfin. Ils étaient nombreux. Plus nombreux qu'il ne l'avait jamais songé. Une communauté tapie dans l'ombre.
Les Anciens était le centre gravitationnel autour duquel tout tournait. Ils étaient le but. La raison, ce qui donnait sens à tout ce qui jusqu'alors n'en avait pas. Ils étaient ce qui manquait à Jimin : la clef pour comprendre cet endroit. Pour comprendre Jungkook.
— Tout ce que vous faites, c'est pour eux, murmura Jimin, comme s'il espérait apprivoiser cette vérité en la prononçant.
Le léger hochement de tête du vampire qui suivit eut un effet étrange sur lui. Ce n'était pas un acquiescement plein de fierté, mais un geste alourdi par une résignation presque semblable à celle des ouvriers. Jimin sentit quelque chose s'infiltrer en lui, à travers ses propres fissures qu'il avait essayé de sceller sans succès. Une compassion inattendue, irrépressible mais, surtout, salvatrice.
Il captura le regard de Jungkook du sien, cherchant un refuge dans ces yeux charbonneux.
— Ils comptent pour vous, murmura-t-il avec une douceur qui trahissait ses pensées.
Jungkook resta de marbre. Un marbre fissuré.
— Ils sont ce que je suis. Ce que je serais, répondit-il, la voix glaciale, mais teintée d'une nuance que Jimin ne put nommer.
— Est-ce qu'ils... souffrent ? osa Jimin, bravant l'interdit de se renseigner sur eux.
Le dirigeant inclina légèrement la tête, comme si cette question frêle et désarmante avait effleuré un endroit en lui qu'il n'avait pas l'habitude d'explorer.
— Oui, finit-il par répondre.
Sa voix était si basse qu'elle ressemblait à un murmure porté par le vent. Et pourtant, elle semblait résonner partout : dans la cuve, dans l'air chargé de sang, dans les veines même de Jimin.
— Alors pourquoi... ? voulut-il comprendre. Produire plus de sang, pour hypnotiser plus... Ça ressemble à une boucle sans fin.
— L'égoïsme, répondit Jungkook, sans détour.
Jimin battit des cils, pris au dépourvu.
— L'égoïsme de vouloir protéger ce qui nous est cher, précisa le vampire. Ce n'est pas éloigné de ce que toi, tu as fait.
— Moi ? souffla Jimin, incrédule.
La voix du vampire s'adoucit, tout en conservant sa netteté .
— Je parle de ton amie à la queue-de-cheval. L'égoïsme. C'est aussi ce que je t'ai dit, ce jour-là, lorsqu'elle s'est retrouvée à l'infirmerie.
Ce souvenir, enterré mais toujours vivant, surgit avec une brutalité insupportable dans l'esprit de Jimin. Il revit le lit de Billie couvert de sang, sentit le poids de la jeune femme dans ses bras, entendit le désespoir dans sa propre voix appelant à l'aide au réfectoire.
— Elle souffrait, elle voulait mourir, renchérit Jungkook, ses mots percutant ses pensées comme un marteau sur du verre fissuré. Mais toi, tu voulais qu'elle vive. Peu importe ce qu'elle ressentait, peu importe son désir d'en finir. Tu as pris cette décision pour elle, parce que tu ne pouvais pas supporter de la perdre.
La honte piqua les yeux de Jimin, qui les baissa instinctivement. C'était vrai. Il avait prié, supplié pour qu'elle vive, même en sachant qu'il allait contre sa volonté.
— Je ne voulais pas qu'elle meure, se justifia-t-il.
— Non, contesta Jungkook. Tu ne voulais pas être seul.
Jimin releva la tête brusquement, comme si on venait de le gifler. Ses lèvres s'entrouvrirent dans un souffle court, mais aucun mot ne vint. La morsure de cette remarque l'avait ouvert à vif. Jungkook ne semblait pourtant pas le juger ; il n'y avait pas la moindre moquerie dans son ton, ni l'ombre d'un mépris dans ses yeux. Au contraire, le vampire semblait... le comprendre.
— Ce n'était pas la première fois, pas vrai ? lança Jungkook.
Jimin fronça légèrement les sourcils, encore embrouillé par ce qui venait d'être dit.
— La première fois que quoi ?
— Que la vie d'un proche reposait entre tes mains, clarifia le vampire. Combien de personne as-tu perdu ou crains de perdre ?
Une floppée d'êtres chers traversa l'esprit de Jimin. Ses grands-parents, sa mère, Nara. La liste s'arrêta là, mais non par manque de noms. Plutôt parce que la voix de Jungkook le persécutait.
— Combien de fois t'es tu battu pour les autres, non pas parce qu'ils le voulaient, mais parce que tu ne pouvais pas t'en empêcher ? Tu n'y réfléchis même pas, j'en suis sûr. Tu es ce genre de personne, Jimin. Celui qui se place toujours après. Celui qui pense pouvoir porter le poids des autres, quitte à se faire écraser sous sa charge. Tu donnes tout en te positionnant en dessous, comme si c'était naturellement ta place.
Les doigts de Jimin se crispèrent encore plus fort sur le rebord de la cuve. Il voulait nier, mais Jungkook avait raison.
Dans son autre vie, il y avait eu toutes ces fois avec son oncle et son frère. Et à Meonville, il n'était pas différent de ce qu'il avait été. Ces nuits à écouter Yoongi se confier sur ses souffrances, sans jamais oser parler des siennes. Ces semaines à s'inquiéter pour Billie, alors que lui-même ne mangeait presque plus. Ces insomnies pour Yubo, pour Tae... Pour Jungkook. Tout ces instants où il avait choisi les autres avant lui-même étaient la preuve que le vampire l'avait cerné.
Ses jambes, pourtant solides quelques instants plus tôt, menaçaient de céder sous la pression. Du fichu coton mouillé.
— Arrêtez... supplia-t-il faiblement.
Mais Jungkook ne bougea pas, ses yeux toujours ancrés aux siens, sombres et perçants, mais curieusement dépourvus de cruauté.
— Pourquoi ? répondit-il d'un murmure presque provocateur. Parce que c'est vrai ?
Jimin tourna la tête, espérant reprendre contenance. Mais Jungkook, comme pour le défier, inclina la sienne, ses mèches sombres tombant sur son front. Des traits noirs de plus sur son visage.
— Nous ne sommes pas si différents, toi et moi. Sauf que personne ne viendra sauver les Anciens comme j'ai sauvé ton amie. Mes frère et moi nous battons seuls.
Jimin sentit le rebord de la cuve s'enfoncer un peu plus dans le bas de son dos. Une douleur sourde irradiait, mais il n'y prêtait pas attention. Pas alors que Jungkook appuyait son corps contre le sien. Il pouvait humer son parfum. Jungkook sentait l'hiver. Il sentait la nuit.
— Alors si tu veux juger nos armes, Jimin, vas-y. Mais ne prétends pas ne pas comprendre alors que tu sais très bien ce que ça fait de voir ceux qui comptent souffrir. Et tu sais surtout de quoi ça rend capable.
La respiration de Jimin se hâta, son esprit cherchant désespérément un échappatoire. Il n'en trouva aucun. La vérité était là, crue et impitoyable. Il comprenait. Il comprenait Jungkook. De tout son être, de toute son âme.
— Ça rend capable de tout, murmura-t-il alors, le menton tremblant.
Une lueur fugace traversa les yeux sombres du vampire. Était-ce de l'étonnement ? De l'approbation ?Jimin n'aurait su le dire, mais il sentait que quelque chose venait de changer, comme s'il avait franchi une frontière invisible qu'il n'avait même pas su que Jungkook surveillait.
Comme s'il était dorénavant prêt à entendre, le vampire entra dans le vif du sujet :
— Les humains que tu as trouvé dans le camion ont fait croire à mon frère qu'ils détenaient des informations cruciales pour aider les Anciens. Mais ils ont menti. Leur tout dernier mensonge...
Jimin frémit en repensant au camion, à l'odeur, à l'horreur.
— C'est votre frère qui les a tués ? espéra-t-il.
Le vampire serra les mâchoires, un geste infime. Et pourtant, ce geste parlait, il hurlait.
— L'inaction, lorsqu'elle est un choix, rend tout aussi coupable.
Ses mots voulaient tout dire. Ils heurtèrent Jimin, le fendirent. Mais, surtout, il s'y identifiait facilement, lui qui avait laissé les enfants du foyer subir la violence son frère sans bouger, et qui avait encaisser celle de son oncle sans que Minjun ne remue le petit doigt pour lui.
Quand Jungkook rapprocha son visage, Jimin sentit son souffle se couper.
— Maintenant que tu sais tout ça, peut-être que tu arrêteras de me regarder comme si je n'étais qu'un monstre.
Le vampire recula, rompant leur proximité. L'absence soudaine de son poids laissa Jimin étrangement vide et un peu désorienté. Il inspira profondément, son thorax se soulevant douloureusement alors qu'il se redressait, sa colonne vertébrale réclamant une attention qu'il n'avait pas l'intention de lui accorder.
— Ce n'est pas... ce que vous vouliez en m'envoyant nettoyer le camion ? Que je vous voie comme un monstre, que je voie... le monstre ? murmura-t-il, ses mots teintés d'une émotion qu'il ne contrôlait plus.
La réponse de Jungkook ne se fit pas attendre.
— Si, parce que c'est ce que je suis, et que tu dois le savoir, répliqua-t-il durement, en reculant d'un mètre encore.
Jimin plissa ses sourcils avec confusion.
— Alors pourquoi vous justifier et vouloir que je pense l'inverse ?
— Parce que je pensais pouvoir supporter.
— Supporter quoi ? insista Jimin, son cœur battant la chamade.
Leurs regards se croisèrent.
— La façon dont tu t'es mis à me regarder.
Ce fut un murmure. Une confession arrachée au plus profond du vampire. Dans cet aveu, il n'y avait plus de défense, plus de calcul. Plus de ce masque qu'il portait si bien. Juste un homme — ou un monstre, mais qu'importe — exposant une douleur qu'il aurait sans doute préféré enterrer sous des couches de ténèbres.
Pour la première fois, Jimin ne sut plus qui, de Jungkook ou de lui-même, était le plus brisé. Mais la peau pâle du vampire, fissuré comme un vase, semblait donner la réponse.
Jimin eut soudainement l'envie de lui tendre la main. Et, vouloir... c'était un mot faible. Il en avait... besoin. Besoin de lui montrer qu'il n'avait pas peur de lui. Besoin de toucher sa douleur, de l'apaiser. Besoin de combler ce vide, cet abîme entre eux, même s'il devait y plonger tout entier pour ça.
Sa raison l'implorait de ne rien en faire, mais c'était trop tard. Son corps avait pris les commandes. Un pas en avant, instinctif, irréfléchi. Puis un autre. Ses jambes bougeaient comme si elles avaient leur propre volonté. Il voulait s'en convaincre, se dire qu'il ne pouvait rien contre ce désir qui lui comprimait le cœur et brouillait son esprit, alors que, sans précipitation, il réduisait l'espace entre eux, d'un centimètre à la fois. Ses chaussures raclaient le sol, lentement, irrémédiablement, alors qu'il gardait les yeux du vampire en ligne de mir, comme une ligne conductrice.
Il aurait pu jurer que Jungkook l'observait avec cette même tension, comme s'il attendait de voir jusqu'où il oserait aller. Comme s'il n'avait pas encore décidé s'il fallait le repousser ou le laisser plonger dans cet abîme qui n'appartenait qu'à eux.
Il n'y avait plus qu'un dernier pas à faire et pourtant, au moment où Jimin s'apprêtait à franchir ce seuil, les yeux de Jungkook se posèrent derrière lui et sa voix rauque s'éleva :
— Ton timing est déplorable, Willy.
L'instant s'effondra aussi soudainement qu'il était né. Jimin se retourna précipitamment, encore fébrile, pour découvrir Willy planté là, de l'autre côté de la cuve. L'homme semblait aussi surpris qu'embarrassé, son visage oscillant entre un froncement de sourcils et une expression désolée.
Jimin chercha une explication, mais tout en lui vacillait.
— Il est libre, annonça Jungkook derrière lui, d'un ton si posé qu'il semblait presque irréel. Il y a bien un lit vacant dans ton dortoir, non ?
Jimin lui fit face, les yeux ronds et agités.
— Mais...- Je vais d'abord convaincre Yoongi de se taire, et je ne lui ai pas encore...
— Peu importe, l'interrompit Jungkook. Je compte toujours sur toi pour qu'il garde le secret, mais sans faire pression sur tes épaules cette fois.
Il esquissa un sourire — ou du moins une tentative. Ce n'était qu'une ombre sur ses lèvres, mais c'était suffisant pour éveiller quelque chose en Jimin.
— Je sais que tu feras au mieux, Jimin. Comme nous tous.
Il y avait dans cette phrase une foi en lui que Jimin n'arrivait pas à s'accorder. Avant qu'il ne trouve quoi répondre, Jungkook pivota sur ses talons et disparut dans les profondeurs sombres du sous-sol. Ce départ, aussi silencieux que brutal, laissa Jimin dans une étrange confusion. Il resta figé un instant, comme si bouger briserait le fil ténu qui le reliait encore.
Finalement, il murmura un "merci" empli de gratitude, à qui voulait bien l'entendre. A l'obscurité du sous-sol, à Jungkook, à... eux.
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