11 - Un jour à ne pas manquer


Jimin retrouva Willy à son poste, couteau à la main. Le visage ridé de son collègue s'illumina d'un sourire chaleureux en l'apercevant approcher.

– Hé là, jeune homme ! s'exclama-t-il avec une franche jovialité.

Ce salut était une mélodie familière qui réchauffait le cœur de Jimin. Il se hâta de rejoindre son collègue.

– Enfin de retour parmi nous, Willy !

– Ouais, ça fait du bien de r'prendre l'boulot.

Jimin secoua la tête, le sourire aux lèvres. Cette remarque aurait pu être valable partout, mais pas ici. Surtout pas ici, où même la plus téméraire des mouches aurait préféré s'envoler vers d'autres horizons.

– J'ai entendu dire que tu étais malade, lança Jimin.

Willy fit une grimace.

– Ah, ça, tu peux le dire ! J'étais aussi mal en point qu'une vieille chèvre aveugle. La totale : fièvre, vomissement et tout le tintouin ! Je t'épargne les détails. J'ai l'impression d'avoir été le patient zéro d'une saloperie de virus. Meonville va pas y couper, crois-moi, déclara-t-il avec un mélange de dérision et de sérieux.

Jimin fronça les sourcils. Ce discours corroborait étrangement les propos du dirigeant concernant un afflux de malades à venir. Jimin avait cru à une excuse pour mettre Billie dehors, et envisageait maintenant le fait de s'être trompé.

– Tu l'as signalé à l'infirmerie ? s'enquit-il.

Un rire sonore jaillit de la gorge de Willy.

– T'as pas idée d'à quel point j'évite ce taudis. J'préfère encore crever dans mon dortoir, loin de c'tte vieille bique d'infirmière.

Jimin ne put réprimer son propre rire.

– T'as manqué à tout le monde ici, dit-il ensuite avec sincérité. Surtout à moi.

Un sourcil levé, son collègue barbu laissa échapper un rire mêlé de surprise et de modestie.

– Oh là, t'vas me faire rougir, gamin. Mais merci, ça m'touche.

Jimin se sentit un peu gêné, mais il avait souhaité exprimer ce qu'il ressentait et ne regrettait pas de l'avoir fait. L'incident avec Billie lui avait rappelé que la vie était précieuse et qu'il ne fallait pas laisser les mots non-dits se perdre dans le temps.

Willy ricana à voix basse ensuite, un sourire malicieux étirant les coins de son épaisse barbe parsemée de poils gris.

– N'empêche, moi ? J'ai manqué au saigneur sauvage ? Non mais vous vous rendez compte ? s'exclama-t-il comme s'il s'adressait à tout l'entrepôt.

Jimin sut que son embarras transparaissait sur son visage lorsque Willy éclata d'un rire sonore.

– T'as bien bossé pendant que j'étais malade, faut le dire !

Jimin fit un geste mollasson avec ses épaules.

– J'ai juste fait ce que j'ai pu.

– Non, non, t'as fait bien plus que ça. T'as montré que t'avais du cran, mon p'tit gars. Tu leur as bien montré qu't'étais pas un dégonflé, aux autres et aux dirigeants ! T'es pas grand, mais t'en as dans le pantalon. J'suis fier d't'avoir tout appris.

Jimin roula des yeux avec affection. Willy n'était pas seulement un collègue à ses yeux, mais une figure paternelle, un ami fiable dans cet univers teinté de gris. Et de rouge. Ses paroles comptaient et sa façon de parler, avec son accent campagnard prononcé, était un réel réconfort. Ça lui avait manqué, autant que son poste sans couteau.

La nuit de travail lui parut presque paisible, malgré la mort.

Malgré le sang.

– Où est Billie ?

Au seuil de l'infirmerie surchargée, Jimin avait l'impression de revivre un cauchemar en s'entendant poser cette question à Yoongi. Quoique "s'entendre" était un terme généreux dans ce brouhaha assourdissant. Des tas d'ouvriers geignaient, vomissaient, se tortillaient, affluaient.

Les vapeurs de l'abattoir se mêlaient au parfum âcre des travailleurs qui rechignaient un peu trop souvent à se laver et aux relents de bouillie régurgitée sur le sol que l'intendant s'acharnait à nettoyer. Et il ne s'agissait pas seulement de vomi. Les malades se vidaient de partout.

Combien d'hommes et femmes malades étaient entassés ici ? Jimin n'avait pas le cœur à compter, mais ils étaient suffisamment nombreux pour songer à une épidémie.

Willy avait visé juste.

Tout comme le dirigeant.

L'espace d'une seconde peut-être, Jimin se demanda s'il ne préférait pas enfouir son nez dans le fondement d'une vache plutôt que de respirer cet air vicié plus longtemps. Puis, prenant une inspiration brève mais nécessaire, il s'avança, se contentant de presser sa manche contre ses narines. Yoongi imita son geste alors qu'ils slalomaient entre les flaques brunes et les ouvriers allongés à même le sol, faute de lit.

Forcé de constater que Billie ne figurait pas parmi les affligés, Jimin héla la vieille dame qui, malgré la cohue, déambulait d'un pas lent et apathique.

– Ajumma ! Où est Billie ?

– Partie, lâcha-t-elle d'un ton détaché, sans s'arrêter de piétiner.

– Partie ? Mais... elle devait nous attendre.

– Monsieur Jungkook lui a dit de s'en aller avant que ceux-là n'arrivent, expliqua-t-elle en désignant l'ensemble des patients d'un geste désinvolte.

Alors qu'elle se dirigeait vers un bruit de vomissement en roulant des yeux, Jimin serra les dents.

– Quelle espèce de...

Le dirigeant ne l'avait pas écouté, il avait mis Billie dehors ; une décision qui, bien que prévisible, agaçait Jimin. La voix de l'intendant détourna ses pensées :

– Monsieur SeokJin, vous devriez partir.

À cette appellation, Jimin sut que l'homme aux larges épaules qui dégageait une mèche de cheveux de son front à l'aide du revers de sa main était l'un des dirigeants. Ce fut pourquoi, malgré l'aide qu'il semblait apporter ici et sa beauté héritée d'Adonis, Jimin le méprisa tout de suite du regard.

L'un des dirigeants, cela voulait dire l'un des frères de Jungkook.

Jimin ne put s'empêcher de les comparer. Ils ne se ressemblaient pas vraiment pourtant, et n'avaient visiblement pas les mêmes goûts en matière de vêtement. Son pantalon vert émeraude, sa veste en velours rouge profond et son écharpe exotique en soie nouée autour du cou étaient à mille lieux de la tenue sombre de son frère.

– Il y a encore beaucoup de malades... constata monsieur SeokJin en regardant autour de lui. Je devrais rester encore un peu.

– Vous avez passé la nuit ici, le soleil n'est pas loin d'se lever, souligna l'infirmière.

– Oh... déjà ?

Le dirigeant jeta un coup d'œil dehors pour constater que les premières lueurs de l'aube brossaient timidement les murs extérieurs. Dans son mouvement, il remarqua la présence des deux camarades de dortoirs, debout au milieu du tumulte.

– Encore deux malades, soupira-t-il, l'air défait et joyeux à la fois. Installez-vous... (Il hésita un instant.) Quelque part par terre, on va vous examiner.

Jimin secoua la tête avant de s'exprimer pour deux.

– On n'est pas malades. On était venus chercher notre amie, mais elle est déjà partie.

Les sourcils du dirigeant s'arquèrent.

– Vraiment ? Peu de patients souffrant de la salmonellose sont sur pied pourtant. Comment s'appelle votre amie ?

– Billie. Mais elle n'était pas ici pour...- Attendez, la salmonelle ? réagit enfin Jimin. C'est à cause de ça... tout ça ?

Le dirigeant essuya à nouveau son front, bien qu'aucune mèche brune et soyeuse n'y soit tombée cette fois. Ça ressemblait juste à une manie, élégante et raffinée.

– J'en ai bien peur. Heureusement, les symptômes sont relativement bénins et, dans la majorité des cas, les patients guériront sans traitement particulier. Il faut juste faire attention à la déshydratation, expliqua-t-il avant d'éclater d'un rire comme s'il venait de se rappeler une plaisanterie particulièrement savoureuse. Rien à voir avec l'épidémie de Choléra.

L'inquiétude s'empara de Jimin, marquant ses traits.

– Meonville en a été victime ?!

Monsieur SeokJin rit de façon légère.

– Mais non, je parlais de la pandémie des années 60.

Jimin et Yoongi pivotèrent l'un vers l'autre. Leurs regards se croisèrent, confirmant tacitement leur pensée commune : cet homme n'était pas tout à fait net. Seules ses fringues semblaient venir de cette époque.

– Et donc, reprit le dirigeant, votre amie était ici pour quelle raison ?

– Elle... s'est ouvert les poignets, balbutia Jimin.

Aussitôt, le ravissement put se lire sur les traits du dirigeant. Il avait dans les yeux la même flamme que les savants peuvent avoir en faisant une découverte ou une avancée. Folie, se dit Jimin qui recula de façon imperceptible.

– Vraiment ?! Mais pourquoi je ne suis pas au courant de ça ? Ajumma ! Ajumma !

L'infirmière s'approcha des garçons tout en fournissant une explication au dirigeant :

– Ce n'est pas ce que vous croyez. Leur amie a juste essayé d'ouvrir une boîte de conserve, mais elle a deux mains gauches. Le petit là à un humour spécial, dit-elle en désignant Jimin d'un mouvement de menton. Faites pas attention à lui, m'sieur SeokJin.

– Oh, s'étonna ce dernier avant de faire une moue déçue. Je n'avais pas saisi la plaisanterie...

Jimin, plus que perdu face à cette histoire inventée de toute pièce, essaya de demander des explications à l'infirmière à travers un échange de regard, mais celle-ci posa rapidement une main dans son dos ainsi que dans celui de Yoongi avant de les pousser vers la sortie.

– Allez faire vos blagues ailleurs, bande de rigolos. Sortez d'ici, du balai !

Une fois jetés dehors, Yoongi et Jimin s'observèrent avec la même confusion.

– Je ne sais pas ce qui vient de se passer non plus, mais on a pas le temps d'y penser pour le moment. Il faut qu'on trouve Billie.

D'accord là-dessus, ils se dépêchèrent de rejoindre leur dortoir.

Ils firent tout pour ne pas céder à la panique sur le trajet, mais, en arrivant devant le lit de la jeune femme, vide et encore taché de son sang, l'angoisse les gagna. Yoongi repassa immédiatement la porte en sens inverse et Jimin le retint de justesse afin d'élaborer un plan.

– Va au réfectoire. Je vais voir si elle est à l'abattoir ou si quelqu'un l'a vue là-bas.

Après un mouvement de tête simultanée, ils se séparèrent.

– Quelqu'un a vu Billie ? Petite, brune, avec une queue-de-cheval.

Jimin n'en pouvait plus de demander ça à tout le monde, mais même s'il était épuisé, il n'arrêtait pas pour autant. Du moins, jusqu'à ce que le chef du matin lui somme de quitter l'abattoir après lui avoir dit qu'il n'était pas prévu au planning à cette heure ce jour.

Ce jour.

Jimin se précipita hors de l'abattoir, traversant les rues de la ville sous le soleil de midi. Il courrait aussi vite que le jour où il avait fui, et vers un endroit similaire : l'arrêt de bus.

C'était le jour de passage du bus.

Ce fut à bout de souffle que l'arrêt lui apparut en amont de Meonville, tel un mirage entouré de brume. Il n'y avait rien autour. Rien à part Yoongi, et cette trainée de poussière et de fumée laissée par un véhicule fraîchement passé.

– Non... souffla Jimin, sentant l'espoir s'échapper comme de l'eau entre ses doigts.

Il se remit à courir, mais avec moins de force.

– Yoongi !

Son camarade se tourna vers lui et, voyant les larmes au fond de ses yeux, Jimin comprit tout de suite qu'il avait vu juste. Le bus était parti. Billie avec.

– Est-ce que... est-ce que tu as eu le temps de la voir au moins ?

Yoongi secoua lentement la tête avant de la baisser. Il posa ensuite sa main sur l'épaule de Jimin et s'en alla.

Jimin le regarda s'éloigner, persuadé de l'avoir entendu murmurer un "désolé".


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Hello ! ^^ 

Je vous souhaite une bonne semaine :)

<3

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