Partie II
Maintenant...
Une jeune femme assise dans un fauteuil une couverture lui recouvrant les genoux malgré la chaleur étouffante de l'été. Elle observe le vide, perdue dans ses pensées. Elle ne doit pas avoir plus de dix-sept ans au vu de son visage dépourvu de toute imperfection liée à la vieillesse. Ses doux cheveux de feu lui caressaient les coudes tandis que ses beaux yeux verts revenaient au présent en entendant son nom. Une femme qui devait avoisiner la cinquantaine posa sa main sur son épaule et lui souffla quelques mots. La jeune femme lui sourit et secoua la tête en guise de négation. Elle reporta son attention sur l'allée qui menait au porche de la maison sur lequel elle se tenait. La jeune femme attendait visiblement quelqu'un.
-ALICE, ALICE !
La jeune femme rousse se redressa en entendant son nom. Un garçon qui devait avoir environ le même âge qu'elle passa le portillon et couru vers son amie. Il lui sauta au cou, ravi.
-J'AI ÉTÉ ACCEPTÉ ! hurla-t'il
Alice sourit en se détachant de son ami. Une lueur inquiète brillait néanmoins dans son regard.
-Et si tu m'expliquais tout ça à l'intérieur ? proposa-t'elle
Le jeune homme sourit, ravi. Alice se tourna et attrapa un fauteuil roulant. Elle se mit dessus, faisant glisser la couverture qui couvrait ses genoux, découvrant ce qu'il restait de ses jambes, brisées en plusieurs morceaux lors de cette mission, il y a déjà deux ans.
L'opération qui avait été pratiquée pour qu'on lui retire ses jambes s'était heureusement très bien déroulée. Sa jambe droite avait été amputée jusqu'au genou, le fémur étant guérissable. Quand à la droite, les médecins avaient dû lui retirer entièrement, ne laissant qu'un moignon tellement la jambe était en morceaux.
Il avait fallu par la suite réapprendre à vivre sans ses jambes. Et même si cela commençait à dater, Alice avait parfois le réflexe de se lever pour marcher avant de se souvenir de son handicap. Tout comme les douleurs fantômes, qui la surprenaient encore les fois où elles apparaissaient.
Elle se déplaça dans la maison, démontrant son habitude à se mouvoir dans un fauteuil roulant en évitant les meubles et les chaises de la salle à manger. La rousse pris des verres puis les remplit d'eau avant d'aller les poser sur la table, une pour elle et l'autre pour son invité imprévu.
- Alors dis-moi comment ça s'est passé ? l'interrogea-t-elle
Les yeux du jeune homme brillèrent une fois de plus et il raconta sa qualification. Que l'homme qui était passé dans les rangs en avait ignoré certains, mais qu'il s'était attaqué à d'autres. Alice soupira.
-Je vois qui c'est ne t'inquiète pas... J'ai heureusement été entraînée par quelqu'un d'autre mais il nous arrivait de voir ses recrues passer. J'espère qu'il ne sera pas trop agressif.
-Je ne compterais pas là-dessus si j'étais toi, tu verrais le coup de tête qu'il a mis à un garçon !
Alice grimaça et fini de boire.
-Alors ? Dernier jour de libre et tu rentres dans ton ultime semestre de formation ?
La jeune femme n'avait pas pu cacher l'inquiétude qui couvait dans sa voix. Les gens rejoignant les bataillons ne vivaient généralement pas vieux, à l'exception de ceux qui se la coulaient douce au service du roi derrière le troisième mur.
-Ne t'inquiètes pas Alice je suis certain que tout va bien se passer, aie confiance en moi.
La rousse planta ses yeux d'un vert profond dans ceux de son meilleur ami.
-Tu sais, j'aimerais que mes inquiétudes soient injustifiées. Mais c'est la réalité Marco.
Le jeune homme se leva et pris son amie dans ses bras. Alice l'enlaça en retour en posant sa tête sur l'épaule du garçon. Elle respira à fond, elle-même étonnée par l'envie de pleurer qui la reprenait. En fait, réalisa-t-elle, tous les visages de son ancienne escouade lui revenaient à l'esprit. Plusieurs d'entre eux étaient morts en mission, un autre avait quitté l'armée pour s'occuper de sa famille. Et leur caporal-chef, Lynn, s'était tuée lors d'une simple vérification des murs, chose qu'elle n'était pas censé faire en tant que membre du bataillon d'exploration. D'après les personnes qui se trouvaient avec elle, sa corde avait lâché alors qu'elle descendait en rappel pour vérifier le mur.
Bien que peu de gens y croient (un cordage pareil ne lâchait pas ainsi, on utilisait le même lors des missions), c'était la seule explication qu'on avait voulu leur donner.
Soudainement, la jeune femme rousse se sentit décoller de son siège. Surprise, elle s'accrocha à son meilleur ami qui venait de la soulever de terre en passant un bras autour de sa taille et l'autre autour des épaules de son amie.
-Hé, j'étais pas au courant que tu avais autant de force ! s'exclama Alice tout en riant
-Surprise ?
Un soudain souvenir revint à la mémoire de la jeune femme. Quand ils étaient enfants, leur jeu était de compter les tâches de rousseurs que Marco possédait sur le visage et le cou. Arrivant à cet endroit précis, cela finissait toujours en crise de fou rire et bagarres de chatouilles.
Posant le doigt sur une des tâches de rousseurs se situant sur le nez, la jeune femme aux yeux verts commença à compter.
-Une... Deux... Trois.
-Alice ne fais pas ça, tu sais comment ça va finir.
Essayant tant bien que mal de protéger son cou, Marco rentra la tête dans les épaules et s'assit par terre en posant la jeune femme à côté de lui.
-Ton imitation de la tortue laisse à désirer mon cher. se moqua gentiment Alice. Hé, c'est moi ou tu en as plus que la dernière fois ? La vie au grand air te fait du bien !
Finissant par trouver une faille dans la tentative de défense du jeune homme, elle commença à remuer les doigts sur sa nuque. Le garçon se mit bientôt à rire avec elle, emportant tout mauvais souvenir. Ils étaient de nouveau des enfants en train de jouer avant que la cruauté de ce monde ne les atteignent de plein fouet.
Bien que privée de ses jambes, la jeune femme était vive et savait désormais comment utiliser son poids pour ne pas tomber, au grand désespoir de tous ceux qu'elle avait l'habitude d'importuner auparavant. Sans se départir de son sourire taquin, elle plaqua son meilleur ami au sol en s'asseyant de tout son poids sur son thorax. Vaincu, Marco souffla et se mit dans une position proche de celle d'une étoile de mer.
-Quand je te disais qu'il fallait s'asseoir sur ses problèmes, je ne le voyais pas comme ça Alice. Haleta-t-il
La jolie rousse éclata de rire et recommença sa torture précédente. Ne pouvant plus bouger, le garçon brun dût supplier son amie de le laisser aller. Elle rit alors et s'assit à côté du jeune homme qui se relevait.
-Alice ? Tout va bien, j'entends du bruit, tu es tombée ?
La jolie rousse, reconnaissant la voix inquiète de sa mère, leva les yeux au ciel.
-Tout va bien maman, j'embête Marco. déclara-t-elle
-Ah, Marco est là ?! Mais pourquoi tu ne m'as rien dit ?
-Maman, je n'ai plus quatre ans, je peux recevoir quelqu'un seule.
Sa mère, éternelle inquiète, l'était encore plus depuis l'accident qui aurait pu coûter la vie à sa fille. Dès que l'adolescente avait été en état de recevoir de la visite à l'hôpital, elle s'était pris une montagne de reproches de la part de sa mère. Certes, c'était nerveux, elle avait eu très peur pour Alice, mais seulement deux semaines après son opération, elle n'était pas en état, que ce soit psychologiquement ou physiquement de se prendre tout cela dans la figure.
Malgré tout, sa famille avait été d'une aide immense pour surmonter cette intervention puis pour continuer à vivre. Marco aussi, il n'y avait pas un seul jour sans qu'il ne vienne la voir, à l'hôpital puis chez elle, passant plusieurs heures assit à côté d'elle à lui parler et à l'écouter. Un lien très fort s'était alors créé entre les deux adolescents, les menant tous deux à se questionner, sans jamais en faire part à l'autre, sur la nature de leur relation.
Alice se sentit soulevée de terre et l'instant d'après, elle se retrouva sur son fauteuil roulant. Elle sourit à son "ami". Parce qu'elle ne connaissait pas vraiment la nature de ses sentiments et ne voyait pas la ligne qu'il y avait entre amitié et amour. De toute façon, l'amitié n'est pas une forme d'amour ?
Pendant un instant, un contact visuel se fit et le silence s'installa. Alice ne souriait plus.
La mère de la femme rousse descendit à ce moment-là, brisant ce moment. Marco et Alice s'échangèrent un sourire gêné et écoutèrent la femme plus âgée.
~
Alice portait une robe couleur bleuet à manches longues, ses cheveux longs remontés en un chignon tenu sur le cou avec quelques mèches bouclées s'échappant. Elle se rendait sur le camp d'entraînement pour récupérer son ami. Ce jour sonnait la fin de sa formation, et elle comptait bien profiter de la soirée pour rattraper le temps perdu.
Elle aperçut son ami avant qu'il ne la voit.
-MARCO, JE SUIS LÀ ! s'écria la rousse en agitant la main
Il était accompagné d'un autre jeune homme qu'Alice ne connaissait pas, sans doute un ami qu'il s'était fait lors de sa formation. Il semblait qu'il avait encore grandi pendant leurs six mois de séparation.
-C'est vraiment Marco ? demanda le père de la jeune femme. Bon sang, ce qu'il a grandi.
Le meilleur ami d'Alice s'approcha avec le second jeune homme, aux yeux miel. Elle leur souri et se pencha pour prendre Marco dans ses bras. Au vu de son manque de souplesse, il dû mettre un pied sur la marche de la calèche. Il présenta ensuite le second jeune homme, qui se nommait Jean, et qui se contenta de serrer la main à Alice et à ses parents.
Les deux jeunes hommes se saluèrent, Marco prévoyant de passer l'après-midi avec son amie avant de retrouver les membres de la 104e brigade pour fêter leur passage puis ce dernier monta dans la calèche et s'installa près de la jeune femme, qui le bombarda de question tout le long du trajet.
- Alice, calme-toi. fini par déclarer le garçon brun avant de rire devant le flot de paroles ininterrompu de son amie
C'était un des défauts d'Alice : une fois lancée, vous ne l'arrêtiez plus, et cela pouvait durer un certain temps. Pour ne pas dire un temps certain.
Une fois arrivée chez les parents de la jeune femme, son père, au grand dam de sa mère, ouvrit une bouteille de vin, ayant une excellente excuse pour boire et finir ivre mort sur le tapis du hall. Au bout du quatrième verre, il se mit à être plus qu'heureux, et les jeunes gens saisirent l'occasion de monter à l'étage. Cela avait toujours fait sourire Alice, il était impensable pour ses parents qu'un autre individu de type masculin ne se nommant pas Marco Bott entre dans la chambre de leur fille chérie. Alors qu'elle se faisait cette réflexion, Alice observait son ami monter son fauteuil dans les escaliers après l'avoir portée elle. La jeune femme était clairement attirée par « la frimousse » comme elle l'appelait pour le taquiner, mais elle ne savait pas comment lui faire comprendre clairement, et avait trop de retenue pour l'embrasser à pleine bouche, au risque de se prendre un immense et douloureux rejet. Si elle avait su qu'à ce moment précis, les mêmes pensées tournaient dans la tête du jeune homme, elle ne se serait sans doute pas autant retenue.
Arrivés dans sa chambre, un lieu qui n'avait pas changé depuis des années, ils s'assirent tous deux sur le lit et échangèrent ce regard de personnes se connaissant si bien qu'elles pouvaient pratiquement lire les pensées de l'autre. Alice n'avait pris qu'un fond de verre mais elle sentait le sang chauffer ses joues violemment.
-Je tiens plutôt bien l'alcool pourtant... fut la seule réflexion qu'elle se fit
Elle plongea ses yeux dans ceux de son ami. L'atmosphère n'était pas la même que d'habitude, et la jeune femme ne savait pas si elle appréciait cela. Elle se mordit la lèvre inférieure, se rendant qu'un silence profond s'était abattu sur la maison, si l'on excluait les chants d'ivrogne de son père en bas. Elle sentait son cœur battre à l'intérieur de sa cage thoracique, aussi vite que quand elle courait lors des entraînements et posa ses yeux sur les lèvres du jeune homme. Elle le désirait, c'était évident. Sa main fut recouverte par celle de son meilleur ami.
-Alice, tu es belle.
La jeune femme ne savait pas quoi dire, il lui semblait que son cerveau était dissocié de sa bouche à ce moment précis. Ce qu'elle souhaitait faire, c'était d'embrasser le jeune homme, mais elle craignait de briser ce moment irréel si elle se précipitait trop.
-Je peux t'embrasser ?
Aussitôt dit, aussitôt regretté, la femme aux cheveux roux se sentit stupide mais cela avait détendu de manière incroyable l'atmosphère. Marco sourit, laissant échapper un minuscule rire qui se perdit dans les poutres du plafond de la chambre. La jeune femme sourit et déposa un baiser aussi léger qu'une plume sur les lèvres de la personne en face d'elle. Il était très perturbant de ne pas savoir quel statut ils avaient aux yeux de l'autre à ce moment même, mais l'instant était si agréable qu'il n'était pas le temps de se poser de pareilles questions.
Marco se pencha vers la femme rousse et l'embrassa encore, et les deux jeunes gens se laissèrent aller, Alice passant ses bras autour du cou du jeune homme et se colla à lui, comme s'il allait disparaître. A travers la pluie de baisers, Marco entendit deux mots qui lui firent s'embraser les joues. Il poussa les longs cheveux roux de la jeune femme qui l'empêchaient de voir son visage et lui sourit.
-Quoi ?
Sa voix était montée dans les aigus, voulant s'assurer de qu'il avait entendu. Alice s'installa de manière plus confortable sur les genoux de Marco et lui sourit aussi, se mettant un peu au-dessus de lui, créant un rideau de cheveux autour d'eux. Elle n'arrivait pas à décoller ses yeux de ceux du jeune homme.
-Je t'aime. répéta-t-elle simplement
Ils se sourirent et Alice se rassit sur son lit puis se remit à parler. Elle ne savait pas vraiment quoi faire mais cela semblait leur convenir. Elle chassa ses mèches rousses qui lui tombaient devant le visage tout en devisant, comme si rien ne s'était produit.
-Mademoiselle Alice Aliénor Springfield et son ami Marco Bott sont demandés au rez-de-chaussée !
La voix de sa mère interrompit leur conversation si vite qu'il leur fallu quelques secondes avant de réaliser qu'ils devaient redescendre. La jeune femme s'assit dans son fauteuil et se dirigea vers les escaliers quand son ami posa sa main sur son épaule et lui chuchota les trois mêmes mots qu'elle même avait prononcé il y a quelques minutes.
-Je t'aime Alice.
La femme rousse sourit doucement et le laissa la prendre dans ses bras pour descendre l'escalier en bois de sa maison afin de saluer Jean, qui venait récupérer son meilleur ami. Elle salua les deux jeunes gens avec sa mère sur le pas de la porte tandis qu'ils s'éloignaient à l'opposé du soleil couchant. A ce moment-là, Alice ne se doutait pas une seule seconde qu'elle ne reverrait plus jamais Marco.
~~
Les murmures paniqués grondaient dans les rues. Le district de Trost avait été décimé par des titans. Combien de victimes ? Beaucoup.
C'était tout ce qu'avaient daigné annoncer les messagers. Alice était livide lorsqu'elle avait appris la nouvelle. A peine quelques jours plus tôt, Marco lui avait annoncé par lettre qu'il allait s'occuper de l'entretien des murs dans ce district. L'identification des victimes était toujours en cours et pour l'instant, personne n'était venu frapper à leur porte. Elle avait peur mais espérait aussi. Cela pourrait très bien être le jeune homme. L'attente est un sentiment insupportable et Alice ne possède pas une incroyable patience à l'origine. Tirant une énième fois sur ses mèches rousses, elle restait assise sur le canapé, en attendant des nouvelles. Impossible de s'adonner à une quelconque activité, son regard se reportait systématiquement vers la fenêtre ayant vue sur le porche d'entrée.
Ses yeux se fixèrent alors sur un soldat en uniforme. C'était sans doute le soixantième depuis ce matin, mais elle reconnu l'ami de Marco, Jean. Se sentant observé, ce dernier leva ses yeux miel vers la fenêtre en bois et croisa ceux verts d'Alice. La jeune femme compris immédiatement que Marco n'était pas juste blessé ou à l'hôpital. Mais une infime partie de son cerveau voulait l'entendre. Alors, avec des mouvements lents, comme anesthésiée, la femme rousse tira son fauteuil roulant à elle et se dirigea vers le hall d'entrée. Une fois la porte ouverte, les deux jeunes gens s'observèrent quelques secondes.
Jean semblait épuisé, couvert de poussière. Seul le bas de son visage, qui avait dû être couvert d'un masque avait été épargné. Cela aurait pu être comique dans une autre situation. Un jeune soldat, crasseux et mort de fatigue se tenant face à une femme de son âge, en robe longue élégante. Alice songea sarcastiquement que cette scène aurait parfaitement sa place dans l'un des romans à l'eau de rose de sa mère.
-Je suis désolé...
Le jeune homme brun avait la voix cassée après une journée aussi chargée. La femme rousse ne songea même pas à lui proposer d'entrer, son cerveau était imperméable à toute pensée.
-Vous n'avez pas à vous excuser. L'avez-vous tué ?
Surpris, le jeune homme releva la tête et regarda pour la première fois son interlocutrice. Voyant qu'il répondait par la négative, le regard brûlant de la femme se porta ailleurs.
-C'est absurde de s'excuser de quelque chose que l'on a pas fait.
Son ton était sec. Froid. Elle ne comprenait pas pourquoi elle réagissait ainsi. Ses émotions ne s'exprimaient pas. Pourtant, Alice, à ce moment précis, aurait fait n'importe quoi pour hurler, se mettre à pleurer, réagir. Le soldat en face d'elle frissonna, lui aussi surpris de sa réaction. On aurait dit qu'il venait de s'excuser d'avoir brisé un plat.
-Nous... Il va y avoir une cérémonie funéraire. Je ne sais pas si...
-C'est gentil d'avoir pensé à moi, je vous remercie. Où se tiendra-t-elle ?
Après lui avoir donné l'adresse, Jean se retint de ne pas prendre ses jambes à son cou. La jeune femme l'avait mis terriblement mal à l'aise. Il fini par mettre sa réaction sur le compte du choc mais il n'empêchait que la scène l'avait secoué.
Quelques heures plus tard, il retrouva les survivants de la bataille de Trost et la famille des soldats décédés. Il aperçu au loin des cheveux roux vifs et, devinant qu'il s'agissait d'Alice, s'approcha. La jeune femme portait une robe noire très simple à manches longues et avait remonté ses cheveux sur sa nuque pour les couvrir d'un voile assorti à sa robe. L'unique touche de couleur sur sa personne étaient des gants d'un rouge prononcé. Le voile retombant sur son visage lui donnait un air renfermé. Il fini par renoncer à l'idée de lui parler et la laissa seule avec ses pensées.
Alice récupéra du cocher une unique rose écarlate. Elle était la seule à comprendre ce pourquoi elle avait pris ceci et cela lui convenait parfaitement ainsi. Depuis qu'elle avait appris la disparition de Marco, une bulle imperméable semblait s'être créée autour d'elle. Ses parents voulaient l'accompagner mais la jeune femme avait refusé en bloc, c'était sincèrement la dernière des choses qu'elle souhaitait.
La femme aux cheveux roux déposa la rose sur le bûcher funéraire avec une de ses mèches de cheveux nouée autour. Plein de gens avaient déjà déposé des textes, des vêtements, n'importe quoi pour rendre hommage à leur ami, leur enfant. Il s'agissait d'honorer les morts.
Lorsque la fumée commença à s'élever et que la chaleur réchauffa les doigts froids d'Alice, elle sentit alors une présence à ses côtés. S'étant mise à l'écart du reste du groupe, elle tourna la tête du ballet hypnotisant des flammes pour voir son interlocuteur.
C'était un homme grand, à la carrure impressionnante et aux cheveux blonds coupés très courts qui ne semblait visiblement pas comment engager la conversation. Alice s'éclaircit la gorge et le laissa commencer. Dansant d'un pied sur l'autre, il fini enfin par se décider.
-Vous êtes une amie de Marco ?
-Oui... répondit laconiquement la jeune femme
-Je voulait vous présenter mes condoléances. C'était quelqu'un de très bien. On a été formé dans la même brigade.
-Merci... Vous êtes ?
Alice releva la tête pour croiser les yeux de l'homme.
-Je m'appelle Reiner. Vous savez, Marco parlait tout le temps de vous. Il avait hâte de revenir vous voir.
-Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir me voir... C'est gentil de votre part.
Alice esquissa un sourire doux et triste avant le reporter ses yeux vers les flammes du bûcher funéraire. Ses iris vertes semblaient endurcies par les braises qui s'y reflétaient, d'autant plus qu'elle avait redressé son voile de son visage. Ce soir-là, après le discours de quelques personnes, Alice Springfield, ignorant son cocher parti dans un bar, s'enfonça dans la nuit, le bruit des roues de son fauteuil cognant contre les pavés.
Poussant un lourd soupir, la femme reposa son stylo. Remettant une des ses mèches rebelles en place et classant sa pile de feuilles, Alice entendit toquer à la porte. Manœuvrant son fauteuil roulant avec tout ses feuillets, la femme aux cheveux roux se posta devant le feu de bois ardent dans la cheminée.
-Entrez !
Bien qu'elle soit dos à la porte, elle devina sans peine qu'il s'agissait d'Armin.
-Il est tard. fut la seule constatation de la femme
Elle senti une couverture sur ses épaules alors qu'elle jetait la première feuille dans les flammes, l'observant se consumer.
-Tu n'as pas froid ?
La main de l'homme resta sur son épaule avec des gestes trahissant l'habitude.
-Jamais. Tu le sais non ?
La pointe d'espièglerie dans son ton fit sourire Armin. Il se tira une chaise et la regarda lancer une par une les feuilles dans le feu. Dès qu'une était totalement consumée, une autre prenait sa suite.
-Tu as fini ce que tu voulais faire ?
Il avait l'habitude de poser beaucoup de questions à sa compagne. Il fallait dire qu'elle ne parlait que peu si on ne la sollicitait pas.
-Dis plutôt que j'ai enfin trouvé le courage de finir. soupira cette dernière en se frottant les paupières
Après un très court instant de silence, la femme aux cheveux roux repris la parole.
-Je suis heureuse d'y être arrivée. De brûler le passé je veux dire.
L'homme blond se contenta d'acquiescer. Alice avait eu elle-même l'idée d'écrire toute son histoire pour ensuite la brûler, dans l'espoir de se libérer encore un peu du fantôme de son premier amour et lui avait confié. Dans les murs de sa propriété, au milieu de plusieurs documents de ravitaillement, trônait ce texte depuis plus d'un an. La jeune femme avait réussi à le finir, enfin.
Alors que son compagnon semblait faire mine de s'éclipser pour la laisser seule, la femme posa sa main sur son bras.
-Reste. S'il te plaît.
Armin se rassit et pris la main de la femme rousse dans la sienne. Ils restèrent comme ça à observer le feu brûler les papiers un par un, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une page. L'écriture n'était pas la même que les autres, et pour cause, c'était la lettre que prévoyait d'envoyer Marco après la funeste journée de la bataille de Trost. Un soldat lui avait remis quelques mois plus tard et Alice n'avait pas passé un jour sans la lire. Pour cesser sa douleur, elle souhaitait la brûler aussi, cette lettre. Mais elle ne put s'y résoudre sans la lire une ultime fois. Et sourit au même passage, quand il citait l'une des œuvres favorites de la jeune femme.
"Si les baisers s'envoyaient par écrit, madame vous liriez ma lettre avec les lèvres"
Alice déposa doucement la lettre au dessus du feu ardent et la laissa se consumer dans sa main jusqu'au dernier moment pour ne pas se brûler. Après cela, elle se tourna vers Armin et lui fit un de ses rares et précieux sourires.
-Merci Armin. J'avais besoin que quelqu'un soit avec moi.
L'homme se pencha et embrassa le front de sa compagne qui semblait déjà commencer à s'endormir.
-On a tous besoin de quelqu'un à un moment. déclara gentiment le jeune homme
Alice ne pleurait pas. Elle avait décidé depuis longtemps qu'une fois ceci fait, elle serait libérée. Et comme elle l'avait dit à Jean, il ne servait rien de culpabiliser pour quelque chose que l'on n'avait pas fait. Elle senti Armin la porter jusqu'à leur chambre, dans l'espoir d'avoir quelques heures de repos avant d'affronter de nouveau leur monde. Calant sa tête contre l'épaule d'Armin, elle senti le chignon rapide libérer ses boucles rousses qui cascadèrent en recouvrant une partie du bras du jeune homme. Avant que le sommeil ne l'emporte -il était vraiment très tard- Alice murmura une dernière phrase à l'oreille d'Armin.
-Je t'aime
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