Un carnage
Dans un silence de mort, Hermes enleva ses vêtements, ne gardant qu'un pagne de cuir. Son visage resta impassible, malgré les multiples morsures que le froid devait provoquer sur sa fine peau. Nul homme normalement constitué ne pouvait tenir sans protection dans de telles conditions. Seule la maîtrise de Tao pouvait faire taire les supplications du corps.
Le sorcier s'avança au milieu du ring tracé à la hâte sur le sol ; Khe se dit que le Céleste qu'il allait combattre serait psychologiquement impressionné par cet exploit.
En face de lui se tenait un Burboy taillé dans une seule masse. Il était uniquement vêtu de cuir, et comme tous les Burboys, portait de larges jambières bardées de coups de griffes et couvertes de motifs rituels. Force et hargne se dégageaient de sa silhouette. Il avait des épaules larges, des bras musclés que terminaient de gigantesques battoirs. On sentait la volonté, soulignée par le regard bas et la mâchoire carrée. Contrairement à de nombreux Sombre-Terriens, ses cheveux étaient coupés très courts, ce qui laissait l'occasion à son cou de dessiner d'épais plis de chair.
Le combat commença dès que Vox eût donné le signal. Les deux adversaires s'observèrent en silence, chacun tournant à sa façon autour de l'autre. La garde de Triga venait de la boxe, et il sautillait sans cesse. Hermes au contraire glissait gracieusement, ne semblant jamais décoller du sol, car lui puisait aux sources de l'équilibre.
Triga entama les hostilités, décochant un coup de poing terrible droit devant lui. Il ne trouva que du vide. Hermes avait esquivé et dans le même mouvement, s'était glissé derrière le Burboy. Le sorcier asséna un coup sur l'épaule de son adversaire en utilisant le tranchant de la main. Triga cria, et se retourna vivement en décrivant un arc de cercle avec son poing. Hermes encore une fois s'était envolé pour surgir sur le flanc de son adversaire.
Pendant quelques instants, l'arène se transforma en un tableau mouvant. Ici se déroulait l'éternel combat du cheval contre le taon, l'un utilisant la puissance de ses crins, l'autre la vitesse et son rostre.
Voir Hermes évoluer soulevait l'admiration. Comment un homme de sa corpulence pouvait-il exécuter sa danse de mort avec tant d'aisance ? Les spectateurs, d'abord ricanant et facilement moqueurs, étaient maintenant suspendus aux arabesques du Foraineur.
Celui-ci épuisait son adversaire à coup de feintes et d'attaques ciblées. L'issue du combat ne faisait plus de doute. Le Burboy haletait, le souffle court, la face rougeaude, les bras pantelants. Il lançait de temps à autre une insulte, toujours plus ignoble et dégradante, pour se donner du courage. Hermes ne semblait pas affecté et continuait ses esquives et ses piques épuisantes.
Au moment de donner l'estocade, qui aurait laissé le Burboy sans force, incapable de bouger, Hermes s'immobilisa soudainement, comme frappé par la foudre. Il se désintéressa totalement du combat et sembla écouter un discours que lui seul pouvait entendre. Ses yeux se fermèrent, et son oreille se tendit vers les murs du Stallite ; il ne bougeait plus.
Triga, d'abord surpris, profita de ce moment d'inattention pour reprendre son souffle et foncer sur son adversaire en hurlant. Hermes ne réagit toujours pas, même lorsqu'il retrouva assailli par une pluie de coups de poings.
Le sorcier se réveilla de son étrange transe lorsque son corps se plia sous un direct au foie que Triga lui lança de toutes ses forces. Il voulut se protéger, bouger, mais son corps était déjà perclus de douleur. Le Foraineur exploitait la brèche que le Foraineur lui avait consentie.
La pommette droite d'Hermes explosa et sa vue se trouva brouillée par le sang. Le sorcier vacilla, et tomba lourdement à terre. Un coup de pied dans la tête le projeta sur le dos. Il sentit les genoux de Triga s'écraser sur ses épaules. Et Triga cogna, cogna, cogna...
Khe, pris d'une indicible horreur, hurla à l'attention de son ami : « Hermes, abandonne la partie ! » Le sorcier ne sembla pas l'entendre, et le jeune chasseur s'élança vers le ring. Sa course fut interrompue par Jupter qui s'interposa devant lui. « Non ! Nous avons donné notre parole. Hermes doit agir seul.
─ Mais il va mourir ! s'indigna Khe.
Jupter ne cilla pas, son visage austère restant de marbre.
─ Les Foraineurs n'ont qu'une parole, Khe. Même si cela nous coûte. Hermes savait ce qu'il faisait. La discussion est close. »
Les mots s'arrêtèrent dans la gorge du jeune homme. Vaincu, il s'immobilisa et regarda en tremblant la mise à mort.
Le visage du sorcier n'était plus qu'une bouillie rouge et violette. Il ne desserrait pas les dents et semblait s'être résigné à mourir. Triga hurlait maintenant, tout à une joie sauvage et barbare.
Vox, de son côté, ne savait plus que penser. Il devait bien l'avouer, il avait admiré le combat du sorcier. Il l'avait trouvé habile et juste. À chaque fois, il frappait avec autant de force que le Burboy en avait mis à essayer de l'attraper, alors qu'il avait la possibilité de le terrasser en visant une partie vitale. Cet homme équitable subissait maintenant la force brute du Burboy sans avoir la possibilité de répondre. C'était un vrai carnage, Grand Solaar. Solaar ? Le Dieu n'avait pas commandé à ses enfants de mettre à mort le faible. Solaar voulait la vie, les Runkas avaient appris aux Initiés les dangers de la destruction.
Piris arrivait en courant vers lui, prête à supplier le Grand Prôneur de faire quelque chose. Il la devança, intimant d'une voix puissante et légèrement inquiète :
« Arrêtez ! Triga ! Arrêtez immédiatement le combat. »
Le cri figea le poing de Triga dans sa course mortelle. Le géant sembla sortir d'une transe. Il regarda ses mains souillées, et se releva lentement, le regard toujours rivé sur elles. À terre gisait Hermes. Le sorcier ne bougeait plus. Sa face n'était plus qu'un mélange écœurant de carmin, de pourpre et de noir violacé, duquel des rigoles de sang se déversaient.
Khe se précipita vers son ami, devançant les autres Foraineurs. Il approcha son visage de la chair tuméfiée et sourit faiblement en sentant le souffle spasmodique du sorcier. « Il vit. » La foule, Joueurs et Foraineurs mêlés, soupira comme un seul homme, et ses regards percèrent Vox de leur attente.
Le Prôneur se tenait droit dans le manteau ivoire qui protégeait ses maigres épaules. Il défiait la foule de son regard acéré. Il s'adressa à Jupter.
« Foraineurs ! Le Stallite de Lost Vegas vit dans le règne de Solaar, qui nous recommande la pitié. Aussi, vous pourrez rentrer dans le Stallite dès maintenant et vous restaurer. Mais dans trois jours, nous terminerons de régler la question de l'échange. En attendant, que les soigneurs se dépêchent... votre valeureux et entêté sorcier a besoin de secours d'urgence. »
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