[BONUS] LES CHEVEUX

Maxine était sa coiffeuse attitrée depuis le jour où, prise d'une stupide envie de changement, No avait décidé se raser entièrement. C'était Maxine qui l'avait aidée à passer la tondeuse à l'arrière de son crâne et à ramasser les longues mèches de cheveux, traînant sur le sol comme des serpents morts.

***

L'IMMEUBLE DE NOLWENN ressemblait à tous les autres immeubles du quartier. Il n'était ni vraiment beau, ni atrocement laid. Pas vraiment neuf, ni particulièrement vieux. Il était le genre de bâtiment, entouré de parkings et d'arbres minuscules, à la fois rassurant, morne et triste, dont on oublie l'existence dès qu'on le dépasse. Le hall d'entrée était tout aussi anonyme; deux grandes portes vitrées, des boîtes aux lettres d'un gris terne et un ascenceur souvent en panne. Les couloirs étaient silencieux et vides, les bruits de pas résonnant comme des coups de fusil.

Maxine attendait devant la porte de l'appartement de madame Rousseau depuis près de dix minutes. Elle s'était assise sous la poignée, le dos contre le panneau de bois fermé à double tour. Ses bras entouraient ses jambes et son menton reposait entre ses genoux. Elle avait les yeux fermés, et et ses mains agitées étaient presque aussi tremblantes que sa voix;

-No, tu m'ouvres maintenant?

Le silence lui répondit, encore une fois. La jeune fille soupira, fit craquer ses os, se releva et fit face à la porte, sur laquelle elle déposa deux petits coups secs et timides.

-No, je sais que t'es là. Ouvre.

Maxine toqua, un peu plus fort, sa main tentant machinalement d'abaisser la poignée, bien qu'elle sut la tentative totalement vaine.

-Allez, ouvre.

La métisse frappa encore quelques fois, sans réussir à tirer rien d'autre qu'une légère douleur aux phalanges. Elle finit par se rasseoir, très calme, accueillant avec détermination l'attente. Automatiquement, pour tuer l'ennui et les questions qui se formaient sous sa tignasse, elle extirpa de la poche de sa veste son téléphone. Elle consulta quelques sites, cliqua sur quelques applications avant d'avoir l'idée de composer le numéro de Nolwenn.

Malgré l'épaisseur de la porte, la jeune fille put très distinctement entendre la sonnerie stridente du portable de No, et son "merde!" à peine étouffé.

-Je t'ai entendue, crétine! cria Maxine à travers la serrure.

On jura à nouveau, on marcha un peu. Et on répondit à l'appel toujours entrant.

-Qu'est ce que tu fous devant chez moi?

Dans le combiné, la voix de No grésillait un peu, et Maxine n'aurait pas su dire si elle tremblait à cause de la mauvaise qualité des téléphones ou parce que sa gorge était serrée.

-C'est toi qui m'a envoyée un message. Tu disais que c'était urgent.

Silence dans l'appareil. Seulement une respiration un peu précipitée, le genre qu'on a quand on a monté les marches un peu trop vite ou une trop forte émotion.

-Alors? Tu me dis que ce qui va pas, ou je dois envisager une carrière dans la télépathie?

Max crut que Nolwenn n'allait pas répondre. Qu'elle allait raccrocher, s'enfermer à double tour dans sa chambre, mettre la musique à fond pour oublier qu'elle attendait dans le couloir. Mais Nolwenn répondit, de la toute petite voix des enfants qui révèlent quelque chose d'interdit.

-J'ai fait une connerie.

Il y eut un flottement de silence. Le temps pour No de retenir sa respiration et son envie de pleurer, et pour Maxine de froncer les sourcils et d'envisager les pires scénarios.

-T'es enceinte?

-Non.

-Tu t'es fait agressée?

-Non.

-Quelqu'un est mort?

-Non.

-T'as tué quelqu'un?

-Non.

-Putain, tu t'es taillée les veines?!

-Non.

La métisse gonfla les joues et souffla très fort dans le combiné. Son inquiétude étaient telle qu'elle avait l'impression que son coeur allait jaillir hors de sa poitrine, et atterrir sur le carrelage du couloir.

-Bon, merde, on joue pas aux devinettes No! Je te laisse trois secondes pour m'ouvrir, ou je te jure que ça va mal se passer.

Maxine eut à peine le temps de raccrocher et de se rendre compte de la puérilité de sa menace que la clé cliquetait déjà dans la serrure. La poignée s'abaissa très lentement, et la porte s'entrebailla, timidement, dans le léger grincement des gonds mal huilés.

Le visage maigre de Nolwenn était plus creusé que jamais. Ses joues blafardes étaient dévorées par les cernes et ravagées par les larmes. Avec son mascara coulant et ses vêtements noirs, elle faisait tâche dans l'appartement impeccablement blanc et incroyablement vide. Elle se tenait très droite, le menton haut et tremblant, les yeux rivés sur un point beaucoup plus haut que le chignon de Maxine.

-Oh putain, murmura cette dernière.

Nolwenn s'était coupée les cheveux. Sa longue chevelure ténébreuse qui dissimulait ordinairement son regard d'acier gisait maintenant sur le parquet du salon, cadavres sur un champ de bataille.

Elle avait coupé un peu au hasard, sans y prêter un attention. Elle avait coupé comme un acte automatique, qu'on fait sans y prendre garde, ranger ses clés ou fermer la porte. Les mèches retombaient sur son front ou se dressaient sur son crâne, c'était selon. On aurait dit un petit épouvantail fantômatique.

-C'est ça, ta connerie? soupira Maxine, soulagée. Tu m'as fait peur, idiote!

Pour un peu, elle aurait éclaté de rire. Il n'était rien arrivé de grave à No. Elle était triste, mais elle allait bien, et ça, c'était le principal.

-Hé, hé! Faut pas pleurer pour ça! souffla la métisse. Regarde, on va rattraper tout ce bordel. C'est pas grave, tu vois? Puis c'est joli. Ça t'ira bien, les cheveux ras.

Max parlait calmement, un sourire au fond de la gorge. Elle amena gentiment Nolwenn, qui semblait s'être transformée en statue de sel ou soldat de plomb, jusque dans la salle de bains, l'installa sur la cuvette des toilettes, et s'assit elle-même sur la chasse d'eau, paires de ciseaux dans la bouche, tondeuse à portée de main.

La salle de bain était la pièce la plus petite, la plus jolie et la mieux rangée de l'appartement de madame Rousseau. Les murs étaient recouverts de minuscules mosaïques d'un bleu un peu trop clair et le carrelage immaculé faisait froid sous les pieds.

-Dis, No, elles sont les affaires de ta mère? demanda Maxine, en contemplant avec perplexité les étagères vides, autrefois recouvertes de flacons de parfums, de rasoirs et de brosses à dents en tout genre.

Nolwenn ne répondit pas toute de suite. Ses yeux gris fixaient avec sévérité le miroir, surplombant le lavabo, reposant dans son cadre métallique. En inclinant la tête vers la droite et en se penchant en avant, elle pouvait presque voir son reflet. Ses doigts cherchèrent machinalement à saisir les cheveux qui traînaient sur ses épaules, et ne rencontrèrent que le tissu de son t-shirt. Elle ferma les yeux et haussa les épaules.

-Elle est partie.

Les ciseaux se refermèrent sur cette phrase dans un claquement métallique. Maxine laissa échapper un petit "oh merde désolée" qui se perdit dans le raclement de gorge de No. Elle avait rejeté sa tête en arrière, essuyant du bout des doigts le maquillage de ses joues, adressant à son amie et au plafond un sourire un peu factice.

-C'est pas grave, tu sais. De toute façon, je m'en fous.

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