[BONUS] L'ANNIVERSAIRE

Tout le monde se souvenait du fameux jour où le garçon, sous prétexte d'une surprise d'anniversaire, avait perdu Swann dans les bois. Ils avaient passé la nuit recroquevillés au pied d'un arbre, dévorés par les moustiques et autres araignés, sans s'adresser le moindre mot. ❞

***

IL FAISAIT CHAUD pour un mois de septembre. Les rayons orangés du soleil couchant se glissaient à travers les branches maigres et pâles des bouleaux. Au milieu de ces fantômes squelettiques et des piaillements des oiseaux, deux ombres marchaient à vive allure, tournoyant autour des arbres et des bosquets plus vite que des toupies, et sans véritable logique apparente. On aurait dit d'étranges farfadets un peu paumés, ou des nymphes des bois particulièrement alcoolisées.

Ces deux silhouettes, c'étaient David et Swann.

Lui galopait comme un chevreuil, ses cheveux longs piqués de fleurs en tout genre, les épaules couvertes de son éternel et magnifique blouson en cuir, la bouche entrouverte en un sourire ravi. 

Si David avait l'air d'une illustration de livres pour enfants, Swann ressemblait plutôt à une rescapée d'un naufrage. Ses avants-bras et ses jambes étaient zébrées d'égratignures sanguinolentes, ses mains et son menton barbouillés de boue et ses boucles rousses pendaient tristement sur son front luisant de sueur. Les mains au fond des poches de son short, elle traînait les pieds en soupirant exagérément fort, joues gonflées, moue boudeuse sur les lèvres, caricature des petites filles que les parents emmènent de force en randonnée.

-Quand est-ce qu'on arrive? gémit-elle, lassée d'écarter les branches pointues qui cherchaient à lui griffer le visage.

David menaça l'horizon du bâton ramassé quelques instants plus tôt, visiblement ravi.

-Bientôt!

Swann roula des yeux blancs. "Bientôt" était le mot qu'elle avait le plus entendu de la journée ô combien si longue. Elle aurait sûrement lâché une remarque cinglante, si le garçon ne l'avait pas coupé dans son élan par un cri formidable, retentissant et triomphant:

-C'est par là!

Il se faufila entre deux buissons incroyablement touffus, et se mit à dévaler à vive allure et à grand renfort de gloussements une courte pente recouverte de pissenlits, ses bras s'agitant comme les ailes des chauves-souris. Swann le suivit à contre-coeur, plus prudemment et plus lentement, s'agrippant à toutes les racines biscornues qu'ils rencontraient.

-Tu te rends compte qu'on a mis seulement trente minutes à trouver la cachette aux écureuils, mais que ça va faire deux heures qu'on cherche le lycée? fit-elle remarquer, le souffle court, fatiguée de trottiner.

David, qui avait entrepris de tenir en équilibre sur une petite motte de terre poussiéreuse, retomba sur ses talons, un peu perplexe.

-Et alors?

-Alors, pour moi, ça ressemble à ce qui arrive aux gens qui sont perdus.

-Nous? Perdus?

Le blond éclata d'un grand rire sonore qui mit en fuite deux oiseaux outragés. Ses cheveux s'agitèrent en de larges mouvements désordonnés, projetant à terre quelques morceaux de sa couronne de fleurs.

-Alalala, ces parisiens... On peut pas se perdre dans une si petite forêt! Allez, suis-moi!

Swann s'en était aperçue;  David avait sa propre définition du mot "bientôt", et elle était très éloignée de la notion du temps du genre humain. Elle ne s'inquiétait pas outre-mesure, n'ayant elle-même aucun sens de l'orientation et aucune envie de se compliquer la tâche. Pourtant, quand les rayons du soleil cessèrent de transpercer leurs prunelles, qu'un frêle croissant de lune se dessina à l'horizon, et que David admit avoir quelques doutes sur leur position, la jeune fille sentit un vent de panique lui geler les entrailles, et lui faire perdre le peu le de self-control qu'elle possédait encore.

-Si on imagine que le lycée est au sud, et qu'on est à l'est... faudrait partir par là, marmonna le blond. Ou alors, vers là... Oui, oui, par ici, ça devrait le faire.

Il contourna avec un juron un minuscule arbuste, et fit quelques mètres avant de se rentre compte que Swann ne le suivait plus.

-Bordel, qu'est ce que tu fous? pesta-t-il.

La jeune fille s'était assise contre un tronc, prostrée, le menton sur les genoux, ses bras égratinés entourant ses jambes lacérées. Elle adressa à David le regard buté qu'on certains enfants en plein caprice, et détourna la tête quand il lui fit signe de le rejoindre.

-Swann! Faut bouger, il fait nuit!

- On est perdus, et tout ce que tu fais, c'est nous faire tourner en rond depuis midi. Je suis fatiguée, j'ai faim, j'ai mal aux pieds, j'ai mal aux mains... Je bouge plus de là, répliqua la rousse, ponctuant sa phrase d'un claquement de langue résolu et agacé.

David frappa ses cuisses dans un bruit sourd, levant les yeux vers le ciel où pointait déjà quelques étoiles. Il tourna la tête à gauche et à droite, comme si quelqu'un allait lui souffler la chose à faire. Comme personne ne répondit à son appel muet, il soupira profondément et rebroussa chemin.

-T'es vraiment chiante hein, marmonna-t-il en s'adossant, lui aussi, au tronc de Swann. Je comprends pourquoi tu t'entends si bien avec Aloïs...

La jeune fille, bien que terrassée par une forte envie de pleurer, éclata d'un rire doux et presque machinal. Elle arracha les quelques brins d'herbe qui avaient le malheur de se trouver à la porter de ses doigts, avant de prendre la parole.

-C'est toi qui fait chier... C'est mon anniversaire aujourd'hui, et t'avais promis qu'on ferait un truc marrant.

-Mais c'était marrant! protesta David. Les écureuils étaient trop mignons! Même que t'as vachement rigolé devant celui qui louchait! Je savais même que ça existait, les écureuils qui louchent...

Le regard de Swann lui fit comprendre que s'attarder sur le strabisme des rongeurs n'était probablement la meilleure chose à faire. David se creusa les méninges un instant, pestant contre les soi-disant techniques de drague infaillibles d'Ismaël qui ne lui avait jamais appris que dire quand on perd la fille qu'on aime bien dans les bois pour ses dix-sept ans.

-Faut voir le côté positif: c'est ton anniversaire! s'écria-t-il avec un enthousiasme forcé. Youhou!

La jeune fille se passa la main sur le visage et se cacha les yeux pendant une bonne minute, comme dans l'espoir que tout disparaîtrait quand elle les ouvrirait à nouveau.

-C'est fou, quand même, comme le temps passe vite, insista David. Dix-sept ans... Wah. Oh putain, fais gaffe, il y a un énorme moustique sur ton poignet!

Swann poussa un petit cri, et se mit à battre des mains comme un pigeon qui tente de s'envoler.
Le garçon tenta de garder un visage impassible... qui se fendilla dans la seconde. Il laissa échapper un gloussement suraigü, qui se transforma très vite en fou rire. L'adolescente devint aussi rouge que ses cheveux. Ses paupières se plissèrent, ses sourcils se froncèrent, et elle lui décocha un regard meurtrier, aussi efficace qu'une décharge électrique.

Le rire du garçon s'étrangla rapidement au fond de sa gorge. Le silence tomba, poisseux et pesant. Les deux jeunes gens passèrent un long moment sans prononcer une parole, sursautant à chaque craquement de brindilles, claquant par moment un insecte sur leur cheville.

Paniqué à l'idée de laisser ce silence de mort s'éterniser, David se laissa emporter par la pire idée que son cerveau eut jamais formulé dans un moment aussi critique; il se mit à chanter.

-Joyeux anniversaire,
joyeux anniversaire,
joyeux anni...

-Ta gueule, le coupa brusquement la jeune fille.

-Ok.

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