09 | LA BATAILLE DE STALINGRAD DANS MON VAGIN

PÉNÉTRER DANS LE DORTOIR DES FILLES n'avait rien de sorcier. David, qui n'en avait jamais fait l'expérience, s'en aperçut très vite. Il suffisait de s'assurer qu'aucun professeur ou surveillant ne soient dans les parages et de demander à Nolwenn de servir de passeur. No était un genre de Fred et George Weasley à elle toute seule. Elle connaissait toutes les planques et tous les passages de Arthur Rimbaud.

Pour atteindre le tout petit à droite de l'établissement, il y avait trois options: la première, la préférée de Lou, la plus risquée, consistait à passer de balcons en balcons jusqu'à atteindre la chambre souhaitée. La deuxième combine était celle qu'employait toujours Ismaël. Il appelait ça "la percée héroïque." Elle consistait à envoyer Nolwenn faire le guet et, une fois garanti que Miss Teigne n'était pas de le coin, traverser ventre à terre les couloirs du dortoir. Et enfin, il y avait la troisième option, la "moins drôle" d'après Aloïs, la plus intelligente selon David. Il suffisait d'emprunter l'escalier de secours. On atteignait une vaste pièce presque vide, qui servait généralement de salle de repos aux agents d'entretiens ou de coin de rendez-vous pour les adolescents.

-Et voilà, tu me dois vingt euros, conclut Nolwenn en poussant David dans le couloir. Je rigole, spécifia-t-elle. Juste un paquet de clopes.

Le jeune garçon fut contraint de jurer sur l'honneur d'offrir à la brune ses cigarettes, pour qu'elle se décide enfin à lui donner le numéro de la chambre de Swann et Aloïs. 

-Bon... C'est la 18. Mais je te préviens, si tu fais des cochonneries, je le saurais.

Elle ponctua sa phrase d'une bourrade virile dans l'épaule du garçon, qui se retint de justesse de pousser un cri. Se massant l'omoplate, David regarda la jeune fille s'éloigner de sa démarche de panthère, les mains au fond des poches. Il aimait bien Nolwenn quand elle était heureuse, moins quand elle déprimait. Triste, elle devenait agressive, cynique et incroyablement blessante. Mais le reste du temps, David la trouvait fantastique.

Le garçon s'engagea dans le couloir, lorgnant les numéros dorés inscrit sur le bois blanc des portes. Il trouva facilement la chambre 18, donna deux coups secs contre le panneau et entra sans attendre la réponse.

-Salut!

Il enjamba une boîte de peintures, une guitare et une pile de manuels pour claquer la bise à Aloïs, allongée sur le lit. Ses cheveux clairs étaient éparpillés autour de sa tête, ses yeux restaient clos et ses mains étaient crispées sur son ventre.

-Ça va? demanda-t-il.

La jeune fille ne bougea pas d'un pouce. Elle se contenta d'écarter les paupières avec lassitude.

-Non, du con, j'ai mes règles...

-Je posais la question par pure formalité. Je voulais pas spécialement savoir.

-Oh ça va, fais pas ta chochotte, je t'ai rien dit, soupira Aloïs. Si je t'avais dit, tu saurais qu'on dirait que j'ai égoré quelqu'un et que j'ai épongé le sang avec ma culotte.

David leva les yeux au ciel. Ce n'était pas qu'Aloïs n'avait pas de filtre. Ce n'était pas le genre de personnes à répéter que sa franchise était un défaut. C'était simplement qu'elle n'avait, un peu comme les enfants,  aucune notion de pudeur. Elle disait ce qu'il lui passait par la tête. Elle pouvait philosopher aussi bien sur la psychologie d'Elsa dans la Reine des Neiges que sur la société de consommation ou la laideur de ta chemise.

-J'ai l'air calme, mais je me vide de mon sang là, gémit-elle. Et l'autre tarée de Maxine voulait que je mette une cup. Une cup, moi! T'imagines le carnage? Il y avait plus de sang sur Swann et sur les murs que dans mon corps!

-Je ne...

-On dirait vraiment que la bataille de Stalingrad se déroule dans mon vagin, marmonna Aloïs. Je te jure, c'est comme si des mini-lutins m'arrachaient l'utérus!

-Je voulais pas savoir, soupira David, grimaçant. Vraiment pas.

Aloïs se retourna sur son matelas, le menton enfoncé dans son oreiller, les sourcils haussés.

-Tu voulais quoi alors?

Le jeune homme se mordilla l'intérieur des joues, mauvaise habitude qu'il avait prise depuis ses six ans. Il faisait toujours ça quand il était en état de stress intense ou en pleine hésitation.

-Voir Swann. C'est pour le devoir de physique. Elle m'avait laissé sa feuille, donc je me suis dit que j'allais lui ramener...

Pire excuse du monde, songea David. Il enviait tout d'un coup l'inventivité d'Ismaël en matière de mensonge. Lui aurait dit quelque chose de plausible et intelligent. Mais Aloïs ne sembla pas du tout dérangée par l'absence de crédibilité de son alibi.

-Quel devoir de physique?

David s'efforça de ramener la mémoire à Aloïs, tâche beaucoup plus complexe qu'il n'y paraissait, parce qu'en plus d'être dotée de la cervelle de Dori, le poisson amnésique de Némo, la blonde était incroyablement butée.

-Ah, ce devoir là, finit-elle par soupirer. Mais c'est pas de la physique, c'est de la chimie... Swann est sous la douche.

David hocha la tête, un peu mal à l'aise. Il se laissa tomber à côté d'Aloïs, qui continua de parler toute seule des règles, de la chance de la gente masculine et de l'injustice de la situation.

À travers la porte de la salle de bains, on entendait les éclats de l'eau, le gargouillements des tuyaux et un autre son, étrange, un peu rauque. David dut plaquer sa main sur les lèvres d'Aloïs pour pouvoir écouter plus attentivement. C'était une chanson.

-C'est Swann, articula la jeune fille à travers les doigts de David qui la baillonnaient.

-Elle chante? s'étonna le garçon.

Pourtant, Swann chantait. Elle avait une voix singulière. Elle avait du coffre, comme on dit, une drôle de voix trop grave pour sa petite taille, trop érayée pour émouvoir, trop étrange pour être complimentée. Elle perturbait, gênait et dérangeait. Aussi, Swann ne chantait plus que sous la douche.

Et David écoutait. Il écoutait tellement bien qu'il n'avait pas remarqué qu'Aloïs commençait à se lasser de ne pas pouvoir parler. Il poussa un cri aïgu quand ses canines pointues s'enfoncèrent dans sa main.

-Mais t'es malade! s'exclama-t-il en regardant ses doigts où l'empreinte des dents de la jeune fille s'était imprimée.

-Venant de la part du gars qui me baillonne, ça ne me touche pas trop.

Le chant s'arrêta, l'eau de la douche se coupa et la porte de la salle de bains s'ouvrit. Swann, entortillée dans sa serviette, ses cheveux dégoulinants d'eau glacée dans son dos, s'exclama:

-Al, si tu gueules encore une fois parce que tu veux que je t'aide à sortir ta cup, je te jure que...

Elle s'arrêta net quand ses yeux se posèrent sur David, assis à côté de son amie qui ne semblait plus du tout souffrir.

-Regarde qui est là! Le GPS! s'écria Aloïs avec ravissement

David ne releva même pas, trop occupé à se demander si ses joues étaient aussi écarlates que celles de Swann.

La jeune fille restait plantée sur place, une petite flaque se formant lentement sous ses pieds. Elle aurait voulu que le sol s'ouvre en deux et qu'elle disparaisse vers les profondeurs de la terre. Elle aurait voulu être n'importe où ailleurs, pourvu que ce ne soit pas devant David, enroulée dans une serviette bleu ciel imprimé de gros ananas à lunettes de soleil.

Le jeune homme, lui, avait décidé de faire comme si la situation n'avait rien d'embarassante. Ce n'est pas comme si Aloïs racontait en hoquetant de rire comment il avait perdu Swann en forêt et que, justement, elle se trouvait actuellement devant lui.

Ses cheveux roux étaient bruns trempés et ses boucles pendaient tristement autour de son visage. Ses bras constellés de taches de rousseurs et de grains de beauté étaient obstinément croisés sur sa poitrine, et sa serviette collait à ses jambes qu'elle trouvait trop grosses, bien qu'elle n'ait jamais osé s'en plaindre à quelqu'un, de peur de paraître superficielle.

Qu'est ce qu'elle était jolie... Aussi jolie que Lou et ses grands yeux bleus ou Nolwenn avec ses manières de grande personne, estima David. Et justement parce qu'elle ne le savait pas.

-Tu voulais quoi? lâcha Swann, plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.

De toute façon, depuis qu'elle avait passé une nuit au coeur de la forêt à se faire dévorer par des moustiques au point de paraître atteinte de la peste bubonique, elle était plus dure avec David qu'elle ne le souhaitait. Un genre de réflexe.

-Te rapporter ta feuille de chimie, répondit le garçon.

Il lui adressa un sourire charmeur, soigneusement mis au point deux ans plus tôt, avec l'aide d'Ismaël. Swann ne cilla pas, se contentant de récuper son devoir en rajustant nerveusement sa serviette ridicule.

Aloïs fut saisie d'un brusque accès de compassion. Elle attrapa David par la manche en criant "on te laisse t'habiller!" et le traîna jusqu'au couloir. Là, elle le contempla avec un regard attendri.

-Quoi? s'écria-t-il, un peu vexé de l'échec de ce qu'Ismaël appelait "mission Montaigu et Capulet"

-T'as du boulot si tu veux réussir, ricana Aloïs. D'abord, tu la perds en forêt, ensuite ça... Franchement, c'est pas gagné.

David faillit lancer une réplique cinglante, mais se contenta finalement de soupirer, accablé. Les filles étaient beaucoup trop compliquées...

-Je suis censé faire quoi, alors?

La blonde le considéra un long moment, comme si elle évaluait ses chances, tout en se massant le ventre. Elle finit par hausser une épaule et s'accouda contre le mur.

-Tu la séquestres et tu pries pour qu'elle choppe le syndrôme de Stockholm?

David fronça les sourcils. David serra les lèvres. David leva les yeux au plafond. David se mordit l'intérieur des joues. David marmonna un "t'es con toi quand même."
Et David éclata de rire.

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