Chapitre 9

J'ignore ce qui me terrifie le plus. Le fait qu'ils soient décédés à un intervalle rapide ou le fait que leurs morts ressemblent à celle de Calum... Ou simplement le fait qu'ils soient morts...

Mais si trois nous ont quittés, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils ne seront pas les seuls. Je sais que les autres pensent la même chose. Je le vois à leurs yeux apeurés, à leurs larmes.

Yasmine semble mettre tout son poids sur mon bras ce qui m'oblige à la regarder à nouveau.

— Tu penses qu'ils sont vraiment morts ? me demande-t-elle les yeux suppliants.

Je sais ce quelle veut entendre : un mensonge. Elle connaît très bien la réponse, mais attend que je lui mente. Mais cela ne nous mènera nulle part.

— Je ne pense pas. J'en suis sûre.

Les membres de la sécurité sempressent de déplacer les corps de ceux que je considérais encore comme des potentiels rivaux il y a, à peine, quelques minutes. Au moins, ils n'ont pas eu le temps de souffrir. Tout s'est passé très vite. Cette situation est loin d'être normale. Luther me fixe jusqu'à ce que je relève les yeux vers lui. Il y a plein d'informations dans son regard, mais je n'arrive qu'à en déchiffrer qu'une seule : l'inquiétude.

Marc rassemble les différents membres du jury, à savoir Luther, M Krokoff, le professeur de survie, l'enseignante culturelle et un des organisateurs officiels des Jeux : Silas Cantwel.

Ils décident de se réunir dans l'urgence pour décider si les sélections doivent se poursuivre ou silt vaut mieux tout arrêter. Je sais déjà ce quils vont délibérer. Il est impossible d'arrêter au risque d'avoir des représailles du roi de Kalisto. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Pourtant, quoi qu'ils décident, je respecterai leur volonté. La situation est particulièrement délicate et je comprendrais qu'ils veuillent stopper la compétition pour protéger les candidats encore vivants.

L'attente est pour le moins insupportable. Aucun de nous n'ose parler ou même confier ses sentiments. Nous ne savons plus comment nous considérer : rivaux, amis ou survivants. Certains se sont assis à même le sol, comme si la vérité les écrasait sous son lourd poids. Dautres marchent de long en large essayant de s'occuper l'esprit. D'autres pleurent en silence.

Moi, je reste debout, immobile, sans savoir quoi faire, trop choquée pour esquisser un simple geste. J'essaye de comprendre.

Pourquoi Calum a-t-il été retrouvé dans cet état ? Pourquoi Mollie et Thomas sont morts si soudainement ? Pourquoi ces événements se succèdent-ils ? Je suis sûre qu'il y a un rapport entre tous ces événements choquants. Rien de tout cela n'est accidentel.

Qui sera le prochain ?

Voilà ma véritable peur.

*

Le jury revient quelques minutes plus tard, un air grave collé au visage. A peine sortent-ils des coulisses, que Yuta fonce sur Marc et l'empoigne par le col de sa chemise.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi est-elle morte ?

Il prononce ses paroles en hurlant comme si la colère constituait un baume autour de sa tristesse. Il secoue Marc de toutes ses forces et commence à le frapper.

— Pourquoi, pourquoi !! Que lui avez-vous fait ?!

Il répète cette phrase en boucle pendant que Luther le force à s'écarter. Il finit par s'effondrer au sol et gémit comme un enfant. Je le voyais grand, fort et imperturbable, mais nous sommes tous égaux face à la mort.

Marc se ressaisit et lisse sa chemise d'un blanc immaculé et inspire profondément avant de prendre la parole en nous fixant d'un air sérieux.

— Je ne suis pas responsable. En revanche, je dois veiller à votre sécurité, c'est pourquoi j'ai demandé à faire évacuer le stade. Le public sera remboursé et les familles resteront dans le hall d'entrée en attendant.

— En attendant quoi monsieur ? Qu'on ressuscite leurs morts ? demande Jessica amèrement.

— En attendant la fin de la sélection. Nous ne pouvons pas nous permettre darrêter. Les Jeux vont bientôt débuter et si aucun dellien ne se présente, nous risquons une guerre que Dell n'est pas en mesure de mener, déclare-t-il en s'installant de nouveau sur l'estrade.

J'avais raison et pourtant je suis morte de trouille à l'idée de continuer. Je ne sais pas si j'arriverais à me concentrer. Et même si je ne suis pas celle qui gagne, je veux juste qu'un de nous parvienne à aller sain et sauf aux Jeux pour épargner notre peuple. Ce n'est plus une question de capacités désormais, c'est une question de survie.

— Nous vous accordons une dizaine de minutes de pause avant de reprendre. La sélection va se poursuivre. Nous devons agir rapidement et efficacement. Faites de votre mieux, c'est tout ce qu'on vous demande, explique solennellement le représentant orphéen.

Personne ne bouge comme si le moindre mouvement pouvait déclencher un événement tragique. Seuls les gémissements de Yuta comblent le silence pesant qui s'installe. Je n'ose même plus respirer par peur de le briser. J'ai juste envie de fermer les yeux et de rentrer, mais Luther s'approche de moi pour m'écarter du groupe. Je pose la question qui me brûle les lèvres depuis que les événements ont pris une drôle de tournure.

— Où est maman ? je demande, les yeux dans le vide.

S'il lui arrivait quelque chose, je ne pourrais pas le supporter. Sans me répondre, Luther me serre contre lui. Je suis à la fois surprise et rassurée. Surprise de cet élan d'affection sachant qu'il est loin d'être une personne tactile et apaisée parce que j'ai l'impression d'obtenir son approbation.

— Elwing, ne t'inquiète pas, ta mère va bien, elle a été évacuée avec les familles des candidats et patiente dans le hall. Je lui ai dit que tout se passerait bien, mais je vais certainement passer le pire quart d'heure de toute ma vie quand tout sera terminé.

Je n'ose pas lui demander ce qu'il veut dire par « terminé ».

— D'accord, dis-je un sourire au coin des lèvres, dis-moi juste qu'elle ne s'inquiète pas trop.

— Ce serait te mentir. Tu connais ta mère, Elwi, répond-il alors qu'il se sépare de moi.

— La foule a été évacuée parce que tout ça, j'ajoute en désignant d'une main tremblante la situation, ce n'est pas un accident, n'est-ce-pas ?

Je cherche une réponse dans les yeux de Luther, mais je ne la trouve pas.

— Aucun de nous ne peut l'affirmer. Une enquête va être ouverte. Pour l'instant, ce qui est le plus important, c'est de terminer ce qui a été commencé.

Luther m'examine d'un regard paternel et me lâche complètement. Je mapprête à partir rejoindre les autres quand il me retient à nouveau avec cet air inquiet qui ne le quitte plus.

— Écoute-moi attentivement Elwing. Refuse tout ce qu'on pourrait te donner, que ce soit une boisson ou de la nourriture. J'ai un mauvais pressentiment. Tu as compris ?! Ne prends rien de personne.

Je hoche la tête abasourdie par ses paroles. Luther, pense-t-il que quelqu'un de malveillant est derrière tout ça ?

*

Hugh est le premier à entrer dans la salle de réalité virtuelle. Ce qu'il verra dans le casque de réalité virtuel sera retransmis sur un écran. Nous nous installons sur les gradins désormais vides.

Personne ne sait encore qu'elle est son arme ni le concurrent qu'il va affronter. Nous regardons notre camarade en silence. Hugh enfile le casque brusquement avec un regard dur vers la silhouette petite et féminine qui se forme lentement devant lui. Je reconnais la couleur emblème de la planète Cléone. Hugh n'est pas vêtu de la bonne façon, il risque d'être affaibli rapidement par la glace et le froid, maîtrisés par son adversaire.

Le combat dure une vingtaine de minutes. Hugh, armé de sa lance, à blesser son ennemie à la jambe. Malgré les obstacles que la concurrente cléonnienne a mis sur son passage ; des stalactites tranchantes et une tornade de neige, il a persévéré jusqu'à discerner son point faible. Je suis sûre qu'il aurait mis moitié moins de temps, si les circonstances étaient meilleures. Il est vraiment un candidat redoutable. Malgré cela, il ressort de la salle, complètement frigorifié et affaibli, tremblant de tous ses membres. Ses joues sont rougies par le froid qu'il vient de supporter et ses ongles sont violets. Je ne peux m'empêcher de penser que je n'ai aucune chance après avoir vu la souplesse de ses mouvements.

Marc demande à Yuta d'entrer dans la salle. Perdue dans mes pensées, je ne remarque pas qu'il sarrête brusquement. Ce n'est que lorsqu'un bruit de métal me crève les tympans que j'ose me retourner. Jessica est en train de dévaler les marches en fer, inconsciente. Quand elle arrive enfin en bas, formant un angle improbable de son corps musclé, Mike et moi, nous nous précipitons vers elle. Les médecins ne sont pas assez rapides et nous sommes, finalement, les premiers à arriver. Il n'y a pas de doutes... Nous levons la tête en même temps, comprenant que Jessica était déjà morte avant de se briser le cou dans les gradins.

Je savais qu'il y aurait d'autres morts. J'ai maintenant l'horrible sentiment que nous allons tous y passer.

Tout comme il y a moins d'une heure, les médecins accourent et les membres de la sécurité déplacent le corps inerte de Jessica. Pourtant, le jury ne laisse pas à la panique le temps de s'installer. Il appelle de nouveau Yuta pour qu'il se présente devant la salle. Celui-ci ne bouge pas d'un pouce, je jugerais presque qu'il tremble. Il secoue la tête violemment.

— Non ! Non, je n'irai pas dans cette salle ! Vous croyez que je vais continuer avec tous ces morts autour de moi ! Vous croyez que je suis insensible comme vous ! Êtes-vous des personnes sans cur pour nous obliger à rester et à participer alors que les autres tombent un à un ! Ce sera sans moi. J'abandonne.

Je comprends ses sentiments, je crains aussi de poursuivre. Cependant, si nous ne continuons pas, les conséquences seront pires pour toute la population dellienne. On ne déplorera pas une dizaine de morts, mais des milliers.

Marc ne fait aucun geste pour le retenir sachant le risque que nous encourons. Il soupire simplement comme si l'abandon de ce dernier le rassurait et lui facilitait la tâche. Mais à peine Yuta rejoint-il les coulisses, qu'on entend un bruit de chute suivi de cris affolés.

Nous échangeons un regard dans un silence pénible. Nous savons déjà ce qu'il s'est passé. Ceux qui tombent sont de plus en plus nombreux. Je suis certaine que je serai de ceux-là. Mon cur palpite à toute allure. Je soupire d'appréhension. Yuta est mort, lui aussi.

— Ça suffit ! crie Marc, le poing serré contre le pupitre en bois. Je veux que les médecins effectuent des analyses sanguines de toutes urgences. Ne perdez pas de temps ! Nous sommes en situation de crise. Nous devons comprendre ce qu'il se passe.

A ces paroles, les soignants s'activent rapidement et prélèvent le sang de toutes les personnes présentes dans la salle. Je n'ai même pas le temps de souffrir de la prise de sang qu'ils passent déjà au suivant et repartent aussi rapidement qu'ils sont venus.

Marc se masse les tempes en inspirant. Luther agrippe fermement le bureau du jury derrière lequel il est assis. Seul Silas Cantwel reste calme dans cette situation où tout le monde semble être à cran.

— Poursuivons, je vous prie, dit-il doucement. Yasmine, tu peux y aller.

Elle se lève toute tremblante, mais son regard est déterminé. Elle entre dans la salle en me souriant.

J'ai le pressentiment que c'est la dernière fois que je la verrais. Je dégage cette pensée sordide de mon esprit et me concentre sur l'écran qui nous permet de suivre son épreuve. Elle a déjà enfilé son casque et l'ajuste à sa taille et empoigne son carquois à flèches et son arc.

Ladversaire qu'elle doit affronter apparaît soudain sous la forme dune hologramme. Des objets remplissent la pièce et je vois que mon amie commence à paniquer. Elle n'a pas dû affronter ce Conquérant lors de son entraînement personnel. Au sourire que forment les lèvres de l'organisateur, je sais qu'il s'agit du combattant orphéen. Il possède le pouvoir de la télékinésie d'où la présence d'objet dans la salle.

La forme est plutôt grande et fine. Le garçon a l'air d'être souple et rapide. Yasmine n'hésite plus et bande son arc pour lui décocher une flèche. La forme virtuelle ne semble pas lui porter une attention particulière et se penche sur une rose à l'intérieur d'une cloche.

Je ne sais pas si le mécanisme reproduit le caractère des Conquérants, mais si c'est le cas, on dirait que celui-ci n'en a strictement rien à faire.

Yasmine fronce ses sourcils épais, mais décide de libérer sa flèche. Celle-ci fonce directement vers le buste de la silhouette. L'ennemi lève soudainement la main. J'en ai le souffle coupé. La flèche s'est immobilisée dans les airs. D'un autre mouvement élégant, le garçon ordonne à l'arme de se retourner vers Yasmine.

Je me lève comme si je pouvais intervenir. Heureusement, Yasmine se baisse au dernier moment et la flèche vient se planter dans le mur derrière elle. Puis, sans perdre de temps, elle se redresse et encoche une autre flèche. Mais l'hologramme s'empare de la rose et la contemple à nouveau. Et contre toute attente, les épines de la fleur se détachent et filent droit vers Yasmine, trop surprise pour esquiver cette attaque. Elles viennent se planter dans sa peau en une infinité de points douloureux. Mon amie grimace de douleur, puis tombe à genoux. L'écran sur lequel je regarde son combat devient noir. Que se passe-t-il ? Nous nous précipitons tous dans la salle. La première chose que je vois est le corps recroquevillé de Yasmine par terre.

Les médecins arrivent en se bousculant et l'examine dans un silence tendu.

— Son pouls est très faible, mais elle est vivante. Elle a besoin de soin au plus vite. Elle n'est pas en état de continuer, déclare l'un d'entre eux.

Marc fait un geste de la main et les congédie. Les soignants la soulèvent précieusement et l'allongent sur un brancard. Il ne reste plus que Hugh, Mike et moi. Je me prends la tête entre les mains.

Il y aura un prochain.

Mais nous ne pouvons pas arrêter jusqu'à être sûr qu'un dellien sera en mesure d'aller aux Jeux.

Le jury décide de passer à la suite, sans plus attendre.

Désormais, nous devons nous battre entre nous. Aucun de nous n'en a envie.

Je n'ai plus de force comme si le choc des événements avait tout drainé sur son passage. Il ne nous reste plus aucun sentiment, juste l'attente insupportable de savoir qui de nous trois tombera en premier.

Je décide de m'asseoir par terre. Le Jury ne nous tient même pas rigueur de ne rien tenter. Eux aussi attendent. Les garçons s'assoient à leur tour. Nous nous faisons face, tellement angoissés que nous n'osons pas nous regarder, de peur d'assister à la mort de l'un d'entre nous.

Je crois que je ne supporterais pas de voir la prochaine victime. Je préférerais être la prochaine plutôt que de devoir me détourner à nouveau.

Les pensées qui nous assaillent alors que la mort nous nargue sont effrayantes. Je me mets à penser à ma mère. Je ne lui ai même pas dit au revoir et la dernière fois que je l'ai vu, ce n'était que pour m'apercevoir que je l'avais déçue.

Des souvenirs aléatoires de ma vie semblent défiler au ralenti dans ma tête. Comme si mon cerveau savait ce qui allait se passer. Si je meurs aujourd'hui, je veux me rappeler de tout. Je veux essayer d'imaginer mon père, même si je ne l'ai jamais connu. Maman m'a dit qu'il est mort à la suite dune attaque des kalis.

Une larme s'échappe de mes yeux fermés. J'ai l'impression que personne ne se soucie de moi...

Pourquoi ai-je la sensation de mêtre jamais sentie chez moi ? Où que je sois, j'ai le sentiment d'être une étrangère et que les gens qui m'entourent ne sont présents que pour jouer un rôle. J'ai si peur d'être oubliée, effacée de la mémoire des gens que j'aime si je meurs ici. J'ai besoin de savoir que je manquerais à quelqu'un. Mon cœur bat de plus en plus vite. Je commence à trembler. Non ! Je dois surmonter ça, je dois traverser cette tempête de pensées négatives.

J'ouvre les yeux d'un coup. Je constate que Mike me regarde avec un air rassurant, comme s'il savait à quoi je pensais. Mal à l'aise, je me détourne et me rends compte que Hugh se tient la tête entre les mains. Cela fait seulement quelques minutes que nous attendons. Tout paraît long quand on attend la mort. C'est comme si elle voulait que nous nous apitoyons sur notre courte existence. Je me retiens de pleurer à nouveau, je renifle et une boule douloureuse se forme dans ma gorge. Mike se mord les lèvres, et serre les poings. Comme moi, il doit être tourmenté par ses propres souvenirs, son enfance, ses rêves à jamais reportés et détruits.

Et puis la réalité me frappe de plein fouet. Je sors de ma crise d'angoisse. Je vais mourir aujourd'hui et j'attends que la mort vienne. L'attente est tellement longue et pénible que j'ai envie de crier. Pour me calmer, je me concentre sur nos trois respirations régulières. Puis doucement, la mort fait son travail. Je n'entends plus que deux souffles. J'ouvre les yeux et croise le regard affolé d'Hugh et je comprends que Mike ne respire plus. Je hurle pour qu'on vienne le chercher. Il y a peut-être encore un espoir. Je ne supporte plus d'imaginer leurs familles anéanties.

Finalement, Hugh se lève et, sans savoir pourquoi je l'imite. Je crois que nous allons assister au grand final. Le nôtre.

Nous nous faisons à nouveau face ne sachant pas comment réagir. Nous nous tournons autour comprenant qu'il nous faut en terminer vite. Je détourne le regard au moment où Hugh me cogne de son poing.

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