Alors que nous marchons sur un tapis rouge que je trouve inapproprié, je cherche ma mère du regard pour la rassurer, lui dire que je ne participe que pour aider les autres afin que leur nombre ne soit pas impair et déséquilibre les épreuves. Je n'ai pas le choix.

La foule crie, pleine de joie et d'excitation. Il ne semble pas comprendre qu'un dellien va se sacrifier pour eux, pour leur liberté. C'est devenu une étape banale dans leur petite vie. Pourtant, je sais que l'armée kalisse nous observe, nous surveille. Ça n'augure rien de bon. Si elle mène déjà d'une main de fer les autres planètes beaucoup plus fortes que nous, nous n'avons aucun espoir. Je me demande même pourquoi nous n'avons pas encore été envahi. Cette attente se prolonge et nous épuise.

Je m'installe au bureau réservé à Calum. Son nom est encore gravé dans le bois en minuscules lettres. J'en ai la nausée. Je ne me sens pas du tout prête, ni à ma place. Une fois que tous les concurrents se sont installés, Marc demande le silence. Il prend une inspiration profonde et porte le microphone à sa bouche.

— Mesdames, Messieurs. Je suis le représentant officiel des sélections delliennes. Je vous demande un tonnerre d'applaudissements pour nos chers candidats.

Je n'aime pas ça du tout. J'ai l'impression qu'on acclame la mort de Calum. Les autres semblent tout autant mal à l'aise que moi alors que la foule encourage celui ou celle qui vient de leur région.

— Comme vous l'aurez remarqué, un candidat manque à l'appel. Son état ne lui permet pas de participer, voilà pourquoi nous avons consenti à ce quElwing Lomino le remplace.

Un faisceau lumineux me désigne parmi mes rivaux. Je déglutis d'angoisse pour éviter de pleurer à nouveau. Calum venait de la contrée des montagnes, une région où les habitants sont généreux et hospitaliers. Je ne me sens pas à ma place. J'ai même l'impression de salir son nom. Le public ne réagit pas, pour eux, il s'agit qu'un simple imprévu. Pour moi, c'est un bouleversement insupportable.

Après avoir présenté tous les candidats, Marc explique en quoi consiste la première épreuve et donne le top départ.

J'ai relu les notes que j'ai prises lors des cours théoriques parce que j'aime apprendre de nouvelles choses, mais je n'ai pas vraiment pris le temps de tout apprendre. Je vais devoir faire appel à ma mémoire pour essayer de m'en sortir. Je vais faire de mon mieux pour honorer Calum.

Au coup de sifflet annonçant le début des tests, je retourne ma feuille, ignorant le brouhaha incessant du public. La première partie concerne le Cercle avec des questions culturelles sur les planètes. La deuxième, je pourrais la faire les yeux fermés. Elle porte sur les différentes techniques de combat et de survie. Je prends le stylo sur ma table et je commence à écrire.

« Quelle est la différence entre un Conquérant et un Explorateur ? »

Je connais la réponse. Un Conquérant est un candidat aux Jeux, habitant sur une planète imposante et qui possède des capacités supérieures, souvent offensives. Les Conquérants gagnent toujours les trois premières épreuves des Jeux et c'est toujours un Conquérant qui les remporte.

Les Explorateurs sont les concurrents qui viennent des planètes naines du Cercle, ils possèdent des pouvoirs inférieurs souvent défensifs.

« Citer les trois planètes de l'Alliance. »

C'est une question simple. Il s'agit de Kalisto, la planète de feu, Cendracte, la planète de cendres, et Vilaz, la planète magique. On appelle cette dernière de cette façon puisque ses habitants peuvent créer des illusions. Elles constituent les planètes de l'Alliance, c'est-à-dire qu'elles ont inventé les Jeux de la Deuxième Couronne.

J'écris ma réponse rapidement pour ne pas perdre de temps.

« Quels sont les pouvoirs du Quatuor et quelle est la particularité de ce groupe ? »

Le Quatuor rassemble les concurrents qui possèdent les énergies des Quatre Éléments : le feu, l'eau, le vent et la terre. Sa particularité est qu'il est constitué de trois Conquérants et d'un Explorateur.

« Quelle est la particularité de la planète Ouranix ? »

Ouranix est aussi appelée la Cité des Vents. Elle possède deux gravités différentes ce qui signifie que le sud de la planète à une gravité opposée au nord faisant d'elle une planète plate.

Pour l'instant, les questions sont faciles, mais je redoute les deux dernières qui sont généralement plus difficiles.

« A quelle puissance un glowois peut-il tuer une personne ? »

C'est une question piège, je le sais. Lorsque Luther nous a fait ce cours, je dormais à moitié. Il faut absolument que je m'en souvienne. Les glowois sont les Conquérants qui manipulent l'électricité.

Il n'y a pas de chiffres exacts, les blessures mortelles ou non dépendent de plusieurs critères : la tension du courant électrique, la fréquence, la durée de passage, son intensité, la forme du courant, son trajet et le moment du passage dans le cycle cardiaque de la victime.

Si l'intensité est faible, la victime ne ressent qu'un fourmillement désagréable. Mais lorsqu'elle est plus intense, les muscles peuvent se contracter, la cage thoracique se tétaniser et engendrer une fibrillation musculaire. A ce stade, la survie se résume à de simples secondes.

Il est certain que si je tombe contre cette Conquérante, je ne survivrai pas.

Je regarde les candidats qui me font face. Deux ont déjà terminé leur test. Le minuteur posé au centre des tables indique qu'il me reste environ cinq minutes pour répondre à la dernière question et passer à la deuxième partie. Je dois me dépêcher.

« Pourquoi est-il interdit de s'habiller en jaune sur la planète Hauméa ? »

Jamais Luther n'a parlé de ce sujet. Comment suis-je censée le savoir ! Je réfléchis à toute allure. A quelle signification le jaune peut-il être associé ? Le jaune me fait penser à la chaleur et à la joie. Mais il doit y avoir une signification négative pour que les hauméas ne portent jamais cette couleur. D'après ce que j'ai appris, Hauméa est la planète la plus pacifique d'entre toutes celles du Cercle. Elle pourrait faire partie des plus grosses planètes puisque sa superficie est bien plus grande que certaines naines, mais chaque année lors du Conseil annuel, elle refuse. Le jaune me fait aussi penser à la trahison ou au mensonge. A l'hypocrisie aussi, comme si quelqu'un se cachait derrière un sourire.

J'écris une réponse assez vague. Je préfère ne pas entrer dans les détails de peur de justifier sans réels arguments. La deuxième partie est un jeu d'enfant.

La sonnerie de fin du test retentit et je n'ai pas le temps de finir ma phrase. Je lâche mon stylo en même temps que le restant des candidats. Les feuilles sont ramassées à une vitesse impressionnante et les bureaux sur lesquels nous étions assis sont vite débarrassés.

Nous nous mettons en ligne serrée attendant que les juges corrigent nos tests. Le public retient sa respiration. Je n'ai jamais été autant stressé par l'annonce d'un résultat. Cette épreuve est éliminatoire. Plusieurs candidats pourraient voir leur espoir déçu après la correction.

— Mesdames et Messieurs ! J'ai l'honneur de vous communiquer le résultat des tests des candidats, ici présents.

Marc attend que les chuchotements du public se terminent et poursuit son discours :

— Bien commençons. Hugh : 8, Jessica : 6, Mike : 7, Mollie : 5, Thomas : 4, Yasmine : 7, Yuta : 8, Elwing : 9.

A l'annonce de mon résultat, je pourrais entendre une mouche voler. J'entends même la respiration discrète de ma voisine, Mollie. Ce n'est pas possible. Comment ai-je pu obtenir un 9 ? Il doit y avoir une erreur.

Pourtant, Marc passe déjà à la suite.

— Deux candidats sont malheureusement éliminés et vont quitter...

Il n'a pas le temps de finir sa phrase, qu'un bruit sourd retentit juste à mes côtés. Je tourne vivement la tête et découvre, avec effroi, Mollie étendue sur le sol complètement immobile et le teint livide.

J'ai l'impression que ce qui se déroule ensuite passe au ralenti. La foule crie de surprise, les candidats choqués restent immobiles. Seul, Yuta, affolé, se précipite vers son amie et sa bien-aimée et la palpe de tous côtés, parlant un dialecte dellien que je ne comprends pas. Luther se précipite pour ramener un médecin sur place et Marc essaye tant bien que mal de rassurer le public qui s'agite sous la panique.

Le médecin se penche au-dessus du minuscule corps de Mollie et Yuta lui tient fermement la main et lui murmure à l'oreille des paroles apaisantes. Le docteur prend son pouls à l'aide de deux doigts sur sa gorge. Il finit par relever la tête fronçant les sourcils d'incompréhension. Il regarde Yuta et secoue négativement la tête.

Je retiens ma respiration alors qu'un nouveau cri retentit. C'est Yasmine qui, une main sur sa bouche, se retourne et pointe du doigt Thomas lui aussi affalé par terre.

Les agents de sécurité ferment les énormes rideaux qui séparent le public de la scène et les cris de la foule se font encore plus bruyants qu'ils ne le sont déjà. Marc reprend le micro et sexprime d'une voix pleine de sang-froid.

— Nous sommes dans l'obligation d'interrompre cette sélection pendant une trentaine de minutes. Veuillez nous excuser, nous essayons de trouver une solution afin que les candidats puissent être pris en charge dans le plus grand empressement. Nous prions les familles concernées, de bien vouloir se présenter à l'accueil du Centre.

Le médecin reprend alors ses esprits et se précipite à nouveau vers Thomas. La tête de celui-ci est tournée vers moi et je vois ses yeux ouverts et un filet de sang sortir de sa bouche. Le professionnel prend un coton-tige et essuie le restant sans doute pour le transmettre au laboratoire d'analyses du Centre. Il prend à nouveau le pouls de la seconde victime et secoue la tête, signe de mauvaise nouvelle.

Pendant ce temps, Yasmine s'est approchée de moi et s'agrippe à mon bras plantant ses grands ongles dans ma peau. Mais je n'y prête pas attention, mon regard est fixé sur le docteur qui referme délicatement les yeux de Thomas.

— Qu'est-ce qui se passe Elwing ?! demande-t-elle d'une voix hystérique.

Elle semble désespérée et en état de choc. Je la sens trembler de tous ses membres alors que sa prise sur mon bras se raffermit. Avant que je ne réponde à sa question, Mike chuchote la pensée que tout le monde a sur le bout des lèvres, mais n'ose pas prononcer.

— Ils sont morts.