Chapitre 57
Ce que le temps peut paraître long quand on est enfermé sans rien faire. Je me suis mise à penser, à méditer, pour essayer de rester la plus lucide possible. J'ai même essayé de recréer des flammes, seulement, cette force que je possède doit être éphémère. J'ai peut-être réussi à la manifester uniquement parce que j'étais en danger immédiat. Ou alors, c'est Daerôn qui me l'a prêté et maintenant, il l'a repris.
Je vais mourir demain.
Je n'ai cessé de me le dire, de me le répéter à chaque début d'épreuve, devant chaque situation qui me semblait insurmontable. C'est presque devenu une évidence alors que tout n'était pas perdu. Désormais, face à la mort, j'y suis résolue. Je l'accepte et je me dis que ce n'est pas si difficile que ça. Comme je l'ai toujours su, je ne suis pas surprise. Ce n'est pas que je n'ai plus d'espoir, non, c'est juste que, c'est ce qui doit arriver.
Je ne vois pas d'autre chemin possible sur lequel je pourrais aller. C'est le seul et unique et il a toujours été là. J'y ai marché avec détermination. Parfois, la tristesse, les doutes et la colère ont marqué mes pas, mais je ne regrette pas de l'avoir emprunté.
Qu'ai-je vraiment accompli au juste ? J'ai survécu aux Jeux, et malgré tout, je vais finir par devenir comme tous les autres, avant moi. Les delliens ne seront pas délivrés de l'injustice, ni d'Aegnor.
Peut-être que je n'étais qu'un pion dans l'histoire. Peut-être que tout cela devait se passer ainsi depuis le début.
Je n'en sais rien. Mais si je meurs, ce qui va arriver à coup sûr, je ne veux pas que ça ne soit pour rien. Si je meurs, je veux que les gens se rappellent ce que j'ai accompli, qu'ils agissent.
Daerôn a dit que si je mourrais, le monde serait perdu. En revanche, s'il meurt, lui, qu'arrivera-t-il ? J'ai l'impression qu'il a accompli beaucoup de choses dans l'ombre.
Dans le fond de ma cellule, un filet d'eau tombe en rythme. Ça me rappelle la pluie, sur Dell. La pluie qui me rassurait, celle qui rendait un nouveau départ possible. Je suis contente de l'entendre. Elle m'aide à patienter jusqu'au bout, à ne pas me décourager, mais simplement à accepter mon sort. Je me mets à compter chaque goutte d'eau. 1, 2, 3... Ça m'apaise. C'est une chose qui ne change jamais. Un mouvement régulier qui sera toujours là.
Il y aura toujours de la pluie pour nettoyer le monde des choses qui le salissent.
Il y aura toujours un espoir au bout de chaque tunnel.
Je ferme les yeux, satisfaite de mes choix. Quand je me réveillerai, ce sera la fin, mais peut-être le début de tout.
*
Lorsque j'émerge à nouveau, ce n'est pas parce que je me réveille en douceur, c'est parce que de l'eau m'arrive jusqu'à la taille et que je m'étais évanouie.
Qu'est-ce qui se passe ? Y-a-t-il une tempête dehors ?!
Si je ne sors pas tout de suite, je vais me noyer ! Je dois sortir d'ici !
Je me relève et me rends compte que l'eau monte de plus en plus vite. Heureusement pour moi, je touche le sol. Je marche jusqu'à la porte rouillée et tire de toutes mes forces sur la poignée en fer. Il ne se passe rien. Je réitère mon geste en essayant de la pousser, mais c'est la même chose.
Est-ce qu'il y a un moyen de sortir ? Je me rappelle alors le trou que j'ai creusé la veille, mais il a été soigneusement rebouché. Bien sûr, ça aurait été trop facile !
Soudain, j'entends un grand bruit et des pas précipités arriver jusqu'à moi. Des gens discutent vivement et s'énervent.
— Tu es sûr que c'est elle ? demande une voix que je reconnais.
— Bien sûr ! Tu as été témoin, toi aussi ! Pourquoi tu remets en doute tout ce que je dis ! s'énerve Daerôn.
Que fait-il ici ? L'ont-ils libéré ? Je ne comprends rien !
Tout à coup, des ombres s'arrêtent devant ma porte. Je recule instinctivement. L'eau monte de plus en plus et la panique m'empêche de sortir le moindre cri.
Ils cognent la porte, tellement fort qu'elle en tremble et finalement, ils la forcent. Elle cède rapidement. Je regarde les deux personnes qui pénètrent dans la pièce. J'ai froid à cause de la glace et de l'eau. Je tremble, mais je ne détourne pas les yeux.
Daerôn et Nathaniel se tiennent dans l'embrasure de la porte.
— Elwing ! Est-ce que ça va ? demande Daerôn, inquiet. On va te sortir de là !
— Daerôn, mais qu'est-ce que tu fais là ! Je croyais que...
— Mon père a fait envoyer un torélien avant mon emprisonnement. Il veut que je sois en pleine forme pour subir les tortures de mon geôlier. Maintenant, viens avec nous !
— Ne discute pas et suis-nous ! coupe Nathaniel avant que je n'ouvre la bouche. Nous n'avons pas beaucoup de temps.
— Mais, je pensais que...
— Tu veux mourir ici ?! demande Nathaniel, agacé.
Il finit par me prendre fermement par le bras et commence à me pousser vers l'extérieur, mais le courant de l'eau est vraiment fort et elle envahit tous les sous-sols. Nathaniel grogne à nouveau et d'un geste de la main bloque l'eau dans son parcours vers les autres cellules. Le liquide forme désormais un mur et ne se répand plus du tout. Cependant, elle accélère en altitude et Daerôn pâlit.
— Dépêche-toi Elwing ! Je suis en train d'affaiblir Daerôn et on n'a vraiment pas besoin de ça maintenant !
Il me pousse en avant et je manque de tomber entièrement dans l'eau qui m'arrive désormais au menton, contrairement à Daerôn qui a de l'eau jusqu'aux épaules. Je n'arrive plus à me déplacer à pied et l'eau commence à m'emporter au loin.
— Qu'est-ce que tu attends, Elwing ! Tu veux, tous, nous faire condamnés ?! me crie Nathaniel.
— Je ne sais pas nager, pauvre imbécile ! je crie, moi aussi, épuisée qu'il me hurle dessus.
— Quoi ?!
— Elle vient de la contrée des Forêts sur Dell. Il n'y a pas la mer, ni l'océan là-bas, que des arbres et des vallées.
— Tu aurais pu le préciser ! s'impatiente Nathaniel. Bon, prends ma main, Elwing et suis-moi. Je vais te guider.
— Je vous retrouve de l'autre côté, lance Daerôn alors qu'il s'éloigne dans la direction opposée.
Je décide de l'écouter et de me calmer. Il me conduit jusqu'aux fonds des sous-sols. La tête sous l'eau, je commence à paniquer. J'ouvre les yeux, mais les referme aussitôt. Nathaniel me presse la main pour me rassurer. Nous débouchons dans un tunnel complètement sec qui mène à un escalier en pierre. Je tousse pour retrouver une respiration normale. Nathaniel me prend par les épaules et me dévisage.
— Elwing, je dois te laisser ici. Monte les escaliers, Daerôn devrait te rejoindre bientôt.
— Où vas-tu ? Ne me laisse pas seule, s'il te plaît !
— Je vais retourner sur Namus, mais d'abord, je dois m'occuper de certains détails. Elwing, si tu es bien qui je crois, tu es la réponse à nos prières. Ne t'inquiète pas, tu n'es pas seule.
Ses yeux bleus me fixent intensément et je le crois. Il me sourit une dernière fois et s'élance dans le dédale des couloirs que nous venons de traverser.
— On se reverra, princesse ! lance-t-il avec un clin d'œil.
Je le regarde partir en me demandant s'il dit vrai. Puis, je regarde l'enfilade de marches qui se dressent devant moi. Encore trempée par l'eau et grelottante, je monte les escaliers calmement. Je ne sais absolument pas ce qui se passe. Je ne fais que suivre ce qu'on me dit de faire par automatisme. J'en ai assez de réfléchir.
En haut, une lumière intense me pique les yeux. Deux jours passés sous la surface de la terre et je suis complètement ébloui par la lumière de Titan. Le froid mordant de Nessa vient me fouetter le visage. Je manque de défaillir par la différence marquante de climat. Dans ma cellule, je m'étais plus ou moins adapté à la température humide et froide. Mais dehors, le vent glacial vient lécher mes joues et mes yeux commencent à larmoyer tout seuls.
Daerôn m'attend en haut des escaliers comme prévu. Il a l'air préoccupé et inquiet. Il accourt vers moi et me prend dans ses bras.
— Elwing, je suis désolé si toutes ces escapades t'ont surprise, mais nous devions absolument faire quelque chose pour te sortir d'ici.
— Pourquoi ? Pourquoi s'acharner à me faire évader alors que tout le Cercle souhaite ma mort !
— Tu n'as pas idée de tout ce que tu peux nous aider à accomplir.
— Qui ça, nous ? Et ton emprisonnement ?
— Il aura toujours lieu. Je voulais juste m'assurer que tu quittes Cléone en toute sécurité.
— Quoi ?! Je vais quitter Cléone ? Mais pour quel compte agis-tu, Daerôn ? C'est ton père qui t'a demandé de faire tout ça ?!
— Écoute-moi. Ce qu'il faut que tu saches, c'est que je n'agis pas pour mon père, mais pour une organisation rebelle dont tu connaîtras bientôt les projets. Seulement, pour que tout fonctionne, tu dois rester en vie.
— Mais ils vont s'apercevoir que je ne suis plus dans la cellule !
— Nathaniel s'en charge. Ne t'en fais pas pour cela.
— Je ne sais plus où j'en suis. Je suis complètement perdue, je souffle alors que je m'assois par terre sous le poids de mes interrogations.
Je me prends la tête entre les mains et ferme les yeux. Qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce qu'on attend de moi ? Daerôn s'agenouille à mes côtés et tente de me rassurer.
— J'imagine que la situation doit être éprouvante pour toi. Toutes ces nouvelles informations doivent te sembler venir de nulle part. Tu sauras tout très bientôt, ne t'inquiètes pas. Je ne peux rien te dévoiler maintenant, ni l'identité des autres qui sont de mon côté. Il en va de la vie de chacun. Le plus important, pour nous tous, c'est que tu sois en vie et que tu partes loin des griffes de mon père.
Je me mords les lèvres, indécises. Je suis angoissée à l'idée de partir loin de tout sans rien dire à personne. Il se sacrifie pour moi. Je ne mérite pas ce qu'il fait. Je ne mérite rien du tout.
— Dis quelque chose, s'il te plaît, chuchote-t-il tandis qu'il lève délicatement mon menton pour que je le regarde.
Ses mains sont toujours gantées lorsqu'il met sa main sur ma joue et ses yeux me dévisagent avec préoccupation.
— Toute ma vie, je me suis trouvée sur le bas-côté de la route à attendre qu'il se passe quelque chose, que le vide dans mon cœur se remplisse et que je trouve un sens à mon existence. Je pensais que personne ne s'intéresserait à moi, que personne ne viendrait à mon secours. Et quand quelqu'un m'a enfin tendu la main, c'était pour la broyer ensuite. Je me suis résignée à mourir aujourd'hui. Ma vie n'a jamais compté. J'ai participé aux Jeux et je me suis rendu compte qu'on me tuerait la minute suivante et maintenant, on ne cesse de me dire que j'ai de la valeur et que je dois rester en vie. Et personne ne veut me dire pourquoi.
Daerôn me dévisage d'un air triste et coupable.
— Je vais te promettre quelque chose : tu ne me mourras pas aujourd'hui. Ni demain, ni après-demain. Parce que ta vie compte pour moi.
— Tu es bien le seul, Daerôn. Tout le monde veut me tuer. Rassna, Arwen, ton père... Tu ne peux rien faire contre tout ça. Tu vas partir...
— Non. Je te protégerai comme je l'ai toujours fait. Je sais qu'il y a un espoir pour toi. Tu dois t'exiler avec Ardalôn sur Hauméa. Te faire oublier quelque temps. C'est le seul moyen.
— Le seul moyen de quoi, Daerôn ?! Arrête de te voiler la face ! Je ne sais même plus si je veux vivre.
— Tu dois vivre ! Parce que je suis sûr d'une chose. Tu es la raison qui me fait croire en un avenir, un changement. Tu es cette étincelle qui illumine l'obscurité du monde.
— Je ne suis rien, je souffle alors qu'une larme coule le long de ma joue.
— Une journée ne se limite pas qu'au jour, Elwing. Il lui faut aussi la nuit pour exister. La vie, c'est pareil. On a tous notre lot d'épreuves, mais on finit par s'en sortir.
— Daerôn...
Il essuie mes larmes de ses pouces et penche la tête pour me regarder dans les yeux.
— Je sais qu'Arwen t'a trahi, mais je ne veux pas que tu te sentes coupable pour ce qu'il va m'arriver.
— Alors qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que vous attendez de moi ?
— Je veux que tu aies confiance en moi.
— Ce n'est pas aussi simple. Mon cœur est vide.
— Alors, laisse-moi le remplir.
— Je ne peux pas ! je m'écris tandis que je me recule.
— Tu ne pourras pas m'en empêcher. Tu es ma promesse, Elwing. Je t'ai retrouvé. Prends ça, dit-il alors quil me donne son bracelet en cuir gravé d'un soleil.
— Pourquoi ? je demande, méfiante.
— Quand tu seras prête, tu en auras besoin.
— Prête pour quoi ? je demande, agacée par tous ses mystères.
Je me relève et il m'imite. Il regarde au loin et sourit en apercevant la personne qui se tient derrière moi. Puis il prend ma main et l'embrasse. Une chaleur agréable s'empare de moi ainsi qu'un léger picotement.
— Ardalôn, prend soin d'elle. Fais ce qu'il faut, déclare-t-il alors qu'il s'éloigne.
Je le rattrape rapidement. Il ne peut pas partir comme ça, sans me dire ce que je dois faire. Sans me dire ce qu'il va devenir.
— Non, tu ne peux pas ! Il doit y avoir une solution !
— Ne t'inquiète pas pour moi, Elwing. Je m'en sortirais. Maintenant, tu dois partir, dit-il avec un signe de tête vers Ardalôn.
Ce dernier m'attrape par la taille et me tire en arrière. Je me débats de toutes mes forces, mais il ne m'en reste plus. Je suis épuisée, j'ai mal partout et ma vision se trouble. Mes paupières se ferment doucement. Ardalôn m'installe confortablement dans un petit vaisseau et j'observe la main que Daerôn vient de toucher des lèvres. Sur la paume, les contours d'un soleil sont gravés, indélébiles.
Je m'endors finalement, pendant qu'Ardalôn démarre l'engin qui m'emmènera loin des Jeux, loin des dangers et loin de Daerôn.
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