Chapitre 53
A l'aube, j'entends un bruit devant ma porte. Je me lève encore endormie et ouvre la porte en me frottant les yeux. Arwen se trouve derrière avec un sourire charmeur aux lèvres.
— Tu es prête ? demande-t-il, impatient
— Pour quoi faire ?
— Je t'emmène en balade ! répond-il fièrement.
— Mais nous ne pouvons pas sortir, je baille.
Ma nuit a été mouvementée. Je sens que j'ai besoin de repos.
— J'ai sauvé Nessa du mérol alors Sindar m'a accordé une faveur. Je t'attends à l'extérieur.
Je me demande bien où il veut m'emmener. Il a l'air tout excité. Il y a des choses que je dois éclaircir ici avant de penser à m'amuser.
Est-ce que la fièvre noire ou blanche est contagieuse ? Pourquoi la grand-mère de Sindar veut-elle tuer Daerôn ? Pourquoi Sindar en a-t-elle autant peur ?
Lindorie serait là, elle me dirait d'arrêter de penser et de m'amuser avant le dernier Jeu. Je soupire. Elle aurait sans doute raison. Je devrais en profiter plutôt que de me tourmenter pour des choses que j'ignore et dont je suis impuissante.
Je m'habille et revêts le nouveau manteau que les tisserandes ont fabriqué à mon intention et je sors du Repère.
— Où m'emmènes-tu ? je demande quand je l'aperçois.
Il sourit de plus belle et me dit de le suivre. Nous traversons tout Nessa pour nous retrouver à l'autre bout de la ville et de la forêt par laquelle nous sommes arrivés la veille.
— Plus on s'éloigne, plus c'est dangereux, je précise.
— Je sais.
Je me rends alors compte que j'ai oublié d'emporter mon slard avec moi. Je dois donc entièrement compter sur Arwen en cas d'attaque. Nous sortons de la ville par une autre porte tout aussi imposante sous les yeux aiguisés des Trax qui nous laissent partir.
A l'extérieur, un petit vaisseau est posé sur la neige blanche. Arwen se précipite vers lui et ouvre la porte pour m'inviter à entrer. J'y prends place en me posant encore plus de questions sur notre destination. Sur mon siège, est posé un livre de légende que je ne connais pas.
— Qu'est-ce que c'est ? je demande alors que je m'assoie.
— Un livre de légendes larniennes. C'est pour t'occuper pendant le voyage, comme ça, tu ne regarderas pas à l'extérieur.
Je suis touchée par son geste. Je ne connais pas sa planète, sa culture et je sais qu'il est peut-être trop honteux de son statut pour m'en parler. Il pense que j'aurais une mauvaise opinion de lui alors que c'est tout le contraire. Je le regarde s'installer aux commandes.
— Ça ne rassasiera pas ma curiosité débordante ! je lui fais remarquer en riant.
— Mais ça peut l'atténuer, dit-il avec un demi-sourire.
Nous décollons en douceur et nous éloignons de Nessa. Je me concentre sur le livre que m'a offert Arwen et essaye de calmer mon excitation qui s'amplifie. Je l'ouvre à la première page et caresse la douceur du papier légèrement jauni par le temps. Le premier chapitre sintitule : Larn ou la planète obscure.
*
Arwen me prend doucement la main pour me faire sortir de l'habitacle. Mes pieds se posent sur un sol sableux.
— Arwen ?
— Ne regardes pas ! C'est une surprise !
— Je n'aime pas les surprises ! Imagine que je sois déçue ! je m'exclame alors que je sens la chaleur me monter au visage.
— Tu ne le seras pas ! J'en suis sûr, ajoute–t-il. Ferme les yeux et ne les ouvre pas tant que je ne te l'aurais pas dit.
Je hoche la tête et lui obéis. Je me laisse guider par ses mains fermes. Je suis parcourue de frissons agréables qui font battre mon cœur à un rythme incontrôlable. Nous marchons pendant une dizaine de minutes et j'entends les bruits de la ville se rapprocher. Des murmures qui deviennent des mots, des cris joyeux qui se transforment en acclamation. Je me délecte des bruits de la ville. Je me nourris de ces accords urbains essayant de deviner ce qu'ils signifient. Les sons sont amplifiés, transformés dans mon imagination débordante. Arwen pose ses lèvres sur la paume de ma main et je m'immobilise.
Des papillons s'emparent de mon estomac a chaque fois qu'il répète ce geste tendre.
— On est arrivé, déclare-t-il simplement, une main posée au creux de mes reins.
Chaque parcelle de mon corps s'électrise à son contact. Je suis accro à ses gestes, à ses caresses contre ma joue. J'ouvre les yeux et le monde naît sous mes yeux. Larn prend vie devant mes iris vertes.
Des dizaines de montgolfières volent dans le ciel gris, dégagé de tout nuage. J'ai l'impression de voir en noir et blanc. Titan est si loin que même la nuit s'éveille en plein jour. Le paysage brille dans un camaïeu de gris et de noir. Arwen m'apprend que nous sommes sur une place importante de la capitale : Elbereth, la reine des étoiles.
Les habitants vêtus de leurs plus beaux habits se déplacent gracieusement. Les soldats larniens qui veillent à la protection de leur peuple contre Aegnor, sont en tenue officielle. Ils portent des bottines argentées et une combinaison noire, un pantalon avec des clous sur toute la longueur des jambes, un plastron aux arabesques brillantes et une chemise noire matte.
Je me retourne sans cesse pour observer chaque détail, pour assouvir ma curiosité insatiable. Les maisons construites sur plusieurs étages, sont en bois de bouleau solide. Le château qui me fait face ressemble à un manoir terrifiant où se tient, au premier plan, une statue de soldat sans tête portant une épée.
— C'est le château Valacar. La statue représente le seigneur Séregon, le roi au sang de pierre. On raconte qu'il était le plus puissant et le plus cruel des rois larniens. Il faisait décapiter les prisonniers et les traîtres, m'explique Arwen.
— C'est...
— Terrifiant ? Oui, ça l'est. Mais ici, où la manipulation est courante, il faut parfois faire preuve de fermeté. Encore plus, maintenant que les mérols prolifèrent. C'est comme cela quon survit. Sinon on se fait influencer par tous les autres.
Ses paroles me glacent le sang. Comment peut-on vivre sur une planète aussi peu chaleureuse que Larn ? J'avais compris qu'Arwen pouvait agir sur les esprits. Je réalise alors que le pouvoir des larniens est beaucoup plus puissant et vicieux. Ils peuvent manipuler les esprits. Les rendre obéissants, les plier à leur volonté. Je fronce les sourcils tandis que je prends conscience de la puissance du prince de Larn. Arwen me couve du regard.
— Ne t'inquiète pas, Elwing, tout va bien. Je ne laisserai personne te faire du mal. Tu es trop précieuse pour moi.
Il prend mon visage entre ses deux mains et soutient mon regard. Le sien est déterminé et protecteur. Il colle son front au mien et emprisonne mes mains dans les siennes. Nos doigts se croisent et je lui réponds avec mes yeux. Je lui dis toutes les choses que je n'arrive pas à lui dire. Je veux lui avouer que je me sens en sécurité à ses côtés, que j'aimerais que son père lui accorde de l'attention, que je le soutiendrais.
Je ferme les yeux, apaisée. Je viens de comprendre la nature de mes sentiments. J'essaye pourtant de rester calme. Je ne fais attention qu'à ma respiration lente et calme, à son souffle régulier dans mes cheveux.
Il relève enfin la tête et me sourit tendrement. Je me noie à l'intérieur de ses prunelles argentées. Il me conduit vers une colline où tous les habitants semblent affluer. Il ne lâche pas ma main pendant toute l'ascension. Il l'a serre comme pour me rassurer.
Chaque larnien porte entre ses mains, une lanterne à la douce lumière jaunâtre. Enfin arrivés à notre destination, j'ai le souffle coupé.
Devant moi, un millier de couleurs se peignent dans le ciel, s'approprient l'horizon et se déploient en une magnifique œuvre d'art. Dans la nuit noire, les planètes du Système titanesque apparaissent plus belles, les unes que les autres.
En ce jour de fête, Larn est la seule à faire face à Titan et les planètes alentour lui révèlent à elle seule, leur beauté. Elles parent le ciel de leur puissance et de leur différence. A droite, Cléone, la géante de glace, nous narguent de sa blancheur éclatante et de ses cristaux magnifiquement exposés ; Glow, striées d'éclairs violets qui dansent en harmonie, nous fait découvrir sa vie électrique sous un nouveau jour, sa lune, Bel-o-kan, se déploie fidèlement à ses côtés, ne l'abandonnant à aucun prix ; Maxir, la planète forte et fragile à la fois, fissurée par son propre pouvoir nous rappelle que la force vient du coeur ; Ouranix, à la double gravité, aux vents violents et à la brise légère, nous évoquent un combat perpétuel. Plus loin, j'aperçois Hauméa, la planète pacifiste, aux reflets vert et mordoré, celle qu'Ardalôn chérit et protège.
Au centre, Titan illumine Larn une seule fois par an et offre à la planète sombre, une lueur d'espoir. Il me fait penser à un roi bienveillant qui encercle de ses bras cléments toutes ses filles.
A ma gauche, au loin, Namus, la planète bleue m'inonde d'un calme serein. Je me rappelle ses vagues régulières et son air iodé. J'aperçois aussi la découpe des îlots d'Orphée. Je pourrais presque les voir bouger entre les étoiles scintillantes de Vilaz. Dell, ma planète, celle où j'ai grandi semble vouloir m'accueillir à bras ouverts. Très loin, il me semble voir Cendracte, cette planète qui m'est encore inconnue comme bien d'autres. Elle laisse dans son chemin, des cendres grisâtres, on dirait presque que Kalisto, la consume.
Le spectacle que m'offre cet univers infini, fait perler des larmes au coin de mes yeux. Je suis émue par la beauté de ce monde dans lequel j'évolue, dans lequel je m'épanouis pour mieux me découvrir et me trouver.
— C'est l'unique jour où nous voyons Titan. C'est la fête des Lumières, chuchote Arwen tendrement.
Arwen se déplace face à moi. Il prend ma main et entrelace nos doigts. Il me regarde avec des étincelles dans les yeux.
— Alors déçue ?
Rien que le fait qu'il m'est emmenée ici prouve qu'il me connaît bien.
— Pas du tout. Au contraire, c'est magnifique. Merci.
Je colle ma tête contre son torse. J'entends son cœur battre un peu plus vite à chaque seconde. Il caresse mes cheveux d'une main et m'enlace de l'autre. Je me sens si bien dans ses bras. Ici, entourée de ses deux mains, je n'ai pas à être angoissée pour la suite des Jeux, je n'ai pas à être terrorisée de l'avenir.
Je relève doucement la tête, plonge mes yeux dans les siens et dévore du regard la lumière qui s'y reflète. Il se mord doucement la lèvre, hésite à dire quelque chose, se ravise. Je l'encourage en lui souriant doucement. Il soupire. Alors je dis ce qu'il nose pas me révéler. Si je lui dis en premier, peut-être en aura-t-il le courage ?
— Je crois que je t'aime.
En réponse, il penche son visage vers le mien. Il se rapproche doucement, joue avec les papillons qui s'envolent dans mon estomac, me fait languir de plaisir. Ses cheveux châtains viennent chatouiller mon front, ses yeux enjôleurs se ferment et ses lèvres se posent sur les miennes. Je ferme les yeux à mon tour pour apprécier le moment intime que nous partageons.
Je pensais ressentir une explosion intérieure si intense que mes membres auraient été paralysés. Je m'attendais à ce que mon cœur s'arrête, que mon souffle meurt et que mes lèvres brûlent et frissonnent en même temps. J'attendais tellement de ce premier baiser. Mais rien ne vient. Je ne ressens rien. Rien.
A la place, j'ai l'impression de tirer sur un fil invisible par lequel je suis reliée à Arwen. Un fil qui s'est tissé sur mon cœur et qui se dénoue. Je ressens un calme angoissant, un sentiment de dégoût extrême qui me donne la nausée. Et d'un coup, les lèvres d'Arwen me dérangent, me gênent, me font mal. Je mets fin à son baiser qui me paraissait si doux, la seconde précédente. Je le regarde se détacher de moi. Il cligne plusieurs fois des yeux. Son souffle est court. Il a l'air perturbé par quelque chose, mais il se reprends en me sourit à nouveau.
J'ai peur de le vexer si je lui avoue ce que j'ai ressenti pendant notre baiser.
J'ignore pourquoi ce sentiment conquiert mon cœur, j'ignore ce qui m'a fait reculer alors que j'attendais ce moment depuis longtemps. Soudain, le regard d'Arwen change. Il est plus dur, froid et cruel. Son sourire charmeur se transforme en rictus. J'ai l'impression de le voir tel qu'il est pour la première fois. Je cligne des yeux pour essayer de comprendre ses intentions.
— J'ai cru que tu ne le comprendrais jamais, souffle-t-il à mon oreille.
Sa proximité me stresse alors qu'avant, j'aurais tout donné pour me retrouver si près de lui. Il me prend les poignets, les enserre et me fait mal. Il me donne l'impression d'être un vautour qui referme ses griffes sur sa proie.
— De quoi tu parles, Arwen ? Tu me fais mal, arrête.
Soudain, je crains de m'être trompée. Je crains d'avoir commis une terrible erreur.
— Pour moi, tu es insignifiante, faible et naïve à un point que tu nimagines pas.
Je recule, blessée par ses paroles, par ses mots qui m'ont guéri auparavant et qui me transpercent aujourd'hui.
— Tu ne penses pas ce que tu dis, je réponds alors qu'un frisson me fait trembler.
— Si je le pense. Il y a bien longtemps que je voulais te le dire, mais te manipuler est tellement délicieux, si grisant. J'avais tellement hâte que tu le découvres, que tu comprennes que jamais je ne pourrais t'aimer.
Alors je comprends.
Je comprends qu'il ma trahi.
Je comprends que depuis le début, je ne suis qu'une marionnette, un jeu pour lui. Tous mes fils se brisent et déchirent mon cœur en mille morceaux.
Je regarde le sol, inondé d'un sentiment horrible. J'ai l'impression de voir mon cœur se déverser par terre. J'en rattrape quelques restes au creux de mes mains tremblantes. Il m'a brisé de l'intérieur. Il a fait de moi un corps sans âme, une enveloppe de chair dépourvue de sentiments. Il a transformé mon cœur en pierre et maintenant, il en piétine les miettes.
Pour lui, je n'étais qu'un jouet.
Je me retourne pour fuir cet homme que je croyais aimer, mais qui est devenu un parfait étranger.
Un danger, un ennemi, un traître.
Je m'enfuis à toutes jambes, monte dans le vaisseau et enclenche le pilotage automatique, je ne sais par quel moyen. Je retourne sur Cléone avec le cœur creux et l'esprit déchiré.
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