Chapitre 48

Avant que je ne me rende compte de ce qu'il vient de se passer, je décide d'atterrir. Cilyene souffre depuis bien trop longtemps, elle doit se reposer. Les premiers posent déjà pied à terre et semblent épuisés. Hélios s'empresse de me rejoindre pour vérifier l'état de mon oiseau.

— Que s'est-il passé ? demande-t-il, inquiet.

— Un pic de glace l'a effleuré.

— Dès que ce sera fini, je lui ferais un bandage. Dovo ! appelle-t-il.

Son Anka se dirige vers nous, dès l'appel de son nom.

— Emmène Cilyene dans la grotte, d'accord ?

L'oiseau lui répond d'un cri sifflant et se dirige vers Cilyene qui s'est couchée dans le sable du désert. Je la caresse une dernière fois, puis tous les deux s'envolent. Dovo se place en dessous d'elle pour la soutenir.

J'ai le terrible sentiment que je ne la reverrai plus jamais.

Je me tourne vers Hélios pour le remercier, mais son regard n'est plus aussi accueillant qu'avant.

— Je fais ça uniquement pour elle, précise-t-il d'une voix amère.

Ses paroles me laissent perplexe. Que veulent-elles dire ? Je remarque alors que les Conquérants m'observent tous du coin de l'œil. Leurs regards se font surpris, et même, haineux. Quest-ce qu'il se passe ?

Après que nous ayons tous repris nos esprits, Silas Cantwel annonce les quatre candidats qualifiés pour la suite dans un micro qu'il tient dans sa main.

— Mesdames et Messieurs ! La course céleste s'est enfin terminée et nous avons des vainqueurs ! En première place : Hélios Mahtan, fils de l'Intendant, en seconde position Arwen De Lys, héritier de Larn, en troisième position Daerôn Kermé 1er du nom, et enfin en quatrième et dernière position Elwing Lomino, dellienne.

Un grand silence suit mon nom alors que les autres candidats se sont fait acclamer. La plupart du public semble partager ma surprise.

J'y suis arrivée.

Une voix que je reconnais coupe ma victoire silencieuse.

C'est Arcadio le présentateur des Jeux et Illusioniste noir de Vilaz qui crie dans son micro devant la caméra.

— Eh bien ! Cette épreuve fut pleine de surprises ! Vous pourrez revoir les autres candidats non qualifiés lors de la finale en tant que spectateurs. Nos quatre finalistes atterriront demain matin sur Cléone, la planète des glaces. Cependant, il y a une exception ! Notre chère Sindar Heleyn, Conquérante de Cléone sera elle aussi en finale puisque, comme vous le savez, chaque Candidat doit participer lorsque l'épreuve se déroule sur sa planète. Ainsi, le nombre des finalistes est ramené à 5 ! C'est une première dans les Jeux du Cercle ! C'est aussi une première pour les delliens puisque leur candidate s'est qualifié haut la main ! Ces Jeux sont vraiment une source de rebondissements ! J'ai hâte d'en connaître le dénouement ! Et vous ?

Sa voix enjouée me donne la migraine. Je me sens de plus en plus mal à l'aise avec tous ces regards braqués sur moi.

Arcadio reprend, à nouveau tourné vers la caméra.

— Mais vous en saurez plus ce soir, les amis ! Les finalistes nous accorderont une interview individuelle.

Après avoir salué le public une dernière fois, nous rentrons au Conseil avec une escorte kalisse. Je marche en silence tandis que je tente de comprendre les causes de ce changement d'attitude.

Je rentre dans ma chambre encore perturbée, Lindorie sur les talons. Elle s'empresse de fermer la porte et me détaille de la tête aux pieds.

— Qu'est-ce que tu veux ? Tu vas me détester aussi, je suppose, dis-je, les bras croisés.

— Tout le monde s'attendait à te voir abandonner aujourd'hui, lâche-t-elle.

Ma respiration s'arrête. Je ne sais pas quoi répondre. Je ne sais même pas comment je dois le prendre. Je devine que le mot « abandonner » signifie sans doute « mourir » dans sa bouche d'aristocrate.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Lindorie ! Je suis désolée d'être en vie ? Pourtant, tu sais très bien que je ne le pense pas.

— Tu as gagné l'épreuve ! dit-elle comme si elle avait besoin de me le préciser.

— Je n'ai pas gagné. J'ai survécu. C'est différent.

Je me lève et commence à faire les cent pas. Je croise les bras pour les décroiser quelques secondes plus tard. Je claque des mains, décide de me recoiffer après le vent violent dans mes cheveux. Je tape du pied, je marche, je m'assois. Mon coeur bat si fort que je cherche à atténuer ses battements de n'importe quelles façons possibles.

— Je crois que nous avons tous été surpris, reprend-elle tandis qu'elle semble chercher ses mots.

Il y a, dans son regard, quelque chose qui m'intrigue. Une ombre passe dans ses prunelles. Une ombre chargée d'inquiétude et d'angoisse.

— Beaucoup se demandent ce que tu as en tête.

— Ce que jai en tête ? je repère d'un air dubitatif.

Je me rassois sur mon lit en face du sien. Je la regarde et l'invite à poursuivre, les sourcils haussés.

— Ils se demandent pourquoi tu veux gagner et ce que tu feras ensuite.

— Je n'en sais rien. Je ne me suis jamais posé la question. Je cherche juste à survivre parce que si j'échoue, je vais mourir. C'est ma seule motivation.

Dire cette phrase à voix haute est assez étrange. Je me trouve bien égoïste

— Alors, cette fois, réponds sincèrement à la question que je vais te poser. Pourquoi voulais-tu participer aux Jeux ?

J'ai l'impression que ses yeux lancent des étincelles. Je déglutis. C'est vrai que la majorité des candidats pensent que je suis venue aux Jeux parce que je n'avais pas le choix. Mais ils ignorent qu'il y a une cause que je défends. Je décide de l'expliquer à Lindorie.

— Je veux honorer les delliens. Je veux montrer que nous ne méritons pas ce qui nous arrive, que nous ne sommes pas inférieurs aux autres.

— Donc tu as un but. C'est ça qui effraie les autres. Tu n'es pas qu'une victime des Jeux, Elwing. Tes convictions peuvent devenir une arme dangereuse.

— Je n'aurai jamais imaginé arriver jusqu'ici ! C'est un miracle ! Je me suis dit que si je pouvais survivre aux deux premiers Jeux, j'aurais déjà changé l'opinion des gens sur ma planète. Mais désormais, je suis coincée. Je veux juste survivre. J'ai très peur, Lindorie.

— Tu ne t'es jamais dit que ta survie entraînerait des conséquences sur ton peuple ? Que le Roi Aegnor se vengerait de ta victoire sur les tiens ?

— Non ! Jamais ! Je pensais épargner ma planète en participant le plus loin possible !

Je me prends la tête entre mes mains. Je n'ai pas réfléchi à tout ça. Je n'ai pensé qu'à l'aspect positif de ma participation. Comment ai-je pu penser une seule seconde qu'Aegnor laisserait mon peuple tranquille alors qu'il veut s'en emparer totalement ?

Je ne suis qu'une idiote. Une idiote qui tente de survivre alors que son peuple n'a aucune chance.

— Aegnor peut très bien t'épargner pour ensuite s'en prendre à ta planète, déclare Lindorie d'une voix faible.

— Attends ! Tu veux dire que si je suis encore vivante, c'est parce qu'Aegnor veut se venger sur Dell ?

— C'est une possibilité.

— Mais si je me rends, je vais mourir !

— Peut-être qu'il te teste ?

— Tu crois qu'il veut que j'abandonne ?

Je m'assois en tailleur sur mon lit et emprisonne mes genoux avec mes bras. J'ai juste envie de me cacher sous la couette. Je ne peux pas m'échapper de la réalité. Je ne pensais pas que ce serait si dur. Je savais que je souffrirais physiquement, que je pourrais mourir. Mais j'ignorais complètement que ma santé mentale en pâtirait.

— Je n'en sais rien. Personne ne sait ce qu'il pense.

— Tu crois que Daerôn dit la vérité et qu'il ne sait pas ce que son père va faire ? Sinon, il m'aurait déjà tué, non ?

— Je pense qu'il dit vrai et que ça l'angoisse de ne pas savoir.

— Est-ce que tu penses qu'il va me tuer pour obéir à son père ?

— Daerôn déteste l'injustice Elwi. Il ne tue pas par plaisir. Et à chaque fois qu'il a eu à le faire, il s'en est rendu malade. Je l'ai déjà vu.

— Qu'est-ce que je dois faire ?

Mes possibilités sont réduites. Si je continue, mon peuple en subira les conséquences. Si j'arrête, je mourrai à coup sûr et je ne suis même pas sûr que les miens s'en sortiront.

— Tu dois continuer, Elwing.

— Mais, imaginons que je gagne, que se passera-t-il alors ? Est-ce qu'on me tuera ?

— Je ne sais pas. C'est la première fois qu'un dellien va aussi loin dans les Jeux.

Elle a raison. Je relève la tête. Tout n'est pas encore fini.

Peut-être que les autres planètes verront que le sort qu'on me réserve est injuste. Ils se rebelleront et peut-être que plus jamais on ne demandera à Dell de participer ?

Non... Je ne peux pas, toujours, me reposer sur les autres. Je peux encore changer les choses. Je dois le faire. Je dois changer la donne. Je vais leur montrer que je suis une battante, que je ne compte pas me laisser faire.

Lindorie se lève et met fin à mes réflexions. Elle commence à ranger ses affaires dans un long soupir.

— Qu'est-ce que tu fais ? je demande, surprise.

— Je fais mes bagages. Je suis disqualifiée. Je dois partir dans moins d'une heure.

Je n'ose rien répondre. Je me suis habituée trop vite à la présence de Lindorie à mes côtés dans les Jeux. Quest-ce que je vais faire sans elle ?

— Où vas-tu aller ? je demande, angoissée.

— Je vais rentrer sur Glow, chez moi, répond-elle alors qu'elle ferme sa valise.

Ses cheveux roux deviennent électriques et volent dans les airs. Elle me lance un regard, les lèvres pincées.

— Qu'est-ce que cela signifie pour les tiens ?

A l'instar des Delliens, l'avenir des glowois repose sur ses frêles épaules. Je trouve l'obligation d'Aegnor de faire participer les héritiers, très cruelle. Ils ne sont pas encore au pouvoir qu'ils doivent déjà porter un lourd fardeau.

— Ça veut dire que l'armée kalisse restera une année de plus sur Glow, que nous subirons l'oppression, la surveillance, les contrôles. Ça signifie que nous allons devoir vivre, une année de plus, emprisonnés sur nos propres terres.

— Je suis désolée, je lâche dans un souffle.

— Ne le sois pas. Je suis soulagée de ne pas avoir eu à faire le terrible choix dont nous avions parlé.

Elle avance à grandes enjambées vers mon lit, s'y assoit en face de moi et prend mes mains dans les siennes.

— J'étais contente de te connaître, Elwing. Tu es devenue plus qu'une amie pour moi, tu es devenue une soeur sur laquelle je peux compter. Tu es quelqu'un d'exceptionnel. N'abandonne pas, s'il te plaît. Je n'ai pas envie d'assister à ton exécution sur Cléone, lors de la finale.

Je l'enlace rapidement avant de la voir fermer la porte de notre chambre. Je réalise enfin ce que signifie son absence.

Je me retrouve plus seule que je ne l'ai jamais été et plus aucune raison n'empêchera Aegnor de me tuer.

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