Chapitre 47
Nous sommes tous présents sur le toit de la tour du Conseil. Nous sommes arrivés à l'aube, accompagnés de Terence, de Turner Galos et deux ou trois soldats kalis aux regards assassins. Les Voleurs d'étoiles n'auraient même pas pu nous approcher tellement notre escorte était dissuasive.
Des centaines d'ouraniens se rassemblent en bas pour admirer la course qui va se dérouler sous leurs yeux dans une trentaine de minutes. L'ambiance est, à la fois, festive et angoissante. C'est la première fois que les Ouraniens accueillent une épreuve aussi spectaculaire sur leur planète. Mais les sourires du public sont figés, calculés, provocateurs. Des émeutes ont déjà commencé sur la Citadelle et l'armée kalisse semble s'être multipliée dans la nuit tant je vois de soldats arpenter les rues sableuses.
Cilyene respire doucement à mes côtés. Elle n'est pas habituée à voir une aussi grande assemblée. Son instinct sauvage reprend le dessus de temps en temps et je dois la rassurer constamment. J'espère que le nom que je lui ai donné m'aidera à garder espoir. Nous serons victorieuses, elle et moi.
Hélios s'approche lentement pour ne pas effrayer mon oiseau. Il porte la tenue officielle des Jeux comme les autres Conquérants. Une tenue à la fois confortable et moulante pour que nous ayons une plus grande liberté de mouvement. Cette fois, nous ne portons pas nos gants. Nous devons sentir les plumes de l'oiseau dans nos mains pour être sûr de bien voler et prendre la bonne direction.
— Alors ? demande-t-il, curieux.
— Je l'ai nommée Cilyene. Ça veut dire "championne" en dellien. J'espère que ça se réalisera.
Il hoche la tête comme pour approuver mon choix.
— N'oublie pas : La clé de la réussite, c'est la confiance, affirme-t-il d'un grand sourire.
Les exclamations des gens en bas me parviennent. Ce sont des cris d'encouragements et de haine.
Des cris que je ne veux pas entendre.
J'ai l'impression qu'il n'y a plus que mon cœur dans mon corps. Je l'entend résonner violemment dans mes oreilles. Je sens aussi le sang qui afflue dans mes membres, au bout de mes doigts, dans mes yeux.
J'aimerais avoir une télécommande qui me permette de stopper le temps ou de l'accélérer. Au lieu de cela, j'ai l'impression qu'il ralentit, que l'attente s'éternise. J'en ai assez d'être sur la ligne de départ à attendre que la détonation retentisse.
Chaque concurrent est silencieux. Ils caressent leur oiseau, regardent aux alentours, se concentrent pour la suite. Ils ne jouent pas leur vie, leur avenir.
C'est tellement injuste de devoir vivre cette différence, de devoir ressentir chaque battement du cœur comme étant peut-être le dernier, de se rappeler chaque instant de vie pour ne pas l'oublier.
Au bout d'une dizaine de minutes, Turner nous demande notre attention.
— Chers candidats, la course va bientôt débuter, mais avant je dois vous communiquer plusieurs informations essentielles, déclare-t-il de sa voix rauque.
Nous attendons qu'il poursuive. La tension sur ce toit est presque visible.
— Comme vous le savez la course commence ici, sur le toit du Conseil, et se termine dans le désert des Gemmes. Vous devrez passer au-dessus de la Citadelle et des champs d'Eolys. Il y a des drapeaux verts qui ont été plantés sur les toits des habitations pour délimiter les zones de la Course Céleste.
— Voici les différentes règles, reprend Terence, le chef du Conseil.
Il prend une courte inspiration et commence à lire le parchemin qu'il vient de dérouler entre ses mains.
— Les candidats ont le droit d'utiliser leurs capacités. Ils peuvent s'en servir pour les aider dans la course ou pour ralentir leurs adversaires. Il est possible de déclarer forfait, mais, bien entendu, le candidat n'aura pas le droit de poursuivre les Jeux. De plus, si un candidat franchit les limites des drapeaux, il sera disqualifié. Les quatre premiers seront qualifiés pour la finale.
Il replie délicatement le manuscrit et le remet à Turner Galos. Celui-ci le range dans la poche intérieure de son long manteau.
— Au-dessus de la Citadelle, Thylipsis veillera à ce qu'il n'y a aucune triche ni fraude. Et à l'arrivée, Silas vous accueillera avec l'intendant. Il vous reste 15 minutes avant la course.
Nous nous dispersons à nouveau. Je me tourne vers Arwen. Il ne m'a pas adressé la parole depuis hier soir, mais je sais qu'il m'observe de loin.
Les autres encouragent leur oiseau discrètement à l'aide de caresses ou de flatteries. Les dernières minutes s'écoulent lentement. J'ai l'impression que mon cœur est un sablier et qu'il se remplit de sable si lourd que je me sens oppressée. Finalement, on nous invite à nous placer sur la ligne de départ.
En bas, le public s'est tût, attendant solennellement le départ.
Turner sort un pistolet de gros calibre dont le manche est en cuir. Il le lève en l'air et appuie sur la détente. Je n'ai même pas le temps de donner un coup de talon, que Cilyene s'est déjà envolée, complètement apeurée. Elle se dirige à la limite des drapeaux. Rapidement, je me redresse et lui parle pour la rassurer. Puis, je me penche pour prendre de la vitesse et rattraper mon retard.
Devant moi, les candidats n'ont pas tardé. Je vois déjà des flammes, des pics de glace s'entrechoquer et des gerbes d'électricité crépiter dans le ciel. J'ignore si je suis la dernière. J'essaye de jeter un coup d'œil derrière moi, mais ce que je vois me donne la chair de poule.
Rassna ne va pas rester sans rien faire, je le sais. Elle me suit de très près.
Que va-t-elle manigancer ?
A peine, je me suis retournée, que devant moi se dresse un immeuble immensément grand. Si je ne ralentis pas, je vais mécraser contre ses murs. Vite, j'empoigne les plumes de Cilyene et me penche vers la droite pour l'éviter de justesse.
Rassna pousse un cri de rage derrière moi. Était-ce une de ses illusions ?
Je me concentre à nouveau sur la course et la direction à suivre. Cependant, je ne sais plus où aller. Il y a deux drapeaux verts dirigés dans des sens opposés sur le toit suivant.
Dois-je aller à droite ou à gauche ?
Le doute s'immisce rapidement dans ma tête et la vitesse à laquelle je vole ne me laisse pas le temps de réfléchir. Je prends à nouveau à droite. Mais soudain, une grosse rafale de vent m'empêche de me déplacer et je tourne finalement à gauche.
Rassna est furieuse et Hélios, juste à quelques mètres devant moi, se retourne sur le dos de Dovo.
— Tu m'en dois une, Lomino !
Je comprends alors ce qui s'est passé. Rassna à créer l'illusion d'un faux drapeau et je suis tombé dans son piège. J'ai eu de la chance qu'Hélios me remette dans le droit chemin. Sa rafale était assez discrète pour qu'elle soit perçue comme étant naturelle. Je me sentirais coupable s'il était disqualifié par ma faute. Il m'a beaucoup aidé, ce serait dommage de tout gâcher comme ça.
Je dois me reprendre.
Rien ne doit m'échapper.
Je dois avoir les yeux partout. Sur chaque détail.
Nous nous approchons rapidement de la Citadelle et Hélios a déjà rattrapé les premiers. Sur un des toits, je remarque Thylipsis Vras, avec ses tatouages sur les paupières, regarder attentivement chacun de nous et prendre des notes.
Sindar se retrouve juste derrière moi alors qu'elle évite une flamme de Daerôn. Plusieurs objets se dressent sur mon chemin et je comprends que Bélèm cherche à me déstabiliser. Cilyene les évite sans que je ne lui ordonne. Elle pousse un cri d'encouragement pour me pousser à ne pas abandonner. Ma détermination se raffermit et je me penche à nouveau gagnant plus de vitesse. Je finis par doubler Lindorie complètement affolée par la force du vent d'Hélios qui lui arrive en pleine face. Ça la force à ralentir.
Je suis au milieu des participants, à présent. Devant moi, je vois Saeros, Arwen, Daerôn et Hélios. Bélèm, à mes côtés, cherche son équilibre et son oiseau n'en fait qu'à sa tête. Il me regarde, surpris, lorsque je le dépasse et d'une moue boudeuse, il fait descendre mon oiseau vers le sol. Je rase les poteaux qui entourent la Citadelle et l'envergure des ailes de Cilyene l'empêche de voler convenablement en présence d'obstacles. Les gens, terrifiés, crient à l'approche de l'oiseau qui frôle leur tête. Je donne un vigoureux coup de talon pour forcer Cilyene à prendre de la hauteur.
— Vas-y ma belle ! Tu vas y arriver.
J'arrive de nouveau au niveau des autres. Mais Sindar ma doublée et semble ne pas vouloir me céder sa place. Elle envoie des pics de glace dans ma direction et touche Cilyene au flanc gauche. Elle perd l'équilibre et je tangue dangereusement vers le bord. Je regarde sa plaie et me rends compte que la glace n'a fait que l'effleurer. Cela ne l'empêche pas de souffrir et elle pousse un cri qui me fend le cœur. Elle bat des ailes par à-coups et me propulse en arrière !
Je n'ai plus aucune prise et je me sens tomber. Le décor file à une vitesse folle devant moi et je me demande quand je vais m'écraser lamentablement au sol. Les gens hurlent en dessous de moi. Le temps se fige. Mon cœur semble remonter et vouloir sortir par ma bouche.
Ça y est, c'est sûr, je vais mourir... Personne ne peut survivre à une chute de cette hauteur.
Soudain, je tombe sur une surface toute douce et le vent fait virevolter mes cheveux. J'entends un cri victorieux et j'ouvre les yeux. Cilyene m'a rattrapée en plein vol malgré sa blessure. Maintenant, elle vole à une allure inimaginable et le paysage défile sous mes yeux. Je me réinstalle convenablement et agrippe ses plumes.
Je rattrape plusieurs candidats alors que nous survolons les champs d'Eolys. Je rase un arbre et coupe une liane avec mon slard au passage et je la noue à ma ceinture. Je crois que j'ai une idée, mais je la garde précieusement pour l'arrivée.
Quatre Conquérants se dressent devant moi et je vois au loin, le désert des Gemmes qui s'étend à perte de vue. Arwen est en tête et je ne peux m'empêcher de ressentir de l'admiration pour lui. Il est suivi de près par Daerôn qui lui lance des boules de feu pour le faire ralentir. Hélios crée des courants d'air qui l'aident à gagner en vitesse. Enfin Saeros, au lieu de voler, se téléporte toutes les deux minutes pour gagner du terrain. Il ne doit pas pouvoir faire de grandes distances avec son pouvoir puisqu'il est constamment en mouvement.
Tout à coup, de l'eau glacée s'abat sur moi et mon anka. Sa température nous surprend et nous nous immobilisons, un court instant. Nathaniel en profite pour s'élancer devant moi.
— Désolé, princesse, je n'abandonne pas aussi facilement.
Je lui lance un cri de rage. Nathaniel m'a déjà aidé sur l'île des Marins oubliés. Je me suis persuadée qu'il continuerait à le faire. Je me suis trompée.
Je dois y arriver. Sinon, j'aurai fait tous ces efforts pour rien. Je dois continuer. Je dois vivre. Ils commencent tous à me fatiguer.
Je me concentre et décide de jouer une autre tactique, plus risquée.
Devant nous, j'aperçois deux hautes tours qui marquent l'entrée du Désert des Gemmes. Ce que je m'apprête à faire va peut-être me coûter la vie.
Je dois tenter le tout pour le tout.
Je prends les plumes de Cilyene entre mes doigts tremblants. Je caresse son flanc blessé et lui murmure.
— Il va falloir m'aider, Cilyene.
A mes paroles, elle se place de manière oblique. Je me baisse en douceur sans la brusquer. J'inspire longuement et expire. Puis je me penche d'un seul coup. L'oiseau vole à toute vitesse. Nathaniel, devant moi, ne se doute de rien. Il vole un peu à droite et il ne sait pas ce que je m'apprête à faire.
Nous fonçons, Cilyene et moi vers une des colonnes. Les gens au loin vont certainement croire qu'on fonce dessus. Mais, au dernier moment, je me penche vers la gauche et nous contournons Nathaniel à toute allure, ce qui l'oblige à se redresser pour ralentir. Je le double enfin tandis que mon vol se stabilise et j'entre dans le désert.
Il n'y a plus qu'Hélios, Arwen et Daerôn devant moi, suivi de près par Saeros. J'aperçois la ligne d'arrivée, représentée par un ruban tiré par deux majestueux Ankas chevauchés par Silas Cantwel et Corneille, l'intendant du conseil.
C'est bientôt fini.
Le vent glisse sur ma nuque. Une boule d'angoisse prend forme dans mon estomac. Et c'est avec le coeur aux bords des lèvres que je m'élance vers l'arrivée.
Hélios franchit, en premier, la ligne, et coupe, ainsi, le ruban en deux. Puis Arwen et Daerôn finissent la course, en deuxième et troisième position. Saeros s'apprête à se téléporter pour terminer, lui aussi. Je le vois à sa façon de courber les épaules pour être le plus immobile possible. C'est maintenant ou jamais de mettre mon plan à exécution.
C'est mon dernier espoir.
Je me mets presque debout sur le dos de Cilyene. J'enroule la liane autour du manche de mon arme et je la lance vers l'avant juste au moment où Saeros disparaît. Maintenant, je dois espérer que mon arme va le ralentir et non pas le tuer.
Quand il réapparaît enfin, à deux mètres de l'arrivée, la liane accrochée d'un bout, à mon slard et de l'autre bout, à ma ceinture, s'enroule autour de lui. Il freine abruptement ce qui me propulse vers l'avant. Je récupère l'arme en plein vol et franchis la ligne sous les acclamations du public.
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