Chapitre 46
Nous logeons dans différentes tentes dans la vallée. C'est plus simple, si nous voulons nous exercer une dernière fois avant la course de demain. Néanmoins, le couvre-feu est toujours de rigueur. Je suis surprise d'entendre qu'on appelle mon nom à l'extérieur de notre campement, à Lindorie et moi. Il reste une petite heure avant que les soldats kalis arrivent pour nous surveiller.
Je sors de la tente tandis que la crainte d'apprendre une mauvaise nouvelle me serre le cœur. Mais c'est Arwen que je vois, devant moi. Il me prend délicatement la main pour nous entraîner loin des regards indiscrets.
— Un vol nocturne, ça te tente ? demande-t-il dans un murmure, lorsque nous sommes assez éloignés des autres.
— Tu oublies le couvre-feu, dis-je avec un sourire.
Lui et moi avons développé une relation étrange. Nous sommes tous les deux un peu à part des autres. Moi parce que je suis une dellienne, sans capacité, et lui, parce qu'il semble trop différent des autres pour s'en faire des amis.
— On sera rentré, bien avant. Allez, viens ! me tente-t-il avec un sourire charmeur.
Avant que je n'accepte, il se penche vers moi.
— Aurais-tu peur ?
— Moi ? Jamais ! je m'exclame, la tête levée pour répondre à son défi.
Il n'y a rien que je puisse faire. J'apprécie de plus en plus la compagnie d'Arwen, et je ne sais pas quoi faire de cette affection qu'il semble me porter.
J'ai besoin de nos conversations, de sa présence pour me sentir intégrée. C'est sûrement dangereux. Je ne devrais pas m'accrocher comme ça.
Il s'empare de ma main et se met à courir vers la grotte des ankas.
— Tu es pressé ? je ris.
— Non, j'avais juste hâte que nous soyons à nouveau seuls, avoue-t-il tandis qu'il embrasse la paume de ma main gantée.
Il prend des initiatives que je ne suis pas sûre de savoir lui rendre. Il me fait avancer jusqu'à lui et m'enlace tendrement.
— Tu m'as manqué, souffle-t-il à mon oreille.
Un frisson de plaisir me parcourt la peau, malgré moi.
— Ça ne fait que deux heures qu'on ne s'est pas vu !
— Mais chaque seconde était une torture, murmure-t-il dans le creux de mon cou.
Il se redresse et me fait à nouveau face, mais ne lâche pas mes épaules.
— Toujours prête à voler ?
Je hoche la tête en guise de réponse. Arwen pousse la grille qui enferme son oiseau majestueux. Il est d'un rouge profond, presque noir et ses plumes à l'arrière sont d'un élégant blanc presque nacré.
— Viens Oèn ! On va faire un tour ! sexclame-t-il alors qu'il caresse son Anka.
— Tu lui as donné un nom ? je demande, étonnée.
— Oui, ça veut dire « vigoureux » en Larnien. Il le porte bien !
— Vous êtes proches ?
— Bien sûr. Il pleure à chaque fois que je le quitte. Hein, Oèn ?
Je souris lorsque l'oiseau semble hocher le bec en guise de confirmation.
Arwen monte élégamment sur Oèn. Puis il me tend la main avec un sourire dévastateur. Il hausse les sourcils comme pour me dire : « Vas-tu prendre le risque ? »
— Ton oiseau, il va supporter mon poids ? je demande avant de lui prendre la main.
— Tu rigoles ? Tu es un vrai poids plume, Elwing !
Je ris à son jeu de mots et il se joint à moi. Son rire est mélodieux presque envoûtant.
Je m'accroche à sa main et il m'aide à monter. Ses bras encerclent ma taille et ses yeux argentés sont tout prêts des miens. Je distingue des éclats bleus à l'intérieur. Mon regard détaille chaque recoin de son visage : la commissure de ses lèvres, son nez droit, son large front, le grain de beauté au creux de son cou. Je me sens avide. Avide de mieux le connaître, de découvrir ce qu'il est vraiment.
— Accroche-toi à moi, dit-il doucement pour que ce moment d'intimité ne se termine pas.
Mes mains enserrent sa taille et je pose ma tête sur son épaule.
— Je suis prête.
Il pose ses mains sur les miennes avant de prendre les plumes d'Oèn et de nous mener à l'extérieur.
Enfin, dehors, Oèn crie joyeusement, heureux de retrouver le ciel. Il s'élance dans les airs du haut de la plaine. Mes cheveux sont immédiatement tirés en arrière à cause de la force du vent. Il y a dans l'air, un parfum agréable, fruité. Ce doit être les Eolys.
Arwen tourne légèrement sa tête vers moi.
— Où veux-tu aller ?
— Je n'en sais rien. Où le vent nous mènera, je suggère tandis que j'approche mon visage du sien.
Arwen pousse un cri de liberté qui me fait rire. Il se penche en avant pour quon aille plus vite. Devant nous, le coucher de Titan s'étire à perte de vue et nous éblouit de sa lumière dorée. Le ciel devient alors d'un rose envoûtant. Le sable rouge des vallées s'envole avec le vent chaud.
Cette ambiance particulière me pousse à poser des questions.
— Parle-moi de toi, Arwen.
Mes paroles doivent le surprendre puisqu'il se raidit légèrement.
— Pourquoi veux-tu en savoir plus, Elwing ? demande-t-il.
Le sujet doit être sensible. Je ne sais pas si je dois continuer. Pourtant, je veux savoir.
— Tu es très mystérieux, je trouve.
— C'est parce que je ne veux pas que tu aies une mauvaise image de moi.
— Pourquoi j'aurai une mauvaise opinion de toi ?
— Parce que j'ai fait des choses horribles. Je ne suis pas un gentil prince, Elwing.
— Mais tu dois bien avoir une raison de les faire, non ?
— Je suis un soldat et un geôlier. Sur Larn, je dois surveiller les prisons, les otages, les traîtres. Je dois les interroger et parfois, je dois utiliser mes capacités.
Je ne réponds rien. Pas parce que je suis choquée, mais plutôt parce que je veux lui faire comprendre qu'il peut se confier à moi. Je me rapproche de lui pour l'inciter à poursuivre.
— Mon père n'a jamais voulu céder devant la puissance kalisse. Pour lui forcer la main, le roi Aegnor a enlevé ma sœur. J'avais 15 ans, elle en avait 18. Je ne l'ai jamais revu. J'oeuvre pour la justice, Elwing. Mais parfois, je dois faire des choses horribles.
Si je calcule, ce tragique évènement a eu lieu il y a trois ans. Je me demande ce quil appelle « oeuvrer pour la justice ». Est-il en train de se rebeller contre Aegnor ? Quelles sont ces choses horribles qu'il doit faire ? Et en quoi consistent ses capacités, exactement ? Je ne me suis jamais posé la question
Arwen ne dit plus rien. Son regard a l'air soucieux lorsque nous nous posons à nouveau près de la grotte. Il m'aide à descendre et lorsque mes pieds touchent le sol, Arwen caresse tendrement mes cheveux.
— On rentre. C'est bientôt l'heure, déclare-t-il alors que ses yeux revêtent une teinte que je ne leur ai jamais vue.
— Rentre, ne t'occupe pas de moi. Je dois m'occuper d'une petite chose avant.
Il penche la tête d'un air intrigué. Puis il quitte la grotte pour rejoindre son campement.
Je cours alors vers l'enclos de mon anka. J'ouvre la grille en fer. Elle est encore éveillée et me regarde d'un œil vif. Elle s'avance rapidement vers moi et pose son bec sur ma tête. C'est sa façon à elle de me saluer. J'entoure son cou et monte sur son dos. Elle se baisse légèrement pour me faciliter la tâche.
Appuyée sur elle, je cherche sa plus grande plume. Après quelques secondes, je serre une longue plume argentée et soyeuse au creux de mes doigts.
Mon anka se tient droite et sa respiration est lente et calme. Elle a compris ce que je souhaite faire. Je me penche vers elle pour lui murmurer des paroles apaisantes en dellien.
La plume dans la main droite, j'écoute le silence reposant de la grotte. Je comprends toute l'ampleur de ce que je m'apprête à faire. Mon anka et moi allons-nous jurer fidélité. Cette cérémonie me rend émue. C'est un serment d'amitié pour la vie. Je murmure à l'oreille de l'oiseau qui ferme les yeux.
— Quoi qu'il arrive, je ne t'oublierais pas, Cilyene.
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