Chapitre 44

Nous devons apprendre à nous tenir en équilibre sur le dos de notre anka. Malgré mon malaise et le chatouillement des plumes de mon oiseau sur mes cuisses, je réussis à me tenir droite sur elle pendant plus de 5 minutes. Hélios nous explique que ces ankas-ci sont encore un peu sauvages et qu'ils ne sont pas encore bien domestiqués. Il s'agit donc d'un travail commun.

Les ankas doivent également apprendre à réagir à notre poids et à notre présence sur leur dos. Je m'exerce pendant plusieurs heures. Mais mon anka commence à se fatiguer. Pour la récompenser, je lui glisse quelques feuilles d'Eolys dans son bec.

Je descends doucement du dos de l'animal et la caresse maladroitement. Elle se tourne vers moi et pose gentiment son bec sur ma tête. Demain, nous pratiquerons l'envol et je commence déjà à stresser. J'évalue discrètement les progrès de mes adversaires.

Bélèm à l'air très à laise avec son anka jaune et Saeros commence à trouver son équilibre. Sindar et Rassna ne semblent pas rassurées et Lindorie ne fait qu'éclater de rire lorsque son Anka rose s'amuse à la faire tomber. Daerôn n'hésite pas à parler au sien et Nathaniel se préoccupe plus de discuter avec la jeune voltigeuse qui garde les ankas, qu'à son propre apprentissage. Hélios flatte Dovo en lui donnant des graines et des feuilles et Arwen descend calmement de son oiseau rouge pour ne pas l'effrayer.

A présent, nous sommes en apprentissage libre jusqu'à demain et je ne sais pas trop quoi faire. Je veux réussir la course. Je ne veux pas spécialement la gagner, mais au moins, la terminer en vie. Cette épreuve va être très dangereuse pour ma survie. Je vais devoir affronter à nouveau mon vertige, guider un oiseau et éviter les attaques des autres. Je crains de tomber dans le vide, d'être brûlée vive, d'être électrocutée, d'être prise d'illusions noires... Pour y arriver, je dois aller vite, être efficace, avoir un oiseau qui me fait confiance. Mais pour cela, je dois m'attacher à cette anka et je ne peux m'y résoudre. Peut-être que je ne la reverrai jamais. Comment donc, puis-je créer un lien avec elle ?

Je décide de rentrer vers la salle du Conseil pour m'éclaircir les idées. Je flatte l'anka en la grattant sous le bec et me dirige vers la sortie de la grotte. Une main gantée se resserre sur mon bras et me force à me retourner.

— Où vas-tu ? me demande Daerôn, soucieux.

— Je rentre, je rétorque alors que je me détourne de lui.

— Tu ne dois pas rentrer toute seule, Elwing. C'est trop dangereux.

— Plus dangereux que de rester seule avec toi ? je lui demande, un sourcil levé.

— Je t'accompagne, déclare-t-il tandis qu'il m'entraîne à sa suite.

— Il en est hors de question. Je préfère largement me faire enlever par un Voleur d'étoile que de me retrouver avec toi.

Je me libère de son emprise et commence à sortir à grands pas.

— Tu as peur de moi, devine-t-il avec un regard triste.

— Tu as dit que tu voulais me tuer.

Je serre les poings. Pourquoi me suit-il encore ?

— Je n'ai jamais dit que je voulais le faire. Je voulais juste que tu te calmes quand on était sur l'île ! Je ne sais pas où tu as entendu cette information absurde !

Ses yeux s'embrasent de colère et des étincelles jaillissent de ses mains. Est-il sincère ? Il avait l'air de dire la vérité aussi lorsque je leur ai dit que j'avais découvert pour le tirage au sort de l'assassin du dellien.

— Dans tous les cas, je vais mourir. D'ailleurs, je devrais déjà l'être ! Quest-ce que vous attendez ton père et toi ?!

Ça y est.

J'ai prononcé à voix haute la question qui me tourmente depuis des jours. Je l'ai même à moitié hurlé. Je suis pleine de fureur. Je pourrais le tuer là, sur le coup de la colère. Mais je me retiens. Je me maîtrise. Je ne peux pas le tuer. Ce serait enfreindre une des règles des Jeux. Je pourrais mourir pour cela. Et je me rends compte qu'il y a tellement de raisons pour lesquelles je pourrais être morte que ma survie relève du miracle.

Daerôn a arrêté d'essayer de me rattraper. En revanche, j'ignore pourquoi je me stoppe aussi. Je ne sais pas pourquoi mon cœur bat à une vitesse incroyable. Enfin si, je le sais : j'attends sa réponse.

— Je ne sais pas, avoue-t-il dans un soupir.

Ma respiration se bloque et mon sang se glace. Je me retourne lentement à nouveau pour lui faire face. Ses yeux me dévisagent intensément comme pour me mémoriser.

Je m'approche de lui, le visage déformé par la colère.

— C'est ton père, c'est ça ? Je suis sûre qu'il est derrière tout ça ! Je me fiche que tu lui dises que je suis au courant. Ce que je veux savoir, c'est pourquoi je suis encore là alors que les miens ont tous échoué avant !

— Parce que tu es unique.

Je lève les yeux au ciel. Je ne sais pas comment je dois interpréter le sens de ses paroles. Je ne vois pas pourquoi Daerôn me ferait un compliment. Surtout dans un moment pareil !

Je pose mon index contre son torse et m'oblige à prendre une grande inspiration avant de parler.

— Qu'est-ce que vous attendez de moi ?

— Je ne sais pas ce qui se trame. Mais tout ce que je peux te dire, c'est que tu dois te méfier d'Arwen.

Puis il s'éloigne et je le vois glisser deux mots à Lindorie qui s'empresse de me rejoindre. Il ne manque pas de culot, lui ! Me dire que je dois me méfier d'Arwen alors que c'est précisément lui qui m'a protégé du prince de feu ? C'est insensé !

— Daerôn m'a demandé de te raccompagner au Conseil. Qu'est-ce qui s'est passé ? me demande-t-elle alors qu'elle retire une plume emmêlée dans ses cheveux roux.

— J'ai interrogé Daerôn.

— Quoi ?! crie-t-elle presque.

— Il ne sait pas ce que son père veut faire.

— C'est étrange... A mon avis, il ne dit pas tout.

*

Le lendemain, je suis à nouveau dans la grotte des ankas et je guide mon oiseau en dehors de sa cage. Pour la première fois, nous franchissons toutes les deux le seuil de la grotte en direction de la vallée.

Dès que nous nous trouvons à l'air libre, mon anka gigote, impatiente. Ses yeux s'éclaircissent et pétillent de joie. Je peux admirer la beauté et la souplesse de son plumage gris perle. Je sens, au frisson qui l'a parcourt, qu'elle a hâte de s'envoler.

— Bientôt, petite anka. Il faut juste que tu attendes quelques minutes.

Je me surprends à prononcer cette phrase. Cest la première fois que je lui parle. La première fois que ça me paraît évident. Je m'étais promis de ne pas m'attacher. Cependant, elle pose son bec sur ma tête et couine doucement comme pour me rassurer.

— Nous allons apprendre à voler toutes les deux, ma belle.

Je caresse doucement la zone chaude et douce sous son bec. Je me demande si elle ressent mon stress, si elle sait que j'angoisse à l'idée de m'éloigner du sol.

Elle pose une de ses larges ailes sur mes épaules frêles. Je la regarde, surprise. J'ai l'impression qu'elle m'enlace.

Hélios nous guide avec Dovo sur une plaine plate, près de la grotte. Il dit que les oiseaux ne doivent pas trop s'éloigner parce qu'ils ne connaissent pas encore bien la route jusqu'à leur abri. Ils pourraient se perdre ou s'échapper s'ils en sont trop loin.

Je monte docilement sur le dos de mon oiseau. Elle s'est habituée à ressentir ma présence au-dessus d'elle. Elle bouge de droite à gauche comme pour m'installer plus confortablement. Je reste en équilibre en attendant qu'Hélios chevauche Dovo. Il se retourne et s'envole doucement du sol pour nous montrer l'exemple.

J'essaye de l'imiter en donnant juste un petit coup de talon léger sur les flancs de mon anka. Elle comprend assez vite et ses ailes se déploient gracieusement. Elle reste à quelques centimètres du sol tandis qu'elle cherche son équilibre, mais finit par se reposer brutalement.

— On va répéter ce même exercice pendant quelques minutes. Il faut que vous et votre anka, trouvez un équilibre commun au-dessus du sol. Au fur et à mesure, nous augmenterons le temps et la distance, explique Hélios.

Je ferme les yeux tandis que je déglutis. C'est là que ça va se compliquer.

Au bout d'une heure, mon anka et moi, arrivons à voler en surplace à environ 5 mètres du sol pendant 10 minutes. Hélios dit que c'est un bon début ; pour moi, c'est un véritable exploit. Mais je sais très bien que ce n'est pas suffisant. Les autres ont réussi à s'élever à une dizaine de mètres pendant 20 minutes. Je dois encore progresser.

A la pause, en fin de matinée, j'attache mon anka à un arbre et me dirige vers les grottes. J'ai besoin d'un peu de silence et de concentration. Les cris enjoués de Nathaniel qui s'amuse à jouer au chevalier sur son anka ne m'aident pas vraiment.

J'entends des paroles entre deux couloirs. Je me stoppe pour ne pas déranger et marche un peu plus doucement. J'écoute la conversation, malgré moi.

— Bélèm, ça ne va pas fonctionner. Ton anka ne va pas progresser et toi non plus, si tu fais tout son travail à sa place. Tu dois te laisser guider.

— Pour l'instant, je n'ai pas de problème, se vexe-t-il.

— Mais ça ne durera pas. Ça pourrait même être dangereux pendant la course.

Bélèm, utilise-t-il son pouvoir de télékinésie sur son Anka ?

Je sors de la grotte et me cache les yeux pour que l'éclat de Titan, haut dans le ciel, ne m'éblouisse pas. Sa lumière est beaucoup plus vive sur Ouranix. Je m'approche de l'endroit où j'ai attaché mon oiseau. L'angoisse s'empare vite de moi. Mon anka a disparu.

Je regarde dans tous les sens. Elle ne peut pas s'être envolée si vite, non ? Ma panique augmente lorsque je vois le sourire sournois de Saeros lorsqu'il me voit courir partout.

— C'est toi ? C'est toi qui as détaché mon anka ? je l'accuse.

— Je n'aurais aucun intérêt à le faire. Je viens d'être réintégré. Je dois me tenir à carreau, figure-toi. Et même si l'envie de te faire un sale coup m'excite, je n'ai pas envie de subir la colère de mon oncle, Aegnor.

Je lève les yeux au ciel, agacée par son attitude suffisante et poursuis mes recherches. Je passe devant la grotte une troisième fois en me disant que j'ai certainement mal regardé quand je tombe nez à nez avec Hélios qui me retient par les épaules.

— Qu'est-ce qui se passe Elwing ? Tu as l'air paniqué.

— Je l'ai perdue. Elle s'est enfuie. Je ne sais pas.

Mes paroles sont saccadées et je n'arrive pas à articuler correctement.

— Je n'ai rien compris ! Parle dans la langue universelle, demande-t-il doucement.

Je ne m'en étais même pas rendu compte. Mon dellien est sorti tout seul. J'essaye de me calmer et respire à fond.

— J'ai perdu mon anka. Je ne sais pas où elle est. Je l'avais attaché à l'arbre, juste ici, dis-je tandis que je lui indique l'endroit.

— Tu tiens à elle, affirme-t-il avec un sourire.

— Non. Enfin, je ne sais pas. Ce n'est pas la question !

— Alors pourquoi es-tu si inquiète ?

— Je n'en sais rien. Aide-moi à la retrouver, s'il te plaît ?!

— Viens avec moi.

Je le suis immédiatement. Il monte sur Dovo et m'invite à le rejoindre. Lorsqu'il s'aperçoit que j'hésite, il tente de me rassurer.

— Ne tinquiète pas. Dovo est habitué à ce genre de situation. Il peut supporter nos deux poids.

Je monte sur le dos de l'oiseau à l'aide d'Hélios et agrippe les plumes de l'oiseau pour éviter de tomber. Nous nous envolons rapidement. Je dois fournir un effort surhumain pour éviter de vomir.

— Est-ce que tu l'as nommée ? me crie-t-il par-dessus le vent.

— Non !

— Pourquoi ? demande-t-il.

— Je ne vais certainement pas revenir ici avant longtemps. Si je m'attache à elle, elle souffrira. Mes jours sont comptés.

Il ne relève pas, mais poursuit.

— Tu te soucies d'elle.

— Je m'inquiète, j'avoue tandis que j'essaye de ne pas regarder en contrebas pour essayer de la retrouver.

— Tu dois la nommer, Elwing. Le fait que tu te soucies delle, que tu t'inquiètes, que tu sois paniquée à l'idée de la perdre, prouve que tu lui fais confiance et je suis sûre que c'est réciproque. Je vous ai observé. Vous êtes en train de nouer un lien fort.

— Alors pourquoi s'est-elle enfuie ? je demande, les yeux fermés, alors que Dovo s'élève encore plus haut dans le ciel.

— Je n'en sais rien. On va la retrouver, je te le promets. Lui donner un nom nous aurait facilité la tâche, mais on va la chercher jusqu'à la tombée de la nuit, s'il le faut.

Sa sollicitude m'angoisse.

— Pourquoi tu m'aides ? Tu n'as aucun intérêt à te soucier de moi.

— C'est vrai. Mais j'estime que tout le monde a droit à une chance. Y compris toi.

Un long silence s'ensuit. Je n'ose ouvrir les yeux de peur d'être happée par le sol. J'ai envie de vomir.

— Elwing, est-ce que ça va ? demande Hélios tandis qu'il se retourne vers moi.

J'ouvre les yeux parce que je sens son regard sur moi. Horrifiée, qu'il ne regarde plus où il va, je réponds un oui rapide. Hélios sourit.

— Naie pas peur, Dovo va nous guider. Je n'ai pas besoin de regarder constamment la route. Je lui fais confiance.

Je hoche la tête et essaye de me calmer. Je vois Dovo balayer le sol du regard à une vitesse impressionnante.

— Tu as le vertige ?

— Oui, je déclare timidement.

Hélios rigole encore. Je ne trouve pas cela drôle

— Je vais te donner un conseil. Quand tu as le vertige et que tu es en plein vol, concentre-toi sur ce qui t'entoure. Sur les sensations qui t'habite. Fixe le bec de ton oiseau. Ça te permettra de voir la route sans regarder en bas.

— D'accord j'essayerai.

— Tu te souviens de la mélodie que tu as chantée dans la grotte pour attirer ton anka ?

— Oui, je crois.

— Chante-la ! Ça va nous aider, sourit-il tandis qu'il se détourne pour être, de nouveau, dans le bon sens.

Je réfléchis à la mélodie que j'ai entonnée la veille et murmure de plus en plus fort malgré le vent qui souffle à mes oreilles.

— Il a entendu un bruit. Accroche-toi !

Dovo opère un demi-tour rapide qui m'oblige à me cramponner plus fermement à son plumage. J'espère que je ne le blesse pas.

Nous nous dirigeons à toute allure vers la grotte des ankas. Je descends rapidement lorsque Dovo se pose et court vers l'endroit où j'ai laissé mon oiseau.

— On dirait qu'elle est là ! je remarque, les sourcils froncés.

Je chante à nouveau avec l'espoir d'entendre son cri me répondre. Je l'entends distinctement, mais c'est comme si elle était invisible.

J'entends un ricanement derrière moi. Je reconnais la voix insupportable de Rassna.

— Tu as perdu quelque chose, ma biche ?

Je me retourne brusquement. La colère s'empare de moi. A quoi joue-t-elle ?

Hélios s'approche de nous. Il n'a pas l'air content.

— Où est l'anka d'Elwing, Rassna ?

— Juste là, glousse-t-elle.

Je regarde l'arbre auquel j'ai attaché mon oiseau et découvre avec soulagement qu'elle se trouve au même endroit. Je cours vers elle à une vitesse dont je ne me croyais même pas capable et enserre son cou. Elle pose sa tête sur la mienne comme pour me câliner.

— Ce n'était rien qu'une petite illusion ! Ce n'est pas la fin du monde ! s'exclame-t-elle.

— Si ton but était de la déstabiliser, tu as échoué, répond Hélios, les bras croisés.

— Ah oui ? demande Rassna d'un sourire mauvais.

— Au contraire, tu les as rapprochés.

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