Chapitre 42

Le lendemain, je suis tirée du lit par Lindorie. Elle me secoue de plus en plus fort. Je n'ai pas réussi à fermer l'oeil avant l'aube. J'étais sur mes gardes, convaincue qu'un Voleur d'étoiles pourrait rentrer dans notre chambre, même si la porte est fermée à clé. Les fenêtres n'ont pas de vitres et les Ouraniens savent voler. Je m'attendais au pire. J'ai fini par m'endormir avec mon arme entre les mains.

— On va être en retard Elwing ! Lève-toi !

— Ça ne changera pas de d'habitude, je marmonne alors que je me couvre la tête de la couverture.

— Tu as peut-être l'habitude d'être en retard, mais ce n'est pas mon cas ! On va visiter la ville, dépêches-toi !

— Mais tu as dû la visiter des dizaines de fois ! je baille.

— Non, aucune épreuve ne s'est déroulée sur Ouranix depuis des années. Et puis même si je l'avais déjà fait, la visite d'une ville aussi importante à un enjeu politique bien plus grand que de jouer les touristes.

Je frissonne sous mes couvertures. Lindorie sait toujours ce qui se cache derrière des choses anodines. Sa sagesse m'a toujours impressionnée.

J'ouvre à demi les paupières et je m'aperçois que mon amie court partout dans la chambre et m'empêche de me rendormir. Hier, j'avais envie de gambader dans les rues de sable rouge de Gwindor. Aujourd'hui, la perspective de rester au lit me paraît beaucoup plus alléchante. Je grogne sous mon oreiller. Avant, j'aurais pu être levée aux aurores et lire un bouquin d'histoire. Maintenant que ma vie est en danger, je me rends compte à quel point les gens qui font la grasse matinée ont raison. C'est largement plus relaxant que d'affronter la réalité.

— Elwing ! C'est la dernière fois que je te le répète !

Elle me rappelle ma mère. Des pensées nostalgiques commencent à menvahir.

Je me souviens qu'elle me préparait mon chocolat chaud quand je ne pouvais pas me lever, qu'elle avançait la pendule de la cuisine pour que je ne sois pas en retard. Je me souviens de cette légende qu'elle me contait pour m'endormir quand j'étais enfant : la dernière Couronne. C'était l'histoire d'une petite fille à peine née qu'on avait arrachée à sa mère car son monde disparaissait.

— Tu ne veux pas savoir quelle sera la prochaine épreuve ? Ça m'étonne de toi ! rétorque Lindorie en me sautant dessus.

Au mot « épreuve », je me relève brusquement.

— J'arrive !

Si, ce matin, nous apprenons en quoi consiste la prochaine étape, je dois my préparer dès maintenant. Ce qui veut dire que je dois rester sur mes gardes tout en élaborant une stratégie.

Je sors de mon lit, m'habille avec les premiers vêtements que je trouve dans l'armoire. A savoir, un sweat noir à capuche, un jean gris et mes gants pour les Jeux, vivement conseillés de porter pour que nous soyons identifiables. A mon avis, ces gants sont plutôt une pancarte imaginaire pour les Voleurs détoiles qui diraient : « Bonjour, je suis une candidate, vous pouvez me tuer ».

*

Au rez-de-chaussée du Conseil Ouranien où nous sommes logés, les Conquérants sont déjà tous rassemblés. Lindorie me lance un regard noir parce que nous sommes en retard et que les autres nous attendent. Je hausse les épaules. Pour une fois, je n'ai rien à faire de ce que pensent les autres.

Hélios prend la parole une fois que nous nous mêlons au groupe.

— Comme je le disais, je serai le guide aujourd'hui avec mon père. C'est beaucoup plus prudent pour nous tous.

Sa voix profonde fait écho à mes oreilles. Ainsi, c'est le Conquérant natif qui nous fera visiter sa ville aujourd'hui. Lindorie se penche à mon oreille.

— Les ouraniens adulent Hélios. S'ils nous voient en sa compagnie, ils ne tenteront rien contre nous.

Pourquoi est-il autant apprécié ? Bien sûr, c'est sa terre d'origine. Mais je croyais que les Ouraniens détestaient les Jeux et que les Voleurs d'étoiles y cherchaient ardemment les Candidats dans ce contexte favorable. Mène-t-il une révolution secrète ? A-t-il fait des sacrifices pour posséder les faveurs de son peuple ?

Il poursuit tandis qu'il nous adresse un large sourire. C'est la première fois que je le vois ainsi. Je ne lui ai jamais parlé parce qu'il m'impressionne avec sa grande taille et ses capacités extraordinaires. Mais aujourd'hui, il a l'air plus à laise, plus à sa place.

— Je viens d'apprendre que la prochaine épreuve serait intéressante, dit-il mystérieusement.

A ces mots, nous nous regardons les uns les autres. Pourquoi Hélios, connaît-il déjà la prochaine épreuve ?

J'essaye de deviner ce que nous réserve la suite des Jeux. Mais je n'en ai pas la moindre idée ! Les organisateurs semblent toujours faire preuve d'une grande imagination

Nous sortons du bâtiment somptueux du Conseil. Un homme haut de trois mètres, à la peau orangée nous escorte et rejoint Hélios à l'avant du groupe. Il a des yeux légèrement bridés et un nez camus comme le Conquérant ouranien. Ce doit être son père. Il porte une cape blanche qui lui arrive aux pieds. Il doit aussi faire partie du Conseil du Nord. Il se présente brièvement à nous.

— Bonjour, je me présente, Avôn Mahtan, je suis membre du Conseil. Je vais vous faire visiter la ville et j'espère attiser votre curiosité pour la prochaine épreuve.

Derrière nous, deux hommes, à la cape noire et aux hautes bottes en cuir, nous suivent de loin. Je reconnais rapidement l'uniforme des soldats kalis. Ils saluent d'un bref coup de tête Daerôn, qui se trouve juste derrière moi. Je sens son regard de braise sur mes épaules.

Nous nous retrouvons très vite dans la Citadelle. Aux quatre coins de la célèbre place de troc, se trouvent des colonnes en pierre rouge, limitant le périmètre de la grande place. Elle est animée, ce matin. Les Jeux n'ont pas impacté le quotidien des gens. Ils sont en effervescence, criant des propos que je ne comprends pas, qui me rappellent la langue maternelle de mon professeur de littérature sur Dell.

— La Citadelle est toujours en activité à cette période de l'année puisque c'est la saison des récoltes. Les ouraniens crient ce qu'ils souhaitent donner et attendent qu'un Preneur vienne leur proposer quelque chose en échange, déclare Corneille.

— Tous les jours cela change. Les jours pairs, ce sont les Donneurs qui viennent dans la Citadelle et les jours impairs, ce sont les Preneurs qui crient ce dont ils ont besoin.

— Mais comment mesurent-ils la valeur de ce qu'ils échangent ? je demande, intriguée.

— C'est très simple, me répond Hélios avec une étincelle dans ses yeux noirs. C'est le Donneur qui juge si ce que lui propose le Preneur est juste.

Je remarque un homme à la longue barbe attendre quelque chose sans prononcer une seule parole. Est-il ici pour proposer quelque chose ou est-ce qu'il attend quelqu'un ? Il a l'air stressé et surveille constamment si quelqu'un l'observe. Ses yeux bleus croisent les miens. Je me dépêche de les baisser. Son regard est menaçant. Et si cétait un trafiquant ? Ou pire, un Voleur d'étoiles ? Je recule doucement. Daerôn me prend par les épaules pour m'empêcher de lui marcher sur les pieds, mais je me redresse rapidement. Je me rends compte qu'il dévisage le vieil homme tout comme moi, il y a quelques secondes. Mais au lieu de détourner les yeux, il le foudroie du regard.

Un frisson me parcourt la peau à l'idée que Daerôn pourrait s'associer à cet homme pour me tuer. Je continue découter Hélios qui poursuit ses explications.

— Aujourd'hui nous sommes hétéar, le jour du Marché Céleste. Levez vos têtes !

Nous levons nos yeux de concert. Et ce que nous voyons est impressionnant. Des centaines d'oiseaux mystérieux, dont chevauchaient déjà les Ouraniens pour nous souhaiter la bienvenue, volent dans les airs. Certains se posent sur les toits des immeubles ou les hauts bâtiments.

— Le marché Céleste est surtout réservé aux produits de luxe. C'est-à-dire aux produits d'outre-vent : les produits qui proviennent dautres planètes. Il se produit tous les 6 mois, l'hétéar qui suit la tempête de début de la saison froide et de la saison chaude. Les personnes qui ont en leur possession un anka sont ceux qui sont les mieux à même d'acheter ce genre de produits puisqu'ils sont assez riches pour se procurer un oiseau.

Les ankas sont donc les oiseaux gigantesques et majestueux qui tourbillonnent dans le ciel. J'imagine les produits étrangers qu'on pourrait trouver là-haut. Des poteries ou des tapisseries d'Orphée, des poissons et des sels minéraux de Namus, des graines précieuses d'Hauméa, des appareils technologiques de Glow

A mon avis, ce marché doit être surveillé par l'armée, puisque le roi Aegnor contrôle les entrées et sorties et le commerce interplanétaire.

Nous quittons la Citadelle pour rejoindre le nord de la ville où se trouvent les différentes serres et champs pour les cultures.

— Ici, nous cultivons différentes sortes de produits. Vous pourrez trouver des fruits comme l'eolya. C'est un fruit très difficile à cultiver dû à sa coque à picots tranchants et à sa chair fragile. Il est très apprécié par les vilazans. On peut d'ailleurs en trouver dans leurs banquets, nous explique Corneille tandis que Rassna approuve ses paroles.

— On le récolte dans un éolys lors de la saison chaude. Pour le faire tomber de son arbre, on génère un fort vent et on le laisse tomber au sol. C'est pour cette raison que les différents arbres sont éloignés des autres cultures. Il peut être très dangereux de se trouver en dessous, reprend Hélios, la main tournée vers les agriculteurs en pleine action.

J'observe les arbres aux feuillages roses et denses. Des cultivateurs créent des vents pour faire tomber les fruits de l'arbre. Je distingue vaguement leur coque pourpre. Lorsqu'un cultivateur apporte un fruit à Hélios, celui-ci l'ouvre à l'aide d'un couteau spécial et nous montre l'intérieur. Le fruit est rose et sa texture est poreuse. Il dégage une odeur florale agréable.

Hélios m'en donne un morceau dans le creux de ma main. Je le goûte, curieuse. La texture est douce. Il est peu sucré et fond sous ma langue. J'ai l'impression qu'un millier de goûts explosent dans ma bouche. Mes papilles se réveillent et s'affolent. C'est addictif, j'ai envie d'en reprendre un morceau. Je tends le bras pour me resservir. Mais Hélios me sourit à pleines dents en éloignant la coque fruitière de mes doigts.

— Ça te coûtera 10 elphas si tu veux manger un fruit entier. Ça doit correspondre à 12 eptôns sur Dell.

Je retire immédiatement ma main. C'est clairement un produit luxueux. Je comprends pourquoi les vilazans en sont si friands.

Corneille et Hélios nous font visiter les autres cultures et les serres remplies d'aliments variés que je connais déjà et que j'ai l'habitude de manger sur Dell. Il nous explique que certaines plantes sont uniquement cultivées afin de réaliser des antidotes et des remèdes. Les personnes qui s'en chargent sont appelées guérisseurs.

Après la visite des cultures, Hélios nous conduit au sud de la ville. Il est plus enthousiaste qu'au début de la journée et semble excité par la suite. Je devine que nous allons bientôt découvrir la prochaine épreuve. Mon cœur palpite de plus en plus vite. Il s'agit peut-être de la dernière épreuve durant laquelle je serai en vie.

Nous marchons une bonne heure avant de prendre un autocar qui nous conduit jusquà l'extrémité sud de la capitale. Le paysage est complètement différent, plus vaste. De grandes plaines de sable orange s'étendent à perte de vue. Des dizaines douraniens chevauchent élégamment des ankas aux différentes couleurs. Je me rends compte que ce ne sont pas que des vallées sableuses réparties en différents étages, mais un gigantesque élevage doiseaux.

En suivant Hélios, nous nous dirigeons vers la vallée qui surplombe toutes les autres. Plus personne ne parle et un silence apaisant s'installe. Puis, Hélios met ses mains en porte-voix et commence à siffler un air mélodieux. Nous attendons encore quelques secondes et un sifflement similaire se fait entendre plus loin. Je plisse les yeux et je perçois une forme à plusieurs kilomètres. Elle se rapproche et je distingue un anka qui se dirige vers nous. Il se pose, finalement, juste en face d'Hélios. Il est très grand et ses plumes blanches sont bordées d'un liseré doré. Son bec puissant est noir et ses yeux aux longs cils clairs regardent fixement notre guide. Le Conquérant s'avance et pose sa main contre le flanc de l'oiseau et aussitôt, celui-ci penche sa tête pour la poser au creux du cou d'Hélios. Je suis impressionnée par la douceur avec laquelle cet animal puissant salue son maître. Hélios le caresse sous son bec et l'oiseau majestueux frotte sa tête contre la joue du candidat.

Hélios se retourne pour nous faire face. Il sourit, joyeusement.

— Je vous présente Dovo. C'est mon plus fidèle compagnon depuis ma plus tendre enfance. Et aujourd'hui, il va vous enseigner beaucoup de choses.

Nous restons de marbre pendant quelques minutes. Hélios semble se rendre compte de notre hésitation alors il poursuit avec enthousiasme.

— La prochaine épreuve est une course d'ankas.

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