Chapitre 40
Je regarde passer les filaments d'étoiles qui défilent à toute allure alors que je me trouve dans le vaisseau qui nous mène sur Ouranix, où se tiendra le prochain Jeu.
Je suis totalement seule à présent. Je suis constamment sur le qui-vive comme si tous les bruits qui me parviennent constituaient une menace. C'est épuisant de toujours se méfier de quelque chose qui ne vient pas. Je croise les bras, soupire et les décroise. Je me sens complètement nue. Je suis une boule de nerf.
Un frisson parcourt ma peau. Serai-je réellement capable de m'en tirer seule ? J'ai l'impression que n'importe qui peut m'attaquer n'importe quand. Pourtant, ce serait absurde de m'attaquer en dehors des épreuves des Jeux.
Je range mes cheveux longs derrière mes oreilles, me ronge les ongles, me masse les tempes.
Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Le fait que Saeros ait été autorisé à continuer me prouve bien une chose. Les candidats des planètes qui font partie de l'Alliance bénéficient d'un avantage. Le roi Aegnor semble faire du favoritisme. Le problème, c'est qu'il ne me porte pas dans son cœur. Pourquoi donc suis-je encore en vie ? Je devrai déjà être morte à l'heure qui l'est. Pourquoi Daerôn, tarde-t-il à m'assassiner ? Quels sont les ordres de son père ?
Bien sûr, je ne suis pas impatiente de mourir, mais je me demande simplement quand je pourrais enfin dormir sans faire de cauchemars. Quand va-t-il passer à l'attaque ? Je suis prête à l'affronter. Cependant, ma patience à des limites, je ne pourrai pas attendre indéfiniment.
C'est peut-être sa technique ? M'épuiser d'angoisse avant de m'abattre. Si c'est le cas, je ne tiendrai pas longtemps.
Je dois absolument finir les Jeux le plus vite possible et rentrer vivante sur Dell.
Une main me tape sur l'épaule. Je sursaute et me retourne alors que je brandis mon arme contre la gorge de mon interlocuteur. Je regrette tout de suite mon geste. Ce n'est pas très malin de ma part de menacer quelqu'un alors que je crains précisément d'être l'objet de menace. Mon impulsivité a encore guidé mes gestes.
Arwen lève les mains en l'air avec un sourire qui me fait baisser ma garde.
— Comment va ma meurtrière préférée ? demande-t-il avec humour.
— Ne refais plus jamais ça ! je m'exclame alors que mon cœur joue du tambour.
— Tu as l'air d'être à cran, remarque-t-il.
J'ai déjà remarqué plusieurs fois la facilité avec laquelle Arwen arrive à cerner les émotions des gens autour de lui. Personne ne semble être une énigme pour lui, alors qu'il en est une à mes yeux.
Je me retourne pour lui faire face et le regarde comme pour voir à travers lui. Nos regards se croisent et au lieu de détourner le mien, je soutiens le sien. Il doit bien y avoir une faille derrière ce beau visage.
— Est-ce qu'il y a un problème ? demande-t-il, un sourcil haussé.
Ses lèvres se soulèvent au coin droit de sa bouche. C'est un sourire parfait et imparfait à la fois.
Mais qu'est-ce qui me prends de le détailler comme ça ?!
— J'ai comme l'impression que je t'intrigue, devine-t-il avec plaisir.
Surprise, je me rapproche de lui à grandes enjambées. Il ne recule pas. Il ne semble pas perturbé par ma proximité comme je l'ai déjà été de la sienne.
— Je n'arrive jamais a savoir ce que tu penses. C'est agaçant, je l'accuse, mon index pointé vers lui.
Il emprisonne mon doigt dans la paume de sa main gantée.
— On ne t'as jamais appris qu'il était malpoli de pointer les gens du doigt ? se moque-t-il gentiment.
— N'essaye pas de changer de sujet, je réponds, les paupières plissées pour l'en dissuader.
— Depuis que je suis petit, on m'a appris à ne rien laisser paraître. Montrer ses émotions, est considérée comme une marque de faiblesse, là d'où je viens.
Je réfléchis à ce qu'il vient de me révéler. Lorsque j'imagine sa planète, j'imagine un tas de gens, froid et silencieux. Les capacités des larniens, son peuple, ont toujours été source de curiosité pour les autres. Leur planète est si éloignée des autres, qu'ils ont toujours eu cette aura mystique autour d'eux. Je me demande s'il me répondrait si je lui demandais en quoi consiste son pouvoir.
— On va jouer à un jeu, je propose, une idée derrière la tête.
— Ça me plaît déjà, sourit-il tandis qu'il s'approche de moi. Explique, chuchote-t-il.
J'essaye de ne pas faire attention au ton charmeur de sa voix.
— On va voir si tu es encore capable de montrer tes émotions.
C'est peut-être le moment de découvrir quelles sont ses véritables capacités.
— Je vais te poser des questions sur tes capacités et tu vas essayer de me répondre uniquement avec les expressions de ton visage. Je ne veux pas entendre un mot ! je le préviens.
— Marché conclu. Pose-moi tes questions, petite curieuse.
Je reste de marbre et me concentre pour poser les bonnes questions.
— Peux-tu effacer la mémoire des gens ? je demande tandis que je me rappelle la réaction de Rassna lorsqu'elle a dû faire face aux capacités du larnien sur l'île.
J'observe le visage d'Arwen. Il me lance un regard blasé. Je retente ma chance.
— Tes capacités ressemblent-elles à celle de Rassna ? je l'interroge.
Il me lance un regard dégouté remplit de jugement. Je me pince les lèvres pour éviter de me moquer de sa réaction.
— Si tu le voulais tu pourrais assassiner quelqu'un d'un simple regard ? je questionne alors que je réalise que j'ai peur de la réponse qu'il va me donner.
Ses sourcils froncés viennent accentuer son air dubitatif. Je me sens soulagée. Je me suis fais une frayeur toute seule. De son côté, il semble s'amuser à l'idée que j'ai pu lui poser cette question. Il lève un sourcil pour me mettre au défi de lui poser une dernière question.
— As-tu déjà utilisé ton pouvoir sur moi ?
Il baisse les yeux et se mords les lèvres. Soudain, je panique.
— Quand ? Est-ce que tu es en train de le faire ?
— Je ne l'ai fait qu'une fois ! se défend-il. Après l'épreuve sur Vilaz. Tu avais l'air tellement choquée par les peurs que tu as dû affronter que j'ai décidé d'apaiser ton esprit pour que tu te sentes mieux.
Apaiser mon esprit ? Ça ne me donne pas plus d'informations sur sa capacité larnienne.
Tout à coup, une sirène retentit pour nous avertir que nous allons bientôt atterrir. Arwen s'éloigne après m'avoir lancé un regard désolé. Notre jeu est terminé, pourtant j'ai l'impression d'avoir perdu.
*
J'attends Yoko dans ma cabine. Elle doit maider à enfiler la tenue spéciale pour l'atterrissage. Dans le silence pesant de la pièce, mes pensées s'égarent. Je dois faire le point sur ma situation.
Luther est parti même s'il est innocent. Je ne sais rien de la prochaine épreuve et la plupart des entraîneurs me considèrent comme une terroriste. Je n'ai pas choisi d'être là. Je voulais abandonner sur Dell, reporter ma candidature. Mais j'ai dû affronter la mort de Calum de la pire des manières : en prenant sa place. Et maintenant, je suis prise au piège. Je ne peux plus reculer, je dois avancer.
Nous allons atterrir sur Ouranix dans moins de 15 minutes et Yoko remonte la fermeture éclair au dos de ma combinaison blanche.
Ouranix est une planète particulière. C'est une planète plate qui possède deux gravités différentes. Certains seront attirés par celle du sud et d'autres par celle du nord. Pour que nous ne soyons pas séparés dès notre arrivée, nous devons porter une combinaison encombrante et lourde. Elle nous permettra de rester sur la partie nord de la planète, celle où se tiendra la prochaine épreuve. C'est aussi sur celle-ci que se trouve le Conseil d'Ouranix. Elle nous permettra également de nous habituer à la gravité du nord.
Je descends du vaisseau par la grande ouverture. Je suis directement assaillie par un vent très chaud qui me brûle le visage. Je comprends à présent le rôle du tissu qui pend à la capuche de la combinaison. Plusieurs candidats ont déjà mis la leur et se protègent le visage et la bouche avec. Je les imite. Maintenant, seuls mes yeux verts sont visibles.
Lorsque nos pieds foulent enfin le sol de Gwindor, la capitale du Nord, l'engouement que nous avons connu à Camorr est différent. Quelques badauds nous accueillent en hurlant nos noms comme des cris de guerre. Pourtant, je ne vois aucun journaliste, ni aucun paparazzi. La confusion me fait froncer les sourcils.
Ce pourrait-il qu'ici les Conquérant soient moins adulés ?
— Tu as l'air déçu, princesse. A mon humble avis, la notoriété t'ait vite monté à la tête ! me lance Nathaniel d'une voix étouffée par sa large capuche.
Ses cheveux blonds virevoltent au vent et fouettent ses joues. Sa fossette au menton et son sourcil levé me laissent présager qu'il va poursuivre la conversation.
— Non. Pas du tout. C'est juste que je trouve l'ambiance un peu étrange.
— Tu ferais mieux de regarder là-haut, s'exclame-t-il alors qu'il pointe le ciel du doigt.
Je regarde en l'air et j'en ai le souffle coupé. Il y a une fête dans le ciel.
Des centaines doiseaux gigantesques et multicolores volent dans les airs avec sur leur dos des ouraniens qui les dirigent par un sifflement mélodieux. Ils ont un large bec, des ailes énormes et trois queues : une en écaille, une en poil et une en plume.
D'autres ouraniens volent en harmonie. On dirait presque qu'ils dansent. Ils maîtrisent le vent à leur gré, la gravité selon leur propre volonté. Je m'arrête pour observer chaque détail, chaque couleur avec attention. Le ciel est clair et aucun nuage ne vient perturber cette cérémonie de bienvenue.
J'entends le bruit de tam-tams au loin et des danseurs viennent s'agiter autour de nous au rythme des tambours. Puis ils frappent tous dans leurs mains et claquent leurs bottes en cuir au sol faisant voler le sable rouge qui le recouvre. Ça me donnerait presque envie de les rejoindre. Mais je n'ose pas, comme d'habitude.
Lindorie, en revanche, danse comme une folle avec les ouraniens et tape dans ses mains en musique. Nathaniel la rejoint vite et ils rigolent ensemble. Rassna les regarde avec dédain et je surprends Daerôn qui m'observe discrètement. Arwen s'approche de moi, mais je refuse la main qu'il me tend. Je dois rester concentrée.
Je pensais qu'Hélios était unique par sa taille, mais je remarque que tous les ouraniens sont immensément grands et que certains dépassent les trois mètres d'Hélios. Je me sens minuscule et complètement écrasé par leur taille.
Nous peinons à avancer et à arriver jusqu'à l'entrée de la ville qui surplombe les plaines désertiques sur lesquelles nous avons atterri. Mais je vois déjà, au loin, les grands bâtiments en briques rouges de Gwindor. Les fenêtres n'ont pas de vitres et laissent passer la brise chaude qui s'engouffre dans les rideaux blancs. Le spectacle vermeil qu'offre la ville est impressionnant. Je ne vois qu'un paysage au camaïeu rouge et orange. Il est en accord avec le caractère chaleureux des Ouraniens. Différent pourtant de l'attitude froide et méfiante d'Hélios pendant les jeux.
A mesure que nous marchons, les habitants viennent nous saluer du haut de leur maison et du toit des immeubles. Il y a une grande joie qui se lit sur leur visage. Mais est-elle réelle ou feinte ? J'ai entendu dire que la pression kalisse se faisait ressentir lourdement sur Ouranix.
Nous arrivons enfin dans la Citadelle, la grande place de Gwindor où s'effectuent les échanges et le troc. Une foule immense est rassemblée devant le bâtiment circulaire du conseil. Un homme se tient droit devant la grande porte de l'édifice. Il a la peau sombre comme tous les habitants, mais à l'instar des autres, il porte une grande cape blanche. Je devine qu'il joue un rôle important au sein du conseil d'Ouranix. Est-il le père d'Hélios ? Ou un membre de ce parlement ?
Quand nous arrivons en face de lui, je l'observe à nouveau. Ses cheveux sont clairs, rien à voir avec ceux d'Hélios et son nez est fin et droit. Il prend la parole pour nous souhaiter la bienvenue.
— Chers Candidats ! C'est pour moi un honneur de vous accueillir sur la cité des Vents ! Je me nomme Terence et je suis à la tête du Conseil du Nord d'Ouranix. Veuillez recevoir les salutations de tous les ouraniens.
Nous applaudissons en signe de remerciement. Je me tourne vers la foule derrière moi. Les sourires sur les visages ne me semblent plus vraiment sincères, mais crispés. Les visages me paraissent soucieux et je sens comme une tension dans l'air. J'aperçois au loin des soldats kalis en rang serré. Je tente de me concentrer à nouveau sur Terence.
— Le prochain Jeu aura lieu dans quatre jours ! D'ici là, considérez-vous comme chez vous ! C'est une grande joie pour tous les habitants de vous accueillir. Vous serez logés au sein même du conseil pour votre sécurité. Je vous souhaite un bon séjour parmi nous !
Puis, des ouraniens nous accompagnent dans le bâtiment. Les briques rouges ont un aspect beaucoup plus doux à l'intérieur et créent une ambiance plus tamisée. Un grand escalier nous fait face. Les plafonds sont extrêmement hauts et je me sens étourdie à force de lever la tête pour observer les sculptures qui les ornent.
Je vois du coin de l'œil qu'Hélios discute avec un homme tout aussi grand que lui. Puis il sort de l'enceinte, accompagné de deux autres hommes. Je penche la tête pour le suivre du regard, mais il a déjà franchi la grande porte. Lindorie me donne un coup de coude.
— Il va certainement retrouver ses parents, dit-elle alors que nous montons les escaliers.
— Mais pourquoi est-il encadré par deux hommes ?
La chambre qui nous est attribuée est composée de deux lits simples placés de part et d'autre de celle-ci. Les briques ont été peintes en blanc ce qui agrandit la pièce. Lindorie ne se gêne pas pour se jeter sur le matelas et rire à gorge déployée. Puis reprenant son sérieux, elle s'assoit en tailleur sur la couette légère et me répond d'un air grave.
— Il va sûrement rendre visite à sa mère. J'ai entendu dire qu'elle souffre de la fièvre blanche.
— Qu'est-ce que c'est ? dis-je tandis que je constate que nos bagages sont déjà arrivés et sont délicatement posés dans un coin de la chambre.
Lindorie soupire. Son regard se voile.
— La situation est compliquée sur Ouranix. Les habitants étouffent de l'occupation kalisse et accueillent toujours les étrangers aussi joyeusement. Mais ce n'est qu'un sentiment feint pour faire croire aux kalis qu'ils se réjouissent pour les Jeux.
— Je ne comprends pas le rapport avec la fièvre blanche.
Je m'assois sur mon lit pour lui faire face tout en appréciant la brise chaude qui passe au travers des fenêtres.
— J'y viens, patience ! se plaint-elle. Lorsque les kalis ont envahi Ouranix, ils ont commencé par l'État du Sud. Puis ils s'en sont pris au Nord. Ils contrôlent les populations et les cultures. Ils s'assurent que chaque habitant obéit et le Conseil ne peut rien faire. Puis les ouraniens se sont rendu compte que l'ennemi était arrivé avec une maladie qui s'est développé ici ; la fièvre blanche. C'est une maladie liée à la chaleur qu'a apportée l'armée. Les ouraniens sont très sensibles à la chaleur et leur corps n'y est pas habitué bien qu'un courant de vent chaud sec encercle leurs villes. La chaleur kalisse étouffe, elle pénètre en toi, te rend moite et collant. La fièvre blanche affaiblit, teinte la mélanine de la peau pour la rendre claire, voire cadavérique. C'est comme si tu brûlais de l'intérieur.
— C'est terrible ! je grimace.
— Oui, ça l'est. Mais cette maladie ne s'est pas uniquement développée sur Ouranix, on la retrouve aussi sur Cléone, la planète de glace. C'est aussi pour cette raison qu'Aegnor contrôle les entrées, les sorties et les communications. Il ne veut pas que les populations trouvent un remède à cette maladie. S'il peut les affaiblir, c'est mieux, tu comprends ?
Je ne peux m'empêcher de ressentir une vague de dégoût. J'invite Lindorie à poursuivre ses explications.
— Les ouraniens pensent que si les Jeux s'arrêtent, les kalis repartiront. C'est pour cette raison qu'il y a beaucoup de Voleurs d'étoiles sur cette planète. Alors laisse-moi te donner un conseil : ne sors jamais seule.
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