Chapitre 4
La salle rouge est plongée dans le noir le plus total. J'entends des cris de panique. Je plisse les yeux afin de les habituer à la pénombre. Je discerne des ombres qui bougent dans tous les sens. Tant que je ne les ai pas identifiées, je les considère comme une menace.
Je tourne la tête dans tous les sens pour trouver l'origine du court-circuit, quand une grande masse me fonce dessus. Prise d'un réflexe que je ne croyais pas posséder, je lève le bras et intercepte l'homme. Je lui prends le bras et lui tord dans le dos afin de l'immobiliser. Les leçons de Luther n'ont finalement pas été vaines. Le garçon se tord de douleur et se débat, si bien qu'il me frappe à la mâchoire. La douleur est si vive que je sens le goût métallique du sang se répandre dans ma bouche.
— Je n'ai rien fait ! Lâchez-moi !
— Quel est ton nom ?
— Hugh Dalmane, je viens de la contrée des Lacs. Qui êtes-vous ? me crache-t-il au visage.
Je n'en demandais pas tant... Je le lâche pour m'essuyer. Ce n'est qu'un candidat, il n'y a aucun danger. Je n'ai même pas le temps de répondre que déjà les lumières se rallument dans la pièce. Je cligne des yeux, éblouie. En face de moi, se tient un jeune homme immense à la carrure imposante aux larges épaules. Des mèches bouclées tombent devant ses yeux bleus ahuris. Je lève un sourcil interrogateur.
— Tu es une fille ? s'exclame-t-il avec une grimace.
— Apparemment oui. Il y a un problème ? je souris.
Je vois à son regard qu'il est surpris. Il ne répond rien et se retourne dans une attitude snob. Pff... Comme si une fille ne pouvait pas se battre !
— C'était trop génial ! Bien joué ! me lance une fille avec un sourire radieux.
Je la remercie d'un mouvement discret de la tête. Marc passe la tête dans l'entrebâillement de la porte et balaye la salle du regard. Les candidats delliens n'ont pas l'air choqués de la panne d'électricité. J'en compte huit, un pour chaque contrée de Dell : La contrée des lacs, la contrée des plaines, la contrée des montagnes, la contrée des vallons, la contrée des mers, la contrée des forêts, la contrée des brumes et celle des sables. Il y a trois filles et cinq garçons, tous plus ou moins âgés que moi.
Après avoir longuement étudié la pièce pour savoir si le court-circuit a provoqué d'autres désagréments, il se tourne vers les concurrents.
— L'un d'entre vous pourrait-il m'expliquer la cause de cet accident ?
Un grand silence s'installe parmi les jeunes sélectionnés, jusqu'à ce qu'un garçon assez grand aux cheveux méchés de violet, lève la main d'un air penaud.
— Calum... Voilà qui n'est pas étonnant. Tu devrais arrêter d'être aussi excité dans une salle de tir.
Sur quoi a-t-il bien pu tirer pour provoquer un tel court-circuit ? Je l'observe quelques secondes avant qu'il ne réponde. Il a l'air assez maladroit et drôle.
— J'ai juste tiré dans le mile ! Mais ça a tout fait péter ! explique-t-il avec de grands gestes.
Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres. J'aurais bien aimé assister à ça.
— C'est étrange, en effet. J'en parlerais aux techniciens. En attendant, entraînez-vous dans une autre salle, répond-il d'un geste pour réajuster ses lunettes.
Les sélectionnés ont l'air déçus de ce changement de programme. Je les comprends. A leur place, j'aurais envie de tester tout ce qui apparaît dans cette salle. Apparemment, il y a même des cibles virtuelles qui apparaissent dans la salle à tout moment pour aiguiser les réflexes des candidats.
Un grondement discret me sort de mes rêveries. Luther s'avance vers Marc en se raclant la gorge.
— J'oubliais presque de vous présenter Luther Alandur. Votre professeur de stratégie combative. Il est le premier entraîneur des sélections delliennes.
A ces mots, Luther hoche la tête pour se présenter. Au même moment, les participants se redressent d'un coup et ramènent leur main droite au travers de leur front.
— Je suis très heureux de pouvoir vous entraîner. Vous pouvez arrêter vos bêtises, s'exclame-t-il en faisant une révérence, un sourire moqueur aux lèvres.
Comme à son habitude, Luther déteste toutes sortes de formalités. Il a toujours été rebelle avec les règles de politesse. Quand il vient à la maison, il garde ses chaussures, s'affale sur le canapé et pose les jambes sur la table. Ce genre d'attitude à tendance à agacer ma mère.
— Miriel ? Veux-tu continuer la visite avec Marc pendant que je fais la connaissance des candidats ? demande-t-il gentiment.
Ma mère baisse la tête et suit Marc sans dire un mot. Elle est vraiment mal à l'aise en public. Elle quitte la pièce sans m'accorder un regard. Je vais pouvoir rester avec Luther et les participants.
— Qui est Miriel, Monsieur ? demande Calum un sourire en coin.
Extraverti et commère, en plus.
— Ma mère, je réponds automatiquement.
Un silence gênant s'installe dans la pièce sans que je ne m'en rende compte, jusquà ce que Hugh le brise.
— Et toi tu es ? m'interroge-t-il.
— Ma nièce, déclare Luther, les sourcils haussés comme pour défier qui dirait le contraire.
J'en ai le souffle coupé. C'est la première fois que Luther me nomme ainsi. Nous n'avons aucun lien de parenté et je l'ai appelé « oncle Luther » dès que j'ai su parler, parce que pour moi, il fait un peu partie de la famille. En revanche, je ne l'ai jamais entendu employer ce terme pour me désigner.
Les épaules de tous les candidats se décontractent d'un coup.
— Je m'appelle Elwing. Enchantée.
Je réprime une grimace. Je n'ai jamais su être à l'aise pour me présenter aux autres.
— Elle est plutôt douée, n'est-ce-pas Hugh, c'est ça ? réplique Luther, avant de madresser un clin d'oeil plein de fierté qui me rend nauséeuse.
Hugh ne répond pas, mais me regarde intensément comme s'il essayait de comprendre le fonctionnement d'une machine inconnue. Je suis vite envahie par une vague de malaise.
Pendant que chaque candidat se présente, j'essaye de retenir leurs prénoms. Ils ont beau n'être que huit, je me sens un peu perdue en entendant leurs noms. D'abord, les trois filles : Jessica, une brune aux cheveux courts et au regard acéré ; Mollie, une petite blonde à l'air étourdie et Yasmine, une jeune fille à la peau mate et aux cheveux frisés, celle qui m'a souri lorsque j'ai arrêté Hugh. Enfin, les garçons : Hugh ; Calum ; Thomas, un jeune homme à la tête rasée ; Mike, au regard observateur et à l'allure presque princière et Yuta, un garçon plutôt fin, mais tout en muscles dont les cheveux bruns sont ramenés derrière lui en une longue tresse.
Une fois les présentations faites, nous nous dirigeons vers un couloir afin de sortir de la salle de tirs. Il est midi et les candidats ont l'air de ne pas avoir mangé depuis deux jours, tellement ils avancent vite vers le réfectoire. A l'idée de manger, mon estomac s'excite. Ignorant les regards amusés des candidats, je les suis dans un escalier et nous atterrissons dans un grand couloir aux lumières vertes menant à une lourde porte de la même couleur. Je me tourne vers mon voisin qui n'est autre que Calum.
— Si j'ai bien compris, il y a trois salles : jaune, bleue et rouge. Mais à quoi sert la verte ? je demande, lindex en direction de la porte.
Calum éclate bruyamment de rire. Ai-je encore dit une bêtise ?
— Ça, c'est la sortie de secours, ma petite !
Mon visage devient écarlate en moins d'une seconde. Je baisse la tête et continue de marcher en silence en essayant de me faire oublier.
— Ne t'inquiète pas ! Moi aussi, je me serais trompée, si on ne m'avait rien dit ! me rassure Yasmine alors quelle me donne un gentil coup d'épaule.
Après un labyrinthe de portes et de couloirs, les bruits de la cuisine nous parviennent soudainement. Nous entrons, un par un, par les demi-portes battantes qui mènent à la cantine. L'ambiance chaleureuse me fait penser à un énorme chalet dans les montagnes ou à un "saloon'' dans les westerns que ma mère regarde en boucle. Je m'imagine en train d'entrer dans la pièce avec des bottes de cow-boys, un bandana autour du cou et un chapeau.
A la vue des différents plats qui circulent sur un tapis roulant mes yeux s'ouvrent joyeusement. Des montagnes de viandes sont entassées sur des plateaux. A côté se trouvent des légumes de toutes sortes. Je m'approche un peu déçue qu'il n'y ait pas de chocolat et commence à me servir. Un liquide transparent contenu dans un saladier me rend curieuse. Juste à côté de moi, Calum prend un gobelet, y verse le liquide étrange et le bois d'un seul coup. Il me regarde en souriant en m'invitant à l'imiter. Je prends donc un verre en plastique et exécute le même geste. Je porte le verre à mon nez pour sentir l'odeur du liquide. Aucune odeur. C'est suspect, mais l'eau n'a pas d'odeur, après tout. Pourtant, le liquide semble plus épais. Je jette un nouveau coup dil à Calum, il m'adresse un haussement de sourcils amusé. Je n'ai pas l'habitude d'être aussi difficile en ce qui concerne la nourriture, mais ce liquide ne m'inspire pas tellement confiance.
J'ai l'impression d'assister à un débat interne de conscience alors que j'hésite à boire ce curieux mélange. Je pourrais presque voir le petit ange et le petit diable à ma gauche et à ma droite.
Secouant les épaules comme pour les chasser, je remue la tête en me disant que je n'ai rien à craindre. Sans penser à rien d'autre, je bois une gorgée.
J'aperçois le sourire satisfait de Calum s'agrandir d'un coup. Oh non...
Le liquide encore dans la bouche, je commence à avoir peur pour trois raisons. Premièrement, ce n'est pas de l'eau, deuxièmement ce n'est pas bon et troisièmement, je ne sais absolument pas ce que c'est. Alors pour régler la question, je crache le liquide sans regarder devant moi.
En reculant, je m'aperçois que Calum a les yeux fermés et qu'un liquide gluant s'est collé à ses cheveux.
— Tu es très naïve. Mais tu sais te défendre, dit-il alors quily s'essuie le visage d'une main et en me pointant du doigt avec l'autre.
— C'est dégoûtant ce truc ! Comment as-tu pu boire ça ! je m'exclame.
— Merci pour tes excuses ! s'écrit-il, amusé.
Sans lui répondre, je cherche une place pour m'asseoir. Je m'installe en face de Yasmine. Son plateau est rempli de viandes. C'est incroyable ! Elle compte vraiment ingurgiter tout ça ?!
Je m'assois en face d'elle en lui souriant. Calum se penche à côté de moi en prenant place juste à mes côtés. Je prends un verre d'eau pour me rincer la bouche du liquide écurant.
— Le blanc d'œuf, c'est le secret des sportifs de haut niveau.
A ces mots, mes yeux s'agrandissent de surprise et je manque de m'étouffer. Calum rit alors qu'il me donne de grandes claques dans le dos tandis que Yasmine pouffe en s'empiffrant. Il est possible que je me plaise ici.
La seconde partie du bâtiment est beaucoup moins intéressante, elle contient les étages résidentiels des candidats et du personnel. Épuisée, je me jette sur mon lit. Ma mère est sans doute en train de dormir, trop épuisée du voyage. Je vais pouvoir explorer les lieux par moi-même. Soudain, on frappe à la porte. Je réprime un cri de terreur pendant que Luther ouvre la porte en me souriant à pleine dents, fier de son coup.
— Qu'est-ce qui se passe Luther ? dis-je, les bras croisés.
— Je viens voir si tu es bien installée ? répond-il avec ironie.
Je m'appuie sur l'encadrement de la porte, un regard sarcastique au visage.
— Je trouve qu'il n'y a pas assez de rangements dans ma chambre, pourriez-vous, s'il vous plaît, faire remonter l'information à vos supérieurs ? C'est vraiment intolérable !
Luther prend ma tête entre ses bras et me frotte le haut du crâne en riant.
— Vous désirez autre chose mademoiselle ? demande-t-il, un sourcil hirsute levé.
— J'ai une question à te poser, dis-je tandis que je l'invite à rentrer.
— Je t'écoute, répond-il.
Il se jette sans vergogne sur mon lit. Je soupire. Il y a des choses qui ne changeront jamais.
— Lorsque les candidats ont su que j'étais ta soi-disant nièce, pourquoi ont-ils tous paru soulagés ?
— Je me doutais que tu me poses cette question. Je l'ai remarqué aussi, dit-il alors qu'il se redresse et ouvre le mini-réfrigérateur.
En plus d'avoir défait mon lit, il veut se servir dans mon garde-manger ? Il peut toujours rêver.
Je me lève d'un coup de la chaise sur laquelle j'étais assise et referme le frigo avant même qu'il se serve. Un regard de défi commence à germer dans ses yeux. Je le connais assez bien et je devine comment cette conversation va se terminer.
Tout à coup, il me prend le poignet et le bloque pendant que, par réflexe, je me tourne pour qu'il soit dans mon dos. Habituellement, j'évite de faire cette prise dans un lieu aussi étroit, mais il y a du chocolat dans mes placards. Hors de question que Luther dérobe mon butin.
Je m'avance péniblement vers le lit pendant qu'il me donne des coups dans les côtes. Occultant la douleur, je me baisse pour le faire basculer, si bien qu'il se retrouve à plat sur le lit complètement défait à présent.
— Tu as la réponse à ta question, explique-t-il simplement.
— Je ne comprends pas.
— Tu es douée. Ils ont peur de toi et de ta capacité à te battre. Mais comme tu fais partie de la famille, ils ne craignent rien.
Luther se relève difficilement du lit. Il n'est plus tout jeune, pourtant, il reste un excellent professeur de combat.
— En quoi le fait que tu m'aies présenté comme ta nièce, fait de moi une personne inoffensive ?
Je ne vois pas vraiment le rapport entre mon soi-disant lien de famille avec Luther et mes compétences.
— Parce que les membres de la famille d'un entraîneur ne peuvent pas participer aux Jeux, ça fait partie du protocole.
— Attends... Si je ne peux pas participer, alors pourquoi m'entraînes-tu ? Cela n'a aucun sens !
— Pour que tu aies toutes tes chances, le moment venu, explique Luther dun ton mystérieux.
— Tu comptes truquer les sélections ? je devine, horrifiée.
— Bien sûr que non ! Si je suis devenu entraîneur, c'est pour te donner un coup de pouce. Je veux juste que tu aies toutes tes chances.
— Mais, tu as soumis ma candidature, non ?
— Soumettre ta candidature, alors que ta mère n'est pas au courant ? Non. Impossible. Le seul moyen pour que tu puisses participer sans quelle ne refuse, c'est de mettre tout le monde au pied du mur pour qu'elle et les autres se rendent compte que c'est toi, l'élue.
— Et comment vas-tu t'y prendre, pour faire ça ? je demande, méfiante.
Nous n'en avons même pas discuté avec Luther. Pourquoi ne m'a-t-il rien dit ?!
— Les professeurs vont observer les entraînements. J'ai déjà demandé que tu y participes. Ils verront que tes résultats sont supérieurs aux autres. Lorsque cela arrivera, ils me supplieront de soumettre ta candidature.
Je soupire d'agacement. Il a l'air bien sûr de lui et je n'aime pas ça.
— Et si ce n'est pas le cas ?
— On en a déjà parlé, Elwing. Tu as les capacités nécessaires pour y arriver. Ne te sous-estime pas.
Plus facile à dire, qu'à faire. Hugh et les autres, ne me semblent pas dépourvus d'intelligence et de force...
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