Chapitre 39
Je tente de remettre de l'ordre dans mes pensées alors que nous rentrons tranquillement vers le palais. Le silence qui s'est installé entre nous n'est pas tendu ni dérangeant, il reflète notre préoccupation.
Lorsque nous arrivons vers le lac dans lequel nous avons embarqué, Arwen plonge la main dans l'eau et m'arrose tandis qu'il commence à rire. Je fronce les sourcils, mais l'éclabousse à mon tour. Son geste est le bienvenu pour me détourner de mes inquiétudes. Nous sommes bientôt trempés et Arwen s'approche de moi après s'être levé dans la barque. Il me prend le poignet pour m'empêcher de replonger la main dans le lac. Je me détourne et la barque tangue dangereusement si bien qu'elle se retourne complètement et nous plongeons tous les deux dans l'eau froide.
L'étendue n'est pas profonde et je me relève facilement. Je m'essuie le visage et ouvre les yeux. Arwen se tient juste devant moi. Des gouttes d'eau sont encore prisonnières de ses cils et ses yeux semblent briller. Sa tunique blanche est transparente à cause de l'eau et je me rends compte que le t-shirt large que Nathaniel m'a prêté me colle à la peau.
Le temps semble s'être suspendu. Que va-t-il faire désormais ?
— Vous êtes là, vous deux ! Ça fait une heure que je vous cherche !
Nous sursautons de concert et nous tournons vers la voix en colère. Daerôn à l'air furieux.
Je me recule à regret et part rejoindre la rive. Daerôn détourne les yeux à mon approche et mon t-shirt se retrouve impeccablement sec. Ses réactions deviennent pénibles.
Arwen me suit et s'ébouriffe les cheveux à hauteur du prince de feu et lui jette un regard empreint de défi.
— Qu'est-ce qui se passe ? je demande, les bras croisés.
Je sais que je dois faire preuve de discernement, mais je ne peux pas m'empêcher de me méfier de lui.
— Une colombe est venue dans chaque chambre. Une réunion du conseil des Jeux doit se tenir maintenant dans la salle de conférence. Il ne faut pas tarder. Ça semble important.
Il se frotte le menton tandis qu'il observe Arwen et je comprends que les deux se jugent du regard. Je mets rapidement fin à cette tension masculine qui se tisse entre eux.
— Si c'est important, on doit y aller maintenant.
Je me dirige vers la porte arrière du château. Daerôn me suit tandis qu'Arwen monte dans sa chambre pour se changer rapidement.
Je me maudis intérieurement. Je pense aux remontrances que Luther me dirait s'il était là. Au lieu de jouer les touristes, j'aurais dû m'entretenir avec lui de l'épreuve précédente. Je ne sais même pas où il se trouve. A-t-il rejoint Namus après l'épreuve sur Vilaz ?
La salle de conférence n'est pas difficile à trouver. C'est la plus grande pièce du château hormis l'impressionnante salle du trône par laquelle nous sommes passés pour la rejoindre.
Elle est fermée par une imposante porte ivoire aux arabesques dorées. Un anneau en or permet de la pousser sans trop d'efforts.
Nous rentrons tous les deux et je me sens mal à l'aise en constatant le nombre de personnes présentes dans la pièce. Je baisse la tête timidement et me pince les lèvres ; ce n'est pas le moment de se faire remarquer.
Lindorie me fait un signe discret pour m'inviter à la rejoindre. Je m'assois au bout du banc en pierre blanche face aux représentants des Jeux, tous assis à une immense table surélevée sur une estrade. Arwen entre à son tour et s'assoit à l'opposé de l'endroit ou s'est placé Daerôn.
Je regarde la pièce et prête attention à chaque détail pour calmer le début d'angoisse qui me serre l'estomac.
Devant moi, se tiennent quatre représentants des Jeux. Je reconnais Silas Cantwell, le représentant d'Orphée qui se trouvait sur Dell pour les Sélections. A sa gauche, une jeune femme à la peau noire semble juger tout le monde du regard. Ses quelques cheveux courts forment des arabesques sur son crâne rasé. Trois cicatrices barrent son oeil droit comme si elle s'était fait griffer par un animal sauvage. Ses lèvres charnues forment une moue furieuse sur sa peau foncée.
A gauche de cette femme, je distingue un homme assez jeune au menton en galoche et aux yeux étranges. L'un est bleu et l'autre blanc. Une cicatrice semble prolonger sa bouche et le force à sourire d'une manière exagérée. Des mèches de cheveux châtains lui barrent la vue. Il se tient le dos courbé devant la table, prêt à bondir sur une cible inconnue.
A son côté, une femme dont les longs cheveux noirs tressés retombent sur les épaules, respire calmement. Elle porte une grosse fourrure imposante et d'étranges tatouages recouvrent ses paupières.
Je ne me sens pas rassurée face à ces quatre individus. Pourquoi nous ont-ils convoqués ? Sont-ils vraiment ceux qui organisent les Jeux et les épreuves ? Sont-ils ceux qui forcent ma planète à participer ? S'impatientent-ils de me voir échouer ?
Trop de questions voyagent dans mon esprit et ne trouvent pas leurs réponses. Elles sont tellement nombreuses à envahir mes pensées que je n'entends même pas, la femme rasée prendre la parole.
— Chers compatriotes Royaux et Candidats, je m'appelle Kyll et je suis responsable de l'organisation des Jeux tout comme mes collègues assis à mes côtés. Nous vous avons invités à ce Conseil des Jeux pour régler plusieurs affaires urgentes dont les effets pourraient avoir une incidence plus qu'importante dans le déroulement des Jeux.
Lorsqu'elle parle, un silence s'installe dans l'immense pièce. Je pourrais entendre une mouche voler. La situation semble grave et je déglutis péniblement en attendant la suite.
— La première affaire concerne un candidat et son attitude sur l'île des Marins Oubliés pendant la troisième épreuve, commence l'homme à la terrible cicatrice.
Je lis le petit cartel posé à la va-vite devant lui : Turner Galos. Son regard se pose sur moi un instant. J'en ai des frissons de terreur.
— En effet, ce Candidat, bien qu'ayant pour connaissance le code des Jeux, a enfreint certaines de ses règles. J'appelle Saeros à la barre !
Un poids s'échappe de mes épaules et mes sourcils se froncent. Qu'a-t-il fait pour devoir passer devant un conseil disciplinaire ? De nombreux murmures s'échappent du public. Je ne suis pas la seule à être étonnée.
Celui-ci semble encore plus surpris que moi. Il se lève lentement et rejoint la barre des accusés. Je suis surprise de le voir vêtu de lin clair, alors qu'il porte habituellement des vêtements très sombres.
— Saeros Hyler. Avez-vous conscience d'avoir enfreint une règle du code des Jeux ? demande la femme aux longues tresses.
— Non, votre Honneur. Je ne sais pas de quoi vous voulez parler.
Il serre les poings. La situation semble lui échapper et je m'en réjouis un peu. Un écran s'abaisse le long du mur rocheux juste à côté du Prince des cendres.
L'organisateur orphéen qui semble s'ennuyer plus qu'autre chose appuie alors sur une télécommande et une vidéo démarre sur le large écran.
Elle nous montre le combat final dans la cavité au centre de la forêt des Miracles. Je me vois sur l'écran. Mon visage est sale et mes cheveux collent mes joues. Je suis devant le poteau en bois mouillé, réfléchissant au code de l'énigme. Du sang séché macule mes doigts et mes yeux cherchent désespérément la solution. Je serre les dents pour supporter les coups de mes adversaires. Je fronce les sourcils pour me concentrer quand tout à coup mon visage s'éclaire et je tape une série de chiffres sur le clavier en bois. Puis l'image s'arrête quelques secondes et je me rends vite compte que la caméra retransmet la suspension du temps de Saeros qui se trouve juste derrière moi.
L'orphéen, à la longue cape blanche, appuie de nouveau sur sa télécommande pour arrêter la vidéo et l'écran remonte lentement pour se ranger dans le plafond.
— Connaissez-vous l'article 3 du code des Jeux, Saeros Hyler ?
Ce dernier se mord les lèvres et semble rongé par une colère noire. Il finit par répondre à la question.
— « Aucune tricherie ne sera tolérée », répond-il amèrement.
— C'est exact. Et ce que vous avez fait pour vous emparer de la solution est clairement de la triche. En êtes-vous conscient ? senquiert, à nouveau, la femme dont le cartel indique le nom : Thylipsis Vras.
— Je pensais que tout était permis sur l'île comme vous n'avez cessé de le répéter, déclare-t-il dun ton méprisant.
— En effet, tout était permis dans la limite du Code des Jeux énoncés à leur début. C'est de cette façon qu'il fallait le comprendre. Votre acte requiert une décision cruciale qui amène une question : continuerez-vous les Jeux ? Votre cas sera examiné par le Seigneur Aegnor lui-même. En attendant sa réponse qui nous sera communiquée le plus rapidement possible, je propose de poursuivre avec la seconde affaire qui doit être traitée ce soir. Vous pouvez regagner votre place, Saeros, répond Tuner Galos d'un ton glacial.
Saeros rejoint sa place, la mâchoire crispée. Je sens la colère qui enflamme son regard et sa respiration beaucoup plus précipitée.
A mon grand étonnement, c'est Ardalôn qu'on appelle. Je crains qu'on l'accuse d'avoir sympathisé avec moi. Je crains que sa planète lui reproche de ne pas avoir gardé sa neutralité, de m'avoir soutenue et aidée. Après tout, il m'a éloigné des combats dans la grotte du totem. Les juges ont-ils vu ce geste comme un soutien de sa part ou comme une ruse pour que je sois propulsée au milieu des combats comme je l'ai été ?
Ardalôn semble détendu. Il s'avance jusqu'à la barre où se tenait Saeros quelques minutes plus tôt. Ses cheveux châtains sont en bataille et ses vêtements de namusien lui siéent à merveille. Il porte une longue tunique blanche et des babouches marron. Il respire profondément alors qu'il se tourne vers les quatre organisateurs et leur sourit amicalement.
— Ardalôn Capene. Vous faites partie des Explorateurs qui participent à cette session des Jeux. Vous avez fièrement porté les intérêts de votre planète, Hauméa, pendant les trois premières épreuves. Les règles des Jeux sont claires, vous avez rempli votre part du marché envers le Cercle qui vous en est reconnaissant. A présent, une question vous est posée : souhaitez-vous poursuivre ou mettre un terme à votre participation aux épreuves des Jeux du Cercle ? demande Kyll d'un ton déterminé.
J'observe attentivement Ardalôn. Je sais déjà ce qu'il va répondre. Mais une petite partie de moi voudrait qu'il reste. Il est une des personnes qui me relie à Dell. Sans lui, j'ai l'impression que le lien qui me relie à ma planète s'effiloche.
Le sort qui m'est réservé n'est pas le même. Dell possède un statut particulier. Ses habitants ne possèdent aucune capacité unique. De ce fait, elle dépend entièrement des autres planètes. En gage de cette aide qui nous est donnée, nous avons le devoir de continuer le plus loin possible dans la compétition. Le Cercle et Aegnor ne me laisseront donc pas tranquille. Si je veux rentrer chez moi, je dois continuer à survivre.
Ardalôn relève le menton et se concentre sur ce qu'il va dire. Ses yeux rencontrent les miens et je lui souris d'un air contraint. Je n'ai pas non plus envie qu'il se sacrifie pour moi. Je sais qu'il a fait le serment de me protéger, à sa grand-mère, mais à présent, il doit retourner sur Hauméa. Il doit y jouer un rôle, et même si j'ignore lequel, je ne veux pas que sa planète se retrouve en difficulté sans lui.
— J'ai apprécié participer à ces jeux comme chaque année. J'ai pu me rendre compte encore plus de l'importance du Cercle pour maintenir un équilibre dans notre système. Je remercie le Roi Aegnor de permettre aux planètes naines de démontrer leur place au sein de cette politique. Les Jeux m'ont également appris qu'un candidat digne de ce nom doit savoir respecter ses engagements et je pense les avoir remplis en participant pleinement pendant ces trois épreuves. Cependant, j'ai également des engagements importants sur ma planète et je dois m'en acquitter au plus vite. Ma réponse est donc claire : je renonce à ma participation future aux prochaines épreuves.
Les organisateurs des Jeux hochent la tête pour approuver les paroles pleines de sagesse de l'Explorateur. Pourtant, ses mots sonnent creux à mes oreilles. Je sais qu'Ardalôn possède ses propres pensées et ses opinions, mais il ne peut pas les divulguer. L'équilibre du peuple de sa planète en serait menacé.
Les organisateurs lui demandent de regagner sa place. Il s'assoit à l'opposé du banc sur lequel je suis assise et me sourit lorsqu'il s'aperçoit que je l'observe. Son sourire se veut rassurant, il m'adresse un bref signe de tête pour reporter son attention sur le Conseil.
Silas Cantwell prend à nouveau la parole.
— Très bien, passons à la troisième et dernière affaire de cette soirée. J'appelle à la barre Luther Alendur.
A cet appel, je reste sans voix. Je n'avais même pas remarqué que Luther était présent dans la salle et encore moins sur Camorr. Je ne l'ai pas revu depuis le bal sur Vilaz. Je commençais à m'inquiéter et voilà qu'il se fait appeler à la barre de ce conseil officiel.
Que se passe-t-il ?
Luther fronce les sourcils d'incompréhension et cherche mon regard dans la foule. Je le lui rends, plein de questions en suspens.
Le représentant orphéen remet la situation que j'ignore en contexte.
— Vous n'êtes pas sans savoir l'affaire étrange qui fait débat sur Dell. Beaucoup de rumeurs circulent sur la réelle cause de la mort des sélectionnés delliens. Beaucoup diront que c'est un acte de terrorisme violent, certains voudront accuser la planète d'avoir manifesté son refus de participer aux Jeux et d'autres auront l'infime conviction que notre chère dellienne, Elwing Lomino est une meurtrière habile.
A ces mots, mes mains tremblent et l'ensemble du public me dévisage. Je ferme les yeux pour échapper à leurs regards accusateurs et respire lentement afin de calmer les battements rapides de mon cœur.
— Cependant, Monsieur Luther Alendur, l'enquête a progressé et on vous réclame de toute urgence sur Dell. Il semblerait qu'un interrogatoire soutenu vous soit réservé dès votre arrivée. Les enquêteurs auraient retrouvé vos empreintes sur certains matériaux faisant l'objet d'une étude minutieuse, essentielle au déroulé de l'enquête.
Cette révélation semble choquer l'assistance qui s'empresse de murmurer de toutes parts. Certains ne se gênent pas pour exprimer leurs opinions et leurs idées, tous plus curieux les uns que les autres. Lindorie m'observe longuement et me prend discrètement la main pour me manifester son soutien. Mais mon attention est dirigée vers Luther qui ne semble pas comprendre la situation et qui subit les insultes du public. Je croyais qu'il avait été disculpé.
— Silence ! crie Silas. Mesdames et Messieurs, je vous demande un peu de tenue. L'affaire en question est importante et nous devons la traiter avec le plus grand sérieux ! Monsieur Luther Alendur, en vous rendant sur Dell, vous laisseriez votre candidate sans entraîneur attitré et vous déchargerez de toute responsabilité la concernant. Êtes-vous prêts à faire ce sacrifice ou préférez-vous qu'elle abandonne les Jeux sur le champ ? Dans ce cas, le Conseil des Jeux devra se réunir pour discuter du sort que le roi Aegnor souhaite lui réserver.
Je manque de m'étouffer. Si Luther refuse que je poursuive, il signe mon arrêt de mort. Aucun Dellien ne revient vivant des Jeux. Ce serait étrange et dangereux. Ce serait le signe que les choses peuvent changer.
Je sens le regard pesant des spectateurs sur moi. Je suis sûre que ma mise à mort en arrangerait certains. Rassna doit savourer silencieusement ce moment tout comme Saeros, qui ne semble pas me porter un grand intérêt.
Mais j'ai confiance en Luther, il ne fera rien qui me fasse souffrir. Cependant, s'il accepte que je poursuive, mon lien avec mon peuple et ma planète sera définitivement coupé. Suis-je prête à l'endurer ?
— Nous attendons votre réponse, s'impatiente Silas au bout de quelques minutes.
Je relève la tête et me rends compte que Luther attend de croiser mon regard pour prendre sa décision. Il ne veut pas répondre sans mon consentement.
Mourir sur la décision du roi cruel ne me réjouit pas. Mais sentir le regard brûlant de Daerôn sur ma nuque m'est tout autant insupportable.
Si je poursuis les Jeux, je serai tué par celui qui a été désigné pour m'assassiner. Si j'arrête, je serai exécutée.
Je suis dans une impasse. Pourtant, l'honneur me pousse à prendre ma décision. Je préfère mourir en me battant plutôt que d'être exécutée, sans avoir rien tenter.
Je hoche la tête imperceptiblement pour montrer à Luther que je pourrais me débrouiller sans lui, que je pourrais affronter mes peurs en solitaire, que je suis prête à tout pour survivre.
— Ma candidate saura se débrouiller seule. Je pars dès ce soir sur Dell et la laisse poursuivre les Jeux en lui accordant mon entière confiance.
— Bien, vous pouvez vous rasseoir.
La réunion du Conseil se termine quelques minutes plus tard, mais je n'écoute plus. Je ne sais même pas si Saeros va continuer. Je ne me préoccupe pas de la décision du roi Aegnor. J'aurai tout le loisir de m'en occuper plus tard.
Les organisateurs ne me laissent pas le temps de faire mes adieux à mon oncle adoptif. Un grand vide me submerge alors que des gardes accompagnent Luther vers la sortie.
A présent, je dois me débrouiller seule.
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