Chapitre 36
La panique s'empare de moi pendant un court instant, jusqu'à ce que j'entende la voix de Daerôn percer le vent qui se lève. Il s'accroche aussi aux cordages du mât.
— Ils veulent encore tester notre esprit d'équipe !
Je lève la tête vers lui et lui lance un regard désespéré. Le ciel s'assombrit d'un seul coup et la pluie commence à tomber à torrents.
J'en ai plus qu'assez que les organisateurs des Jeux jouent avec la confiance que nous nous accordons les uns les autres. Elle est comme un élastique qu'on ne cesse de tendre ; elle va finir par se briser.
Je ne souhaite qu'une seule et unique chose : mettre fin à cette épreuve.
Cette fois, je ne vais pas me battre avec des coéquipiers qui peuvent me trahir à tout moment. Nous sommes tous dans la même situation. Si nous ne coopérons pas, la mer nous engloutira tous. Elle ne fera aucune distinction.
Non, aujourd'hui, je vais affronter la tempête qui se lève. Et je n'ai aucune intention de perdre.
Je prends mon courage à deux mains et rejoins Nathaniel, maintenant immobile sur le pont tandis que le navire tangue de plus en plus sous le rythme effréné des vagues. Lindorie me rejoint alors qu'elle a du mal à trouver son équilibre sur le bois mouillé du bateau.
— Je crois qu'il se connecte à la mer. Il doit sûrement lui ordonner de se calmer. Cela va lui coûter une énergie considérable.
J'aperçois Hélios le rejoindre et lui agripper l'épaule. Il manque de tomber plusieurs fois. Le conquérant d'Ouranix relève la tête et ses yeux prennent une teinte d'un jaune vif. Le vent s'apaise aussitôt. L'association de leurs deux énergies respectives leur permet de maîtriser le cataclysme.
Mais pour combien de temps encore ?
Je ne peux pas les laisser faire tout cela, seuls. Je dois bien pouvoir faire quelque chose pour les aider.
Une lumière vive m'éblouit alors que je réfléchis. Je peine à garder les yeux ouverts. Lindorie semble illuminer tout le pont. Elle lance des éclairs violets sans parvenir à se contrôler. Elle se plie en deux pour essayer d'arrêter le flot d'énergie qui l'enveloppe.
Quelque chose cloche dans sa posture. Elle a besoin d'aide.
Ardalôn me prend brusquement par le bras et me conduit dans la direction opposée.
— Éloigne toi d'elle. C'est dangereux.
— Que se passe-t-il ?
— L'eau salée augmente son pouvoir. Son électricité doit se déployer sous cette atmosphère humide. Elle ne peut pas se maîtriser.
— Quelqu'un doit l'aider ! je mexclame tandis que je tente de me libérer de l'emprise des bras de mon allié.
— Je m'en occupes ! lance Arwen alors qu'il est accroché à l'un des trois mâts.
Il s'approche d'elle et endure les coups d'électricité, les dents serrées par la douleur. Je regarde la scène, impuissante. Je ne peux qu'espérer qu'il saura apaiser son esprit pour écarter le danger qu'elle représente pour nous et pour elle-même.
Ardalôn et moi courons nous mettre à l'abri. Nous rejoignons le pont supérieur sur lequel est placé le gouvernail. Le pilote a du mal à garder le cap, comme si le bateau se rebellait sous ses mains.
Sindar se trouve violemment projetée après une vive secousse. En se rattrapant, son pouvoir se réveille et de la glace se répand sur le pont. Elle se propage et alourdit le navire. Je le sens déjà s'enfoncer dans l'océan.
Je sais qui peut résoudre ce problème.
— Daerôn ! je hurle alors que je le cherche partout.
Il se retourne rapidement à l'entente de son nom et comprend ce qu'il se passe. Il court vers Sindar et lorsqu'il arrive sur le pont gelé, la glace fond à chacun de ses pas. Mais au lieu d'être rassuré par l'arrivée du prince de feu, Sindar semble paniquée et la glace s'endurcit. Le pont ressemble bientôt à une grande patinoire.
Ardalôn crée de solide branche autour du gouvernail et renforce ainsi sa prise. J'entends Daerôn hurler vers Rassna. Sa voix est étouffée par le vent qui reprend de la force. Il lui demande de venir rassurer Sindar pendant qu'il fait fondre la glace.
— Je n'ai aucune envie de l'aider, crie-t-elle. J'ai déjà du mal à me tenir sur ce fichu rafiot, ce n'est pas pour consoler une poule mouillée que je concoure dans les Jeux ! s'énerve-t-elle.
— Tu vas te bouger tout de suite sinon je viens de chercher moi-même ! crie-t-il à son tour.
— Alors viens ! hurle Rassna comme réponse.
Aussitôt, elle est soulevée du sol et une force invisible la fait monter sur le pont supérieur près de Sindar. Bélèm est en train de la déplacer par la force de son esprit. Rassna reste sans voix, stupéfaite. Elle lance un regard assassin vers son transporteur et plus énervée que jamais se penche vers Sindar.
— Je suis une illusioniste noire, je ne sais pas rassurer les gens ! je l'entends se plaindre.
— Bien sûr que si ! Souviens-toi de comment tu t'y es prise avec moi quand on était petit. Fais-le maintenant ! ordonne Daerôn.
Elle soupire d'agacement et pose ses mains de chaque côté de la tête de Sindar.
J'ai l'impression que nous affrontons les forces de la nature depuis une éternité. Mes doigts perdent de leur force alors que j'essaye d'aider Ardalôn à maintenir le gouvernail avec le capitaine.
Une idée me vient à l'esprit.
— Bélèm ! je crie. Peux-tu nous déplacer ?
Il s'approche de moi alors que le bateau fait une embardée. Il se rattrape aux cordes des voiles qui se sont dénouées.
— Le navire est beaucoup trop instable. Je ne peux pas me concentrer !
Je lâche un soupir de désespoir. Je ne vois aucune solution à court terme et la tempête semble résister. Nathaniel et Hélios ont l'air épuisés. Leurs dos sont courbés et leurs genoux tremblent.
Tout le monde est déjà si occupé. Arwen temporise le pouvoir dévastateur de Lindorie. Daerôn et Rassna s'occupent de Sindar. Ardalôn et le capitaine se battent avec le gouvernail qui tourne dans tous les sens.
— Saeros ! je mexclame alors que j'aperçois le cousin de Daerôn.
— Hum ? répond-il dun ton morne.
— Tu ne pourrais pas faire quelque chose d'utile ? Arrêter le temps ou quelque chose qui pourrait nous sortir de cette tempête infernale.
Il se tourne vers moi, un sourire narquois collé sur ses lèvres.
— Vous observez, vous évertuer à combattre l'impossible, me prend déjà tout mon temps.
Je lui lance un regard outré. Je ne sais même pas pourquoi je lui ai demandé son aide.
— De toute façon, si j'arrête le temps, je n'en aurai le contrôle qu'un quart de seconde. Il y a trop de paramètres extérieurs à prendre en compte. Je suis impuissant comme toi.
Je décide d'ignorer sa remarque désobligeante. Il n'a pas conscience que ce qu'il peut faire, même si cela dure juste un instant, peut nous sauver la vie à tous.
— Téléporte-toi pour attacher les voiles ! je suggère.
Si le vent à moins de prise sur le bateau, nous aurons plus de facilité à le diriger et à se sortir de cet enfer.
— Tu veux ma mort ?! crie-t-il
— Si tu ne fais rien, nous allons tous y passer ! On n'a pas le choix !
Il lève les yeux au ciel et finit par disparaître. Je le revois en haut du mât et s'agripper dans les cordes pour replier les voiles.
Une grosse vague approche et semble vouloir engloutir le navire tout entier. Je me retourne vers Ardalôn alors que celui-ci me lance un regard affolé. Je comprends vite pourquoi.
Il tient dans sa main, une partie du gouvernail. A force de vouloir le maintenir, il a cassé un des embouts.
Je cours vers lui le plus vite possible et tente de redresser le gouvernail de toutes mes forces.
En vain.
Le navire se penche de plus en plus et je ne sais plus quoi faire. C'est alors que j'aperçois la corde enroulée autour du mât le plus proche.
Je ferme les yeux en priant pour que ce que je m'apprête à faire ne nous mène pas directement dans la tombe.
Je prends mon slard, coincé dans ma ceinture, et j'enroule la corde en son centre. Je fais attention à ne pas la faire entrer en contact avec les lames, j'enroule la corde autour du gouvernail pour le maintenir en position et je lance mon arme dans le mât.
La corde s'étire et redresse le gouvernail. Nous reprenons une position à moitié stable, mais beaucoup plus rassurante qu'il y a quelques minutes.
Saeros termine de s'occuper des voiles et le bateau se stabilise. Il se laisse entraîner par les vagues d'une hauteur vertigineuse. Ballottés par les flots, nous ne pouvons faire qu'une chose : attendre que la situation se stabilise.
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