Chapitre 31

Seule.

Je suis assise à même le sol. Derrière moi, se dresse une montagne gigantesque.

Où suis-je ?

Suis-je encore sur l'île ?

Je me lève et cherche les autres en les appelant par leurs noms. Personne.

J'ignore s'ils m'ont laissé, si j'ai disparu en un claquement de doigts ou si tout ceci était prévu par les organisateurs des Jeux.

Si les autres ne me trouvent pas, vont-ils partir à ma recherche ? Sont-ils un peu inquiets ?

Une partie de moi le voudrait. Mais je ne sais pas s'ils sont assez attachés à moi pour me secourir. Suis-je un fardeau pour eux ? Ont-ils pitié de moi ?

Pourtant, je commence à les apprécier. Ils sont comme des flocons de neige. Aucun d'eux n'est pareil, mais ensemble, ils sont plus forts. Dommage que personne ne s'en soit rendu compte. Pourquoi sont-ils toujours les uns contre les autres ? Ils pourraient s'unir contre Aegnor et se libérer de son emprise militaire.

Je tente de me relever. Mes genoux s'entrechoquent comme si mon énergie avait été drainée.

Je me sens faible...

Il y a un creux dans la roche en face de moi. Une grotte profonde et sombre. Dois-je m'y aventurer, m'éloigner de l'endroit dans lequel je me trouve ?

J'ignore même si nous sommes aujourdhui, demain ou hier. J'ai l'impression que je viens de me réveiller.

Combien de temps s'est-il écoulé depuis que j'ai été aspirée par cette force incroyablement puissante ? Un jour ? Une heure ? Une minute ?

Je sursaute lorsque j'entends une brindille craquer. Je ne dois pas être seule.

— Tiens, tiens, comme c'est intéressant...

Je le savais !

Je me tourne aussi vite que mes membres le peuvent et j'envoie mon slard vers le jeune homme qui me fait face, mais le temps semble ralentir et ma victime s'écarte nonchalamment.

Saeros.

— Mon piège a fonctionné, déclare-t-il tandis qu'il me lance un sourire satisfait.

— Ton quoi ? je demande alors que je le dévisage, horrifiée.

Je réfléchis rapidement. Au moins, je suis encore sur cette île maudite.

— J'ai créé une porte de téléportation. Je me suis dit que ça pourrait être drôle de kidnapper un adversaire. Je ne pensais pas que tu serais aussi bête pour tomber dedans, rétorque-t-il en me contournant.

Je n'aime pas son attitude condescendante. Si son piège est invisible, tout le monde aurait pu s'y faire aspirer.

— Pourquoi as-tu fait ça ?! je demande à bout de patience.

— « Tout est permis », n'est-ce pas ? Autant pimenter un peu les Jeux. Ça nous permettra d'avoir des informations, les indices qui nous manquent.

— Vous les avez trouvés ?

Si je peux lui soutirer des informations, je vais essayer détirer cette conversation le plus longtemps possible.

— Pas tous, mais puisque tu es là, tu vas pouvoir nous aider, répond-il avec un rictus méprisant.

— Ce n'est pas moi qui les ai, c'est Daerôn.

Je le fusille du regard avec toute la haine que je peux insuffler à mes yeux.

— J'aurais dû m'en douter. Mais il est bien trop inaccessible pour tomber dans mon piège. Tu ferais mieux de me suivre, déclare-t-il tandis qu'il déniche mon arme de l'arbre et commence à jouer avec.

— Non.

— Tu n'as pas le choix. Tu es perdue.

Il se retourne et se dirige vers la grotte mystérieuse. Il a raison. Je n'ai pas d'autre choix que de le suivre.

Mais ça ne veut pas dire que je vais l'aider.

J'entre dans la grotte et je me rends compte qu'ils ont établi leur campement à l'intérieur. L'air est froid et un frisson parcourt ma peau. Les parois sont irrégulières et plus nous avançons plus le plafond est bas. Je me baisse pour suivre Saeros qui marche rapidement sans savoir si je le suis. J'entends déjà le rire de Rassna et j'ai envie de casser quelque chose tant elle m'agace.

— Alors, Saeros, la chasse a été bonne ? glousse-t-elle.

Lorsqu'elle m'aperçoit, elle jubile. Je me retiens de ne pas la frapper.

Aram, l'Explorateur de Jyd, derrière elle, m'observe intensément. Il a les joues rosies par le froid et des fossettes creusent sa peau lorsqu'il m'adresse un sourire moqueur.

Rassna vient vers moi tranquillement d'une démarche de prédatrice. Puis, elle me gifle.

Je ne dis rien tant je suis choquée de son geste.

Soudain, Arwen sort de l'ombre et la fait reculer en la bousculant. Il pose un regard inquiet à l'endroit où elle vient de me frapper.

— Elwing, qu'est-ce que tu fais là ?

Ses prunelles m'observent et se déplacent à une vitesse folle comme si elles scrutaient chaque parcelle de mon corps.

— Saeros a créé une porte, je lui explique en fusillant l'intéressé du regard.

Il se tourne vers Rassna et ses yeux s'embrasent de colère.

— Je peux savoir ce qui t'as pris ?!

— Elle veut me voler Daerôn. Elle doit payer pour ça, affirme-t-elle.

C'est officiel. On peut être immature et princesse en même temps.

Arwen me fait à nouveau face.

— Je vais te faire sortir d'ici, chuchote-t-il afin que je sois la seule à l'entendre.

— Je peux savoir ce que tu fais, Arwen ? demande Rassna d'un ton plein de dégoût.

— Il faut qu'on la relâche. Tout de suite.

— Non, elle est trop précieuse pour ça, s'exclame Saeros pendant qu'il me prend les mains pour me ligoter.

— On doit décider de ce qu'on fera d'elle, s'écrit Aram à son tour.

Je fronce les sourcils. Comment un Explorateur peut-il se montrer si sûr de lui ?

— On pourrait la tuer, suggère Rassna.

Ses yeux me détaillent des pieds à la tête comme si elle cherchait déjà à m'assassiner. Son sourire se fait de plus en plus mesquin.

— Non ! On ne peut pas. Les règles
... commence à riposter Arwen.

— ...sont claires. On ne peut pas aider un autre candidat. Tuer un Conquérant peut avoir de graves conséquences politiques. Mais en ce qui concerne Dell, c'est différent. Si on la tue, personne ne la vengera, son peuple est indifférent. On aurait dû la tuer depuis longtemps déjà, sourit Rassna alors qu'elle saisit mon slard.

— On ne va pas la tuer, déclare Arwen fermement.

Il ferme les yeux et se concentre. Que fait-il ? Je n'ai jamais vraiment su qu'elles étaient les capacités des larniens. Rassna reste immobile sans savoir quoi faire. Comme si elle avait oublié toutes ses mauvaises intentions.

C'est probablement ce qui va me sauver la vie.

Finalement, après quelques secondes de silence, Saeros me fait reculer et m'arrache aux bras rassurants d'Arwen. Celui-ci me lance un regard inquiet et essaye de me rattraper, mais Saeros se téléporte avec moi. J'entends les dernières paroles de Rassna.

— Laisse nous faire, Arwen. On va bien s'occuper d'elle.

Je suis déjà trop loin. Je me retiens de ne pas hurler. Hurler de colère.

Qu'est-ce que je leur ai fait pour qu'ils m'emprisonnent de la sorte ?

Saeros me traîne sur la terre humide et me ligote au premier tronc d'arbre qu'il trouve en sortant de leur repaire.

— J'aurais dû piéger Daerôn, déclare-t-il tandis qu'il observe ses ongles vernis de noir d'un air détaché.

Je lui souris d'un air mauvais.

— Même si tu l'aurais voulu, tu n'aurais pas pu. Tu as beau être son cousin, tu es toujours l'ombre de sa flamme.

— Tais-toi ! crie-t-il.

Ses yeux sont fous de rage et je sais que je viens de prendre l'avantage et qu'il déteste ça.

J'ai l'impression d'être un monstre parce que je me délecte de cette victoire. J'ai l'impression de devenir comme lui et je le refuse. Je repousse ce sentiment étrange, loin de moi.

Saeros a beau être de la même famille que Daerôn, il reste le personnage secondaire. Et il hait, avoir ce rôle. C'est sans doute sa faiblesse. Une faiblesse que je dois exploiter pour me sortir d'ici.

La corde qui entoure mes poignets entaille ma chair et me brûle. Mon arme est restée dans leur antre. Je suis coincée et la nuit commence à tomber doucement.

*

Un souffle chaud dans ma nuque me fait sursauter. J'ouvre les yeux de surprise.

Arwen se tient à mes côtés. Il est endormi. Sa tête repose sur mon épaule. Je bouge le bras espérant le réveiller pour l'interroger.

Il ouvre doucement les paupières et me sourit.

— Salut.

Sa voix rauque, à peine éveillée, suffit à me réveiller entièrement. Ses cheveux châtains viennent caresser mon cou lorsqu'il se redresse complètement. Ses yeux reflètent la lumière de Torelle. Il est si proche de moi que je remarque de minuscules taches de rousseur sur son nez. Sa proximité ne me dérange pas et cela me surprend.

— Arwen ? Pourquoi ont-ils fait ça ? Quest-ce que j'ai fait ?

— Je n'en sais rien, mais ils m'ont ordonné de ne pas te détacher. Je voulais savoir comment tu allais, mais tu dormais et la fatigue m'a rattrapé aussi.

— Ils veulent que je leur donne des indices.

Il me sourit en pinçant les lèvres, d'un air coupable.

— Je crois que Saeros est obnubilé par la victoire, explique-t-il.

— Et Rassna me déteste.

— Oui, j'ai remarqué ! Mais Rassna déteste beaucoup de personnes, rit-il.

Son rire est chaleureux. Je me sens presque mieux après l'avoir entendu.

Nous gardons le silence pendant un moment. Puis il prend une de mes mèches de cheveux et joue avec. Je peine à respirer. Quest-ce qu'il lui prend ?

— Je crois que tu m'as sauvé la vie, je remarque, les yeux rivés sur lui.

— Tu me remercieras plus tard, sourit-il. Ils ne vont pas tarder à se réveiller. Je dois y aller.

Il me quitte après avoir remis mes cheveux derrière mon oreille.

Je reste assise plusieurs minutes sans bouger, peut-être même des heures. Jusqu'à ce qu'ils se décident à venir m'honorer de leur présence.

Saeros est le premier à sortir. Il me lance un regard empreint de toute la colère du monde. Rassna, quant à elle, me toise et Aram semble s'ennuyer.

Mon arme repose dans les mains parfaitement manucurées de Rassna et elle a l'air de ne pas vouloir me le rendre.

— Je ne sais toujours pas ce qu'on va faire de toi, mais tu peux être sûre que ça va faire mal, s'exclame-t-elle d'une voix cassante.

Je prends sur moi et inspire profondément même si l'envie de me jeter sur elle est très forte. Je n'ai plus l'âge de me bagarrer parce que quelqu'un me déteste pour des raisons futiles. Je laisserais tout ce qu'elle pourra me dire glisser sur moi.

— Je t'interdis de lui faire du mal, déclare Arwen, les dents serrées.

— Et moi, je t'interdis de rentrer encore une fois dans ma tête.

Puis soudainement, Rassna envoie mon slard dans ma direction. Je ferme les yeux tandis que l'arme se fiche dans le tronc à quelques centimètres de ma tête.

J'en ai le souffle coupé. Ma vie vient de défiler devant mes yeux.

Arwen se précipite vers moi. Son teint est tout pâle et il me lance un regard paniqué.

Rassna plisse les paupières, lui ordonne de se relever et d'arrêter de jouer la comédie. Les deux autres regardent la situation, Saeros avec un rictus satisfait, Aram avec indifférence.

Tout mon corps tremble alors qu'Arwen déniche mon arme avec vigueur. La seconde suivante, il se mord les lèvres et se plie en deux sous une douleur inconnue. Il porte ses mains à sa tête et je vois qu'il souffre d'une chose qui semble invisible.

Rassna glousse derrière lui. Saeros lui adresse un regard accusateur.

— Je t'interdis de sympathiser avec l'ennemi, rétorque-t-elle.

— Arrête, arrive-t-il à articuler.

— Rassna, ça suffit, ça ne sert à rien de blesser un de nos coéquipiers, déclare Aram.

— Tu crois que j'ai des ordres à recevoir de toi ? Je te rappelle que tu viens d'une planète naine et que tu es en vie uniquement parce que tu nous es utile, réplique froidement Rassna.

— Rassna, Arwen a compris la leçon, maintenant, répète Saeros.

Elle souffle d'exaspération et semble libérer Arwen de ses propres cauchemars.

— Laissez-le ! ordonne-t-elle. Cela lui apprendra à entrer dans mon esprit et à vouloir aider cette moins que rien ! Allons-nous-en, je ne veux plus les voir !

Elle s'éloigne vers leur refuge avec un air dégoûté, suivie par Aram et Saeros. Ce dernier se retourne pour me lancer un regard méprisant.

Je n'ai pas beaucoup de temps, je sais qu'un des leurs va revenir pour me surveiller. Je sais que je suis en sursis, mais j'ignore pour combien de temps. Je me penche vers le larnien.

Arwen gémit doucement. Ses cauchemars, ses peurs les plus profondes semblent encore le tourmenter.

— Tu n'aurais pas dû essayer de m'aider, je déclare d'une voix ferme.

Pourtant, je ne peux oublier la peur qui m'a saisi lorsque jai vu Rassna lancer mon arme vers moi. Arwen a tenté d'apaiser la situation et il a échoué.

Il relève lentement la tête, et je vois des gouttes de sueur perler sur son front. Ses mains tremblantes agrippent mon slard et il découpe lentement les liens qui me retiennent prisonnière.

— Tu es libre désormais, souffle-t-il avec difficultés.

— Pourquoi est-ce que tu m'aides ? je demande, surprise qu'il ne veuille pas tirer profit de ma capture comme le ferait Saeros.

— Parce que, commence-t-il, je crois que tu es différente. Tu as réussi le premier jeu, tu y as survécu.

Je m'apprête à le couper, mais il se relève tranquillement et se masse les tempes sans doute pour remettre de l'ordre dans son esprit.

— Laisse-moi finir, dit-il après avoir repris une meilleure posture. Ta détermination te rend intouchable. Je pensais que tu allais mourir, comme les autres delliens, mais ça n'a pas été le cas. Je t'ai mal jugée depuis le début. Je veux me racheter.

Je détourne les yeux, mal à l'aise. Je suis contente que son opinion ait changé. J'ignore si je dois reconsidérer mon point de vue sur lui, moi aussi. Il m'a aidé deux fois ; ici et juste après l'épreuve des peurs sur Vilaz. Cela, fait-il de lui un allié ?

— Avant que tu ne partes rejoindre ton équipe, je dois te dire quelque chose d'important.

— Je t'écoute, mais je n'ai pas beaucoup de temps. Je suis persuadée que Saeros va revenir pour essayer de me soutirer des indices.

— Sais-tu pourquoi les delliens sont tués chaque année ?

Sa question me déstabilise parce qu'il sous-entend que lui le sait.

— Non, je ne sais pas. Toi, tu le sais ? je demande avec une pointe d'espoir.

Vais-je savoir la raison qui motive les candidats à tuer mes semblables ?

Il fronce les sourcils et soupire silencieusement. J'ai l'impression qu'il mène un combat de conscience intérieur.

— Avant les Jeux, tous les Conquérants se réunissent pour discuter de Dell, avoue-t-il.

— Pourquoi ? je l'interroge à nouveau.

— On discute du sort du candidat dellien. Le roi Aegnor offre une liberté temporaire à la planète dont le candidat tuera le dellien. La pression ennemie est très forte sur certaines planètes et le choix est un luxe dont ils ne peuvent pas se permettre.

— Es-tu en train de me dire que la mort des participants de mon peuple est préméditée !?

Je le regarde horrifiée et dégoûtée. Ce n'est pas possible J'ai envie de fuir, de m'échapper de ce piège.

Il hésite à continuer ses explications.

— Il tire au sort le représentant de la planète qui doit s'en charger, reprend-il.

Je n'arrive pas à y croire tellement, c'est surréaliste. Pourquoi Aegnor fait-il cela ? Avec quelles intentions ?

Soudain, une pensée terrible s'insinue dans ma tête.

— Tu as déjà tué des delliens ? je lui demande alors que je me recule pour me protéger.

Ses yeux sont emplis de tristesse et de confusion.

— Je n'avais pas le choix. Ma planète aurait pu subir de grosses conséquences si j'avais refusé. Je devais sauver les miens. Elwing, s'il te plaît, essaye de comprendre.

Je secoue la tête de gauche à droite, les larmes aux yeux. Je ne peux pas lui faire confiance.

Je me souviens que les Conquérants sont aussi des pions dans les Jeux d'Aegnor, qu'il les manipule à sa guise. Pourtant, je ne peux pas laisser passer cet aveu qu'il vient de me faire.

— As-tu confiance dans les membres de ton équipe ? Que penses-tu de Daerôn ? me demande-t-il encore.

Ma respiration se bloque et pendant un court instant, j'ignore si je vais pouvoir reprendre ma respiration.

— Si tu dois me dire autre chose, fais-le, je déclare d'une voix étranglée.

Il s'approche de moi alors que je recule, à nouveau.

— Je suis désolé. Quand tu les retrouveras, fais attention à toi.

Un bruit de pas nous fait tous les deux sursauter. Arwen me lance un regard entendu et je m'enfuis le cœur aux bords des lèvres.

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