Chapitre 29

Nous sursautons lorsqu'un compartiment du poteau souvre. Un parchemin enroulé sur lui-même y est encastré. Daerôn s'en empare sans hésiter et le déplie. Ses mains sont fermes et ne tremblent pas contrairement aux miennes.

Que va-t-il se passer ?

— Bienvenue à cette première épreuve de l'île. Sur celle-ci, sont disséminés des indices qui vous permettront d'entrer le code final qui vous permettra de vous échapper. Le candidat qui aura choisi le numéro tiré au sort devra gagner le premier indice et le communiquer au plus vite à son équipe. Aucun échange de candidats ne sera toléré au risque d'une disqualification. »

Je relève la tête au moment où Daerôn croise mon regard. Je déglutis. Les épreuves vont s'enchaîner. Il reprend sa lecture.

— Voici la première épreuve : dans l'eau, vous trouverez un drapeau rouge. C'est ici que se tient l'épreuve. Le candidat choisi devra plonger dans une cage sous-marine aux barrières de plomb et trouver l'indice caché. Son temps est limité. Il lui faudra trouver l'indice avant que le sable du sablier ne s'écoule entièrement. Une fois que le candidat aura tiré sur la corde, située à droite du poteau, le sablier se retournera et le candidat aura remporté l'épreuve. Bonne chance !

Nous nous tournons vers Lindorie, après que Daerôn a terminé sa lecture. Elle est déjà toute pâle. Un silence angoissant s'ensuit.

— Je vais le faire à ta place ! s'écrit Nathaniel.

— Tu ne sais pas lire ?! « Aucun échange ne sera toléré » ! lui répond fermement Daerôn tandis qu'il lui plaque le parchemin sous le nez.

— Je me fiche de savoir si c'est toléré ou non ! Ce Jeux est censé être collectif, alors pourquoi doit-on risquer notre vie individuellement ?!

Nathaniel déchire le parchemin et commence à marcher vers la plage, bien décidé à faire lui-même l'épreuve.

— Nath ! sexclame Lindorie.

Elle le rejoint, déterminée, les poings serrés. Elle se hisse sur la pointe des pieds pour lui parler à l'oreille. Je vois Nathaniel froncer des sourcils et hocher de la tête. Pourtant, je n'entends rien. Je ne sais pas ce qu'elle lui dit. Il a l'air concentré.

Il l'a prend finalement dans ses bras en grimaçant de douleur et ils nous rejoignent tous les deux. Pendant ce temps, Daerôn est resté silencieux, mais pas mon cœur. Il n'a cessé de battre à l'instant où je me suis retrouvé seule avec lui. J'ignore ce que cela signifie, j'ignore s'il bat parce que j'ai peur ou pour une autre raison. J'ignore si j'aime l'entendre cogner aussi rapidement contre ma cage thoracique. Et je déteste cette ignorance.

— Ne restez pas sur le rivage, abritez-vous dans la forêt. Il va y avoir des étincelles ! s'ecrit-elle.

Nous lui obéissons, conscients du danger qu'elle représente. Elle tire de toutes ses forces sur la corde et court en direction des vagues. Elle plonge gracieusement dans l'étendue bleue et je ne la vois plus. Je me demande si elle a réussi à pénétrer dans la cage. Si elle a assez de souffle, si elle a besoin d'aide. Ces questions se multiplient à mesure que le temps défile, que j'attends alors que les grains de sable tombent un à un dans le sablier. Daerôn fixe l'endroit où Lindorie a disparu et Nathaniel se lève pour faire les cent pas. Les secondes me paraissent être des minutes puis des heures.

Que doit-on faire si elle ne remonte pas ? Si elle se retrouve coincée dans cette boite sous-marine ? Devrons-nous continuer alors qu'il nous manque un membre de l'équipe, alors qu'elle est morte noyée ? Pourrais-je continuer avec cet horrible fardeau sur les épaules ?

J'ai l'impression d'attendre depuis des jours entiers jusqu'à ce qu'une masse rousse fasse son apparition entre les rochers. Mon souffle, jusqu'alors bloqué, reprend son rythme régulier. Mes épaules se détendent et je me relève.

Elle a réussi. Elle est en vie.

Je m'apprête à aller la rejoindre quand une main m'attrape fermement le bras et m'oblige à me rasseoir.

— Ce n'est pas parce qu'elle n'est plus dans l'eau que le danger est écarté, me réprimande Daerôn de sa voix chaude.

Je la vois courir à en perdre le souffle, tirer sur la corde de gauche pour arrêter le sablier et s'écrouler au sol d'épuisement. Je n'ose pas l'approcher de peur de me blesser par l'énergie qu'elle dégage. Nous attendons impatiemment qu'elle retrouve ses forces, seule. Je bous de l'intérieur. Ça me ronge de la laisser souffrir sans rien faire. J'ai l'impression de ressembler à la femme dans le deuxième Jeu. Celle qui me regardait, qui se délectait de ma souffrance

Elle relève soudainement la tête nous faisant signe que nous pouvons approcher. Je pose un pied sur le sable puis l'autre. Des petites étincelles s'emparent de mes chevilles. Ce n'est pas douloureux, mais ce n'est pas agréable non plus.

Nous décidons ensemble de faire une pause sur la berge avant de repartir. Lindorie est épuisée et Nathaniel est encore fragile. Je m'assoupis pendant un court instant sous le soleil de Namus.

Deux bras puissants enserrent ma taille et me soulèvent du sol.

— On n'a pas le temps de s'éterniser ici. Il faut qu'on aille sur le lieu de la deuxième épreuve, me chuchote Daerôn.

Un frisson parcourt ma peau. Non, je ne veux rien ressentir à ces mots, à ces gestes ! Je lui ordonne de me poser, il ne m'écoute pas et me porte comme une princesse en détresse. Il faut qu'il arrête de me prendre pour une fille fragile. Je peux me défendre et je peux marcher. Je vois une grimace sur son visage. Soit, je suis lourde, soit il a mal à cause des étincelles. Peu importe, c'est lui qui a décidé de me porter, il en subira les conséquences.

Nous quittons la plage et nous nous dirigeons à nouveau dans l'étendue verte des arbres derrière nous. Daerôn me repose à terre et je le fusille du regard. Il me sourit d'un air taquin. Je décide de l'ignorer.

J'interroge du regard Lindorie et Nathaniel sur la suite des évènements. Lindorie déplie un papier devant moi. Cest l'indice écrit sur un morceau de papyrus.

« Autour de Titan »

Qu'est-ce que cela peut signifier ? Est-ce une énigme ? Est-elle complète ? Faut-il l'assembler aux autres indices que nous devons trouver ?

— Où va-t-on ? je demande à Nathaniel qui a repris des forces.

— A la prochaine épreuve.

Il rattrape rapidement Lindorie et passe un bras autour de ses épaules. Il la console, la rassure. Ce que je n'ai pas fait à son retour. Je suis une amie pitoyable.

Je me retrouve à nouveau avec Daerôn qui tranche l'écorce des arbres que nous dépassons de son petit couteau fourni dans sa tenue des Jeux.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je marque le chemin pour qu'on ne se perde pas, répond-il d'une voix qu'il veut rassurante.

— Où se trouve la deuxième épreuve ?

— Au nord, sur les falaises de cristal, déclare-t-il alors qu'il me dépasse.

— Comment le sais-tu ?

J'ai presque l'impression de mener un interrogatoire avec toutes mes questions.

— On a reçu une autre flèche pendant que vous dormiez avec Nathaniel.

Il marque, à nouveau, l'écorce de l'arbre à notre droite.

Je soupire. La fatigue m'a encore gagné alors que j'aurais pu faire le guet. Argh ! Je m'énerve moi-même. C'est comme si mon corps refusait de faire ma volonté. Comme s'il refusait que je joue mon rôle dans l'équipe.

Mais quel est mon rôle au juste ?

Nous arrivons après une heure de marche sur les falaises du Nord. Un poteau en bois nous y attend. Nous nous rassemblons autour. Je me demande quel chiffre sera tiré au sort. Et si un numéro apparaît et qu'aucun de nous ne l'a choisi, que se passera-t-il ?

— Prêts ? demande Daerôn

Nous lui répondons, à la fois excités et terrorisés.

Qu'est-ce qui nous attend, dans ce compartiment secret ? Quelle épreuve sera inscrite sur le papyrus ? Nathaniel tourne la manivelle de toutes ses forces. Les chiffres défilent à une allure affolante à tel point que je me demande s'il n'a pas cassé le mécanisme. Finalement, le tour ralentit et s'arrête sur le chiffre 5. A peine ai-je le temps de paniquer que le compartiment s'ouvre déjà, vomissant son contenu au sol.

Lindorie le ramasse et me le tend un sourire bienveillant aux lèvres.

— Si j'ai réussi, tu peux réussir, Elwing, m'assure-t-elle avec un petit sourire encourageant.

Je prends le papier entre mes doigts et je le déplie lentement, repoussant le moment fatidique où je devrais jouer avec ma vie.

« Voici la deuxième épreuve : le grand saut. Le candidat choisi, au hasard, devra attacher la corde qui pend sur votre gauche à ses chevilles et sauter dans le vide. Quand il sera suspendu, il devra récupérer l'indice accroché à un rocher de la falaise en contrebas et le communiquer à ses coéquipiers. Comme l'épreuve précédente, le temps sera limité. »

Ma voix est chevrotante. Je suis maudite. Je ne peux pas supporter les hauteurs et les cordes me font penser au cauchemar que j'ai dû affronter dans le jeu précédent. Je touche du bout de mes doigts glacés mon cou en me rappelant la sensation détranglement et les brûlures que le torélien a mis du temps à guérir.

Je vais devoir sauter dans le vide.

Jamais je n'aurais cru que les paroles de Nesto, le majordome, deviendraient réalité le lendemain. Je me sens blêmir sous les regards curieux de mes camarades. Aucun d'eux ne répond, aucun d'eux ne se propose pour le faire à ma place même si je sais que c'est impossible. C'est mon devoir de le faire, d'affronter une nouvelle fois ma phobie. Je dois le faire pour eux, pour l'équipe, mais je dois aussi le faire pour moi. Pour me débarrasser de cette peur qui m'immobilise au sol, qui m'empêche de voler.

Nathaniel m'observe d'un regard contrit et compatissant, Lindorie me tient la main pour me rassurer et Daerôn me fixe, déterminé, pour me donner courage. Je prends une grande inspiration et commence à marcher vers le poteau pour tirer la corde du sablier. Daerôn me bloque soudain le passage.

— Tu n'es pas obligé de faire ça, si tu ne te sens pas prête. On peut essayer de faire une autre épreuve

Je lui souris faiblement. Bien sûr que je suis obligée de le faire. Le hasard m'a choisi, il m'a défié. C'est à mon tour de l'affronter. J'inspire profondément et des larmes viennent perler aux coins de mes yeux. Daerôn prend mon visage entre ses mains et les essuie de ses pouces.

— Pourquoi, on doit faire tout ça, Daerôn ? C'est quoi le but des Jeux ? Pourquoi Aegnor nous fait-il subir tout ça ?

— Je suis désolé que tu doives endurer ça. Je peux t'assurer qu'il n'y a qu'Aegnor qui y prends réellement plaisir. Je te promets que c'est bientôt fini, déclare-t-il tandis qu'il me caresse la joue.

— Ce ne sera jamais fini. On est des pions, Daerôn.

— Je te promets que tout ça, va bientôt cesser, affirme-t-il, la mâchoire serrée.

Son regard est déterminé et ses yeux brûlent de colère. Il en a assez de ses Jeux, de son père. C'est ce que je lis dans ses iris brillantes.

— Tu pourrais abandonner, rentrer chez toi. Tu seras en sécurité.

Ses mains se posent sur mes bras et glissent vers mes poignets. Je respire rapidement sans m'en rendre compte et je suis sûre qu'il sent mon pouls gronder contre ma peau.

— J'ai signé, je souffle.

Je ne mens pas. J'ai vraiment signé un contrat qui m'oblige à participer aux Jeux du début à la fin à moins que la mort ne m'empêche de continuer.

— Nous aussi on a signé, avoue-t-il à demi-mots.

Il plante son regard aussi brûlant que Titan dans le mien. Ses pupilles m'examinent et je suis calciné de l'intérieur. Ma peau brûle à chaque endroit où ses yeux se posent. Je suis perdue dans des sentiments contradictoires. Ce que je ressens pour lui est un mélange d'admiration, de respect et de crainte. Je n'ai pas le droit de m'attacher à lui, de le considérer comme un ami.

Je m'écarte soudainement de lui, laissant mon cœur vide. Pourquoi est-ce qu'il bat toujours plus fort quand je me trouve proche d'un participant qui me manifeste de la sollicitude et de l'empathie ? J'ai l'impression de mener une bataille intérieure qui ne finit jamais. Je dois me concentrer sur ma mission. Survivre. Sauter dans le vide. Faire le grand saut pour sauver mon équipe. Ils ont beau avoir signé un accord eux aussi. Ils seront en vie à la fin, même s'ils acceptent de jouer aux pions dans le jeu du roi Aegnor.

Moi, c'est différent.

J'ai signé avec l'encre de mon âme.

Sans regarder mes camarades, je tire d'un coup sec sur la corde pour déclencher le sablier qui se retourne en un bruit sec. Je n'ai pas beaucoup de temps.

Daerôn me regarde avec des yeux effarés. Il ne s'attendait pas que je le fasse sur un coup de tête. Il se recule pour me laisser agir. Je m'empare de la corde un peu trop rapidement pour mon cerveau qui n'est pas prêt. Je m'approche du bord de la falaise et commence à m'attacher les chevilles de la corde élastique.

C'est une vraie torture.

J'ai le sentiment d'avancer vers le peloton d'exécution. Je décide de ne pas écouter les battements fous de mon organe vital. J'ai l'impression d'être vide et de ne ressentir que mon cœur transformé en balle rebondissante. Je l'entends dans mes oreilles, je sens son pouls dans mes mains tremblantes, dans mes genoux qui s'entrechoquent, dans mes dents qui claquent entre elles.

J'ai peur. Je suis terrorisée.

Une fois que j'ai bien fait le nœud et que je me suis assurée qu'il ne lâchera pas, je me relève difficilement. Heureusement, Lindorie vient me soutenir pour que je retrouve mon équilibre. Je l'intime du regard de me laisser me débrouiller seule et elle recule. Nathaniel crie au loin.

— Ne regarde pas en bas !

Évidemment, c'est la première chose que je fais et j'ai envie de vomir. Le froid des hauteurs me mord les joues. Mon nez me pique et mes doigts rougissent pour devenir des glaçons. Le vent fait claquer mes cheveux contre mon visage.

— Merci d'écouter mes conseils, rétorque Nathaniel sur un ton sarcastique.

Je me trouve à environ 200 mètres de hauteur. Je vois les vagues s'écraser contre les rochers en contrebas et j'ai l'impression que ce sera mon destin dans moins d'une minute. Je ferme les yeux pour arrêter de regarder, mais le paysage est gravé dans ma mémoire. Je peine à respirer correctement. Je suis en train de commettre la pire erreur de ma vie.

Et soudain, je pense à ma mère. Est-ce qu'elle me voit en ce moment ? Il doit y avoir des caméras partout en train de filmer toutes mes réactions en direct. Je m'accroupis au sol et je pleure. J'essaye d'évacuer la peur par les larmes, mais rien ne se produit et je me sens ridicule. Je me redresse et plonge. J'ignore quelle force, ni quelle volonté ma poussé.

La chute libre est vraiment le moment le plus pénible. Mes émotions s'entrechoquent dans mon esprit et je suis trop terrorisée pour crier. Je ne maîtrise plus rien. J'offre mon corps au vide et lui m'aspire tout entière. Je vais rejoindre la mer, la tête la première, j'en ai la conviction. Jusqu'au moment où l'élastique fait son boulot. Je me sens libérée. La tension emmagasinée sur mes épaules se relâche et je ris. Je hurle de bonheur. Je viens de vivre un ascenseur émotionnel incroyable. J'écarte les bras et me délecte de la sensation de voler. Je ne regarde pas en bas, je regarde la mer à perte de vue et c'est magnifique. J'en ai le souffle coupé.

J'en oublie presque la mission. Je cherche l'indice partout. Sur les bords de la falaise, sur les rochers. Finalement, je vois un morceau de papier accroché entre deux rochers noirs. Je me cambre pour me saisir de la corde avec mes deux mains. Elles brûlent à cause du frottement de la corde. Je gémis de douleur, mais je réussis à attraper le papyrus et le serre fort entre mes doigts pour lempêcher de s'envoler. Je me hisse en haut de la corde et agrippe le bord de la falaise. Je me relève et pose mes pieds sur la terre ferme. Je n'ai jamais été autant heureuse de revoir le sol.

Je cours jusqu'au poteau et tire sur la corde de gauche. Le sablier dépose son dernier grain de sable et je gémis de soulagement. Je cours vers Lindorie, Nathaniel et Daerôn et les enlace brusquement en poussant des cris de joie.

— J'ai réussi !

Ce sont les seuls mots que je parviens à prononcer pendant que mon cœur se remet en place.

— L'indice ! Tu as l'indice ? crie Daerôn.

Je lui tends le morceau de papier coincé entre mes phalanges. Il est chiffonné, mais facilement lisible.

Nathaniel s'approche de Daerôn et Lindorie me serre les mains pour me féliciter. Je lis l'indice par-dessus l'épaule de Daerôn.

« Planètes unis »

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