Chapitre 26

La première musique apparaît aussi douce qu'un premier flocon d'hiver.

Un jeune homme apparaît devant notre table. Il porte un smoking très élégant et me salue d'une révérence distinguée.

— Puis-je vous demander votre première valse ?

Je reconnais le timbre de voix du larnien. Ses yeux argentés semblent retranscrire un sourire derrière son masque qui cache la moitié de son visage. Il m'entraîne sur la piste où plusieurs couples dansent en rythme, une main au creux de mes reins. Je mets la mienne sur son épaule comme me l'a appris Nesto. Il prend délicatement l'autre et hausse les sourcils comme pour me lancer un défi. Je le laisse me guider en harmonie avec la musique. J'ignore pourquoi il m'a invité à danser avec lui. J'ai l'impression qu'il n'est pas du genre à sympathiser avec les autres. Il a toujours un air impassible collée au visage, si bien que personne ne sait ce qu'il pense, ni ressent.

— Je voulais vous remercier pour hier, je déclare alors que je capte son regard froid.

Pourtant, il me sourit rapidement tandis que ses yeux m'examinent.

— Et moi, j'imagine que je vous dois des excuses, avoue-t-il.

J'attends qu'il continue. Cette conversation entre nous est étrange. Je voulais juste le remercier. Que va-t-il me dire ? De quoi veut-il s'excuser ?

Je m'efforce de suivre gracieusement les mouvements d'Arwen alors qu'il me fait tourner sur moi-même.

— Mes paroles n'ont pas reflétées le fond de mes pensées. J'ignorais que vous iriez aussi loin dans les Jeux. Veuillez accepter mes excuses.

Est-ce qu'il essaye de s'excuser de l'attitude étrange qu'il a manifesté depuis le début envers moi ? Il arrête de danser pour me regarder tout en attendant ma réponse. Son regard est hypnotique. Je décide d'accepter ses excuses. Après tout, sans son aide, je ne serais certainement pas dans l'état dans lequel je me trouve aujourdhui. D'ailleurs, je ne préfère pas imaginer l'état dans lequel je pourrais me trouver.

— Les évènements que vous évoquez sont déjà oubliés, je réponds.

Son sourire reconnaissant me donne l'impression de tomber de dix étages. Il se rapproche de moi et me glisse quelques mots à l'oreille afin que moi seule puisse l'entendre.

— Je suis désolé, Elwing. Je me suis comporté comme un idiot. Je donne l'impression d'être dur et froid, alors que ce n'est pas le cas.

Je hoche la tête et espère qu'il séloigne un peu de moi. Je me sens à la fois ravie et mal à l'aise à sa proximité.

Arwen doit le sentir puisqu'il se redresse aussitôt.

— A bientôt, Elwing, me salue-t-il rapidement.

Il s'éloigne et je sens comme un vide s'emparer de moi. Je secoue mes épaules pour tenter de le chasser. Qu'est-ce qui me prend tout à coup ?!

J'ai besoin de me rafraîchir. Je me dirige vers le bar. L'homme qui sert les boissons, s'empare gracieusement d'un verre.

— Qu'est-ce que je vous sers, ma jolie ?

J'écarquille les yeux. Je reconnais ce ton enjôleur et cette chevelure sauvage.

— Nathaniel ?

Ce dernier relève son masque doré et me sourit.

— Ma chère dellienne, tu es là ! As-tu soif ?

— Qu'est-ce que cest ? je demande alors que je désigne du doigt une bouteille au liquide rose.

— Un alcool vilazan. Je t'en sers un verre ?

Nathaniel ne semble pas respecter le protocole du vouvoiement. J'en suis soulagé. Devoir employer un langage guindé, sans arrêt, est épuisant.

— J'ai hâte de te voir pompette ! s'exclame-t-il.

— Dommage pour toi, je supporte très bien l'alcool, je réplique après avoir pris mon verre de cristal.

— Intéressant.

Je lève les yeux au ciel. Ont-ils, tous, ce mot à la bouche lorsqu'ils me voient ?

Je marche vers la foule de convives. Je cherche quelqu'un à qui je pourrais parler pour ne pas me sentir seule.

J'essaye de me faire la plus discrète possible parmi ces étrangers. Ma robe vermeille ne me facilite pas la tâche. Quelle idée d'avoir choisi cette couleur ! A quoi je pensais ?

Quelqu'un m'agrippe rapidement le bras et me fait me retourner brusquement. Il n'y a aucune douceur dans ce geste et je m'interroge sur l'identité de cet homme grand et imposant qui se tient face à moi. Sa couronne proéminente est tellement clouée sur sa tête que je suis sûre que personne n'aurait la force de lui dérober. Il ne possède aucun masque, mais quelque chose me terrifie sur son visage. La moitié est blanche, ridée et humaine. L'autre est recouverte par des écailles vertes. Ses yeux rouges me transpercent tels des lasers. Je déglutis difficilement. Que me veut-il ? Je cherche à fuir son regard en détournant le mien, mais il me serre le bras davantage.

— Elwing, j'ai beaucoup entendu parler de vous.

Je suis clouée sur place. Sa voix est froide, glaciale. Elle fend l'air comme un couteau lancé sur sa cible. Je redresse le menton prêt à l'affronter. Il n'est plus question de fuir à présent.

— Bonsoir, Votre Majesté. A qui ai-je l'honneur ? je demande d'un ton que j'espère neutre.

— Tu ne sais donc pas qui je suis ?

Je marche sur des œufs. Si je réponds non, je vais me faire tuer sur place à cause de ses yeux revolver et si je réponds par l'affirmative, je vais m'enfoncer à des dizaines de mètres sous terre. Comme je n'arrive pas à décider quoi lui répondre, je me contente de sourire.

— Ne fais pas, l'idiote. Tu sais qui je suis. Tout le monde le sait et me craint, déclare-t-il alors qu'il s'abaisse à mon niveau.

Son haleine à l'odeur du papier brûlé. Ce n'est pas agréable du tout. Je n'ose pas respirer par peur de lui tousser au visage.

— Je suis le grand, le magnifique, le puissant Aegnor.

Je cligne des yeux plusieurs fois avant de me rendre compte que le plus grand dictateur cruel de l'univers se tient devant moi et m'enserre le bras. Je me dégage rapidement de sa poigne et retiens ma respiration. Je tremble de tous mes membres et je commence à prier silencieusement.

Pourquoi veut-il me voir ? A-t-il l'intention de me menacer ? De me tuer ? Je m'attends à recevoir les pires menaces qui peuvent exister. Et toutes les suppositions du monde s'emmêlent dans mon esprit.

— Félicitation pour tes petites victoires, déclare-t-il d'un ton méprisant.

Ma mâchoire tombe au sol. Mes yeux s'agrandissent et j'ouvre la bouche pour parler, mais rien ne sort. Jamais je n'aurais cru recevoir des félicitations de ce seigneur qui effraie tous les habitants du Cercle.

— Heu... Je.

Ma bouche a décidé de faire carrière solo et mon cerveau commence à le comprendre. Je me mords la lèvre pour ne rien dire d'inconvenant.

— Dommage, que les choses se corsent pour la suite. Je vais pouvoir me délecter de ton échec, s'exclame-t-il tandis qu'il fait claquer sa langue contre son palais.

Il a l'air satisfait de sa réplique. Je crois que je suis en train de me matérialiser en statue. Mon cou me brûle, chacune de mes cellules se trouve carbonisée en un instant. Je ne pensais pas qu'un homme pouvait faire naître un sentiment de peur aussi puissant.

Mes genoux s'entrechoquent et j'ai presque envie de m'enfuir en pleurant.

Il est clair que le roi Aegnor voudrait que j'échoue. Comme la plupart des gens ici. Mais je ne vais pas laisser un roi dicter ce que je dois faire. C'est ma vie, pas la sienne et il est hors de question qu'il la contrôle à ma place.

Il veut me tuer, qu'il le fasse ! Mais s'il en vient à s'en prendre à Dell, ma planète, où des gens innocents essayent de vivre en paix, je renaîtrai de mes cendres.

Je crois que j'ai compris.

Je suis la raison qui l'empêche de prendre Dell et tant que je vivrai, il ne pourra pas la conquérir complètement. Est-ce lui qui a fomenté l'assassinat des sélectionnés delliens ?

Ma participation crée une barrière dans ses objectifs de conquête. J'appartiens aux Jeux et comme je représente ma planète, elle et moi sommes dans une sorte de bulle protectrice durant la compétition. C'est pour ça que je dois continuer les Jeux.

Je reste immobile pendant cinq bonnes minutes avant que quelqu'un ne me bouscule et me souffle au visage. Mon interlocuteur porte un masque vert clair composé de formes géométriques.

— Les vieilles statues, on les enferme au grenier, déclare-t-il d'un ton aigu.

— Ardalôn ?

— Lui-même, répond-il en titubant. Pourquoi tu restes immobile ?

— Je viens de faire connaissance avec Aegnor je réponds, encore sous le choc.

— Et comment ça s'est passé ? demande-t-il tandis qu'il s'appuie sur moi.

— C'était...

— Intéressant ?

— Si tu prononces encore une fois ce mot, je te frappe !

Il me lance une mine boudeuse. Je fronce les sourcils.

— Je croyais qu'on ne devait pas se parler en public, je lui fais remarquer.

— J'ai un masque, ma petite dame ! dit-il, le doigt pointé fièrement vers son visage.

J'observe son accoutrement. Il porte un smoking vert émeraude, une cravate trop lâche et les lacets de ses chaussures sont à moitié défaits. Il n'est pas dans son état normal.

— Jamais je n'aurais imaginé que tu serais ivre.

— Je ne suis pas ivre, je mappelle Ardalôn.

Je ris à gorge déployée. La situation est tellement ridicule. Je regarde Nathaniel au loin qui s'esclaffe en nous observant. J'ai l'impression qu'il n'est pas tout à fait innocent. Ardalôn casse des verres en cristal avec ses grands gestes. Il rigole et se reprend en disant « chut » tout en se couvrant un il de son index. J'arrive à le faire s'asseoir sur une chaise et il se calme.

— Mesdames, messieurs ! L'heure est venue de choisir votre numéro pour la danse anonyme ! Tous les candidats aux Jeux sont conviés ! Chaque femme prendra un numéro dans ce bocal et les hommes feront de même de ce côté-ci.

Je reconnais la voix enjouée dArcadio, lIllusionniste Noir. C'est lui qui doit être chargé danimer la soirée. Cette fois, il porte un pantalon moulant, aux rayures noires et blanches et une chemise à volants. Il a maquillé ses yeux de noir et sa peau est poudrée de blanc.

— Chaque personne devra se placer sur son numéro et danser avec le candidat qui se placera en face d'elle. Quel sera votre partenaire ? Un prince ? Une lady ? C'est le hasard qui décide ce soir ! Alors parez-vous de vos plus beaux atours, c'est peut-être le début d'une histoire !

Suis-je vraiment obligée de danser avec un inconnu ? Si je tombe sur Aegnor, je crois que je vais me liquéfier sur place.

Je m'avance tout de même vers le bocal avec les numéros et en tire un. J'ignore pourquoi les vilazans aiment tant les jeux de nombres et de hasard, mais je commence à me lasser.

Je me place et j'attends mon partenaire. La musique démarre et je sais déjà que je ne sais pas danser sur cette mélodie. Mon partenaire avance au même pas que le mien. L'inquiétude qui envahit ma chair me fait bouillir. Le jeune homme marche dignement vers moi. Sa couronne dorée et sa posture royale me font deviner qu'il s'agit d'un prince.

Est-ce que je le connais ? Lui ai-je déjà parlé ?

Il porte un smoking entièrement noir et une cravate vermeille de la même teinte que ma robe. Son masque noir recouvre tout son visage. Pourtant je crois reconnaître la teinte de ses yeux.

Nos corps se rejoignent enfin et je glisse ma main gantée dans la sienne. La musique qui est jouée ressemble à celle d'une valse. Pourtant, lorsqu'il fait un pas, je suis perdue. Je vois à sa grimace que je viens de lui marcher sur le pied. J'ouvre de grands yeux, paniquée et honteuse.

— Je suis désolée, je n'ai pas l'habitude de danser ce genre de chose, je m'exclame, complètement perturbée.

Il me sourit en retour, ne laissant apercevoir aucun signe de douleur. Il m'enserre la taille, place ma main sur son épaule tandis que la sienne se pose au creux de mes reins et me parle doucement.

— Vous n'avez qu'à me suivre, mademoiselle, murmure-t-il. Je suis désolé que vous ayez à subir cette danse en ma compagnie.

— Pourquoi ? Vous semblez bien plus doué que moi ! je m'exclame tentant un trait d'humour.

— C'est aussi ma première fois, m'avoue-t-il timidement.

— Je croyais que toutes les planètes devaient assister à ce genre de cérémonies lorsqu'elles ont lieu.

Il passe sa main autour de ma taille plus fermement pour me soutenir. Je ferme les yeux un instant. Je viens clairement de sous-entendre qui je suis.

— Oui, j'y assiste, mais je ne danse jamais.

— J'ai l'impression de vous avoir déjà vu, nous connaissons-nous ?

Il me fait virevolter, caresse de son pouce le dos de ma main et se penche vers moi.

— Si je vous révélais mon identité, à quoi me servirais, ce masque ridicule, comme le vôtre ?

— Vous insinuez que mon masque est ridicule ? dis-je, un début de sourire aux lèvres.

— Non, bien au contraire.

Il m'entraîne à nouveau dans des pas effrénés que je peine à suivre. La cadence se fait plus rapide et je trébuche. Il me rattrape d'une main ferme. Je m'agrippe à son cou pour éviter de tomber. Son masque se déplace légèrement me laissant apercevoir totalement ses yeux dorés et sa mâchoire carrée. Je me sens perturbée.

— Serait-ce une tentative pour me démasquer ? rit-il lorsqu'il me rapproche de lui.

— Non, bien au contraire, je rétorque en reprenant ses précédentes paroles.

Il me lance un sourire en coin et nous reprenons notre danse.

— Je suis honoré de vous avoir pour partenaire.

Je n'ai pas l'habitude de recevoir autant de compliments dans la même soirée.

— Serait-ce une tentative pour me séduire ? je demande alors que jessaye de plaisanter pour me détendre.

— Peut-être, sourit-il.

Il prend une mèche de mes cheveux entre ses doigts et la remet derrière mon oreille dans un geste tendre et doux pour se pencher vers moi.

— Sachez qu'avec un masque tout le monde peut devenir n'importe qui.

Puis après avoir baisé ma main délicatement, il me salue et se retire au travers de la foule. Que voulait-il dire ?

— Mesdames, Messieurs ! Quelle émotion !

Les cris d'Arcadio me font sursauter et je manque de renverser le plateau du serveur qui est juste derrière moi.

— Notre soirée touche à sa fin et je regrette de ne pas pouvoir tous vous admirer encore une fois tellement vous êtes magnifiques. Nous nous apprêtons à rendre hommage à nos planètes, par une minute de silence. Dans quelques instants, nos planètes s'aligneront dans un même axe et nous serons tous unis.

Le silence s'installe doucement et je ressens un sentiment de plénitude et de sérénité profonde. Quelque chose vibre dans le creux de mon cou. J'ouvre les yeux, curieuse. La pierre de mon pendentif s'illumine légèrement et vibre sur ma peau. Un frisson agréable me parcourt tout entière et je me sens bien. Mon pendentif a déjà brillé auparavant. Quand jétais petite, je pensais que c'était à cause d'une émotion forte et que les battements de mon cœur résonnaient à l'intérieur.

— Nous sommes fier du courage que manifestent tous nos candidats ! C'est pourquoi, pour clôturer cette sublime soirée, nous vous offrons le verre des Jeux. Un alcool précieux que nous produisons chaque année pour vous rendre honneur. Veuillez-vous approcher et vous délecter de ce sérum délicieux !

Je m'approche comme les autres joueurs et je remarque mon partenaire mystérieux s'avancer également.

Il porte un bracelet avec un soleil. Je nai plus aucun doute.

Je bois le sérum amer avec une grimace et l'obscurité m'envahit.

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