Chapitre 24
Quand jouvre enfin les yeux, je suis assise sur une chaise en métal rouillé, à moitié cassée. Un des pieds est sur le point de se briser si je gigote trop. Je regarde autour de moi. Je suis dans une pièce sombre et je sens un vent glacial me hérisser les poils. J'essaye de me protéger les yeux du froid, mais je n'arrive pas à bouger. Je réalise que mes mains sont solidement attachées au dossier du siège avec une corde rigide. Mes pieds le sont aussi aux pieds de la chaise. Je commence à paniquer. Où suis-je exactement ? Pourquoi suis-je ligotée ? Et surtout qui ma attaché ? Un goût de bile me remonte dans la gorge, je ne parviens pas à déglutir. Un chiffon est coincé dans ma bouche et moblige à respirer par le nez. Je ne peux même pas crier pour demander de l'aide.
Il m'est impossible de bouger au risque de tomber de mon siège. De plus, avec les mains attachées, je risque de me briser le nez. J'ai mal au cou. Je remue les épaules lentement pour savoir ce qui me l'enserre.
Une corde.
Je lève la tête. La corde est accrochée au plafond. Je baisse les yeux pour regarder le sol. J'en suis loin. Le siège sur lequel je suis assise est placé sur un piédestal. Je commence à comprendre. Ça me glace le sang, ça m'oppresse et me terrorise. Je ne peux pas implorer de l'aide et je ne peux pas me libérer. Je dois attendre. Attendre que quelqu'un me libère ou qu'une personne frappe la chaise pour qu'elle se brise et que je meure pendue.
La libération ou la mort.
Mais finalement nest-ce pas la même chose ? Être libre de la mort ou être libre par la mort ? Choisir. Un mot qui change le sens d'une existence.
Pourquoi suis-je ici ? De quoi dois-je me libérer ? De mes liens qui emprisonnent mes membres ou des liens qui emprisonnent mon cœur ? Qui veut me tuer ?
La chaise grince dans mes mouvements de panique et je sens le pied craquer de plus en plus. Suis-je ici pour me sauver de moi-même ? Un seul mouvement de ma part et je disparais, mon souffle de vie s'envole, je cesse d'exister. Je me tuerai.
Je dois trouver un moyen de m'échapper. Je réfléchis. Mes mouvements doivent être lents et calculés. Doux et calme. Je sens mon slard me couper la cuisse. Si je parvenais à le saisir, ce serait un bon début. Je glisse lentement sur le dossier dur et froid de la chaise. Mes épaules me font mal et mon sang circule difficilement dans mes veines rendant chaque mouvement pareil à une torture.
Un claquement retentit juste à côté, mais la pièce est tellement sombre que je ne parviens pas à discerner son origine. Il est vite suivi par un second puis un troisième.
Clac, Clac, Clac
Il est régulier et s'approche de moi. On dirait le bruit de pas sur un sol en marbre. Comme le claquement des chaussures à talons d'une femme. Elle m'observe, se délecte de ce plaisir. Elle me regarde souffrir.
Un visage soudain apparaît. Une femme, brune et âgée, circule tout autour de mon piédestal.
Sans lui prêter attention, je saisis mon slard discrètement et coupe mes liens aux mains. Elle n'a pas l'air de s'en rendre compte. Mon cœur bat en rythme avec les pas de la femme, harmonisant ma torture mentale et physique d'une mélodie morbide. Je sens les fils de la corde lâcher un à un. Le bruit du frottement me semble résonner dans toute la pièce silencieuse.
Le dernier fils saute et mes mains sont enfin libres. La femme me tourne toujours autour et me donne le tournis. Un vertige s'empare de moi. Je ne dois pas tomber. Surtout pas. Sinon, la corde qui pend à mon cou, pendra tout mon corps.
Ce sera la fin.
La corde se resserre aussitôt. Ma respiration se coupe, je suffoque. Le câble me coupe la nuque et le cou. Je me sens faiblir. Je ne peux pas hurler. Je me penche de gauche à droite, d'avant en arrière pour échapper à son emprise. Puis elle se desserre et j'arrive à passer mes doigts glacés au-dessous, apaisant en même temps, la brûlure de la corde. Mon souffle est court et mes mains tremblent.
Que se passera-t-il si la femme me surprend les mains libres ? Je retire le tissu de l'intérieur de ma bouche et crache au sol de la salive mêlée à du sang. Je respire calmement et lentement pour me concentrer, pour reprendre haleine. J'hésite à avaler de grosses goulées d'air, mais ma gorge me fait souffrir.
La silhouette féminine se retrouve à nouveau dans l'ombre. Aussitôt, j'en profite pour enlever la corde de mon cou. Précisément. Rapidement. Mes cheveux lâchés glissent sous les différents torons de la corde. Certains restent collés à ma nuque à cause de la sueur qui coule dans mon dos comme une lame de couteau froide.
Maintenant la corde au-dessus de moi à bout de bras, je me décale pour quelle pende à mes côtés. Soudain, la femme tourne vivement la tête et me regarde de ses yeux perçants.
Je suis piégée.
Elle s'avance doucement, furtivement comme un chat chassant une pauvre souris. Je n'ose plus bouger. Je reste immobile, les bras portant toujours la corde tressée. Je déglutis péniblement.
Que va-t-elle faire ? Me libérer ou me tuer ? Quelles sont ses intentions ? Est-ce-elle qui ma placé sur cette chaise ?
Elle est de plus en plus près et je n'ose toujours rien faire. Si je ne bouge pas, elle va peut-être partir ? Elle sourit cruellement et pince ma joue.
— Tu as fait ce que je t'ai demandé ? me susurre–t-elle à loreille.
— Je ne sais pas ? Qui êtes-vous ? je demande, soudain apeurée
— Tu as fait ce que je tai demandé ? répète-t-elle à mon autre oreille.
— Oui, je lui réponds sans savoir ce que j'aurai dû faire.
J'ai bien trop peur de ses yeux, de sa main qui glisse de ma joue à ma gorge.
— Menteuse ! crie-t-elle.
Sa voix résonne dans la pièce et un écho retentit au loin. Elle prend ma gorge de ses deux mains et commence à serrer, de plus en plus fort. Ses mains sont gelées, ses doigts crochus, ses ongles trop longs. Ils s'enfoncent dans mon cou pour m'égorger. Ses yeux sont injectés de sang.
Elle a soif, soif de tuer.
Elle est folle.
Trop âgée.
Pourquoi ?
Je me débats comme une furie ne craignant plus d'être pendue par la corde, désormais loin. Mes pieds, toujours attachés à la chaise complètement brisée, empêchent ma liberté de mouvement. Dans mes impulsions incertaines et affolées pour lutter, mon slard tombe à terre. Mes yeux se ferment et ses doigts appuient plus fort sur ma gorge. Mon souffle s'enfuit tout comme ma détermination. Mes forces s'amenuisent et mon énergie diminue. Je continue de respirer malgré ses efforts pour m'étrangler. A mesure qu'elle renforce sa poigne, mon souffle ressemble à un sifflement aigu désagréable à entendre et pourtant si rassurant.
Je vis encore. Je vivrai encore.
Avec cette pensée, je redouble de colère. Qui est cette femme pour me tuer ?
Mon pied droit brise le pied de la chaise et un morceau de métal reste suspendu à ma jambe. Je n'hésite plus. J'envoie ma jambe le plus haut possible contre la femme et le métal s'enfonce dans son abdomen. Elle crie sous le choc et retire ses mains rugueuses de ma gorge pour les porter à son ventre. Une tache rouge s'agrandit sur son haut blanc. Elle me regarde désespérée et choquée. Je me délie les pieds et m'écroule au sol dans un bruit sourd. Je n'arrive pas à respirer. Ses mains ne m'attaquent plus, mais l'oxygène me manque. Mon cerveau n'alimente plus mon cœur et mon cœur n'irrigue plus mes organes.
Et c'est ça qui fait mal.
C'est le silence de ma respiration et le bruit de mon organe vital qui bat difficilement, qui cogne contre mes côtes. C'est la sensation d'avoir un étau autour du cou qui ne disparaît pas. Je tousse à m'en arracher les poumons. Je cherche avidement de l'air pour les nourrir. J'entends un sifflement strident qui perce mes tympans et je me rends compte avec horreur que ce sont mes cordes vocales qui essayent de s'exprimer, en vain. Je lève les yeux prêts à affronter le regard de la femme sur moi, mais je ne vois qu'un point rouge qui me fixe.
« Vous avez réussi l'épreuve, vous pouvez quitter la cellule ».
La cellule.
L'illusion.
Je comprends. Je comprends que mon cerveau a été piégé. Je comprends que tout était faux. Mais alors, pourquoi ai-je autant de mal à respirer ? Pourquoi mes poignets et mes chevilles me font souffrir ? Pourquoi je n'arrive pas à parler ?
« Vous pouvez quitter la cellule », répète la voix.
Je récupère mon slard en le saisissant de mes mains tremblantes. Il ne m'a servi qu'à me libérer. Je me suis servi de la chaise pour faire le reste. Pour faire disparaître le cauchemar.
J'ai tué une femme.
J'ai tué quelquun.
Je suis un monstre.
La porte de la cellule s'ouvre en grand et la lumière, au-dessus, reprend sa couleur verte. On m'invite à sortir.
Non. On m'y oblige.
Je me relève lentement respirant par à-coups. Je marche vers la porte et la franchit. Elle se referme aussitôt, emprisonnant le cauchemar que j'ai vécu. La peur qui n'est pas la mienne. Mon adversaire, a-t-il réussi l'épreuve, lui aussi ? Ou bien est-il toujours en train de combattre mes peurs inconscientes ? Qui s'en est débarrassé le premier ? Qui a le meilleur score ? J'ai l'impression d'être restée des heures à vaincre quelque chose qui ne m'appartient pas. Cette peur que je voudrais oublier. La douleur que je voudrais effacer.
Je pénètre dans le couloir aux portes numérotées. Elles sont pratiquement toutes ouvertes. Est-ce que cela signifie que je suis la dernière ? La lumière du jour, à la sortie de la prison, transperce mes rétines. Je ferme les yeux, trop éblouie, trop aveuglée par ma douleur.
J'entends chuchoter à mesure que j'avance. Il y a aussi des gémissements, des plaintes, des sanglots. Il semble que je ne sois pas la seule à être traumatisée par ce qui vient de m'arriver. J'ignore vers quel endroit je me dirige, vers qui. Soudain deux bras fermes m'empêchent d'avancer plus loin. Je relève la tête alors que j'ai failli bousculer quelqu'un. Deux yeux argentés me fixent avec surprise. Je n'ai pas le courage d'expliquer ce qui m'arrive. Je m'écroule contre le torse d'Arwen tellement je suis épuisée et sous le choc. Je me fiche qu'il ne soit pas aimable avec moi depuis le début des Jeux. J'ai juste besoin que quelqu'un maide peu m'importe de qui il s'agit.
Il semble comprendre l'urgence de la situation et décide de me soutenir tandis qu'il nous dirige vers le carrosse qui nous a conduit ici. Il n'a aucune raison de me venir en aide, pourtant j'entends sa voix appeler Luther.
*
Lorsque j'ouvre les yeux, je suis allongée sur un lit, dans une pièce inconnue du château. Je tourne la tête et aperçoit Arwen assit sur un fauteuil. Luther ne doit pas être loin. Je veux le remercier, mais aucun son ne parvient à sortir de mes lèvres. Finalement, quand il réalise que je l'observe, il s'approche de moi et me tend le verre d'eau posé sur la petite table à mes côtés.
— N'essaye même pas de parler, ça va te faire un mal de chien. Bois, m'ordonne-t-il tandis qu'il me détaille de ses yeux clairs.
Je grimace à ses paroles.
— Ne fais pas cette tête-là, se moque-t-il. Bois, ça va te soulager, explique-t-il d'un ton ferme.
Je sais qu'il cherche à me rassurer, mais cela sonne faux dans sa bouche. Pourtant, j'obéis à ses paroles. J'attrape le verre et le porte à mes lèvres. J'avale l'eau claire, mais celle-ci me brûle. Je me force à boire oubliant la douleur.
— Voilà ! C'est mieux, non ? réplique-t-il tandis qu'il reprend le verre et le pose délicatement sur la table.
Je m'apprête à répondre par la négative, mais je me souviens qu'il ne pourra de toute façon pas m'entendre. Puis ma gorge s'apaise instantanément. J'interroge Arwen du regard en fronçant les sourcils.
— C'est un torélien qui s'est empressé de faire cette mixture, dès qu'il a vu ton état. Luther ne va pas tarder. Il a réussi à me menacer pour que je reste jusqu'à ce que tu te réveilles, avoue-t-il avec un petit rire sarcastique.
Je hoche la tête en guise d'assentiment. Pourquoi se montre-t-il si prévenant tout à coup ? Mon état doit être affreux pour que même Arwen s'en inquiète.
Je veux vraiment le remercier de vive voix. Je me redresse, entrouvre les lèvres, mais Arwen me coupe.
— Ne dis rien, ça risque d'empirer le traumatisme. Les peurs peuvent marquer l'esprit pendant longtemps. Si je dois te donner un conseil, c'est de les accepter. Repose-toi, maintenant.
Puis il me laisse seule dans ma chambre et referme lentement la porte pour que celle-ci ne claque pas. Quelques instants plus tard, je me sens étrangement mieux. Comme si tout ce que je venais de vivre n'avait aucune importance.
Plus tard, Luther reste longtemps à mon chevet et me répète que je suis forte, que je suis une légende délienne puisqu'aucun de mon peuple n'a réussi la deuxième épreuve. Je m'endors sur ses félicitations élogieuses en me demandant si toute cette histoire va bientôt se terminer.
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